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›› Taiwan

Flambée de tensions dans le Détroit sur fond de « bruits de ferraille ». Quel avenir pour Taïwan ?

De plus en plus excédée que Tsai Ing-wen rejette le « consensus d’une seule Chine de 1992 » radicalement opposé à la plateforme politique de son parti et dont la reconnaissance conduirait au suicide politique du DDP au pouvoir depuis mai 2016, Pékin, imperturbable, continue à démanteler le réseau international officiel de Taïwan.

Avec une régularité de métronome, baignant dans un discours alternant la menace au rappel de la connivence cultuelle chinoise dans le Détroit ; à l’occasion appuyé par des démonstrations de forces exprimant aussi la fébrilité née de l’existence à Taïwan d’un mouvement politique centrifuge aux prétentions d’identité séparée - l’histoire de Taïwan se confondant avec celle de la naissance de la République populaire son système démocratique est devenu une insolite « épine dans le pied » du rêve chinois de Xi Jinping, -, la stratégie de Pékin vise à nier à Taipei toute légitimité internationale séparée.

La peau de chagrin diplomatique.

Le 1er mai, Pékin et la République dominicaine ont officiellement établi des relations diplomatiques, rétrécissant à 19 pays le tissu international officiel de Taïwan. Depuis l’élection de Tsai Ing-wen, c’est le 4e allié diplomatique de l’Île - après la Gambie, Sao Tome Principe (mars et décembre 2016) et Panama (juin 2017) -, qui change de camp.

Comme à chaque défection de l’un de leurs allés, les Taïwanais, pourtant eux-mêmes rompus à la « diplomatie du chéquier », ont accusé Saint-Domingue d’avoir cédé à l’appel des investissements chinois.

Selon un officiel du ministère des Affaires étrangères à Taipei, le changement de pied aurait été obtenu contre la promesse – démentie par Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères – d’au moins 3,1 Mds d’investissements, de facilités financières et de prêts à taux réduit, incluant 400 millions de $ pour la construction d’une voie ferrée, 1,6 Mds de $ pour des projets d’infrastructure et 300 millions de $ pour une centrale électrique (lire Coups de boutoir méthodiques de Pékin contre l’Île. Le Panama quitte le navire taïwanais.)

Mais depuis quelques mois, soumise aux pressions d’une compétition financière avec Pékin qu’elle soutient de moins en moins bien, l’Île subit, de surcroît, le poids d’un raidissement militaire chinois à ses portes auquel elle s’applique elle-même à répondre, ce qui produit un chassé-croisé de manœuvres, d’exercices à tirs réels, de revues navales et de survols de chasseurs de combat donnant de la zone l’aspect d’un théâtre de guerre se préparant à en découdre.

Refondation de la stratégie américaine à Taïwan.

Pour comprendre cette soudaine nervosité martiale chinoise dont les prémisses avaient été exprimées par le président Xi Jinping dans son discours de la réunion annuelle des assemblées en mars dernier, par lequel il avait menacé l’Île d’une « punition » si elle persistait dans ses stratégies séparatistes, il faut s’intéresser au durcissement de la politique taïwanaise de Washington, résultat de l’influence d’un cercle de réflexion conservateur, baptisé « Project 2049 Institute » créé en 2008 dont l’objectif est de revisiter sur le long terme les stratégies de la Maison Blanche à l’égard de Taïwan.

Conduit par Richard L. Armitage ancien n°2 du département d’État de la présidence Bush (2001 – 2005), assisté de Ian Easton, ex-chercheur au Centre d’analyses de la marine américaine et Mark Stokes qui fut le collaborateur de R. Armitage au Département d’État, vétéran de l’armée de l’air, ancien n°2 de Raytheon international, géant mondial de l’électronique de défense dont il fut le représentant à Taïwan, ce courant de pensée a, en mars 2018, publié sous le label du « Project 2049 Institute » créé en 2008 un document explosif de 55 pages intitulé « US – Taïwan relations in a sea of changes. Navigating toward a brighter future. »

L’étude prend acte des évolutions politiques à Taïwan glissant de plus en plus vers une recherche d’identité, séparée du Continent ; elle reconnaît les faiblesses du vieux parti de Tchang Kai-chek, en même temps qu’une plus grande maturité du DPP, cependant mise à l’épreuve par l’émergence du « Parti du Nouveau Pouvoir, 時代力量 » (en Aglais New Power Party) créé en 2015 (6,1% des voix aux élections de 2016), à la fois plus identitaire que le DPP et critique des réformes sociales conduites par Tsai.

Enfin, alors que la situation dans l’Île et dans le Détroit est placée sous le double défi de la controverse politique soulevée par les réformes internes (retraites, universités, lois du travail, restructuration du secteur industriel) et des pressions chinoises tous azimuts, (politiques, économiques, diplomatiques et militaires), l’étude qui à l’évidence soutient aussi les intérêts di complexe militaro-industriel américain, propose une série de mesures visant à rénover la relation de l’Île avec Washington, de nature à enflammer une sévère réaction politique du continent.

Pour partie considérées comme pertinentes par l’actuelle administration de la Maison Blanche, celles-ci suggèrent d’augmenter radicalement le niveau des échanges avec l’Île en la faisant piloter par un groupe de travail politique mixte dont le but serait de rechercher les moyens d’instaurer la stabilité de la relation sur le long terme.

Cette inscription de la relation avec Taïwan dans le temps, fondamentalement opposée aux projets de réunification de Pékin, heurte d’autant plus la direction politique chinoise qu’elle s’accompagne de la proposition d’échanges politiques de haut niveau, y compris entre Tsai Ing-wen et D. Trump et de celle visant à cesser de soumettre les ventes d’armes à l’Île à l’acceptation tacite de Pékin et à les calibrer aux besoins réels de sa défense, y compris dans les secteurs des hautes technologies.

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En conclusion, l’étude rappelle les « 6 assurances » à Taïwan entérinées par l’administration Reagan en 1982 et réaffirmées par le Congrès en mai 2016.
Allant du refus de fixer une date pour la fin des ventes d’armes à Île, assorti de la promesse de ne jamais modifier le termes du Taïwan Relation Act, elles garantissent de respecter la souveraineté de l’Île - à décider librement par les Chinois eux-mêmes - et de ne jamais y reconnaître la souveraineté de Pékin, en passant par l’assurance de ne pas consulter le Continent en amont des ventes d’armes, de ne pas faire pression pour des négociations dans le Détroit, ni de participer à une médiation entre Pékin et Taipei.

Une des suggestions du « Project 2049 Institute » parmi les plus sensibles avait, au demeurant, déjà été appliquée, modifiant sensiblement la nature des relations dans le Détroit et provoquant de vives réactions courroucées de Pékin quand, le 29 juin 2017, D. Trump avait autorisé la reprise des escales de la marine américaine à Taïwan.

Cette année, moins d’une année plus tard, a été marquée par la visite de deux officiels du gouvernement américain dont celle de Ian Steff, n°2 du ministère du commerce venu dans l’Île le 22 au 27 mars après qu’à la mi-mars Donald Trump ait signé le « Taïwan Travel act » autorisant des ministres et officiels de haut rang à se rendre dans l’Île et à rencontrer leurs homologues taïwanais. La visite de Ian Steff suivait immédiatement celle de Alex Wong, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, le 21 mars. Les deux visites faisaient suite à l’approbation par la Maison Blanche en juin 2017 de 1,4 Mds de $ de ventes d’armes à l’Île.

A ces initiatives américaines ajoutant les tensions taïwanaises à celles de la mer de Chine du sud et à celles des controverses sur les taxes, Pékin a répondu par plusieurs démonstrations de force.

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Nervosités militaires.

Le 12 avril, à Sanya, deux jours après son discours du forum de Boao, où en pleine tension commerciale avec Washington, il avait tenté de rassurer sur l’absence d’intentions géostratégiques cachées des projets des « routes de la soie », Xi Jinping vêtu d’une tenue camouflée à bord du destroyer lance-missiles Changsha - 7000 tonnes, équipé de 64 missiles mer-air à lancement vertical HHQ-9 et de missiles de croisières antinavires – a supervisé la première revue navale jamais organisée par l’APL en mer de Chine du sud, avec 10 000 hommes, 48 navires de combat, dont plus de 50% sont opérationnels depuis moins de 5 ans, dont le porte-avions Liaoning, des sous-marins à propulsion nucléaire, 2 sous-marins nucléaires lance engins intercontinentaux (SNLE), des frégates et destroyers pour la plupart flambant neufs, auxquels s’ajoutèrent 76 aéronefs de tous types.

Une semaine plus tard, la marine chinoise participait à des exercices aéronavals dans le canal de Bashi au sud de Taïwan comportant des appontages et des décollages de J-15 sur le porte avions Liaoning, des survols des parages de l’Île par des bombardiers et des exercices à tirs réels dans le Détroit.

La revue navale et les exercices avaient été précédés à la fin mars par des survols d’aéronefs (bombardiers H-6K, SU-30 et SU-35) de mers Chine de l’Est et du sud, en réponse au passage, le 23 mars, du destroyer américain USS Mustin à l’intérieur 12 nautiques de l’archipel des Mischiefs en mer de Chine du sud.

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Le 13 avril, 24 heures après la revue navale de l’APL à Sanya, 1300 km plus à l’Est, à Suao, sur la côte orientale de Taïwan, Tsai Ing-wen était à bord du destroyer rapide Kee Lung (7000 tonnes, anciennement USS Scott, débaptisé, hérité de la marine des États-Unis en 1998, lourdement armé de 62 missiles mer-air Raytheon, de 8 quadri tubes antinavires Harpoon (Boeing) et de 2 affuts triples lance-torpilles).

Assistant à une revue navale de la marine taïwanaise, elle prit la parole pour réaffirmer sa confiance dans l’armée pour « protéger et défendre le pays », ajoutant que les exercices militaires chinois ne l’ empêcheraient pas de se rendre comme prévu au Swaziland où elle se trouvait le 21 avril.

Fébrilité et intrusions informatiques.

Pour faire bonne mesure dans le registre de l’aggravation des tensions dans le Détroit, sur fond de nervosité chinoise, il faut rappeler que le début du mois d’avril fut marqué par un échange acerbe après que le premier ministre William Lai ait, le 30 mars, proclamé devant le Yuan législatif que « Taïwan était un pays souverain et indépendant ».

Après que le Global Times, accusant Lai d’avoir commis « un crime », réclama sa mise en examen au nom de la loi anti-sécession, le bureau chinois des Affaires taiwanaises rappelait que « Taïwan ne serait jamais séparée de la Chine ». Qualifiant la remarque de « dangereuse » et « prétentieuse », il ajoutait qu’elle était de nature à « menacer la paix et la stabilité dans le Détroit ».

A quoi le bureau des Affaires continentales à Taipei, répliqua en accusant le Global Times et le gouvernement chinois de se livrer à des « menaces irrationnelles ». Il ajoutait que « Dans un contexte où la société taïwanaise était pluraliste et démocratique », Pékin devait accepter la réalité de deux entités séparées et cesser ses menaces militaires irresponsables aggravant les antagonismes dans le Détroit.

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Enfin le dernier élément méritant d’être souligné dans le changement du paradigme des relations dans le Détroit, est évoqué par Russel Hsiao dans un article de « China Brief », de la Jamestown Foundation du 24 avril, analysant les intrusions chinoises sur le net, véhiculant des fausses informations par le truchement des réseaux sociaux de l’Île.

A cet égard, il cite un rapport de l’Université d’Oxford (document PDF) datant de juin 2017 disant en substance que les intrusions de la propagande en ligne chinoise s’insinuent désormais dans le champ social de la politique intérieure taïwanaise au point que les campagnes de désinformation ne peuvent plus seulement être attribuées à des perturbateurs intérieurs.

Récemment, les efforts de désinformation chinois par l’envoi massif de messages ont coïncidé et parfois conforté les politiques de l’opposition et des associations civiques réfutant les réformes, notamment sur la question des retraites, l’usage excessif de l’encens et de papier monnaie votif dans les temples bouddhistes ainsi que les programmes d’infrastructures à long terme de Tsai.

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L’un des paragraphes de l’introduction du document publié par Oxford renvoie à l’essentiel qui est aussi le questionnement de Question Chine
En substance : L’avenir de Taiwan est à la fois brillant et précaire. Le fait que Taiwan soit autorisée à poursuivre ou non sa voie vers le progrès jusqu’à obtenir une totale reconnaissance diplomatique en tant que pays, dépend, en grande partie, de facteurs imprévisibles, notamment ses relations avec les États-Unis d’Amérique et les tensions avec la Chine continentale, son voisin dans le Détroit.

Si on considère que l’avenir de Taiwan est un indicateur fiable de l’avenir du monde, l’évolution de la situation dans le Détroit indiquera l’ouverture des sociétés à l’influence internationale de la démocratie libérale ou si, au contraire, elles succomberont à des tendances ataviques et autoritaires plus sombres.

C’est là une des questions les plus importantes de l’époque actuelle, et Taiwan sera l’un des théâtres stratégiques où se déroulera cette bataille.

Culturellement, linguistiquement et économiquement Taïwan est de plus en plus soumise à l’hégémonie autoritaire croissante de la Chine continentale, tout en étant soutenue par les États-Unis d’Amérique, dont elle a adopté l’idéologie politique et qui l’aide financièrement et par des livraisons d’armes.

Le questionnement sur l’avenir de Taïwan confrontée aux sérénités chinoises renvoie aussi aux fragilités des systèmes démocratiques en crise dont la capacité de cohésion et de projection à long terme est aujourd’hui mise à mal par la prévalence des individualismes et la pression constante des opinions publiques aujourd’hui agitées par l’effervescence sans limites des médias et des réseaux sociaux où, sans cesse, se brouille la frontière entre manipulation et information.

 

 

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