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›› Chronique

Kim – Trump à Singapour. Emotion et grand spectacle au service de la paix

Dans la Cité État s’est joué le 12 juin dernier une séquence diplomatique d’un genre inédit qui fut aussi un pari.

L’épine dorsale de l’exercice n’était pas comme à l’habitude réglée par la rigueur minutieuse des Affaires étrangères mesurant au trébuchet les avantages et concessions réciproques, mais par un Président américain, ayant répondu aux demandes répétées de dialogue formulées par Kim Jong-un et selon qui la séduction, au besoin sur-jouée, pouvait, appuyée par son talent de négociateur d’affaires dont il dit posséder l’intuition innée, initier le processus d’apaisement et de désarmement nucléaire recherchés par la Maison Blanche avec Pyongyang depuis près de 30 ans.

Trois mois après la première demande de dialogue formulée par Kim Jong-un, on ne sait toujours pas si le président américain s’est engagé dans ce processus parce qu’informé par ses services secrets, il aurait perçu que l’ébranlement du site de tests de Punggye-ri [1] avait créé une vulnérabilité de Pyongyang, ou si la décision participait d’un changement de stratégie générale où, après des mois de menaces, la Maison Blanche serait arrivée à la conclusion que le vecteur de la persuasion sentimentale assortie de la promesse de mettre fins aux exercices conjoints et de lever les sanctions à terme serait plus efficace.

Quoi qu’il en soit, la manœuvre engagée par Washington, après une première phase où les menaces militaires installant la crainte du déclenchement inopiné d’un conflit aux portes même de la Chine avaient ému le bureau politique à Pékin, forcé d’augmenter ses pressions contre son allié – il est vrai de manière éphémère -, soulève une longue série de critiques de la part des experts et des diplomates.

S’il est vrai que la rencontre de Singapour fut un succès d’image et une première historique, tout reste à faire et les obstacles soulevés par les arrière-pensées et les intentions cachées des acteurs feront que la route vers la dénucléarisation de la Corée du nord sera longue et difficile. En première ligne des perturbateurs probables les néo-conservateurs américains pour qui toute concession est une trahison et la Chine qui, dans son obsession de rester dans la course, n’hésitera pas à jouer sa propre partition avec Pyongyang.

Donald Trump désavoué.

Une semaine après la rencontre entre Kim Jong-un et Donald Trump, la Maison Blanche également en froid avec ses proches alliés occidentaux après les tensions du G.7, est toujours sous le feu des critiques l’accusant d’avoir privilégié les apparences du spectacle au fond des choses et mis les États-Unis en porte à faux dans la crise nord-coréenne. (Voir en annexe le texte de l’accord)

Les nombreux détracteurs lui reprochent, entre autres, d’avoir négligé – plusieurs interrogations insistantes des journalistes à ce sujet – la question des droits de l’homme et pris le risque de brader les intérêts de sécurité de la Corée du sud en évoquant dans la conférence de presse de l’après-sommet et sans consultations avec Séoul, la fin des manœuvres de l’alliance conjointe.

En même temps, D. Trump a laissé planer la possibilité d’un retrait définitif, à terme, des forces américaines, perspective dont il faut rappeler qu’elle contredit la très claire position du général Mattis ministre de la défense exprimée début juin à Singapour, pour qui le cantonnement des forces américaines en Corée ne pouvait être lié aux négociations avec Pyongyang sur la dénucléarisation.

Inquiétude connexe à ces problématiques d’alliance, l’expression « dénucléariser la péninsule » doit être clarifiée. Elle peut vouloir dire le retrait – envisageable - de la péninsule des vecteurs pouvant transporter une arme nucléaire américaine ou – ce qui serait plus problématique - être le langage codé de la Corée du Nord pour signifier qu’en échange de son abandon de l’arme nucléaire, Pyongyang exigera que Washington retire sa garantie nucléaire à la Corée du sud.

Enfin plus largement, on fait aussi grief au Président Trump d’avoir accordé sa confiance sans véritable contrepartie et de ne pas avoir fait préciser dans l’accord que la dénucléarisation devrait être vérifiée et irréversible.

Le jeu forcé de l’amitié et de la confiance.

Alors que la levée progressive des sanctions serait coordonnée aux progrès de la dénucléarisation et que toute la stratégie du président américain s’articule, selon ses propres dires, à l’établissement d’un sentiment de confiance réciproque entre lui-même et Kim Jong-un auquel peu d’observateurs croient, les détails du processus conduisant à la paix devant être réglés dans la durée par le travail du département d’État et de ses homologues nord-coréens [2], il est difficile d’adhérer sans arrière-pensée à l’optimisme affiché par D. Trump.

Manifestement motivé par la conviction d’avoir déjà obtenu un succès là où tous ses prédécesseurs ont échoué, ce président hors-normes, iconoclaste et antisystème affirme sa foi en lui-même et la conviction d’être un acteur original et inclassable de l’histoire en marche, catégorie exceptionnelle dans laquelle il inclut également Kim Jong-un dont il veut croire à la volonté de tourner la page d’un passé de conflits pour considérer le « brillant futur » qui l’attend s’il accepte de jouer le jeu de la dénucléarisation.

*

Pour l’heure et compte tenu des déceptions passées, gardant aussi en tête la somme des inconnues et intentions cachées (obstacles posés par le complexes militaro-industriels américain et sud-coréen qui se nourrissent des tensions ; jusqu’au-boutistes forcenés de part et d’autres ; stratégies anti-américaines sino-russes ; angoisses militaires et complexe de l’assiégé nord-coréens), constatons tout de même que, pour la première fois depuis 1953, un président américain et son homologue nord-coréen ont signé un communiqué conjoint promettant, entre autres, la dénucléarisation complète et une paix durable sur la péninsule.

L’événement qui prétend créer une percée diplomatique par la mise en scène et l’émotion - à laquelle les Coréens au nord et au sud sont sensibles - est une première. Il mérite d’autant plus attention qu’il a brisé le cycle d’escalade verbale et de provocations balistiques et nucléaires de l’année 2017. Vue sous cet angle, la rencontre fut à n’en pas douter historique. Si rien ne venait assombrir cette très inattendue lueur d’espoir, les négociations sérieuses pourraient commencer.

Il n’en reste pas moins que la procédure précise des étapes de l’abandon de l’arme (des centaines de constructions, des douzaines d’installations dédiées et, probablement, 10 à 15 armes), en échanges des concessions américaines restant à préciser, mieux vaut se préparer à une longue route semée d’embûches qui durera plusieurs années.

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La Chine et les néo-conservateurs en embuscade.

Il est impossible de passer sous silence le fait que, pour le moment, les seules concessions réciproques – dénucléarisation, fin des exercices conjoints, évacuation américaine à terme, retour des « kidnappés » et des dépouilles des soldats tués (les 3 dernières non écrites) - ne sont appuyées par aucun détail concret de mise en œuvre. En même temps, l’avenir dira si le fait que les deux acteurs sont l’un et l’autre aussi fortement motivés par des considérations de politique intérieure sera ou non un facteur affaiblissant la crédibilité générale de l’exercice.

Comme pour Kim devenu chez lui à Pyongyang « le héros ayant rencontré le président américain, le premier depuis la fin de la guerre », la conversion de D. Trump à la stratégie des petits pas est également motivée par le besoin d’affichage d’un succès diplomatique destiné à faire taire ses détracteurs qui ne cessent de tirer sur lui à boulets rouges. La question, impossible à éluder est, dès lors, de savoir si le succès recherché et obtenu par la Maison Blanche ne le serait pas au prix d’une fragilité de l’accord portant elle-même le risque d’un échec final.

A ce sujet Kim et Trump ont tous deux fait diffuser des vidéos qui, chacune à leur manière, mettant l’accent sur le caractère historique l’événement, sont conçues comme un adjuvant à leur popularité.

- Corée du Nord Chosun TV - sommet 40 minutes

- ’Will He Shake the Hand of Peace ?’ Here’s the Video President Trump Showed to Kim Jong Un [3]

Enfin les derniers écueils, et non des moindres, sont ceux des stratégies chinoises et de la rigidité des néo-conservateurs américains.

L’épisode pourrait en effet avoir marqué la fin de la solidarité - il est vrai jusque là seulement apparente - des acteurs de la région, puisqu’à la déclaration de Trump que les sanctions resteraient en place jusqu’à ce que soient constatés des progrès dans l’abandon de l’arsenal nucléaire par Pyongyang, la Chine qui manœuvre pour rester dans le jeu, a annoncé qu’elle allait les lever unilatéralement, l’apaisement, dit Pékin, les ayant rendues inutiles.

Il est évident que l’attitude chinoise s’éloignant de la stratégie de Trump n’envisageant la levée des sanctions qu’à l’aune des étapes vérifiées de la dénucléarisation compliquera sérieusement le jeu de Washington. En allant trop loin dans cette direction, Pékin risque de faire capoter tout le processus et de provoquer un retour au point zéro. On ne peut pas non plus exclure que la Maison Blanche tente de peser sur Pékin par d’autres moyens à Taïwan, en mer de Chine du sud ou dans la sphère commerciale comme Trump lui-même l’a évoqué dans sa conférence de presse à Singapour.

Enfin, dernier grain de sable pouvant gripper les engrenages sentimentaux, à la table des négociations, face à la délégation de Kim Jong-un, aux côtés de Mike Pompeo, trônaient les blanches moustaches de John Bolton, celui-là même qui, il y a tout juste quelques jours, avait menacé Kim d’un destin à la Kadhafi. S’il est vrai que, pour l’heure, John Bolton lui-même se tait, la mouvance politique qu’il représente donne déjà de la voix pour dénoncer l’abandon des exercices conjoints dont pourtant personne ne peut nier qu’ils sont inutilement provocateurs dans le cadre d’un processus de paix.

Mise à jour le 20 juin 2018.

Pour la 3e fois en moins de trois mois, le président Xi Jinping a rencontré Kim Jong-un à Pékin les 19 et 20 juin. Le dernier détour chinois de Kim Jong-un a été accompagné par l’arrivée dans les ports chinois – révélée par NK news cités par jeremy@supchina.com - de vraquiers nord-coréens venus charger du fer et du charbon ainsi que d’autres produits toujours sous embargo des NU. Ayant perçu que la rencontre de Singapour pourrait la marginaliser, comme prévu, la Chine déjà satisfaite de l’annulation des exercices conjoints sur la péninsule, manoeuvre pour rester dans le jeu. Kim Jong-un en tire profit. Pendant combien de temps ?

ANNEXE.

Texte de l’accord de Singapour.

Donald J. Trump, président des États-Unis d’Amérique et Kim Jong-un, président la commission des Affaires d’État de la République populaire démocratique de Corée (RPDC), ont tenu un premier sommet historique à Singapour le 12 juin 2018.

Le président Trump et le président Kim Jong-un ont mené un échange de points de vue complet, approfondi et sincère sur les questions liées à l’établissement de nouvelles relations entre les États-Unis et la RPDC et l’établissement d’un régime pacifique durable et solide dans la péninsule coréenne. Le président Trump s’est engagé à fournir des garanties de sécurité à la RPDC et le président Kim Jong-un a réaffirmé son engagement ferme et indéfectible à une dénucléarisation complète de la péninsule coréenne.

Convaincus que l’établissement de nouvelles relations entre les États-Unis et la RPDC va contribuer à la paix et la prospérité dans la péninsule coréenne et dans le monde, et reconnaissant que la construction d’une confiance mutuelle peut promouvoir la dénucléarisation de la péninsule coréenne, le président Trump et le président Kim Jong-un affirment ce qui suit :

1. Les États-Unis et la RPDC s’engagent à établir de nouvelles relations USA-RPDC conformément à la volonté de paix et de prospérité des peuples des deux pays.

2. Les États-Unis et la RPDC associeront leurs efforts pour bâtir un régime de paix durable et stable dans la péninsule coréenne.

3. Réaffirmant la déclaration de Panmunjom du 27 avril 2018, la RPDC s’engage à travailler à une complète dénucléarisation de la péninsule coréenne.

4. Les États-Unis et la RPDC s’engagent à restituer les restes des prisonniers de guerre et des portés disparus au combat, avec un rapatriement immédiat de ceux déjà identifiés.

Reconnaissant que le sommet USA-RPDC - le premier dans l’Histoire - est un événement historique d’une grande portée surmontant des décennies de tensions et d’hostilités entre les deux pays et ouvrant une nouvelle ère, le président Trump et le président Kim Jong-un s’engagent à mettre en œuvre totalement et rapidement les dispositions de cette déclaration commune.
Les États-Unis et la RPDC s’engagent à des négociations à venir conduites par le secrétaire d’État, Mike Pompeo et par un responsable de haut rang de la RPDC, à une date la plus proche possible, pour appliquer les résultats du sommet USA-RPDC.

Donald J. Trump, président des États-Unis d’Amérique, et Kim Jong-un, président de la commission des Affaires d’État de la République populaire démocratique de Corée, s’engagent à coopérer au développement de nouvelles relations USA-RPDC et à la promotion de la paix, la prospérité et la sécurité de la péninsule coréenne et du monde.

12 juin 2018 Ile de Sentosa, Singapour.

*

Dans sa conférence de presse à très forte audience après la réunion, Donald Trump a révélé que la mort du jeune Otto Warmbier l’avait poussé à agir et rappelé qu’avant le sommet, Pyongyang avait fait des concessions en promettant une dénucléarisation complète, libérant 3 Américains, s’engageant à restituer les dépouilles des soldats tués durant la guerre de Corée, et acceptant de détruire le pas de tir de missiles, le centre d’essais des moteurs balistiques et le site de tests de Punggye-ri.

Mais les sceptiques continuent à mettre en garde que de telles promesses y compris celles de la destruction des sites avaient déjà été faites auparavant, sans résultat.

Interrogé sur ce que Washington attendait de la Chine à propos du processus de Singapour, il a éludé la question et ramené la question au déficit commercial.

Note(s) :

[1Au cours de sa conférence de presse à Singapour, Trump a évoqué l’effondrement partiel du site de test nucléaire provoqué par une explosion de trop forte puissance, ayant induit une forte secousse sismique, mais sans lier l’événement à la soudaine demande dialogue 6 mois plus tard.

[2Dénucléarisation, vérification, retour des « kidnappés » japonais et sud-coréens et des dépouilles des tués durant la guerre –.

[3Le 12 juin, le reportage diffusé par la chaîne publique nord-coréenne Chosun Central TV mettait en scène Kim Jong-un depuis son départ de Pyongyang dans un B.747 d’Air China jusqu’à son retour acclamé par une foule trépidante, en passant par les multiples scènes où le Président nord-coréen était de bout en bout présenté – D. Trump ayant sans faiblir joué ce jeu -, comme un interlocuteur à la hauteur du président américain et respecté par lui. Le commentaire, comme à l’habitude, rehaussé des trémolos de la voix du présentateur, annonçait que « l’hostilité et la méfiance passées étaient révolues pour laisser place au dialogue et à la coopération »

Quant à la vidéo de 4 minutes diffusée par la Maison Blanche en Anglais et en Coréen, que Trump a au préalable montrée à Kim Jong-un, elle présente les deux présidents comme des acteurs exceptionnels de l’histoire en marche, capables de s’extraire d’un « sombre passé » pour embrasser « un lumineux futur », non sans avoir évoqué, sur fond de déploiements militaires, qu’à défaut, l’autre option serait le retour catastrophique aux risques de guerre.

 

 

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