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›› Chronique

Mer de Chine et ASEAN, enjeux de la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis

Les 23 et 24 mai, les ministères des Affaires étrangères et de la défense, avec les mêmes arguments accusant les États-Unis de « souffler le chaud et le froid » et de « miner la confiance réciproque » ont condamné la décision prise par Washington d’annuler l’invitation lancée en janvier dernier à la marine chinoise de participer à l’exercice naval géant RIMPAC, auquel Pékin avait pourtant déjà pris part en 2014 et 2016.

Lire :
- Entre raison, émotions et rivalités stratégiques, la marine chinoise participe à RIMPAC.
- La marine chinoise devient un outil diplomatique et stratégique de portée globale.

A peine « la guerre des taxes » momentanément écartée, l’épisode est une nouvelle crispation sino-américaine autour de la controverse de la liberté de navigation et de la souveraineté en mer de Chine du sud. Il est un point d’orgue d’une vaste campagne des services de renseignements américains à l’œuvre depuis le printemps pour dénoncer « la militarisation des îlots » occupés par la Chine.

Le 24 mai, un article du Global Times dénonçait l’hypocrisie américaine qui accusait la Chine de militariser les ilots – « territoire chinois où la Chine est libre de fait qu’elle veut » - alors que la puissance militaire américaine dans le Pacifique avait considérablement été augmentée.

La conclusion était ferme : « La mer de Chine du Sud est un lieu où la Chine ne doit faire aucune concession aux États-Unis (…). La paix entre les deux en mer de Chine du Sud est vitale. Mais la condition de la paix doit être l’équilibre des forces et le respect mutuel

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Mais ce n’est pas tout. Aux intentions d’annexion de toute la mer de Chine du sud, Pékin ajoute une vaste quête d’influence dans les 10 pays de l’ASEAN.

En Asie du sud-est, tous les observateurs objectifs voient que l’ombre de Pékin s’allonge partout, couvrant tous les secteurs, de la culture à l’économie en passant par la recherche pétrolière, la contestation de la convention de Montego Bay à propos des zones économiques exclusives et même le mode de gouvernance. A l’occasion, la méthode se fait brutale et menaçante, notamment contre Hanoi qui n’a d’autre choix que de plier sous les injonctions de Pékin.

Le 22 mai, David Shambaugh professeur de sciences politiques à l’Université Georges Washington, ancien éditeur de la revue China Quaterly écrivait dans le site de l’East Asia Forum un article où il mettait en garde à la fois contre les avancées chinoises et la nouvelle inertie de Washington, dont le nouvel exécutif ignore systématiquement tous les domaines échappant aux défis de sécurité.

« La Chine multiplie les initiatives quand les États-Unis paraissent sur la réserve (…). Vu de Pékin, les pays de la région construisent leur économie par des choix pragmatiques et concrets et la Chine leur apporte son appui. »
Lire : Can America meet the China challenge in Southeast Asia ?

L’empreinte militaire chinoise s’élargit.

La montée en gamme militaire de l’occupation des îlots par la Chine dont la plupart ont été élargis artificiellement, augmentant - en contravention des lois de la mer - les eaux territoriales adjacentes, apparaît au travers de quelques événements récents dont la fréquence s’est accélérée au printemps 2018.

Le 2 mai, une dépêche de Reuters qui reprenait une information publiée sur le site de l’armée de l’air chinoise, annonçait le déploiement de missiles de croisière sur des îlots sans préciser lesquels. 2 jours plus tard, CNBC, citant des renseignements américains précisait qu’il s’agissait des ilots – récifs de Fiery Cross, Subi, Mischief situés dans les Spratlys formant un triangle de 160 nautiques de côté en moyenne, dont le centre de gravité se trouve à 230 nautiques de l’Île de Palawan (Philippines) à 300 nautiques des côtes du Vietnam et à 550 nautiques de Hainan.

Le 18 mai, la même source internet de l’armée de l’air chinoise, reprise par le Quotidien du Peuple faisait état de l’arrivée d’un bombardier stratégique H-6K à Woody Island - (永兴岛- Yongxing Dao - en Chinois), de loin l’une des plus grosses bases chinoises en mer de du sud, située dans les Paracel, où sont également déployés par intervalles des chasseurs de combat J-11, des missiles anti-aériens HQ-9 (déjà signalés il y a un an) et des missiles de croisière antinavires YJ-62 (voir la vidéo sur Twitter l’atterrissage d’un H-6K à Woody Island diffusée à partir d’un site de l’armée de l’air. )

Le 22 mai un article de « The Diplomat » signé Ankit Panda diplômé de l’Ecole des Affaires internationales Woodrow Wilson à Princeton analysait les initiatives chinoises sur le mode catastrophique en anticipant la contagion des déploiements de bombardiers chinois – il est vrai envisageables – jusque sur les Spratlys, 400 nautiques plus au sud, les bases chinoises les plus importantes étant déjà équipées de pistes et de hangars.

Cristallisant une tendance à l’œuvre depuis des mois, la présence de bombardiers chinois répartis sur tout l’espace de la mer de Chine du sud coïncidant avec la montée en puissance des missions de l’US Navy destinées à protéger la liberté de navigation augmenterait, dit l’auteur, le potentiel de dérapage militaire.

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Manille et Hanoi sur la sellette.

La succession des déploiements chinois qui sont autant de « tests » de la volonté de Washington de confronter Pékin, s’est accompagnée d’une très nette augmentation des pressions chinoises sur Manille et Hanoi.

L’ombre portée chinoise a été ponctuée par une déclaration de Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères qui, le 17 mai, s’adressant au Vietnam accusé par Pékin d’empiéter sur les droits d’exploration chinois à l’intérieur de sa « ligne en 9 traits », rappelait que « personne n’était autorisé à se livrer sans autorisation de Pékin à des recherches d’hydrocarbures dans les eaux chinoises ».

Aux Philippines, les reportages des nouveaux déploiements chinois font la une de l’actualité et ont relancé le débat entre « faucons » partisans d’un durcissement à l’égard de Pékin et les « colombes » alignées sur la position plus accommodante de Rodrigo Duterte.

Pour les pessimistes philippins, l’allongement de la main chinoise risquait de soumettre les lignes logistiques des « petits voisins » de la Chine au bon vouloir de Pékin. La mouvance militaire toujours proche de Washington, et à sa tête le Ministre des armées Delfin Lorenzana, rappelle que Pékin, dont on attend toujours les propositions concrètes pour un « code de conduite », avait toujours promis de ne pas militariser les ilots.

Alors que l’opinion exige un durcissement de la ligne, à Manille le sénat a lancé une enquête ayant d’abord pour but de gagner du temps - la Présidence restant par la force des choses et le déséquilibre de puissance face à la Chine, sur une ligne plus accommodante avec Pékin -. Mais depuis le début 2018 Washington a décidé de s’en mêler.

Le 10 janvier dernier, Sung Kim, l’ambassadeur américain d’origine sud-coréenne en poste à Manille depuis novembre 2016, avait déjà exprimé l’intention de Washington de ne pas abandonner la région. Récemment dans une conférence de presse remarquée, il a fait part des inquiétudes américaines face à « la militarisation unilatérale et agressive de la région par la Chine. »

A la Maison Blanche, le ton est encore plus alarmiste mettant en garde la Chine contre les « conséquences de court et long terme de ses actions, si elle ne modifiait pas son attitude ». Le Pentagone a repris les alertes par la voix de l’Amiral Davidson, futur Commandant en Chef du pacifique (PACOM). S’exprimant au Sénat, le successeur de l’Amiral Harris nommé ambassadeur en Australie, estimait que la militarisation des ilots contestés constituait « un sérieux défi pour les États-Unis. »

Pour autant, à Manille, le doute subsiste sur la volonté réelle des États-Unis de confronter militairement la Chine, ce qui, in fine, place l’archipel aux besoins en énergie toujours croissants à la merci des réclamations chinoises, dont les prétentions sur le haut fond de Reed n’ont pas varié. Dans ce contexte, Manille n’aura d’autre choix que de rechercher un développement partagé des ressources, aux conditions chinoises.

Lire : Mer de Chine du sud. La carte sauvage des hydrocarbures. Le dilemme de Duterte.

Note (mise à jour le 30 mai).

Sous la pression de l’opinion publique, la bienveillance initiale à l’égard de la Chine de Rogrigo Duterte est peut-être en train d’évoluer. Le 28 mai lors d’une cérémonie au ministère des Affaires étrangères, le Ministre des AE Peter Cayetano, répondant aux reproches d’une trop grande connivence de Manille avec la Chine, a affirmé que le président Duterte irait en guerre si la Chine franchissait la ligne rouge de s’approprier unilatéralement les réserves d’hydrocarbures de la mer de Chine du sud.

Il a cependant tempéré son discours en accusant sans la nommer la marine américaine de conduire des patrouilles avec ses navires de guerre, installant elle aussi une forme de militarisation de la Mer de Chine du sud.

Le dilemme énergétique vietnamien.

Pour le Vietnam, dont l’histoire récente rend le rapprochement avec le contrepoids américain à la Chine plus délicat, la voie est encore plus étroite. Dans un récent article paru dans East Asia Forum, Bill Hayton, journaliste à la BBC, diplômé de Cambridge, explique que, récemment, Hanoi a sous les pressions chinoises renoncé à deux projets d’exploration majeurs au large de Vung Tao (Cap Saint-Jacques du temps des Français).

Le dernier en date, découvert en 2009, porté par Petro Vietnam, Mubadala (Abu Dhabi) et l’Espagnol Repsol (51,75% des parts) est celui du champ pétrolier et gazier « Ca Rong Do » (dit de « l’Empereur Rouge »), dans le Bloc 07/03. Couvrant 4915 km2, et situé à 440 km des côtes (237 nautiques, donc hors ZEE vietnamienne, contrairement à ce que disent les médias), il a été déclaré économiquement viable en 2013. Mais Pékin qui considère le gisement à l’intérieur de sa ligne en 9 traits démarquant les eaux chinoises, s’oppose à l’exploitation du gisement et menace.

Depuis plus de dix ans, la Chine déploie un éventail de pressions dirigées d’abord contre les sociétés d’exploration et les groupes pétroliers comme BP et Chevron, suggérant des représailles contre leurs intérêts en Chine ; Les intimidations s’exercèrent ensuite contre les bâtiments de recherche vietnamiens dont les câbles d’acquisition des données sismiques furent sectionnés en 2011 et 2012). Enfin, en 2017 Pékin menaça d’attaquer militairement les positions vietnamiennes sur le haut-fond de Vanguard, à 235 nautiques des côtes, partie du gisement de Ca Rong Do.

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L’étroite marge de Hanoi.

Alors que l’abandon en rase campagne du gisement de « l’Empereur Rouge » efface une partie des espoirs du Vietnam de rétablir ses comptes, la marge de manœuvre de Hanoi est étroite. Compte tenu du rapport de forces, l’option militaire est exclue. Quant à l’option diplomatique, elle vire au dialogue de sourds. Après la décision de Hanoi de stopper le projet Repsol, Wang Yi en visite au Vietnam parla de « développement conjoint » ; mais Hanoi continuait à se référer au droit de la mer que Pékin ignore.

Quant à la carte américaine, elle est politiquement difficile à jouer par le parti unique.

Harcelant les dissidents, l’exécutif fait feu de tous bois pour se maintenir au pouvoir et continue à nourrir une profonde méfiance à l’égard de la démocratie américaine. Ce qui ne l’empêche pas de tirer profit de la situation géopolitique qui lui garantit la bienveillance de Washington, pour accentuer ses répressions politiques internes. Lire : L’ASEAN s’aligne progressivement sur la Chine. Volte face et contrepied américains.

Relever le défi chinois en Asie du Sud-est.

La réaction de David Shambaugh évoquée en tête de l’article exhorte l’Amérique à mieux jouer de ses atouts pour rattraper le retard d’influence accumulé face à une Chine jugée omniprésente mais dont les capacités d’action économique n’ont en réalité augmenté que très récemment.

Entre 2012 et 2014 les investissements américains dans l’ASEAN ont été plus de 3 fois supérieurs à ceux de la Chine, tandis que leur stock total se monte à 226 Mds de $, plus que ceux de la Chine, du Japon et de l’UE réunis. De même, l’aide directe prodiguée dans la région par Washington (4 Mds de $ en 2015) était trois fois supérieure à celle de Pékin.

Mais depuis 2010, après l’entrée en vigueur des accords commerciaux Chine – ASEAN, les relations commerciales ont explosé, atteignant 345,7 Mds de $ d’échanges pour la seule année 2015. La même année, les investissements chinois atteignirent plus de 8 Mds de $.

Au point qu’aujourd’hui, La Chine est le premier investisseur au Cambodge, au Laos, en Malaisie, et au Myanmar et le 2e au Vietnam. Parallèlement Pékin a augmenté son assistance militaire et multiplié les initiatives diplomatiques. Mais, dit Shambaugh, là se trouve le principal talon d’Achille chinois.

La présence invasive qui, dans certains endroits, méprise les intérêts locaux, n’utilisant - contrairement au Japon - que la main d’œuvre chinoise importée, reléguant les autochtones à la portion congrue, mal payée et mal formée ; l’installation de zones d’extraterritorialité d’où les locaux sont exclus ;

La priorité commerciale univoque excluant le versant culturel et donnant systématiquement la priorité à la diaspora que les locaux finissent par considérer comme une 5e colonne chinoise, sont autant d’excès déjà perceptibles au Myanmar, au Cambodge et au Vietnam qui déclencheront des réactions adverses des populations locales.

Les incidents ne sont pas rares, comme ce dernier au Cambodge où la population soupçonne les effluents toxiques d’une mine d’or chinoise dans la région de Kratie d’avoir causé la mort de 18 paysans et gravement intoxiqué 300 autres hospitalisés [1].

Note(s) :

[1Au milieu des démentis officiels prenant le contrepied des soupçons des populations locales et dans un contexte où tout indique que la lumière ne sera jamais faite par une autorité indépendante, l’affaire illustre les risques pour la Chine des comportements cupides de certains groupes chinois aux exactions cautionnées sans nuance par le pays hôte dont les finances et l’économie sont imbriquées aux projets des « nouvelles routes de la soie ».

Plus encore, les réactions politiques des autorités locales couvrant les exactions au nom d’une solidarité mal placée avec Pékin pourraient même mettre les gouvernement chinois en porte à faux.

Début mai 2018, à Sre Norn et Aoror, district de Chet Borey dans la province de Kratie,18 personnes ont perdu la vie et 300 autres ont été hospitalisées.

Parmi les causes possibles des décès avancées par la population, mais rejetées par le pouvoir, la contamination de l’eau d’une mare par les effluents chimiques provenant d’une mine d’or exploitée par un groupe chinois depuis 2008 ayant installé une zone protégée fermée aux populations locales hormis quelques douzaines de locaux encadrés par des Chinois.

A la mi-mai, Cham Prasidh ministre de l’industrie du Cambodge avait formellement incriminé le cyanide utilisé par les prospecteurs d’or, présent dans l’eau de la mare et appelé à prendre des mesures pour éviter de nouvelles pollutions toxiques. Mais, à la fin mai, il s’est rétracté.

Désavoué par le chef du gouvernement et plusieurs autres ministres dont ceux de l’agriculture et de l’environnement, il s’est rangé à la version officielle qui incrimine non pas les effluents chimiques mais les pesticides des paysans et l’éthanol (alcool éthylique) présent à trop fortes doses dans l’alcool de riz.

 

 

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