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›› Chine - monde

L’Afrique, la Chine et l’Europe

Du 18 au 28 juillet Xi Jinping a inauguré la politique étrangère de son 2e mandat par un long voyage de 11 jours et 36 000 km aux Emirats Arabes Unis et dans 4 pays africains pour le terminer à Johanesbourg où, du 25 au 27 juillet, s’est tenu le 10e sommet des BRICS.

Accompagnant le voyage, la presse officielle du régime a largement développé les thèmes répétés par le n°1 du Parti depuis le 19e Congrès, présentant la Chine comme un modèle à suivre au milieu des changements dans les relations internationales inédits depuis un siècle « 百年未遇 – bai nian wei yu - ».

Dans ce contexte, dit une dépêche de Xinhua, la diplomatie aux “caractéristiques chinoises“ ouvre « une ère nouvelle des relations de la Chine avec le reste du monde, pour construire le destin commun de l’humanité dans la paix, la concorde, la coopération “gagnant – gagnant“ et le respect mutuel ».

Tout au long du périple, le Président a présenté son pays à la fois comme le parangon du libre échange, le champion de l’attention portée aux pays en développement et le modèle d’une nouvelle manière de conduire collectivement les affaires de la planète et d’affronter ses défis.

Alors que la guerre des taxes sino-américaine s’exacerbait vers les extrêmes, il a, dans son discours au sommet de BRICS, pris le contrepied de Washington.

Décrivant les bouleversements technologiques (intelligence artificielle, métadonnées, information et cryptage quantiques, biotechnologies) accompagnant les réajustements géopolitiques en cours où, a t-il dit, les pays émergents comptant pour 40% du PIB du monde, rééquilibrent les rapports de forces, il a prédit la refonte du système de gouvernance mondiale et la poursuite irrépressible de la globalisation, en dépit « des protectionnismes et des menaces terroristes. »

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Après un passage à Abu Dabi le 19 juillet ou les intérêts chinois [1], représentés d’abord par CNPC n°1 chinois des hydrocarbures, sont articulés à l’exploitation pétrolière, aux constructions d’infrastructures et immobilières soutenues par la présence de 200 000 travailleurs chinois du bâtiment expatriés, Xi Jinping s’est successivement rendu au Sénégal, au Rwanda, en Afrique du sud et à l’île Maurice.

La Chine se donne les moyens de ses ambitions globales.

Dans les anciens fiefs coloniaux africains et plus généralement dans les pays en développement le Président chinois met en œuvre avec insistance sa politique d’influence géopolitique articulée à l’idée que le grand projet des « nouvelles routes de la soie » est une entreprise « mise à la disposition du Monde par la Chine » et qu’il s’efforce aujourd’hui de démarquer des critiques l’accusant de répliquer le « schéma colonial d’exploitation des ressources primaires. »

Pékin affine cette image de puissance généreuse et désintéressée depuis le premier sommet Chine – Afrique à Pékin en 2000 suivi de 5 autres dont 2 à Pékin 2006 et 2012, un autre à Addis Abeba en 2003, puis en Egypte en 2009 et à Johannesburg en 2015 (le 7e sommet aura lieu en Chine en septembre prochain).

En 2014 et 2015, les voyages en Afrique du premier ministre et du Président marquèrent une accélération des promesses d’investissement. Accompagnant les stratégies chinoises, le nouveau discours de Pékin insistait sur l’aide humanitaire et médicale et l’appui à la création d’industries de transformations permettant d’augmenter la valeur ajoutée des exportations africaines et de créer des emplois.

Certes, en valeur, les ressources brutes (hydrocarbures, fer, cuivre, étain, platine, cobalt, manganèse, uranium) représentent toujours en moyenne les 2/3 des achats chinois en Afrique. Il reste qu’en 2015, Xi Jinping a promis de doubler en 5 ans les investissement sur le continent à 60 Mds de $. Les promesses faisaient suite à celles de Li Keqiang en 2014 qui, quant à lui, avait annoncé 30 Mds. Lire : A Johannesburg, Xi Jinping parie sur l’Afrique.

Bien qu’il soit difficile de faire le tri entre les annonces et la réalité tout comme on distingue mal les crédits accordés de l’aide directe et des dettes annulées, si on compte les prêts sans intérêts, une estimation basse place le promesses chinoises à 150 Mds de $ qui s’ajoutent à l’aide directe annoncée estimée au total à 50% des 354 Mds de $ du total de l’aide directe distribuée par la Chine entre 2000 et 2014.

Essentiels pour un continent dont à peine 25% des routes sont bitumées et où plus de 600 millions personnes n’ont pas accès directs à l’électricité, 41 millions ont été investis par la Chine dans les infrastructures de transport et 33 millions de $ dans l’aide à l’industrialisation.

Alors qu’elle est déjà largement supérieure aux promesses du G.20 en 2016, il faut s’attendre à une amélioration de l’efficacité géopolitique de l’action chinoise grâce à la décision, rendue publique en mars dernier, de créer une agence de l’aide directe avec à sa tête Wang Xiatao, n°2 de la Commission de la réforme et développement [2].

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Le Sénégal en phase avec le « rêve chinois ».

Au Sénégal, le Président Macky Sall, arrivé aux affaires en 2012 en même temps que Xi Jinping, favorise d’autant plus les projets de la Chine devenue le 2e partenaire commercial derrière la France, qu’il est lui-même comme Xi Jinping animé d’une vision de renouveau national.

Articulé au « Plan Sénégal Emergent » dont l’épine dorsale réformatrice vise à régénérer le tissu industriel productif, l’infrastructure de transport, l’éducation, le système de santé, l’agriculture et le marché de l’emploi, le projet du Président Sall croise l’intention géopolitique chinoise.

« Les crédits chinois sont souples et pratiques » note Ba Demba Diallo, chercheur et conseiller du gouvernement qui considère que les mises en garde du FMI pointant l’accumulation des dettes sont alarmistes compte tenu de la bonne santé de l’économie.

Il est un fait que dans ce pays ayant basculé son allégeance politique de Taipei à Pékin en 2005, une appréciation exhaustive des créances chinoises est difficile compte tenu de l’opacité des comptes, écrit de Hong Kong, l’Italienne Ilaria Maria Sala ancienne étudiante à l’Institut des Etudes africaines et à l’Ecole Normale de Pékin.

Mises en garde du FMI.

Mais Dakar dont Pékin espère qu’il sera le moteur des projets des nouvelles routes de la soie en Afrique de l’Ouest, n’est pas le seul pays africain entré dans les radars de l’investigation financière du FMI. Au Kenya où 70% des créances sont chinoises, s’ajoutent le Tchad, le Sud Soudan, le Mozambique, la Zambie, l’Ethiopie, le Nigéria, le Ghana, la Côte d’Ivoire dont beaucoup sont touchés par la baisse du prix des matières premières.

Nombre d’entre eux tournent leurs regards vers les finances et l’aide chinoises pour une aide que les institutions financières ne leur accordent qu’à la condition de réduire leur déficit budgétaire par l’augmentation d’impôts, politiquement difficile.

Kigali et Pretoria « sous le charme ».

Au Rwanda dont le président Kagame, président en exercice de l’Union Africaine accuse la France d’avoir prêté main forte aux Hutus pour massacrer les Tutsis et où Xi Jinping est arrivé le 22 juillet, l’enthousiasme pour l’aide chinoise est la même. 14 ans après le génocide, le pays, dont Pékin est le premier partenaire commercial et où 70% des routes ont été construites par China State Construction Engineering Corporation, bénéficie de 400 millions d’aide chinoise finançant plus de 60 projets de développement.

A son passage, le président chinois a signé une quinzaine d’accords portant sur l’infrastructure, le commerce en ligne, l’éducation et la formation, les sciences et technologies, les mines, le droit, et - promesse importante dans le nouveau concept de l’aide chinoise destiné à démentir les accusations d’exploitation -, l’extension de l’hôpital du district de Masaka construit par la Chine à Kigali, ainsi que les concessions pour la construction d’une route de 66 km au sud du pays et du réseau de routes d’accès à l’aéroport internationale de Kigali.

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A Johannesburg, où le Président Cyril Ramaphosa a été élu en février dernier à la suite de la démission de Jacob Zuma accusé de corruption et d’agressions sexuelles, l’ambiance prochinoise est également favorisée par la quête financière de l’exécutif engagé dans un programme d’investissements de 100 Mds de $ pour les 5 ans à venir.

Dans ce contexte, Xi Jinping a à la fois promis 14,7 Mds d’investissements et l’augmentation des importations chinoises pour diminuer le déficit commercial de l’Afrique du sud, où le stock des investissements chinois n’est que de 11 Mds de $, alors que les entreprises sud-africaines ont nettement plus investi en Chine.

La remarque vient du ministre de l’Industrie Robert Haydn Davies, 70 ans, docteur en sciences politiques de l’Université du Sussex, dans sa jeunesse, membre du Parti communiste anti-apartheid et exilé pendant 11 ans en Grande Bretagne et au Mozambique. Pour lui qui se félicite de la fiabilité des promesses chinoises, l’aide de Pékin au développement du secteur productif sud-africain participe à la réduction du déficit commercial.

Parmi les accords passés, notons deux prêts directs dans deux secteurs stratégiques en difficulté. Le premier, par la Banque Nationale chinoise de développement à hauteur de 2,5 Mds de $ à la société de production d’énergie Eskom menacée de faillite pour mener à bien la construction d’une centrale thermique à Mpumalanga dans le nord du pays ; le 2e, par la Banque du Commerce et de l’industrie (ICBC) de 300 millions de $ à la société de logistique Transnet (transports ferrés, gestion portuaire, gestion de d’oléoducs et gazoduc).

Enfin à son passage, Xi Jinping a assisté par vidéo à la cérémonie d’inauguration de l’usine d’automobile BAIC [3] installée dans la zone économique de Port Elisabeth qu’il avait lui-même initiée lors de son passage en 2015.

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Le 28 juillet Xi Jinping était à l’île Maurice, archipel du sud de l’océan indien où l’influence de l’Inde reste forte. Rival de la Chine et critique des routes de la soie dont la branche pakistanaise empiète sur un territoire contesté par l’Inde, New-Delhi verrait d’un mauvais œil que l’île se rapproche de Pékin au point d’endosser les projets chinois. C’est peut-être ce qui explique qu’au delà des discours d’amitié, aucun accord n’a été signé, en dehors de la confirmation des négociations commencées en mai dernier pour un accord de libre-échange.

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Au total, ce 3e périple africain de Xi Jinping s’est déroulé sous les visions contraires des Africains en quête des finances chinoises indispensables au développement de leurs infrastructures et plus généralement de leurs économies, et celles des experts du FMI dont les critiques relayées par nombre d’Occidentaux mettent en garde contre le risque d’une accumulation toxique des créances chinoises – évaluées à plus ou moins 100 Mds de $ -, principal adjuvant du projet d’influence géopolitique de Pékin dans une Afrique en mal de cash et de développement.

Prenant soin de mettre en œuvre des projets humanitaires en parallèle de ses projets d’infrastructures, compensant les importations toujours majoritaires de ressources primaires, la Direction chinoise repousse aujourd’hui les critiques qui l’accusent de reproduire les politiques coloniales exploiteuses.

En revanche, réussissant à polir son image de puissance ouverte œuvrant dans l’intérêt de tous, elle ne récuse plus les accusations de recherche d’influence qu’au contraire elle revendique, dans un contexte où les États-Unis, auteurs d’une féroce guerre douanière principalement dirigée contre la Chine, se rétractent dans une posture inverse.

A ce stade, connaissant la situation du Continent européen dont les aides à l’Afrique ont largement échoué - qui plus est placé dans la perspective inquiétante d’un mouvement migratoire déclenché par l’explosition démographique et le chaos économique et politique du Continent africain -, il faut s’interroger sur la pertinence réelle de l’aide chinoise – au-delà des critiques budgétaires récurrentes et des soupçons de recherche d’influence qu’au demeurant Pékin reconnaît -.

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Et si la méthode chinoise réussissait ?

Une récente étude de Harvard mise en ligne par le Département d’État reconnaît l’invasion des produits chinois, les bénéfices engrangés par les groupes de constructions employant une majorité de chinois, le non respect du droit du travail dans certaines régions minières comme la Zambie, en même temps que l’accumulation des prêts dangereux pour l’équilibre budgétaire de pays insolvables.

Mais s’appliquant à considérer l’autre face du problème, le travail met en lumière les bienfaits de l’aide chinoise réputée sans conditions politiques d’obédience à la démocratie ou aux droits humains et dont Wang Yi le MAE a répété lors de son passage au Kenya en 2015, qu’elle « se garderait absolument de suivre le même chemin que les anciennes puissances coloniales, ne sacrifierait pas l’environnement et se focaliserait sur les intérêts de long terme de la Chine et de l’Afrique. »

Citant Dirk Willem de Vilde, expert chercheur et Directeur des actions internationales à l’Institut américain du Développement d’Outre-mer de Londres, massivement engagé en Afrique, le rapport qui rejette les jugements « en noir et blanc », souligne les vastes bienfaits de la coopération chinoise dans les domaines des infrastructures de transports, des mines et des écoles. Dans l’aide sanitaire, le travail rappelle que, lors de l’épidémie d’Ebola en 2015, les médecins chinois avaient joué un rôle crucial.

Selon les auteurs, le développement des investissements chinois dans les services, la production industrielle et la formation contredit l’accusation d’une réplique coloniale d’une coopération chinoise qu’il dépeint comme bénéfique pour les deux parties. Plus encore, des initiatives comme le lancement en 2015 au Kenya d’une JV de fabrication de panneaux solaires assortie de la formation d’ingénieurs financée par un prêt de 100 millions de $, serait même de nature à modifier l’approche occidentale de la coopération.

La conclusion du rapport sonne comme une mise en garde. « Si la Chine réussissait finalement à provoquer le réveil des économies africaines – ce que l’Occident tente en vain de faire depuis des décennies – le débat sur les conditions de l’aide au développement chinoise sera clos. En même temps, la Chine se sera rapprochée du statut de “grande puissance “, partie de son rêve. »

Il reste que le modèle politique prôné (ou diffusé par « osmose ») par la Chine en Afrique qui, à cet effet et à des fins d’influence géopolitique, y déverse d’importants moyens est politiquement à l’exact opposé des principes de séparation des pouvoirs et de liberté d’expression, fondements institutionnels du projet européen.

Un défi majeur pour l’Union européenne.

Logiquement, l’introspection des Européens, en première ligne dans cette situation, devrait donc les conduire à imaginer les moyens d’une action commune à 27 au moins aussi efficace que celle de la Chine destinée à sortir l’Afrique de ses perspectives pessimistes et y créer les conditions de son développement dans des principes qui seraient plus en résonance avec les postulats politiques de l’Union.

Pour autant, alors même que les médias n’en font que rarement état, préférant rendre compte de l’action chinoise qu’ils jugent plus spectaculaire et commercialement plus efficace pour leurs publications, il serait excessif de considérer que l’Union Européenne est absente de l’Afrique.

Il y a peu JC–Juncker, faisant état des actions de la Commission, appelait à la solidarité des États membres pour « affronter les défis communs d’aujourd’hui, depuis le développement durable, jusqu’aux investissements en passant par la paix et la sécurité pour mieux contenir les migrations ».

Lors du 5e sommet UE - Afrique tenu en novembre 2017 à Abidjan une année avant le sommet Chine – Afrique et dont l’un des thèmes principaux était l’immigration, le Président Donald Tusk a rappelé que l’Union européenne était le partenaire le plus important de l’Afrique et son voisin le plus proche, le premier investisseur au monde pour l’Afrique, son principal partenaire commercial, le premier fournisseur d’aide au développement et d’assistance humanitaire à l’Afrique ainsi que le premier contributeur à la paix et à la sécurité sur ce continent. »

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Mais en comparant les chiffres des contributions à ceux de la Chine en progression rapide, force est de constater qu’ils ne sont pas à la hauteur des enjeux de développement et de sécurité que les médias s’appliquent à passer sous silence. Dans un récent numéro « d’Afrique réelle » de juin 2018, Bernard Lugan débarrassé de la gangue politiquement correcte, livre un inquiétant constat :

« Avec un taux de croissance de 4% la population africaine double tous les 18-20 ans ; au Niger, pays désertique où le taux de fécondité est de 7 enfants par femme, la population était de 3 millions d’habitants en 1960 et elle sera de 40 millions en 2040, puis de 60 millions en 2050. En Somalie, le taux de reproduction est de 6,4 enfants par femme et en RDC, il est de 6,1. En Algérie le programme de planification familiale avait permis de faire baisser l’indice synthétique de fécondité de 4,5 enfants par femme en 1990, à 2,8 en 2008. Or, avec la réislamisation du pays, depuis 2014, il a rebondi à 3,03. » (…)

(…) « Résultat : d’ici à 2030, l’Afrique va voir sa population passer de 1,2 milliard à 1,7milliard, avec plus de 50 millions de naissances par an ; en 2100, avec plus de 3 milliards d’habitants, le continent africain abritera 1/3 de la population mondiale, dont les trois quarts au sud du Sahara ; pour des centaines de millions de jeunes africains, la seule issue pour tenter de survivre sera alors l’émigration vers l’Europe. »

Or dit Lugan, telles qu’elles sont conçues aujourd’hui, parcellaires, inégales, insuffisantes et souvent - pour les investissements privés - articulées à des espoirs de retours rapides, les politiques de développement fonctionnent mal.

« Début juin 2018, à la lecture du rapport sur les IED publié par la CNUCED (CNUCED, World Investment Report 2017), nous apprenons qu’en 2017, sur les 2000 milliards (mds) de dollars d’IED mondiaux, l’Afrique n’en recueillit en effet que 60 mds, un volume dérisoire en baisse de 3% par rapport à 2016 (Banque mondiale). L’Afrique, dans l’ensemble de la globalité de ses 54 pays et de son 1,2 milliard d’habitants a donc reçu presque autant d’IED que Singapour (61,6 mds pour 6 millions d’habitants), et moins que l’Irlande (79,2 mds pour 5 millions d’habitants)… »

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S’il est un sujet où, faisant preuve de solidarité, les 27 pays membres devraient secouer le fantasme économique des lois du marché et du libre-échange, dont certains croient qu’elles régulent des destinées humaines, c’est bien celui des relations avec l’Afrique dont la stabilisation relève plus d’un plan Marshall que d’investissements calculés.

Si l’Union voulait vraiment aider au développement de l’Afrique et stabiliser sa relation avec ce continent crucial pour sa sécurité, c’est le moins qu’elle pourrait faire.

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Note de Contexte.
Sommet des BRICS.

Le 10e sommet des BRICS qui réunit la Chine, la Russie, l’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil s’est tenu à Johannesburg du 25 au 27 juillet derniers. Tous les commentateurs auront noté la dilution de la dynamique initiale de 2009, voulant créer un élan multipolaire qu’au moins la Russie et la Chine voyaient comme un contrepoids à l’Amérique et tous comme une marge de respiration par rapport aux rigidités de la Banque Mondiale et du FMI.

A l’époque, leur meilleur argument était leur poids économique et démographique (40% de la population mondiale). Toujours présents, ses atouts (les 5 comptent pour 23% du PIB mondial) sont aujourd’hui affaiblis par la somme des non-dits planant au-dessus de leurs relations.

Les 5 parviennent en effet de moins en moins à cacher les rivalités géopolitiques entre Pékin et New-Delhi, les contrastes entre leurs systèmes de gouvernement, leurs économies disparates aux besoins divergents et, par-dessus tout, les déséquilibre causé par le poids de la Chine aujourd’hui d’envergure planétaire aux ambitions géopolitiques globales.

Le bilan de la solidarité des 5 BRICS est mince souligne un article du Monde. S’il est vrai que le commerce entre eux a augmenté de 30% - ce qu’a fait valoir V. Poutine -, aucun des projets et accords évoqués lors des précédents sommets n’a été discuté (accords de libre échange, élargissement - le site Russia Today a évoqué l’adhésion de la Turquie restée sans suite -, création d’une agence notation des BRICS).

Même la Banque des BRICS créée dans la ferveur en 2015 n’a octroyé que 7,5 Mds de $ de prêts. En revanche, (cf plus haut) ce sont les banques chinoises qui sont venues au secours des entreprises sud-africaines en difficulté.

Lire : Les BRICS jettent un pavé dans la mare des finances mondiales.

Enfin, la principale crainte implicite est peut-être que Pékin dont les ambitions globales sont aujourd’hui avérées, se pose à cet effet en parangon du libre-échange alors que ses groupes publics subventionnés, tirant profit de la quête de capitaux des pays en développement opérent souvent en dehors des lois du marché et sont réticents à participer aux appels d’offres.

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Confronté à une brutale offensive de Washington pour rééquilibrer son commerce avec la Chine, Xi Jinping a, dans son discours, habilement joué du thème de la multipolarité et des dangers du protectionnisme posant au monde, a t-il dit, une alternative entre « coopération » et « confrontation » et entre « bénéfices mutuels » et système clientéliste de suzerain à vassal.

Dans la foulée, il a réitéré ses mises en garde sur les dangers pour tous d’une guerre commerciale.

Dans la dernière partie de son discours, il n’a pas manqué de faire la promotion des réformes en cours en Chine et des « Nouvelles routes de la soie » devenue l’emblème de la politique étrangère de Pékin.

Promettant une meilleure ouverture aux investissements étrangers, à l’aune « des standards internationaux », plus « transparente, conforme au droit et au marché, combattant les monopoles, respectant la propriété intellectuelle », il a annoncé la tenue à Shanghai, en novembre prochain, après le sommet Chine - Afrique en septembre, de la première Exposition internationale Import – Export, dont il a dit qu’elle serait une « plateforme d’accès au marché chinois pour le monde ».

Il reste que par ces annonces, répertoires en miroir des manquements chinois à l’ouverture et au respect du droit des affaires, à quoi s’ajoute la captation de technologies, le président chinois donne corps aux critiques de Washington et Bruxelles.

Quant à la « Belt and Road Initiative », (BRI) comme l’appellent les anglo-saxons, il a répété le discours de générosité qui, selon la propagande du Parti, en fait un projet « appartenant au monde ».

Il n’empêche qu’à Johannesburg, contredisant la solidarité entre les 5 membres des BRICS, ce qui a surtout dominé, dit un article du journal Le Monde, ce sont les rencontres bilatérales.

Au total, la longue déclaration finale en 101 points détaillant méthodiquement et de manière exhaustive les grands défis du monde, depuis les conflits ouverts jusqu’à la guerre commerciale en passant par la nécessaire promotion de la démocratie dont on voit bien qu’elle ne sonne pas juste, diffuse le sentiment que l’élan initial est en train de s’étioler et que le groupe n’a qu’une prise limitiée sur les grandes contradictions et antagonismes de la marche du monde.

Note(s) :

[1Alors que le total des échanges entre les deux se monte à 50 Mds de $ - que les émirats espèrent doubler –, la visite a été marquée par l’annonce de la création de ce qui a été présenté comme le « plus grand “Chinatown“ du Moyen-Orient » sur une surface de 6 km2, à 10 minutes de l’aéroport international Dubai.

Aux Emirats, l’empreinte des compagnies de construction chinoises est déjà omniprésente le long de la Voie rapide Sheikh Zayed, principale artère de la ville de Dubai, partie d’une autoroute traversant les Emirats où la China State Construction Engineering Corporation (CSCEC – en Chinois 中国建筑工程总公司 -, 1er groupe de construction au monde et 14e pour la valeur de ses contrats à l’étrangers- ), a construit la plupart des ponts.

En février dernier, le groupe public a pour 160 millions de $, obtenu le contrat de construction d’une des 2 tours du complexe de résidences de luxe « d’Akyon City » à quoi s’ajoute un contrat de 19,6 millions de $ obtenu en juin pour la construction de routes et de voies rapides.

[2Calquée sur l’agence américaine US AID, la création de l’agence chinoise inaugurée le 18 avril en présence de Yang Jiechi, ancien ambassadeur à Washington et ancien ministre des Affaires étrangères, membre du Bureau Politique et de Wang Yi, son successeur à la tête du Waijiaobu, marque la volonté de Pékin de rationaliser un secteur jusque là éclaté en plusieurs dizaines de décideurs et d’accorder sa stratégie d’aide directe à son projet politique global.

[34e constructeur de Chine BAIC (北京汽车工业) a décidé en février dernier de monter une usine avec Daimler-Benz dont le location n’avait pas été rendue publique à la rédaction de cette note, pour un investissement conjoint de 1,9 Mds de $. En même temps, on apprenait que le constructeur chinois Geely avait acheté 9,7% des parts de Daimler, ce qui en fait l’investisseur majoritaire dans le groupe dont fait partie Mercedes-Benz.

 

 

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