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›› Société

Contrôle des religions et grabuge autour d’une mosquée

La détermination du Parti à tenir les religions sous sa coupe est connue. Au 19e Congrès, en octobre dernier, Xi Jiping l’a clairement rappelé : « Il faut s’en tenir au principe qu’en Chine les religions doivent non seulement suivre la voie chinoise – 以 中国 为导向- yi zhongguo wei daoxiang, -, mais aussi activement proposer un chemin pour s’adapter d’elles-mêmes à la société socialiste – 提供 积极 引导自己适应社会 主义tígōng jījí yǐndǎo ziji shiying shehui zhuyi - »

La mainmise politique s’exerce de plus en plus sur les pratiques, les tenues vestimentaires, l’architecture des lieux de culte et les responsables religieux.

A Shanghai, la situation de Mgr Ma Daqin évêque auxiliaire fait polémique. Placé en résidence surveillée depuis que le 7 juillet 2012 date à laquelle il avait publiquement annoncé sa rupture avec l’église patriotique officielle (lire : Le Pape François en Corée. Retour sur les relations entre le Vatican et la Chine.), il a en juin 2016 regretté son geste en publiant une contrition sur son blog.

Mais le journal La Croix ajoutait « qu’il n’était pas possible d’établir avec certitude si le texte de sa déclaration lui avait ou non été imposé par les autorités communistes. »

En arrière plan monte la crainte du Parti que l’engouement pour une religion allogène cherche à compenser le vide spirituel du capitalisme d’État uniquement articulé à l’efficacité matérielle.

Dans ce paysage bureaucratique crispé du contrôle des religions, un fait nouveau mérite attention : alors que la vague de destructions d’églises se poursuit à l’est et au centre du pays, tandis que jusqu’à présent la démolition des mosquées n’avait guère attiré l’attention, pour la première fois la destruction programmée d’un lieu de culte musulman a fait l’objet d’articles des grands médias occidentaux (entre autres : Reuters, Deutsche Welle, The Guardian, CBS News, Le Monde, CSMP, Los Angeles Times.)

La raison en est que, cédant aux protestations des fidèles et craignant peut-être un durcissement radical propagé à partir du Xinjiang voisin, le pouvoir a reculé.

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Aux considérations qui recoupent celles des multiples organisations des droits fustigeant l’oppression des religions, il faut cependant ajouter le point de vue du Parti-État chinois.

S’il est vrai que la destruction des lieux de culte peut toujours être présentée comme une insensibilité bureaucratique exprimant un cynisme politique insupportable pour les fidèles, il n’en est pas moins exact que nombre de bâtisses religieuses au style tapageur et à l’esthétique discutable s’intègrent mal dans le paysage urbain. Le fait qu’elles sont souvent érigées sans autorisation, donne aux pouvoirs publics un prétexte imparable pour lancer des préavis de démolition.

Dans le cas de la mosquée du Ningxia, sur la sellette depuis quelques mois, s’exprime aussi – selon les dires même de la bureaucratie locale – la crainte que le style ostentatoire de l’édifice traduise une « arabisation » rampante par le truchement de la communauté Hui. Il ne fait pas de doute que cette anxiété qui n’existe pas à propos des églises, prend racine dans la menace posée par l’Islam politique radical.

Quoi qu’en disent certains observateurs dont l’esprit de nuance oblitère une partie de la réalité, le risque fermente au Xinjiang voisin. Plusieurs fois documenté par QC, il est au cœur des préoccupations de sécurité du régime. Lire : Xinjiang. Menaces djihadistes directes et spirale répressive.

Au Ningxia, l’inquiétude est amplifié par le caractère ostentatoire des pratiques religieuses de dévotion dont l’affichage public est encore stimulé par le souci d’affirmation identitaire des Hui, devenus minoritaires dans la province autonome.

Il y a un an ce malaise qui s’exprimait sur les réseaux sociaux, avait été évoqué par un article du Global Times : lire Regards sur l’islamophobie des internautes chinois.

Destruction d’églises.

Régulièrement les médias occidentaux qui suivent la situation des religions en Chine font état de pressions sur les fidèles chrétiens excédés par les surveillances vidéo installées dans les lieux de culte, l’arrestation de dizaines de croyants souvent maltraités et la destruction d’églises construites sans autorisation administrative et au motif, d’ailleurs assez souvent justifié, que leur apparence boursoufflée et grandiloquente détonne dans le paysage local.

Ce fut le cas récemment, le 5 mai 2017 quand 300 policiers ont, à coups d’explosifs, rasé la petite église de Shangqiu 700 km à l’ouest de Shanghai dans le Henan, après avoir encerclé le quartier et arrêté plusieurs dizaines de fidèles dont certains, disent des témoins cités par CathNews New Zealand, furent sévèrement battus, dépouillés de leurs bijoux, tandis qu’on confisquait leurs téléphones portables.

Le 9 janvier 2018, à Linfen, 500 km au nord-ouest de Shangqiu dans le sud du Shanxi, la province voisine du Henan, la Police Armée Populaire a fait exploser « l’Eglise de la lanterne dorée - 金 灯台 教堂 – jin dengtai jiaotang - énorme bâtisse à l’esthétique très discutable construite en 2009 que la municipalité avait déjà fermée aux fidèles depuis 2013, après une première « descente » de police à peine sa construction terminée, le 24 septembre 2009.

Selon le Global Times, les 50 000 fidèles de « la lanterne dorée » - dont selon plusieurs médias occidentaux beaucoup ont été persécutés - appartiennent à « l’église clandestine » non reconnue par le Parti, ce qui renvoie à l’arrière plan politique de la controverse.

Quant à la mairie, elle expliquait que l’église avait été rasée dans le cadre d’une campagne municipale de nettoyage des constructions illégales, alors qu’elle avait été édifiée sans l’autorisation officielle requise pour un lieu de culte et sous le seul couvert de la construction d’un entrepôt.

L’épidémie de persécution religieuse qui frappe les lieux de culte chrétiens, n’épargne pas les mosquées au Ningxia, au Gansu et au Qinghai. La répression cible une progression prosélyte de la religion musulmane dont le Parti craint qu’elle gagne du terrain depuis l’épicentre du Xinjiang où Pékin est aux prises avec une contestation identitaire des Musulmans Ouïghour.

La Mosquée de Weizhou sur la sellette.

Attisée en sous main par des métastases de l’Islam politique radical propagées à partir d’Asie Centrale, du Pakistan et d’Afghanistan, et, dit le Parti, par quelques combattants ouïghour revenant de Syrie, la contestation ouïghour est brutalement réprimée par la police armée populaire qui, selon le « Uyghur Human Rights Project » déporte sans mesure dans des camps d’isolement des centaines de milliers de Musulmans turcophones du Xinjiang.

Logiquement l’appareil de sécurité chinois dont on connaît l’efficacité omniprésente, craint la contagion vers l’est du prosélytisme religieux d’autant plus préoccupant qu’il toucherait la communauté musulmane des Hui, aujourd’hui la plus pacifiquement intégrée à la culture Han. Lire : Contrôle des religions. Islam en Chine et troubles au Xinjiang.

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Craignant la diffusion de la foi musulmane accompagnée par l’augmentation des pratiques ostentatoires, le Parti est confronté à Weizhou dans la province autonome du Ningxia, à l’Est du Xinjiang, à un incident autour de la construction d’une mosquée, en tous points homothétique de ceux générés par les églises illégales dans les provinces de l’Est et du Centre, au Zhejiang, au Henan et au Shanxi.

On y retrouve les mêmes ferments de tensions : polémiques avec les autorités locales sur la légalité de la construction, sur fond de contrôle politique, amertume des fidèles risquant d’être privés de leur lieu de prières, controverse sur l’intégration esthétique et harmonieuse dans le paysage local.

Avec cependant une différence de taille : au lieu de détruire la mosquée comme elle l’avait envisagé, la municipalité, craignant peut-être une radicalisation contagieuse des fidèles Hui, semble pour l’heure disposée à un accommodement. L’attitude tranche avec la campagne en cours d’élimination ou de « rectification » des mosquées au Ningxia et dans les provinces voisines.

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Une affirmation religieuse identitaire.

Devenus minoritaires dans la province autonome du Ningxia pourtant créée à leur intention en 1928, très lointains descendants des marchands arabes, les Hui qui ne représentent plus que 36% de la population de la province - moins de 15% à Yinchuan, la capitale -, aux côtés d’une majorité de Han largement urbanisés, vivent pour la plupart en zone rurale.

Au cours des 20 dernières années, les études comme celles de David Stoup, expert américain des communautés musulmanes chinoises, montrent que les Huin ont accentué leurs pratiques religieuses pour compenser le prévalences des Han. La ferveur s’est développée en même temps que la croissance économique attisée par la politique de développement de l’Ouest lancée en 2000 par Pékin 西部大开发 - xi bu da kaifa - [1].

Aujourd’hui, plus prospères, les Hui, soucieux de marquer leur différence, ont cultivé leur attachement culturel à l’Islam. Mais, ajoute Stoup, s’il est vrai que des écoles coraniques ont été ouvertes, tandis que le nombre de pratiquants et de prières collectives a augmenté, les Hui se voient toujours eux-mêmes à la fois comme de bons patriotes et des religieux fidèles et exemplaires.

En les poussant à bout sans respecter leurs pratiques et leurs croyances, le pouvoir prend le risque d’en radicaliser une partie.

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Le 9 août dernier, lors de la prière du vendredi à Weizhou 韦州镇 petite ville à 140 km au sud de la capitale provinciale Yinchuan, peuplée de moins de 30 000 habitants, dont 90% de Hui, une foule de fidèles s’est rassemblée pour prier afin, disent les témoins, de « protéger leur mosquée », dernière cible de la province engagée dans une campagne destinée à mettre un coup d’arrêt à « l’arabisation » et à « l’islamisation » rampante du Ningxia, dont la trace remonte au VIIIe siècle, à l’époque des Tang.

Trônant au milieu du village, la construction blanche hors de proportion avec le reste du voisinage semi-rural, couverte de dômes et de minarets avec des croissants d’or à leur sommet, est à la fois source d’inquiétude pour le Parti et la fierté des fidèles qui l’ont occupée pour la protéger de la démolition.

Essai de compromis.

Sur ordre de la province, la mairie a reculé et promis de ne pas détruire l’édifice, tout en exigeant qu’on efface les traces « d’arabisation » que sont les dômes dont 8 sur 9 devaient être remplacés par des toits traditionnels en pagode. « Impossible », disent les croyants, « sans les dômes à bulbe, la mosquée n’aurait plus rien à voir avec l’Islam. »

Depuis la situation est bloquée.

Examiné du point de vue chinois, soucieux de contrôler les religions sommées par le Parti d’accepter de se « siniser » et même de proposer elles-mêmes des initiatives pour mieux s’intégrer à l’environnement culturel chinois alors que la région est confrontée aux risques d’une possible contagion islamiste, le signal envoyé par l’ostentation architecturale de la mosquée est préoccupant.

Il l’est d’autant plus que, prenant un recul topographique et historique, les cadres du Parti constatent que « l’arabisation rampante » est clairement inscrite dans le paysage local.

Tongxin, exemple de « sinisation religieuse. »

La mosquée de Weizhou qui, comme certaines églises de l’Est et du Centre construites sans mesure, jure de manière ostentatoire dans le modeste environnement rural, est en effet située à moins de 80 km de la mosquée, de Tongxin, célèbre symbole d’une architecture religieuse intégrée à la culture chinoise. Située dans le même district que celle de Weizhou, la Grande Mosquée de Tongxin 同心 清真 大 寺, la plus ancienne et la plus vaste du Ningxia date de la dynastie Ming.

Avec son extérieur chinois et l’intérieur décoré d’arabesques musulmanes, elle est pour les cadres du Parti une synthèse idéale des cultures chinoise et musulmane [2].

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En chine, l’architecture des mosquées adaptée ou non au style chinois varie selon les régions. Avec celle de Tongxin, les mosquées au style chinois les plus connues sont, entre autres, celles de Nujie (Xicheng – Pékin), Huaisheng (Canton), Jinan (Shandong), Xi’an (Shaanxi), Linxia (Gansu), Qiaomen (Hangzhou), Qufu (Shandong), Songjiang (Shanghai), Yuehu (Ningbo).

Il existe aussi des églises chrétiennes en style chinois, comme celle très spectaculaire de Dali au Yunnan, l’église du Salut à Wuhan dont la façade en briques rouges est un hybride chinois et occidental, la cathédrale Saint-Joseph à Guiyang à l’esthétique contestable, ou encore Notre Dame des 7 afflictions à Dangergou dans le Shaanxi, 100 km à l’Est de Xi’an.

Note(s) :

[1Lire : Chinese orientation to Islam in Hui Muslim heartland.

« Pékin, naturellement inquiet de l’influence du Wahabbisme, a entrepris de transformer l’apparence extérieure de certaines mosquées pour leur conférer un style architectural sinisé. Pour les nouvelles mosquées, la décision a été prise de rejeter les projets comportant des dômes. » (...) « Parallèlement à la répression des Ouïghour au Xinjiang, le Parti s’efforce de préserver l’arrière-plan sinisé de la pratique de l’Islam notamment au Ningxia. »

Selon un reportage de la journaliste Nectar Gan qui a également documenté en 2017 la répression contre les Chrétiens pour le South China Moning Post « la vaste campagne de sinisation religieuse s’accélère depuis un an. Dans toute la province du Ningxia les décors de style musulman et les panneaux en arabe sont prohibés. » (...) « Le bord des routes le long du fleuve jaune est jonché de dômes récemment retirés des bâtiments commerciaux. »

[2La vérité oblige à dire que, si parfois les mélanges sont réussis, l’hybridation du style architectural chinois avec l’art sacré musulman ou chrétien n’est pas toujours du meilleur goût.

C’est pourquoi, pour le Parti, d’autant plus inquiet des influences religieuses ostentatoires qu’elles résonnent avec ce qu’il perçoit comme un défi de sécurité de première grandeur au Xinjiang, le schéma de Tongxin avec l’intérieur décoré d’arabesques et l’extérieur semblable à un forteresse chinoise de la route de la soie, outre qu’il ménage les apparences sinisées, a en plus le mérite d’éviter les hybridations de mauvais goût.

 

 

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