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›› Technologies - Energie

L’Intelligence artificielle, nouvel enjeu de la compétition Chine – Etats-Unis

« Les “nouvelles routes de la soie“ sont la plus vaste et la plus efficace plateforme de coopération internationale », faisant de Pékin « la force la plus active pour l’instauration d’une gouvernance globale propre à résoudre les défis du monde ». (…) Ainsi la Chine a « augmenté son droit de poser les règles du fonctionnement des Affaires du monde et est désormais capable de proposer un modèle de modernisation efficace aux pays en développement ».

Ainsi s’exprimait Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères chinois lors du 19e Congrès à la mi-octobre 2018.

Ce thème a été repris par Xi Jinping le 23 juin. S’adressant au Comité permanent du Bureau Politique réuni à propos des stratégies étrangères du pays, auquel s’était joint le vice-président Wang Qishan, le n°1 du Parti a répété que tout en protégeant sa souveraineté et ses intérêts liés à ses impératifs de développement, la Chine devait prendre une part active dans la réforme de la gouvernance globale « 积极 参与 引领 全球 治理 体系 改革- Jiji canyu yinling quanqiu zhili tixi gaige - »

Malgré quelques ratés et malentendus, l’ambition chinoise d’influence globale et normative s’affirme peu à peu au travers les routes de la soie. Essentiellement une mise en cohérence de projets nouveaux et anciens, pour l’heure en majorité d’infrastructures routières et ferroviaires à quoi s‘ajoutent des oléoducs et gazoducs appuyés par les structures de financement des banques des BRICS et AIIB et la gestion chinoise d’une quarantaine de ports dans le monde, les « nouvelle routes de la soie » prennent en écharpe l’Eurasie et projettent leurs ramifications en Asie du sud et du sud-est ainsi qu’en Afrique. (Voir la note de contexte).

Mais la volonté d’influence de Pékin ne semble pas vouloir se limiter au contrôle des flux logistiques et à l’influence politique énoncée par le ministre des Affaires étrangères. Depuis quelques années, l’ambition déborde vers un programme aux dimensions mondiales qui prétend inspirer et dominer la technologie de l’intelligence artificielle.

I.A : Les très vastes ambitions chinoises.

Si on en croit le « Plan de développement de la nouvelle génération d’Intelligence Artificielle I.A) 新 一代 人工智能 发展规划 - » publié par le Conseil des Affaires d’État en juillet 2017, le pouvoir affiche l’ambition, par le truchement d’un « bond en avant » de sa recherche fondamentale et appliquée, de se placer en tête de la connaissance globale dans les secteurs clés des sciences cognitives, de la neurobiologie et de la « neurologie computationnelle », de la logique mathématique et des logiciels complexes, constituant l’ensemble de disciplines concourant aux progrès global dans le domaine de l’intelligence artificielle.

Avec son potentiel de calcul et la puissance cognitive infinie des nouvelles technologies, au cœur même du mythe moderne des « machines – cerveaux » dépassant les hommes, l’Intelligence artificielle porteuse d’importantes capacités normatives font résonner la fibre de mise en ordre centralisatrice de l’appareil. Elle est naturellement devenue un des secteurs prioritaires du programme « Made in China 2025 ».

Récemment, Jacqueline Ives et Anna Holzmann ont, dans un article publié par le centre de recherche MERICS, montré comment le pouvoir politique chinois s’y prend pour rattraper son retard et placer d’ici 2030 la Chine en tête des innovations de l’Intelligence artificielle. La philosophie générale de ce dispositif repose sur l’enrôlement très directif par le pouvoir central des 18 provinces et des municipalités autonomes mises en concurrence les unes avec les autres pour soumettre leur plan local de développement de l’IA.

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Start-ups et stratégie verticale de mise en concurrence.

Comme souvent, la compétition a produit des objectifs locaux très au-dessus des limites fixées par le Centre. Logiquement les provinces en pointe sont celles les plus riches, avec Pékin, Shanghai et Shenzhen en tête, appuyées par les pionniers des nouvelles technologies comme Baidu et Tencent et des startup déjà engagées dans la recherche en IA comme Sense Time et Megvii.

Sense Time financé par un consortium mené par Alibaba qui mit plus d’1,2 Mds de $ sur la table en deux tours de table, est devenu à la fin mai de cette année la start-up d’Intelligence Artificielle la mieux valorisée en bourse à hauteur de 4,5 Mds de $. Le 31 mai dernier, reprenant les informations de Bloomberg et de la presse spécialisée, Le Figaro en faisait le portait financier et technique.

Ayant parmi ses actionnaires Fidelity International, Hopu Capital, Silver Lake and Tiger Global, la « start-up » chinoise Sense Time - 商 汤Shang Tang - compte parmi ses clients Huawei, Xiaomi et le géant américain des microprocesseurs Qualcomm.

Détail important, pour adoucir sa domination en Chine dans le secteur des microprocesseurs s’exprimant par les 7 Mds de $ de « royalties » qu’il touche chaque année, ce dernier a lui-même participé à l’exceptionnelle levée de fonds du printemps.

Avec un éventail de logiciels couvrant les secteurs de la surveillance, du commerce, de la finance, de la publicité, des véhicules autonomes, des loisirs et de la « ville intelligente », Sense Time affiche une croissance annuelle de 400% et un décuplement de son chiffre d’affaires depuis sa création en 2014.

A la pointe de la recherche sur l’IA, la société basée à Hong Kong et Pékin créée par Tang Xiaoou, 堂 潇 鸥 Docteur du MIT Cambridge en 1996, aujourd’hui professeur à l’Université de Hongkong, se développe très vite en investissant massivement dans la R&D et en recrutant des talents, la plupart du temps formés aux États-Unis, sans se soucier de la dépense.

Son domaine d’excellence est la vision artificielle ou numérique, branche de l’intelligence artificielle dont le principal but est de permettre à une machine d’analyser, traiter et comprendre une ou plusieurs images prises par un système d’acquisition tel qu’une caméra de surveillance.

L’ambition de son PDG, est globale « nous n’avons pas l’intention de créer un petite “start-up“, mais une plateforme d’importance mondiale à la pointe du secteur, à l’image de Google ou Facebook. Avec le premier nous sommes en concurrence sur la reconnaissance d’objets ; avec le deuxième sur la reconnaissance faciale ».

Quant à Megvii Face ++ Inc., dont le nom chinois 旷视 kuang shi est à la croisée de plusieurs sens allant de « brillante vision » à « vision de défi »,son activité est presqu’entièrement centrée sur la reconnaissance faciale.

Elle est en tête d’une vague qui conduit le pays vers la généralisation de la technologie biométrique de mise aux normes. D’après la revue MIT technology Review, le groupe est aujourd’hui le n°1 mondial de la reconnaissance faciale. Ses clients sont, entre autres, CITIC, la banque PingAn, Uber, Alibaba, Meitu (produisant un logiciel de retouche de « selfies ») et le géant immobilier Vanke.

Son PDG Qi Yi 奇 印, 28 ans qui fonda la société en 2011 avec Wenbin Tang et Yang Mu, 2 amis de Qinghua et dont la technologie de reconnaissance est largement utilisée en Chine pour sécuriser les paiements en ligne, le contrôle des accès et la surveillance policière, a d’abord été chercheur et directeur du projet de reconnaissance faciale chez Microsoft – Asie. Diplômé de Qinghua, il est aussi titulaire d’un master de sciences informatiques obtenu à l’université de Columbia.

Concurrences locales.

Le programme d’Intelligence Artificielle le plus ambitieux a été produit par la municipalité de Shanghai qui lui a consacré plus de 100 Mds de Yuans (15 Mds de $ - 13 Mds d’€) dédiés à l’établissement de plusieurs zones consacrés à l’IA, notamment à Lingang proche de l’aéroport de Pudong où sont implantés 15 compagnies chinoises en pointe du secteur comme Baidu Innovation, iFlyTek, Horizon Robotics et Cambricon.

Mais Pékin n’est pas en reste.

Craignant la concurrence shanghaienne, la capitale a, en janvier 2018, créé, en plus du centre de Zhongguancun, un parc d’IA à Mentougou à l’ouest de la ville, abritant 400 entreprises. L’initiative s’accompagne d’une série de plans pour développer les talents et la recherche en AI. Dans le district de Haidian au nord-ouest de Pékin, la ville a créé un centre d’essai de voitures autonomes géré par Baidu.

Pour l’heure, la puissance des initiatives chinoises a attiré des géants étrangers. En décembre 2017, Google dont le moteur de recherche censuré est pourtant inaccessible en Chine, a annoncé le lancement à Pékin d’un Centre de recherche AI qui recrutera des talents chinois. Aux États-Unis, l’ampleur des projets suscite des commentaires variés.

Inquiétude au Pentagone et chasse aux talents.

Dans un rapport récent ayant attiré l’attention de la Maison Blanche, le Pentagone s’inquiète des investissements chinois dans les « start-up » américaines du secteur « En ouvrant l’accès à ces technologies aux Chinois, nous en perdons la maîtrise exclusive et facilitons leur supériorité technologique ». En janvier 2018, prémisse au raidissement plus sérieux observé aujourd’hui, le gouvernement avait bloqué la fusion entre Alibaba et MoneyGram, le n°2 mondial du transfert de fonds créé en 1940.

Mais Jim Breyer, le célèbre financier, fils d’immigrants hongrois, diplômé de Harvard et marié en secondes noces à Angela Chao, (Harvard) sœur d’Elaine Chao, secrétaire d’État aux transports a tempéré ces inquiétudes. Tout en considérant que les investissements d’avenir les plus porteurs dans le secteur du capital – risques seront pour les 10 ans qui viennent, concentrés à fois dans l’Intelligence artificielle et en Chine, il doute que la capacité d’innovation chinoise puisse un jour surpasser le génie créatif de la « Silicon Valley ».

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A part Shanghai et Pékin, d’autres villes moins en pointe s’alignent dans la compétition. Hefei, la capital de l’Anhui à l’ouest de Nankin, a créé la « la China speech Valley - 中国 声 谷 - » qui rassemble 200 compagnies dont le n°1 chinois de la reconnaissance de la parole iFlyTek. Là aussi s’exprime l’esprit chinois d’entreprise et de compétition, épine dorsale du progrès économique, créant un foisonnement d’initiatives dont le pouvoir tire profit, mais qui laissera sur le carreau beaucoup de projets non aboutis, trop visionnaires, utopiques ou mal gérés.

A Hefei, appuyée par la province, la municipalité affiche son intention de prendre la tête des recherches sure la reconnaissance de la parole et prévoit d’investir 3,2 Mds de Yuan (400 millions d’€) d’ici 2020. Les 3 provinces du nord Heilongjiang, Jilin et Liaoning, à la traîne sont dans la même logique de compétition féroce en quête des faveurs du Centre. Le Liaoning où l’IA est encore dans les limbes dit vouloir mettre sur pied le plus grand centre d’innovation d’Intelligence Artificielle de l’Asie du nord-est d’ici 2030.

Preuve que les discours ne sont pas tout à fait en phase avec les réalités, dans le Jiangsu on se bouscule aussi pour obtenir les maigres subsides publics de 40 000 € par tête attribués aux zones de développement ayant réussi à attirer des talents internationaux.

La conclusion de tout ceci est claire, disent Jacqueline Ives et Anna Holzmann. La Chine qui, il est vrai, bénéficie d’un « écosystème » favorable (riche vivier de start-up, très vaste marché de jeunes, engouement pour le paiement en ligne, et besoin de sécurité de la classe moyenne) [1] a néanmoins conscience que sa réserve de talents est faible.

Pour y remédier le gouvernement a lancé en avril 2018 un vaste plan sur 5 ans de formation de talents en IA grâce auquel 500 professeurs et 5000 étudiants seront formés dans les meilleurs universités. Mais le compte n’y est pas. En 2016, un rapport du ministère des technologies de l’information faisait état d’un déficit de 5 millions de personnels formés dans le secteur de l’intelligence artificielle. Du coup les groupes chinois « piochent » dans le vivier américain au prix d’une forte inflation des salaires.

Les États-Unis ne sont pas en reste. Avec en tête l’attraction de talents étrangers, les procédures d’obtention de la carte verte ont été accélérées pour les postulants possédant une expertise. Dans un vivier global ne dépassant pas 10 000 chercheurs réellement qualifiés pour affronter les défis scientifiques et techniques posés par l’IA, les salaires dépassent 350 000 $ par an quand un professeur ayant les mêmes qualifications est payé 180 000 $.

L’avenir dira si la Chine réussira comme elle le dit à se placer en tête de la recherche sur l’Intelligence artificielle. En tous cas, pour l’heure, aucun pays n’a été aussi agressif dans la promotion de ce secteur que plusieurs capitales de Washington à Moscou en passant par Pékin, Londres et Paris ont récemment placé au cœur de leurs priorités tant du point de vue du développement économique que de la sécurité nationale.

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Note de contexte.

Retour sur les « Nouvelles routes de la soie. »

En analysant une carte des projets chinois en cours ou planifiés, on constate que la grande majorité orientés Est-Ouest, jalonnent les anciens axes historiques des « routes de la soie » du continent eurasiatique. Il s’agit d’abord de voies ferrées reliant l’Est de la Chine à l’Europe occidentale (Hambourg, Berlin, Nuremberg, Duisbourg, Rotterdam, Londres, Strasbourg, Paris, Madrid, Marseille.).

Ils empruntent deux axes majeurs, le premier au nord par la Russie - Kazan et Moscou –, Minsk et Varsovie, où les projets sont aboutis ; le deuxième par l’Asie Centrale, le nord de l’Iran, la Turquie, la Bulgarie et la Hongrie, dont 75% sont encore en projets.

Dans cette zone, les seules lignes terminées sont les voies ferrées conduisant d’Almaty à Téhéran le long de la rive est de la Caspienne et de Bakou (Azerbaïdjan) à Kars en Turquie orientale.

L’autre volet des nouvelles routes de la soie est tracé par les pipelines d’hydrocarbures. Les oléoducs achevés courent de la Sibérie orientale vers Harbin et Vladivostok. Les gazoducs en service relient Almaty à la rive orientale de la Caspienne sur deux axes, l’un au nord vers le gisement d’Uzen au Kazakhstan, l’autre plus au sud dans la région de Turkmenbachi.

Quant aux gazoducs en projets ou en construction, ils s’agit de ceux des contrats de gaz avec Moscou signés en 2014 (à l’Est, 38 Mds de m3 par an pendant 30 ans de la Sibérie orientale vers Harbin, signé le 21 mai 2014 et, à l’ouest - toujours en négociations -, 30 Mds de m3 pendant 30 ans, de la Sibérie centrale vers le nord du Xinjiang.)

Adjacents à ces « épines dorsales » se développement des projets en Asie du sud-est, dont le plus importants (en projet) est la voie ferrée nord-sud reliant Kunming à Singapour par le Laos, la Thaïlande et la Malaisie, et, en Asie du Sud au Myanmar, en service, un gazoduc et un oléoduc de Kyaukphyu sur le golfe du Bengale à Kunming. En Asie du sud l’autre point d’effort chinois se trouve au Pakistan. Lire : Le Pakistan, premier souci stratégique de Pékin. Les faces cachées de l’alliance.

Ailleurs, les principaux projets sont en Arabie Saoudite (voies ferrées Ryad - Damam et La Mecque - Médine) et en Afrique (Djibouti – voie ferrée en service vers Addis Abeba et un gazoduc de 700 km du sud de l’Ethiopie vers Djibouti), Sénégal, Nigéria, Angola (voie ferrée achevée entre Lobito et Luau), au Kenya et en Tanzanie avec notamment le gazoduc en service reliant Mtwara en Tanzanie à Mombasa au Kenya. Une extension est prévue vers Maputo au Mozambique et l’Afrique du sud.

A ces réseaux d’infrastructure de transport et d’énergie, s’ajoute la présence chinoise dans la gestion complète ou en partenariat d’une quarantaine de ports en Europe, en Afrique, en Asie du sud et du sud-est, y compris en Australie, créant un tissu intégré de lignes logistiques et de points d’appui faisant de la Chine la puissance ayant la vision à la fois la plus détaillée et la plus globale sur les flux commerciaux de la planète.

Note(s) :

[1La Chine est également en tête dans les investissements. En 2017 sur les $ 15,2 Mds investis globalement dans les start-ups de l’IA, 48% sont allés vers la Chine et seulement 38% vers les États-Unis. Pour la première fois le nombre de start-ups chinoises du secteur a dépassé celui des États-Unis.

 

 

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