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›› Chine - monde

Du conflit commercial à la rivalité stratégique

A plus de 45 ans de distance H. Kissinger (95 ans), juif allemand émigré aux États-Unis à l’âge de 15 ans avec son père modeste instituteur et sa mère femme au foyer, naturalisé américain 5 ans plus tard, diplômé de Harvard à 25 ans, peut-il continuer à peser sur les choix stratégiques de la Maison Blanche ?

Promoteur d’une « realpolitik » héritière de Machiavel articulée à la recherche « réaliste » des intérêts nationaux au-delà des sentiments moraux et des clivages idéologiques dont le meilleur exemple au XIXe siècle fut – la référence n’est pas anodine pour un homme d’origine allemande – le chancelier allemand Otto Von Bismark, artisan de l’unité et de la puissance de l’Allemagne -, Kissinger articule ses conseils stratégiques au pragmatisme des faits tels qu’il les observe.

Ainsi a t-il d’abord persuadé les présidents américains de Nixon à Reagan, jouant un rôle majeur dans l’élection de ce dernier, de se rapprocher de la Chine en dépit de leur immense fossé idéologique. Son but était alors double : 1) Faire pièce à l’ennemi stratégique majeur de la guerre froide : l’URSS ; et 2) Tenant compte du passage de la Chine à l’âge adulte stratégique, contrôler l’Eurasie, clé de la domination du monde.

Bouleversement des rapports de forces.

Un demi-siècle plus tard, le paysage mondial bouleversé par la chute de l’URSS et du mur de Berlin, traversé par les crises migratoires, le terrorisme et les angoisses sur le climat, est non plus dominé par l’affrontement Moscou – Washington, mais par l’irrésistible montée en puissance de la Chine qu’aux États-Unis la plupart des conservateurs perçoivent depuis Georges W. Bush comme le plus redoutable adversaire stratégique, tandis que beaucoup continuent à promouvoir l’idée que la relation avec Pékin reste incontournable.

Mais dans l’appareil politique américain, l’évolution de la perception des rapports de forces s’est récemment traduite par une prise de conscience du poids du temps.

Soulignant à la suite de Graham Allison [1], professeur à Harvard qu’au contraire des Américains dont les stratégies ne valent « que pour les dix ans qui viennent, la Chine se projetait dans les “siècles“ », l’Amiral à la retraite Stavridis ancien commandant en chef du flanc sud de l’OTAN à Naples (2009 – 2013) ne prêche pas la confrontation directe avec Pékin.

Ayant même identifié des coopérations possibles dans l’aide médicale et humanitaire en Afrique et en Amérique latine, dans la protection de l’environnement – à propos de laquelle l’administration Trump serait dit-il prête à revoir sa position – dans la corne de l’Afrique où la Chine vient d’installer une base militaire, ses suggestions loin de conseiller un affrontement direct, recommandent à « l’aigle américain » d’apprendre à naviguer « dans la compagnie malaisée du dragon chinois ».

Disant cela Stavridis n’oublie pas les points chauds que sont la mer de Chine du sud, la question de Taïwan, les sévères différends commerciaux dont il espère qu’ils ne dégénèreront pas en « guerre économique totale » - ce qui est cependant en train d’arriver -, à quoi il ajoute l’ambiguïté de la question nord-coréenne où Washington recommence à accuser la Chine de jouer un double jeu tandis que Pékin jure au contraire de sa bonne foi, pourraient coopérer pour l’objectif ultime et commun à tous les deux de dénucléariser de la péninsule.

Le complexe américain de l’hégémonie.

En décembre 2017, la Maison Blanche a publié une synthèse préfacée par D. Trump qui tentait de joindre les deux bouts contradictoires de la relation avec la Chine, balançant entre la perception d’une menace croissante et nécessité d’œuvrer de conserve avec Pékin.

Mais, intitulé « Stratégie de sécurité nationale des États-Unis d’Amérique », le document diffuse surtout le sentiment très clair que la Chine est désormais perçue comme une menace directe à l’hégémonie américaine qui s’habille des atours de la liberté.

Selon les auteurs – p.46 - « une compétition géopolitique entre, d’une part, la vision d’un ordre mondial articulé à la liberté et celle structurée par la répression se déroule dans la zone “indo-pacifique “ (note de QC : l’appellation, reprise par le Quai d’Orsay et le Ministère de la défense français, a pour but d’intégrer l’Inde, principal rival de la Chine en Asie, en dehors du Japon, dans une nouvelle désignation plus large du théâtre Asie – Pacifique. L’intention est de relativiser l’importance de la Chine). »

« S’étendant des rives occidentales des États-Unis aux côtes occidentales de l’Inde, constituant la partie la plus peuplée et la plus dynamique de la terre, la région est, depuis les premiers jours de la Républicaine américaine, au cœur de ses intérêts qui visent à y promouvoir l’ouverture et la liberté. »

« Tout en cherchant à continuer à coopérer avec la Chine, les États-Unis constatent que Pékin use à la fois de séductions économiques, de stratégie d’influence, de menaces militaires voilées et de sanctions pour persuader les États membres de la région de se conformer à sa vision géopolitique véhiculée par ses investissements et ses projets commerciaux. Ses efforts de militarisation des îlots en mer de Chine du sud menacent la souveraineté des voisins et affaiblissent la sécurité de la région. »

Le passage se conclut par la justification de la présence américaine en contrepoids de la Chine. « Sa montée en puissance militaire vise à limiter l’accès de la marine des États-Unis à la région [2] donnant à la Chine une plus grande liberté de manœuvre. Bien qu’elle présente ses actions comme « mutuellement bénéfiques », sa domination est de nature à affaiblir la souveraineté de nombreux États dans la région qui appellent à une riposte collective sous la direction des États-Unis. »

Difficile retour à la « Realpolitik » de Kissinger.

En arrière plan de cette stratégie de résistance aux influences multiples de la Chine resurgit à la Maison Blanche la pensée pragmatique de Kissinger qui se veut articulée, sans artifice moral ou sentimental, à la réalité des situations.

Reçu en mai dernier par Donald Trump, le vieux stratège n’a pu que constater l’essoufflement de l’élan de rapprochement avec la Chine lancé en 1972, tandis que Pékin fait aujourd’hui cause commune avec Moscou contre Washington.

Pour autant, ses recommandations à l’égard de la Chine restent les mêmes, non pas en vue d’en modifier le régime - ce qui n’aurait pour effet que de le crisper - , mais dans le but de trouver un modus vivendi avec l’autoritarisme du Parti en même temps qu’avec Moscou, prix de la stabilité de la région.

Il reste que, compte tenu du cordon ombilical des livraisons massives de gaz russe à la Chine et de la connivence stratégique sino-russe dont l’épine dorsale anti-américaine ne cesse de se renforcer depuis plus d’un quart de siècle, la manœuvre est plus facile à dire qu’à faire.

S’il fallait une preuve de la difficulté de l’entreprise consistant à rétablir un équilibre dans la relation tripartite Moscou - Pékin - Washington -, tel que le suggère Kissinger, il suffirait de se souvenir que l’APL participe avec 3200 soldats, 900 chars et 30 avions de combat à l’exercice Vostok 2018, lancé par Moscou à la fin août.

Selon Sergei Shoigu, plus vaste manœuvre terrestre et aéronavale organisée par Moscou depuis les exercices « Zapad » de 1981, Vostok qui met en scène 100 000 hommes, 1500 chars, 120 aéronefs et 70 navires de combat, se déroulera à travers la Sibérie jusqu’à l’extrême Orient russe où l’APL participera du 11 au 15 septembre à des exercices à tirs réels au camp
de Tsugol à 600 km à l’Est du lac Baïkal.

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La guerre commerciale tourne à l’aigre.

Spectaculaire et obsédante, régulièrement attisée par de nouvelles injonctions et menaces du Président américain, évoluant sans cesse d’un espoir de conciliation déçu à de nouveaux raidissements de la Maison Blanche, la guerre commerciale qui tourne à l’aigre, est aujourd’hui la pointe émergée de la rivalité stratégique opposant Washington et Pékin sur le mode de gouvernance, sur les tensions en mer de Chine du sud, la question de Taïwan et, récemment, à nouveau agitée par Donald Trump, la duplicité chinoise dans l’affaire nord-coréenne .

Le dernier épisode néfaste de l’empoignade autour du déséquilibre du commerce extérieur américain a eu lieu à l’occasion de la tentative exploratoire de Wang Shouwen la semaine dernière. Lire : Violence de la guerre commerciale et espoir de conciliation.

Au lieu de l’éclaircie espérée, la Maison Blanche a à nouveau agité le spectre d’un élargissement de l’éventail des produits taxés jusqu’à la valeur de 200 Mds de $, soit 50% de la valeur totale des exportations chinoises aux États-Unis en 2017. En même temps, Trump se réjouissait des nouvelles restrictions imposées aux investissements chinois aux États-Unis.

S’ajoutant à ceux du secteur des hautes technologies et de la finance où la Maison Blanche a récemment bloqué le rachat par Jack Ma de l’entreprise de transfert de fonds MoneyGram International Inc., interdisant aussi la tentative du Chinois Broadcom Ltd. de prendre le contrôle pour 117 Mds de $ du fabricant de microprocesseurs Qualcomm Inc., les nouvelles restrictions américaines bloquant les investissements chinois visent désormais les infrastructures et le secteur du contrôle des données privées.

En très fort contraste avec la déclaration du ministère chinois du commerce qui, le 24 août, parlait d’un « échange franc et constructif en attendant de nouvelles étapes », la rencontre s’est en réalité achevée sans déclaration finale, sans conférence de presse et sans la promesse d’un nouvel échange.

Tout se passe comme si, augmentant ses exigences au fil des mois, la faction dure des conseillers au commerce de la Maison Blanche représentée par Robert Lighthizer et Peter Navarro cherchait à imposer à la Chine une modification structurelle de sa vision des relations commerciales avec les États-Unis, avec le but connexe de rapatrier aux États-Unis, les entreprises de la chaîne logistique américaine expatriés en Chine.

Interconnexions et accommodements chinois.

A moyen terme, disent certains, se dessine le spectre épouvantable pour les deux, évoqué par quelques experts, en réalité très improbable compte tenu de leur dépendance réciproque, d’un assèchement des échanges et, pour Washington, le risque également hypothétique que la Chine se mette en quête d’autres marchés pour ses exports. Mais la réalité est moins simple.

L’interconnexion des deux économies est telle que le spectre de la rupture commerciale est improbable. La Chine aura du mal à trouver un autre marché aussi souple, articulé à l’emprunt des consommateurs américains, moteur de sa propre croissance et pourvoyeur de hautes technologies nécessaires à sa modernisation ; tandis que les entreprises américaines de microprocesseurs, de l’aéronautique, de l’automobile et des machines de chantier qui s’ajoutent aux fermiers producteurs de soja et de viande – souffriraient beaucoup de la fermeture du marché chinois.

S’il est une modification de structure des échanges que Washington tente d’imposer c’est bien celle de supprimer l’obligation de co-entreprise imposée aux investisseurs étrangers dont tous les critiques disent qu’elle est le canal privilégié de la captation de technologies par la Chine. Peu à peu, cédant aux critiques, Pékin se conforme à ses promesses d’ouverture.

Le 9 juillet dernier un premier geste significatif, mais qui ne concernait pas une entreprise américaine, fut d’autoriser en présence de Li Keqiang et d’Angela Merkel, la signature à Berlin, entre Martin Brudermueller le PDG du géant chimique allemand BASF et Lin Shaochun vice-gouverneur de Canton d’une lettre d’intention pour la construction à l’échéance 2030 et pour 10 Mds de $ d’une usine géante à Zhanjiang sans obligation de co-entreprise.

Un fois mené à bien, coup de pied de l’âne chinois favorisant les intérêts européens en Chine plutôt que les américains, le complexe pétrochimique qui comptera aussi un vapocraqueur produisant de l’éthylène et fabriquera à terme des produits de consommation courante pour le marché chinois, sera le plus important investissement de l’histoire du groupe allemand et son 3e site après celui de Mannheim – Ludwigshafen en Allemagne et celui d’Anvers en Belgique.

Employant 2000 personnes, il sera aussi le premier site chimique totalement intégré échappant à une co-entreprise avec les géants chinois du secteur Sinopec et Sinochem dont le centre de gravité industriel se trouve à l’autre bout de la Chine, dans le Nord-est. Il est impossible de sous estimer à quel point le geste contournant les intérêts et la puissance de 2 grands groupes publics, est capital pour Pékin n’ayant jusqu’à présent, du moins à ce niveau, autorisé que des co-entreprises à partenariats 50/50.

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L’autre concession de Pékin, encore plus significative, compte tenu de la sensibilité politique du secteur et de l’épargne chinoise surveillée par Pékin comme l’huile sur leu, est la levée au plus fort de la guerre commerciale, le 23 août dernier des limites des investissements étrangers dans le secteur bancaire et dans les institutions financières de défaisance des dettes toxiques.

Selon une déclaration de la Commission de régulation bancaire et conformément à une promesse de novembre 2017, désormais les organismes financiers étrangers à la Chine seront traités à la même enseigne que les opérateurs chinois, sans limitation de leurs investissements dans le secteur financier.

Là aussi, et même s’il y a loin de la coupe aux lèvres, il est impossible de sous estimer l’effort d’ouverture consenti par Pékin dans un secteur où jusqu’à présent la part étrangère est restée négligeable. Voir à ce sujet notre article d’avril 2018 qui rendait compte à la fois de la promesse d’ouverture de Yi Gang, nouveau Directeur de la Banque Centrale et de la portion congrue laissée jusqu’à présent aux investisseurs étrangers du secteur. Lire : Ouverture financière et contrôle politique.

Après la confirmation de Xi Jinping en avril dernier, certaines banques étrangères sont déjà sur les rangs. En mai, le Suisse UBS est devenue la première banque de rang international à solliciter de hausser sa participation de 25% à 51% dans la co-entreprise conclue avec un opérateur chinois, baptisée « UBS Securities – en Chinois 瑞银 证券 - rui yin zhengquan ».

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Les ambiguïtés sino-américaines en Corée.

La Corée du Nord est le théâtre où la relation sino-américaine balance entre, d’une part, la coopération stratégique obligée pour parvenir à la dénucléarisation de la péninsule souhaitée par Pékin et Washington, avec cependant un longue série de non dits et de malentendus et, d’autre part, les tensions enveloppées dans une profonde défiance réciproque, longuement documentée par QC (lire : Chine - Corée du Nord – Etats-Unis. Sous la surface quelques glissements tectoniques).

Lire aussi : Corée du Nord. Entre « fatalisme proliférant » et optimisme raisonnable.

Les hauts et les bas de la coopération sino-américaine sur ce théâtre se lisent dans les déclarations et « tweet » de D. Trump. Alors qu’en avril dernier il disait de Xi Jinping qu’il était un partenaire « constructif », les derniers messages publics du Président qui vient d’interdire à Mike Pompeo de se rendre à Pyongyang, soulignent à nouveau que la Chine n’exerce pas assez de pressions sur Pyongyang à propos de son programme nucléaire.

Entre ces deux extrêmes, la Chine qui s’est officiellement offusquée de l’accusation de la Maison Blanche, a tout de même manœuvré pour rester dans le jeu de la solution nord-coréenne au point que ses initiatives ont brouillé la solidarité internationale et mis en porte à faux la stratégie américaine après le sommet de Singapour.

A peine la rencontre achevée au cours de laquelle Washington avait accepté de renoncer aux manœuvres conjointes de l’alliance sur la péninsule, Pékin a suggéré de mettre fin aux sanctions au risque de priver la communauté internationale de tout moyen des pressions contre Pyongyang.

En même temps, on apprenait que Xi jinping pourrait se rendre à Pyongyang en septembre. Première visite d’un président chinois en Corée du nord depuis 2005, la manœuvre que Pékin présentée comme une initiative visant à persuader Kim Jong-un de démanteler son programme nucléaire, aura néanmoins le double effet de remettre clairement la Chine dans le jeu et, de manière connexe, d’enfoncer un coin dans la solidarité sino-américaine pour la dénucléarisation.

Par dessus tout, elle sera un incomparable adjuvant de la popularité politique dans son pays de Kim Jong-un qui, en moins de trois mois, aura rencontré sous le feu des projecteurs internationaux les chefs d’État des deux plus grandes puissances de la planète. Mais la carte qui renvoie à une relation Pyongyang-Pékin rappelant celle de la guerre froide, est d’autant plus lourde qu’elle brouillerait les espoirs d’apaisement de la relation sino-américaine.

*

Si le théâtre nord-coréen est celui des ambiguïtés de la coopération sino-américaine, ceux de Taïwan et de la mer de Chine sont en revanche les lieux de tensions permanentes jamais démenties dont le durcissement se précise sous nos yeux.

D’un côté, l’affirmation sans nuance du nationalisme chinois en cours de raidissement autour de « caractéristiques » articulées à la culture et à l’histoire et, de l’autre, brandissant le flambeau du droit international et des libertés démocratiques, les ripostes de Washington.

Tandis les navires de guerre et avions de reconnaissance américains mènent avec insistance des patrouilles au-dessus et dans les parages des îlots contestés dans les Spratly, provoquant chaque fois les protestations courroucées de la Chine, les élites politiques américaines du sénat et de la chambre des représentants – à l’exception du gouvernement et de la Maison Blanche restés discrets – ont, lors de ses escales aux États-Unis à l’aller et au retour de son périple à Belize et au Paraguay, ménagé à Tsai Ing-wen un accueil qui tranchait avec les habituelles discrétions visant à ménager la susceptibilité de Pékin (lire : « Quand Pékin harcèle Taïwan, Washington lui ouvre les bras. »).

Taïwan un explosif sensible.

S’il existe un signe que l’actuelle confrontation entre Pékin et Washington est montée d’un cran, c’est bien le signal que donne la dernière visite de Tsai aux États-Unis sur un éventuel abandon de la prudence de la Maison Blanche à l’égard des susceptibilités souverainistes de Pékin à l’égard de Taïwan.

Alors que, depuis Nixon, les stratégies américaines manœuvraient plus ou moins habilement entre la « reconnaissance d’une seule Chine » et le soutien accordé à l’Île militairement protégée par le Taïwan Relation Act contre une agression chinoise non provoquée (lire : Une guerre entre la Chine et les Etats-Unis est-elle possible ? Inquiétudes à Taïwan et en Asie.), l’impression se précise que sous l’influence des conservateurs et du lobby taïwanais à Washington, l’exigence de ménager les deux bouts de cette contradiction est aujourd’hui moins claire dans l’esprit du pouvoir américain.

Pour le régime de Pékin, « l’île rebelle » est à la fois le symbole de l’histoire inachevée de la guerre civile, une « épine dans le pied » du « rêve chinois » de Xi Jinping, la faille dans la normalisation politique de l’Empire chinois moderne et l’insistant rappel aux portes du Continent que la pensée chinoise n’est pas un obstacle à la mise en œuvre de la démocratie.

Autant dire que l’utilisation sans mesure par Washington sur un mode de tractations commerciales de ce levier dont il est impossible de nier l’efficacité, recèle cependant un potentiel explosif que la Maison Blanche aurait tort de négliger.

Mer de Chine, entre Droit international, culture l‘histoire.

Le dernier théâtre au cœur des tensions sino-américaines, sans cesse objet de reportages de presse, est la Mer de Chine sud. Devenue le symbole d’une tension idéologique et géopolitique entre, d’une part, Pékin qui, se référant à sa longue histoire et à sa culture particulière exprime son exorbitante revendication sur toute la Mer de Chine tout en récusant la pertinence stratégique américaine dans la zone et, d’autre part, Washington qui, s’appuyant sur de droit de la mer et le jugement du tribunal international de La Haye (lire : Les secousses et incertitudes du jugement de La Haye.) rejette en bloc les prétentions chinoises.

Concrètement les États-Unis qui disent ne pas prendre partie dans les querelles de souveraineté – ce qui n’est qu’une posture diplomatique – s’ingénient surtout à contester le point particulier avancé par la Chine et réfuté par le droit de la mer, que des îlots élargis artificiellement, pourraient générer des eaux territoriales.

C’est l’objet des missions dites « Freedom of Navigation Operations = FONOP » de l’US Navy pénétrant régulièrement dans les eaux adjacentes aux îlots élargis dont Pékin dit qu’elles sont « territoire chinois », ce que le droit de la mer et nombre de riverains contestent [3].

Preuve que les relations sino-américaines ont changé de nature désormais marquées par la prévalence de la rivalité et des acrimonies plutôt que par les efforts de conciliation, à rebours des suggestions de Kissinger, le 23 mai dernier, durant la visite du MAE chinois Wang Yi au département d’État, Mike Pompeo lui a signifié que Washington annulait l’invitation lancée à la marine chinoise en janvier dernier de participer à l’exercice naval RIMPAC organisé tous les deux ans et auquel Pékin avait participé en 2014 et 2016 à l’invitation du président Obama.

Note(s) :

[1Le livre récent « Vouées à la guerre, l’Amérique et la Chine peuvent-elles éviter le piège Thucydide ? - Destined for War. Can America and China escape Thucydide’s Trap ? - » de Graham Allison, professeur à la Kennedy School of Government de Harvard, raconte la longue histoire de la Chine et fait remarquer que « pendant que nous jouons aux dames », les Chinois ne jouent pas simplement aux échecs - ils jouent au jeu complexe de Go.

Alors que nous élaborons une stratégie pour la prochaine décennie, dit-il, (voir la nouvelle stratégie de sécurité nationale de l’administration Donald Trump), la Chine prévoit sont avenir à au moins 20 ans.

[2Cet objectif d’interdiction figure en toutes lettres dans nombre de documents de l’APL. Sa genèse remonte aux crises dans le détroit de Taïwan qui entourèrent la consolidation démocratique dans l’Île à la faveur de l’élection de Lee Teng-hui porté en 1996 à la présidence par le suffrage universel.

A cette époque, la Chine pour qui l’organisation d’un scrutin libre de cette ampleur dans un territoire supposé sous son influence politique et culturelle sonnait une alerte idéologique majeure, avait réagi en tirant deux séries de missiles inertes dans les parages de l’Île et en organisant des manœuvres au large du Fujian.

Mais la faiblesse des équipements missiles et de l’aéronavale chinoises ne purent offrir un contrepoids crédible à la présence autour de l’Île des porte-avions américains dans les parages. Cette situation est aujourd’hui inversée. Les missiles de croisière anti navires et l’arsenal balistique chinois embarqués ou déployés sur le Continent obligent l’US Navy à se tenir distance sauf à risquer une frappe.

[3Liste des opérations « FONOP » en 2018 : 17 janvier, Scarborough Shoal, au nord des Spratly ; 23 mars : Mischief Rief (Spratly) ; 24 avril : survol de la mer de Chine du sud par des bombardiers stratégiques B-52 venant de Guam ; 27 mai : Paracel ; 5 juin : nouveau survol de la mer de Chine du sud par des B-52. Pékin a riposté le 12 avril, par la plus grande revue navale de l’histoire de la marine chinoise et, le 18 mai, en posant un bombardier stratégique sur l’îlot Woody 永兴岛 dans les Paracel. Lire : Mer de Chine et ASEAN, enjeux de la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis.

 

 

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