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›› Chronique

Corée du Nord. Entre « fatalisme proliférant » et optimisme raisonnable

L’image ci-joint est une photo satellite commentée des environs de la montagne Mantap diffusée par le site C. News d’après une information passée inaperçue de la TV japonaise datant de l’automne 2017, faisant état de l’effondrement du site de tests nucléaires nord coréen de Punggye-ri, à une centaine de kilomètres de la frontière chinoise.

Autrement dit, la séquence que vit la péninsule coréenne depuis mars 2018 était dans les tiroirs de Kim Jong-un depuis 5 mois, délai après lequel il a annoncé qu’il « tirait l’échelle » de ses provocations apocalyptiques.

Les services chinois dont les sismographes surveillent la situation géologique de la Corée du Nord comme l’huile sur le feu, étaient au courant et on peut conjecturer qu’ils ont suggéré à Kim de renoncer à son arsenal nucléaire.

En même temps, Xi Jinping qui ne nourrit pas pour son voisin une affection débridée, mais ayant, à la chinoise et contrairement à nos exécutifs extravertis obsédés par la morale et la transparence, gardé une placidité marmoréenne, l’a invité à Pékin pour, tout en lui redonnant de la face, rappeler à son hôte venu en train blindé sorti d’un roman de John le Carré, qu’il exigeait le démantèlement de son programme nucléaire. En arrière plan, Xi gardait en tête le risque de prolifération nucléaire au Japon, sa bête noire.

Simultanément, s’affichant avec son turbulent voisin, le n°1 chinois signifiait à Washington qu’il n’était pas question que la Chine dont l’influence culturelle et stratégique sur la péninsule pèse depuis des siècles, soit marginalisée dans le processus qui s’annonce.

Des raisons d’espérer.

Après avoir tout de même propagé l’idée que la nucléarisation de la Corée du nord était désormais « inéluctable », les experts en passivité fataliste dont il faudra un jour analyser les racines suicidaires, continuaient, en dépit des évidences, à expliquer que Kim Jong-un, désormais maître du feu nucléaire, était en position de force et réagissait « rationnellement » à la « folie » de Trump.

En réalité, les événements qui se déroulent depuis le printemps 2018, ayant pris de court nombre d’observateurs, montrent que les provocations guerrières de la Maison Blanche, tirant profit du narcissisme de Kim Jong-un - un défaut que Donald l’iconoclaste perturbateur, adepte des « tweets » connaît bien -, l’ont poussé à la faute en l’incitant à augmenter inconsidérément la puissance de ses tests nucléaires probablement à l’origine de la destruction de son « jouet » nucléaire, son atout maître qu’il a dilapidé.

La chance qui sourit aux audacieux, la fragilité géologique de la région, la crainte chinoise d’un dérapage nucléaire japonais ajoutées à l’inexpérience juvénile et bornée de Kim Jong-un, ont servi la Maison Blanche.

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S’il est vrai qu’un nouveau coup de théâtre est toujours possible, il faut reconnaître qu’après la rencontre Moon - Kim du 27 avril - 3e sommet de l’histoire entre le Nord et le Sud assorti de la promesse renouvelée de Kim de stopper (et pour cause) son programme nucléaire -, la situation n’a jamais été aussi proche d’une solution pacifique de la question nord-coréenne restée en suspens depuis 1953.

En effet, les deux autres rencontres coréennes au sommet, jalons des précédentes embellies avec Kim Dae-jung en 2000 et son successeur Roh Moo-hyun en 2007, n’avaient pas évoqué l’abandon du programme nucléaire par Pyongyang. Quoi qu’en disent les fatalistes nous sommes donc clairement dans une situation nouvelle.

Moon Jae-in ayant rempli son office « d’ouverture de route », la suite appartient à Washington et à Pyongyang, Pékin, à l’écoute tente de rester dans la boucle, tandis que Tokyo est en embuscade sur le mode intransigeant.

Les racines des méfiances.

Aux États-Unis, certains – pas forcément les plus conservateurs - craignent toujours un piège. C’est le cas de Douglas Paal, aujourd’hui vice-directeur des études du « Carnegie Endowment for International Peace », docteur en histoire de Harvard, ancien Directeur de l’Institut Américain de Taïwan (A.I.T), l’ambassade officieuse des États-Unis dans l’Île rebelle.

Dans un article paru le 20 avril dernier, il mettait en garde contre le risque « d’un accord piégé » avec Pyongyang favorisé par la soif de légitimité interne du Coréen Moon Jae-in et de Donald Trump qui pourraient, l’un et l’autre, être tentés, disait-il, de « rechercher une caution publique de court terme au détriment des enjeux de sécurité à long terme ».

« Kim a t-il vraiment l’intention d’abandonner ses capacités nucléaires conquises de haute lutte, en échange d’un relâchement des sanctions imposées par D. Trump ? Ou s’agit-il d’une nouvelle manœuvre de déception dont le régime est coutumier ? ». Pire encore, « Kim n’est-il pas en train d’attirer D. Trump dans un piège exigeant la fin de l’alliance avec Séoul ? ».

Disant cela Paal exprimait une vague de scepticisme courant dans le cercle des experts de la Corée du Nord. Ces risques existent en effet et les arguments de ceux qui les énoncent sont connus. Les plus crédibles font, par hypothèse, état de l’avancement du programme de Pyongyang, selon eux déjà arrivé à maturité et capable d’installer une tête nucléaire sur un missile intercontinental, dont aucune logique stratégique ne pourrait justifier l’abandon.

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Le trou noir à Pyongyang et l’ambiguïté des puissants

A ce stade, il est impossible de lever les doutes sur l’état réel de l’arsenal et sur la rationalité interne de l’appareil politique nord-coréen. Tout au plus peut-on constater que la plupart des analyses résignées ne tiennent pas compte de l’effondrement du site des tests et de ses conséquences sur l’attitude chinoise en réaction aux risques de contamination radiologique. De même, peu d’analystes soulignent la crainte chinoise d’une contagion de la prolifération au Japon.

Elles n’évoquent pas non plus le capital de reconnaissance que Kim Jong-un pourrait retirer d’un règlement avec les États-Unis de la question coréenne restée hors de portée de son père et de son grand-père.

Enfin, rares sont les arguments qui osent examiner, au-delà des apparences de la propagande, les vrais rapports de forces socio-économiques et politiques dans le trou noir de la situation intérieure nord-coréenne dont il paraît improbable que les tensions soient sans effet sur la stabilité du régime.

Depuis sa position tutélaire, Pékin observe les événements en répétant que la détente en cours depuis les JO d’hiver de février avait été obtenue grâce à l’éphémère moratoire accepté par les forces conjointes ayant décidé de retarder les manœuvres sur la péninsule. Solution que la Chine préconisait depuis mars 2017. Ce n’est qu’en partie vrai.

Il est en effet tout aussi raisonnable d’attribuer la volte-face de Kim Jong-un à l’accident géologique ayant en partie détruit le site de tests nucléaires de Punggye-ri, à quoi s’ajouta l’augmentation des pressions-sanctions chinoises. Cette « montée en gamme » de la Chine fut le résultat du battage public amplifié par les « tweets » de Trump qui, prenant le contrepied des diplomaties du silence feutré enseignées à Sciences Po, alternait par d’incessants contrepieds le chaud et le froid des satisfécits publics adressés à Pékin et des blâmes sans ménagement accusant la Chine de ne pas en faire assez.

Perspectives stratégiques de la région.

Si la détente se confirmait jusqu’à la signature d’un traité de paix mettant fin au conflit coréen – une perspective pour l’instant encore hypothétique -, Pékin qui craint une extension de l’influence américaine jusqu’à ses frontières, continuerait à s’opposer à une réunification des deux Corée aujourd’hui très improbable, non seulement du fait de l’opposition chinoise, mais également à cause du décalage politique et social entre les deux régimes.

A cet égard, rappelons que, dans le cas de l’Allemagne, la réunification fut favorisée par l’effondrement du sponsor soviétique. En Asie du Nord-Est, le sponsor est la Chine qui ne donne aucun signe d’effondrement, au contraire.

En même temps, si dans le meilleur des cas, la question nucléaire nord-coréenne était résolue le régime chinois arguerait avec Pyongyang de la disparition de la menace pour réclamer la dissolution de l’alliance militaire et le départ des Américains. C’est précisément ce que craignait Paal dans son analyse.

Si Washington restait malgré tout accroché à ses bases en Corée et au Japon, comme c’est très probable, le discours de la Chine accuserait Washington, Séoul et Tokyo de maintenir une alliance militaire dirigée contre elle, destinée à bloquer sa montée en puissance. Dans ce triptyque d’alliance antichinoise, le maillon faible serait la Corée du sud. Le noyau dur serait le Japon que Trump a eu tort d’humilier en ne lui accordant pas la même exemption de taxes qu’à ses alliés occidentaux.

Mais on peut raisonnablement envisager que la Maison Blanche mettra un bémol à son radicalisme commercial contre Tokyo qui brouille l’alchimie de l’alliance (voir l’éditorial de QC).

Mis sous pression par Shinzo Abe qui, humilié par la brutalité tarifaire de Trump, s’est récemment ostensiblement rapproché de la Chine, jusqu’à reprendre - il est vrai très prudemment et avec une très longue cuillère - les échanges militaires avec Pékin, interrompus depuis 2012, Donald pourrait rabaisser la barre de se exigences commerciales japonaises après l’avoir placée très haut.

Sur le reste qui nous occupe aujourd’hui Tokyo et Washington sont main dans la main. Contrairement à l’accord avec Téhéran, les deux disent que « la dénucléarisation doit être « complète, vérifiée et irréversible ». Une position dont Pékin a plusieurs fois répété qu’elle était aussi la sienne, y compris à Kim Jong-un, lors de son voyage à Pékin.

Quant au Japon, il reste très attentif à ce que ses intérêts de sécurité directs ne soient pas bradés par les États-Unis lors de la rencontre Kim – Trump. A cet égard, l’inquiétude de Tokyo, s’est exprimée en avril dernier par un professeur d’études coréennes à l’université de Nagoya. Se félicitant d’abord que, lors de son voyage aux États-Unis, Abe avait rappelé à D. Trump les exigences japonaises à ne pas oublier lors de la rencontre au sommet avec Kim, il mettait en garde contre « l’imprévisibilité » du président américain.

La crainte de Tokyo est en effet que, dans les négociations, la Maison Blanche se focalise seulement sur la menace posée au territoire américain par les missiles balistiques à longue portée et fasse l’impasse sur l’arsenal à moyenne portée pouvant frapper l’archipel.

Enfin les dernières incertitudes et non des moindres s’ajoutant à l’imprévisibilité de Trump, au radicalisme sécuritaire Japonais, et aux ambiguïtés chinoises, renvoient à l’opacité du régime de Pyongyang et à la réalité des rapports de forces internes évoquées plus haut, entre d’une part la famille Kim et d’autre part l’armée et le parti des travailleurs forcément angoissés par la somme des inconnues que la volte-face du régime – si tant est qu’elle soit réelle – fait peser sur leur avenir.

 

 

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