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›› Editorial

La montée aux extrêmes de la guerre commerciale et le balancier de l’histoire

Le 20 juillet à la veille du G.20 financier les 21 et 22 juillet à Buenos Aires, Donald Trump, tirant sa plus puissante salve d’une guerre des taxes qui dure depuis deux semaines, a menacé d’imposer des droits de douane sur une liste de produits dont la valeur totale atteindrait 500 Mds de $, soit pratiquement toutes les exportations chinoises aux États-Unis. Ceux qui avaient espéré un apaisement en sont pour leurs frais. La tension monte, les tranchées se creusent, les positions se durcissent, et de part et d’autres, on s’installe pour durer.

Aux États-Unis où l’on accuse Pékin de ne rien faire pour réduire les déficits et où les effets de la guerre se font déjà sentir sur 50% des produits de consommation courante importés de Chine, la Maison Blanche prépare une aide de 12 Mds de $ aux fermiers considérés comme les plus impactés par les mesures de représailles chinoises. Mais l’annonce n’a pas calmé les inquiétudes des producteurs inquiets d’une situation qui s’emballe tirant les prix vers le bas et rendant l’accès au marché chinois bien plus compliqué.

Escalade.

En deux semaines, l’éventail des produits chinois taxés par Washington s’est élargi de la valeur de 34 Mds à 200 Mds, matérialisant une sévère escalade ponctuée par des déclarations sans concession du président américain. Depuis Bruxelles où il participait au sommet de l’OTAN, le 11 juillet, il avait « tweeté » : « Je me bats pour un traitement équitable de nos fermiers et je gagnerai ». A ce moment Pauline Loong, directrice de Asia Analytica à Hong-Kong, estimait que la situation avait atteint un « point de non retour », et qu’elle quittait la sphère commerciale pour glisser vers une confrontation politique.

Michael Collins, n°2 du Bureau de l’Asie de l’Est à la CIA dénonçait les manœuvres chinoises « utilisant tous les moyens licites et illicites, publics et privés, économiques et militaires », pour, sans faire la guerre, prendre l’ascendant sur les États-Unis.

Dans le Wall Street Journal, Elisabeth Economy, directrice des Etudes asiatiques au Council on Foreign Relations, auteur prolifique sur la Chine moderne et ses défis d’environnement – dernier livre « The third revolution Xi Jinping and the New Chinese State », Oxford University Press, 2018 – notait que les dirigeants chinois s’étaient fixé le but de devenir une « super puissance » pouvant proposer un modèle de « gouvernance globale ».

Quant à Kevin Rudd, qui fut premier ministre et ministre des Affaires étrangères australien, proche de la Chine, parlant le mandarin, virulent critique de l’actuelle politique de confrontation de Canberra à l’égard de Pékin, il a, dans un récente interview à CNBC expliqué que, pour le régime chinois, les captations de technologies par viol de la propriété intellectuelle « n’étaient qu’un juste retour des choses » compensant les « humiliations que lui avaient infligé les puissances occidentales – États-Unis compris – au XIXe siècle. »

En Chine, où l’appareil juge les taxes américaines « totalement inacceptables » et où il est devenu politiquement difficile de céder aux pressions américaines, l’humeur n’est pas non plus à la négociation, d’autant que Xi Jinping, dit Bloomberg, a été échaudé par la fin de non recevoir opposée par Washington à son envoyé spécial, Liu He son ami qui, en juin dernier, proposait de rééquilibrer la balance commerciale par une augmentation des importations chinoises d’une valeur de 70 Mds de $.

Réactions chinoises.

Pour autant, les contours de la riposte chinoise possible restent flous. Préférant ne pas dévoiler les angles d’attaque, préservant toutes les options y compris celle de l’apaisement, le régime mis en difficulté sur son obédience au marché qu’objectivement il ne respecte que partiellement, est conscient qu’une guerre commerciale totale handicapant ses exportations, un des moteurs essentiels de sa croissance, porte un risque politique.

Tirant profit de la mauvaise presse internationale de D. Trump confirmée au G.20, où la France et l’UE se sont heurtés à lui - « Nous refusons de négocier avec un pistolet sur la tempe. C’est aux États-Unis de faire un pas pour enclencher une désescalade, et arranger tout ça » avait martelé Bruno Lemaire, le Bureau Politique qui a mis sur le pont plusieurs centres de recherche pour affiner ses réactions à la situation inédite créée par la Maison Blanche, adopte une stratégie à quatre entrées.

1. Il met en œuvre, ou laisse flotter selon les cas, sa menace de représailles douanières portant sur 128 produits agricoles, la viande de bœuf, le soja (qui touche la base électorale de D. Trump dans le Middle-west), le whisky, la chimie industrielle, l’automobile l’aéronautique et les affaires de Boeing.

En même temps il ne dément pas les analyses des commentateurs imaginant une manipulation de la monnaie, la vente des bonds du trésor américains – arme à double tranchant aux effets aussi perturbants pour la Chine que les États-Unis, ou les possibles ripostes et harcèlements non-tarifaires contre les groupes américains installés en Chine, - dont Apple, Qualcomm, Microsoft, Intel, Carterpilar ;

2. Attisant le nationalisme économique des Chinois par le biais de ses médias publics comme le Global Times, il pousse au boycott des produits américains ;

3. Répétant sans faiblir son intention de réformes structurelles et d’ouverture, ainsi que son attachement aux règles du marché et au libre-échange - ce qui, par contraste avec les féroces mesures douanières de Washington, fait en partie oublier son nationalisme économique -, il polit son image apaisante de protecteur de l’ordre commercial global ;

4. Enfin, cédant aux pressions, il offre des ouvertures inédites à quelques grands groupes européens – ce qui, au passage, conforte la césure entre Bruxelles et Washington apparue au G.20 finances en Argentine, les 23 et 24 juillet derniers -. Ainsi Pékin vient-il d’autoriser le géant allemand BASF, n°1 mondial de la chimie et de la biotechnologie à construire sans obligation de partenariat local une emprise géante dans la province de Guangdong pour un investissement de 10 Mds de $.

La manœuvre qui contredit l’une des principales accusations de Washington, est habile. Prenant le contrepied de la rhétorique de Trump, elle conforte la réputation d’ouverture que Pékin cherche à se donner tout en important dans une des plus grandes provinces de Chine en plein développement urbain, le creuset mondial de plusieurs technologies nécessaires à son plan de modernisation industrielle « made in China – 2025 ». Pour autant, en privilégiant ainsi sa relation avec Berlin, Pékin prend le risque d’attiser les critiques stigmatisant ses intentions géopolitiques de « diviser l’Europe pour régner ».

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Incompréhensions et inquiétudes de Pékin.

Ayant ouvert son marché boursier aux investisseurs étrangers et autorisé en 2017 – il est vrai avec quelques restrictions – les banques étrangères à opérer en Chine, le Bureau Politique estime avoir fait sa part d’ouverture dans les limites de ses contraintes politiques.

Dans ce contexte, indiquant qu’elle se prépare à tenir à distances les risques d’un freinage économique politiquement dangereux, la Banque Centrale abandonnant ses politiques restrictives vient de réduire le taux de réserve obligatoire des banques.

Il reste qu’il serait erroné de croire qu’à Pékin l’appareil est serein. Universitaires et membres de sérail politique proches de Xi Jinping mesurent les risques qu’une longue guerre commerciale avec les États-Unis ferait peser sur l’économie chinoise dont la croissance ralentit et dont l’un des moteurs est l’exportation.

Les premiers effets de ces inquiétudes sont clairement perceptibles dans l’instabilité boursière [1], tandis que les variations du Yuan - ayant chuté de 9,5% depuis la fin 2016 avant de remonter de 8,26% depuis la mi-avril 2018, contredisent clairement les accusations de manipulation de la monnaie [2].

Les leçons de l’histoire.

En haussant l’analyse d’un étage par une perspective historique, on constatera que depuis le milieu du XIXe siècle quand les Occidentaux avaient forcé l’ouverture de la Chine, l’argument commercial dont chacun peut voir qu’il est aujourd’hui au moins en apparence inversé, s’inscrit dans le contexte plus vaste d’une rivalité géopolitique.

Alors que le prétexte vénal des guerres de l’opium affrontait un empire fermé et affaibli sur le point de s’effondrer, la guerre commerciale du XXIe siècle met aujourd’hui en présence, deux influences stratégiques et culturelles opposées. D’une part, les vieilles démocraties dont le chef de file, économiquement meurtri par les excès du libre-échange prône exactement l’inverse de l’idéal de ses ancêtres européens qui voyaient dans l’ouverture des ports chinois un moyen d’enrichissement et la première étape d’une mutation politique de l’Empire.

Et d’autre part, un système politique chinois cohérent, capable de se projeter sur le long terme, se posant, par sa propagande, non seulement en parangon des échanges commerciaux sans contrainte, mais également en modèle de gouvernance mondiale.

Entre ces deux contraires historiques, un long malentendu par lequel l’Occident s’était imaginé que le vieil empire allait, à la faveur de l’ouverture commerciale, adopter un système politique articulé aux valeurs occidentales de la démocratie et du droit. La réalité est qu’il n’a jamais eu cette intention. S’il est vrai qu’il a laissé planer le doute, le 19e Congrès qui affirma les caractéristiques chinoises, symbole de sa différences et du rejet de l’influence politique occidentale, a levé le voile.

La référence à la « gouvernance » indication du système politique prôné par la Chine n’est pas anodine, dans un contexte où le système démocratique confronté aux effervescences démographique et culturelles d’un monde agité par de nouvelles menaces, donne, contrairement à l’idéal chinois du « despotisme éclairé » d’un pouvoir vertical et concentré, le sentiment d’une incapacité à affronter, dans la stabilité des longues échéances, les défis à venir de la planète.

Note(s) :

[1A new-York, hormis les titres du commerce en ligne en hausse de 1,6% sur une année, tous les autres indicateurs chinois sont en baisse : MSCI China à moins 6,74% ; FTSE China à moins 10,45% ; China A shares (tires cotés en Renminbi sur le marché intérieur) suivis par Deutsche X-Trackers à moins 16,8%.

[2Le 25 décembre 2016, le Yuan s’échangeait à 6,94 pour un dollar ; 16 mois plus tard, le 15 avril 2018, il était à 6,27. Le 27 juillet, il était remonté à 6,76.

 

 

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