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›› Editorial

Xi Jinping, D. Trump, Kim Jong-un, brutal retour aux réalités

A la fin juillet, des sources proches du régime nord-coréen laissaient filtrer un durcissement de la position de Pyongyang qui tranchait avec l’ambiance conviviale du sommet de Singapour. Inversant l’ordonnancement du processus de dénucléarisation vu par Washington, Kim Jong-un exigeait que les États-Unis s’engagent dès à présent et, par anticipation, pour la fin de l’armistice et un traité de paix.

« Si Washington », disait la source, citée par CNN, « refusait de remplacer l’accord d’armistice par un traité de paix permanent, garantissant la survie du régime de Kim Jong-un, il est probable que Pyongyang ne s’engagera pas dans des pourparlers pour le démantèlement de son arsenal nucléaire ». La douche froide venait après que le 7 juillet le régime de Pyongyang avait déjà accusé Mike Pompeo de « négocier de manière univoque et comme un “gangster“, exigeant sans contrepartie l’abandon unilatéral de l’arsenal nucléaire ».

La proposition tranchait radicalement avec la pensée stratégique américaine spéculant qu’un démantèlement complet devrait être le préalable à une garantie de sécurité. D’autant que si à Washington on reconnaît que Pyongyang a – peut-être contraint et forcé par un accident – démantelé un site d’expériences nucléaires, on estime avoir également fait un premier pas en acceptant un moratoire sur les manœuvres conjointes avec Séoul.

Un mois plus tard, le 24 août, évoquant l’absence de progrès de la dénucléarisation, la Maison Blanche annulait brutalement une mission à Pyongyang de son Secrétaire d’État Mike Pompeo. Reconnaissant par là que l’atmosphère positive du sommet de Singapour était en train de se brouiller, le Président Trump ajoutait dans un tweet que la Chine faisait obstacle aux négociations et que son absence de solidarité était une riposte à la guerre commerciale qu’il avait déclenchée contre elle.

Moins d’une semaine après l’annulation du voyage de M. Pompeo, le Waijiaobu, réagissant sèchement par la voix de Hua Chunying, porte-parole. Déclarant que « les remarques américaines sur la question nord coréenne étaient « irresponsables » (…), elle ajoutait que « les États-Unis devaient se blâmer eux-mêmes pour les problèmes qu’ils rencontraient » (…) et que « leur stratégie sur la péninsule était devenue illisible. »

*

L’enchaînement de ces trois déclarations dessine les limites des espoirs du sommet de Singapour et fait craindre que, sur fond de guerre commerciale sino-américaine, la question nord-coréenne entre à nouveau dans une phase de graves tensions attisées par la lourde méfiance désormais installée entre Washington et Pékin. En réalité, pour de nombreuses raisons analysées dans cette note et sans préjuger d’éventuelles éclaircies futures, les complications qui s’annoncent étaient inscrites dans l’histoire de la région et les tensions stratégiques qu’elle génère depuis la guerre de Corée.

S’il est exact qu’après le sommet du 12 juin les premières réactions officielles du Bureau Politique chinois furent étonnamment positives – bien plus qu’aux États-Unis même ou dans les cercles des commentateurs occidentaux, la plupart sceptiques -, il faut reconnaître que, par la suite, la musique diffusée par le régime chinois devint progressivement une dissonance, pour en arriver à ce qui, aujourd’hui, n’est pas loin d’une hostilité affichée à l’égard de la Maison Blanche.

Certes, l’arrière-plan de la guerre commerciale fonctionne comme un destructeur de la confiance réciproque, mais, il faut y ajouter l’incontournable sous-bassement stratégique de la situation articulé au fait que le régime chinois craint d’être marginalisé dans sa zone d’intérêt stratégique direct par le processus déclenché par Washington et qu’à plus long terme son objectif est le départ des troupes américaines de ce théâtre, arrière cour culturelle de la Chine.

A Pékin, après une première phase durant laquelle Pékin a d’abord loué la stratégie de Washington, dans l’appareil, l’angoisse de la marginalisation a peu à peu pris le dessus. Au fil des mois a surgi l’idée que le processus en cours pourrait être l’occasion d’affaiblir les alliances militaires de Washington dans la région.

Pékin premier zélateur du sommet de Singapour.

Alors qu’à l’Ouest beaucoup d’experts reconnus de la question critiquaient la vacuité du sommet de Singapour, en Chine, la classe politique et la plupart des chercheurs autorisés lui attribuèrent la vertu d’avoir fait avancer la cause de la stabilité et de la paix. Avant même le sommet, le ministre des Affaires étrangères Wang Yi le qualifiait « d’opportunité historique ».

Au passage, il se félicitait que l’ouverture avait été la conséquence – ce qui n’était qu’en partie exact – de la proposition chinoise datant de mars 2017 et acceptée par les deux parties à la faveur des JO d’hiver en Corée, du double moratoire sur les manœuvres conjointes Séoul – Washington et les essais balistiques et nucléaires de Pyongyang.

« L’impasse qui dure depuis des années a été brisée, clamait le Ministre. Nous encourageons les États-Unis et la Corée du Nord à continuer dans cette voie de bonne volonté et nous appuyons leurs efforts ».

Suffisamment rare pour être signalé, 48 heures après le sommet, Zhang Yun, professeur à l’Institut de gouvernance de l’Université des études internationales de Pékin, détaché à l’Université Niigata au Japon, signait dans le Global Times un article laudatif : « Ce président américain hors normes a eu le courage le briser le tabou d’un dialogue avec Pyongyang que les cercles intellectuels et médiatiques aux États-Unis considéraient comme inutile, habités par la conviction quasi religieuse que la Corée allait et devait s’effondrer ».

Mais, en même temps, premier rappel discret de la connivence historique Pékin – Pyongyang, la déclaration du MAE rappelait la position chinoise selon laquelle l’accord dont la Chine reconnaissait qu’il était à négocier directement entre Washington et Pyongyang, devait aussi garantir la sécurité de la Corée du Nord.

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Premières dissonances à propos des sanctions.

Immédiatement après le sommet, analysée par M.D Swaine dans China Leadership Monitor - CLM, la position de Pékin commença à évoluer.

Lors d’une conférence de presse, une formulation ambiguë du porte-parole Geng Shuang laissa flotter l’idée que l’ambiance positive créée par la rencontre pouvait justifier un allègement immédiat des sanctions. Le lendemain, le Waijiaobu cultiva l’équivoque en évitant de répondre aux demandes d’éclaircissement sur le sujet. Le 14, juin, 48 heures après Singapour, Wang Yi évita lui aussi de confirmer la déclaration de Mike Pompeo selon laquelle « Pékin approuvait le maintien des sanctions jusqu’à ce que la dénucléarisation complète soit achevée ».

Au lieu de quoi, ajoute Swaine, tous les canaux officiels du régime répétèrent l’ancienne opposition chinoise aux sanctions décidées unilatéralement sans accord du conseil de sécurité. Tout en rappelant qu’elles ne pouvaient pas être un « but en soi », ils réitérèrent aussi la détermination chinoise à les appliquer intégralement quand elles étaient approuvées par le Conseil de sécurité.

En juillet, cette posture officielle de principe fut répétée sans élaborer par le porte-parole mis sur la sellette lors d’une conférence de presse à propos de la chute brutale en Corée du nord du prix des carburants, interprétée comme la conséquence d’une intervention chinoise venant au secours de son allié en difficulté et contredisant clairement l’obédience de Pékin au régime des sanctions.

L’incident renvoyait aux suspicions évoquées par Florence Parly, la Ministre de la Défense française, lors du dialogue de Singapour un mois avant qui soulignait sans nommer personne, les ambiguïtés chinoises bien connues dans l’application des sanctions contre Pyongyang - « il semble que des bateaux citernes nord-coréens ont des rendez-vous nocturnes avec des “tankers“ d’un pays inconnu » -.

Hantise de la marginalisation ; phobie des alliances américaines.

Puis, alors que Xi Jinping lui-même avait, après le sommet, rappelé que « quelle que soit l’évolution de la situation régionale, la Chine restera déterminée à développer ses relations avec Pyongyang, dans un contexte où l’amitié entre les deux peuples et le soutien de Pékin à la “Corée du Nord socialiste“ ne varieraient jamais », surnageait dans le cercle des chercheurs chinois, le souci exprimé dans plusieurs articles du Global times dès le 10 juin et répété le 26 juillet, que la Chine ne soit pas marginalisée dans le processus.

A quoi s’ajoutèrent plusieurs non-dits de taille. Michael Swaine explique que, selon des sources proches de la question à Pékin , la question sensible du stationnement des troupes américaines sur la péninsule fut mise sur la table en interne par des conseillers du Bureau Politique : « Si la Corée du nord n’est plus un problème, et s’il n’y pas de menace terroriste à quoi servent ces forces ? »

Après la déclaration d’amitié indéfectible du président chinois, les commentateurs ont aussi logiquement évoqué l’aide économique chinoise, certains spéculant même, peut-être un peu vite – les réformes de fond en dehors des ajustements tactiques ayant par le passé toujours échoué -, sur une métamorphose à la chinoise du système économique nord-coréen.

Enfin, CLM ajoute qu’explorant plus avant l’idée du soutien chinois à Pyongyang, les centres de recherche rejetèrent cependant l’idée d’un « parapluie nucléaire » chinois étendu à Pyongyang. Mais ce faisant, ils s’aventuraient indirectement sur le terrain du lien entre la dénucléarisation de la Corée du Nord et la fin de la garantie nucléaire de Washington incluse dans les alliances avec Tokyo et Séoul.

On touchait là à un des « noyaux durs » les plus sensibles de la stratégie de la Maison Blanche dans la région, directement lié aux intentions à long terme de Pékin, de parvenir à terme au démantèlement des bases et des alliances américaines dans la région.

Aux États-Unis, dans les cercles stratégiques opposés aux initiatives de la Maison Blanche sur la péninsule coréenne, l’inquiétude a plusieurs fois conduit à des mises au point sans ambiguïté avant même la rencontre de Singapour, comme celle du Pentagone répétée par James Mattis au « dialogue de Shangrilla (lire : Dialogue de sourds à Singapour.), dix jours avant le sommet Trump – Kim : « La présence militaire entretenue par Washington en Corée du sud est le résultat d’un accord avec Séoul et ne saurait en aucun cas être liée aux négociations avec Pyongyang. »

Tokyo, conscience stratégique de la Maison Blanche.

Les plus vives inquiétudes à la perspective d’un ébranlement stratégique majeur, conséquence d’éventuelles concessions américaines en vue de la dénucléarisation, vinrent non pas de Séoul, mais de Tokyo.

La veille du sommet, Yoichi Funabashi, formé à Harvard, Docteur en Sciences Politiques de l’Université Keio qui dirige le centre de recherche « Asia Pacific initiative » publiait un long article dans le New-York Times intitulé « Ce que le Japon pourrait perdre dans les négociations coréennes » qui sonnait comme un contrepoint aux espoirs d’apaisement.

Passant en revue tous les points durs de la situation stratégique dont le Japon est partie prenante à l’abri de l’alliance militaire avec Washington, l’analyse énumérait sans les édulcorer, les inquiétudes japonaises.

Elles vont de la question non résolue des citoyens japonais enlevés et séquestrés par le régime nord coréen, aux difficultés et à la durée de la dénucléarisation (au moins 15 ans dit-il) assortie à l’exigence de vérification – comportant la mise à jour que l’auteur juge improbable de tous les sites nucléaires nord-coréens –, en passant par la hantise des missiles à moyenne portée menaçant directement le Japon et dont Funabashi craint qu’ils ne soient pas la priorité de Washington, uniquement préoccupé des armes intercontinentales.

Haussant l’analyse jusqu’à l’histoire heurtée des relations sino-japonaises, il mettait en garde contre un traité de paix prématuré exigé par Kim Jung-un et ayant la faveur de Pékin. L’accord infirme (il dit « dirty ») qui laisserait le Japon seul en première ligne face au risque nord-coréen, irait dans le sens des stratégies à long terme de Pékin dont le jeu est de « ralentir la dénucléarisation, d’affaiblir l’alliance Tokyo – Séoul et de marginaliser le Japon. »

Pour finir, il évoquait l’interdit de première grandeur, cauchemar de la direction chinoise, puissamment répulsif dans l’opinion japonaise mais qui ne cesse de hanter la conscience des stratèges de l’archipel : l’entrée du Japon - déjà pays du seuil - dans le cercle des proliférants dotés de l’arme nucléaire.

Les impasses stratégiques d’une négociation qui ne peut se résumer à un “deal commercial “, dit l’auteur, « affaibliraient la dissuasion nucléaire et les alliances américaines. Ce qui conduirait Tokyo à élargir l’éventail de sa défense anti-missiles et donnerait peut-être à l’exécutif le prétexte d’engager des discussions publiques sur ce qui fut longtemps un tabou : l’accession du Japon à un arsenal nucléaire autonome de Washington ».

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Le « piège » d’un traité de paix.

Quoi qu’il en soit, s’il est exact que Pékin n’a pas encore réussi à marginaliser le Japon de Shinzo Abe, loin s’en faut, ni à entraîner Washington dans le piège d’un traité de paix inopportun et trop précoce privant les États-Unis de tout levier de pression face aux réticences de Pyongyang, Xi Jinping, et Kim Jong-un ont compris tout l’avantage tactique qu’ils pourraient tirer à ne pas laisser le processus d’apaisement de la situation sur la péninsule enfermé dans le seul face-à-face entre D. Trump et Pyongyang.

Le 24 août, dans le New-York Times Mark Lander et Gardiner Harris citaient Victor Cha, Américain d’origine coréenne, ancien directeur des Affaires asiatiques à la Maison Blanche qui négocia avec Pyongyang sous la présidence Bush.

Pour cet ancien membre du Conseil de sécurité nationale, la décision de Trump d’annuler la mission de Mike Pompeo à Pyongyang est la preuve que Washington avait perçu le risque de se laisser dès à présent séduire par la perspective d’un traité de paix en échange des concessions hypothétiques de Kim Jong-un.

A l’inverse, ajoute Victor Cha - et pour QC, il s’agit là d’une des clés de l’évolution prochaine de la situation dans la région -, le ralliement du maximum d’appuis dont celui de la Russie à la cause de la signature rapide d’un traité de paix fait partie intégrante des objectifs que la Chine garde en tête, même si elle ne les formule pas officiellement de crainte d’être accusée de saboter le processus de dénucléarisation en cours.

Pékin manœuvre pour rehausser l’audience de Kim.

Alors qu’il est prévu que Kim Jong-Un rencontre Vladimir Poutine, la rumeur lancée par le Strait Times de Singapour à la mi-août, reprise par Reuters et le Japan Times - mais que Pékin n’a pas confirmée - court, qu’après une longue période de glaciation des relations ayant brutalement pris fin au printemps 2018 en réaction au dégel entre Kim Jong-un et D.Trump (lire : Péninsule coréenne. Brutal dégel entre Pékin et Pyongyang.), Xi Jinping visiterait Pyongyang pour la première fois depuis son accession au pouvoir en 2012, à l’occasion du 70e anniversaire de la fondation de la République de Corée du Nord, le 9 septembre.

L’initiative qui marquerait un tournant majeur dans la relation Pyongyang – Pékin puisque la visite de Xi Jinping serait la première d’un n°1 chinois depuis celle de Hu Jintao en 2005, attiserait cependant les critiques accusant la Chine de se mettre en travers de la dénucléarisation, le rapprochement réduisant objectivement à néant toute possibilité de pressions concertées sur Pyongyang.

Elle porterait aussi le risque d’un retour aux tensions sur la péninsule et d’une dangereuse aggravation des rivalités entre Pékin et Washington. (*)

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Tels sont les enjeux que la Chine doit tenter de concilier, entre sa crainte d’être marginalisée et le risque, si ses initiatives pour reprendre la main sont trop agressives, d’être accusée d’avoir fait capoter le processus.

Pour Washington, on voit bien que le dilemme vieux de plus de 30 ans consiste à doser au trébuchet ses pressions sur Pékin tout en persuadant le régime chinois que le processus n’aboutira pas à sa marginalisation sur un théâtre où elle avait jusqu’à présent toujours conservé une forte capacité d’influence.

Pour l’heure, constatons que la somme des malentendus et des intentions cachées encore compliquées par la carte sauvage de la violente guerre commerciale en cours entre Washington et Pékin, crée un faisceau d’obstacles enchevêtrés mettant au défi l’habileté des plus fins stratèges.

(*) Mise à jour le 5 septembre : Mesurant ce risque, Xi jinping, s’est abstenu. Le 4 septembre les médias nationaux chinois annonçaient que Li Zhanshu, n°3 du régime, proche de Xi et président de l’ANP le représentera aux cérémonies du 9 septembre à Pyongyang.

La décision ménage la susceptibilité de Pyongyang et maintient l’élan du rapprochement tactique entre Xi Jinping et Kim Jong-un. Elle témoigne aussi du souci du président chinois de ne pas attiser encore plus les accusations d’hypocrisie de la Maison Blanche. Rien ne dit que cette prudence suffira à dissiper l’hostilité qui monte entre Washington et Pékin.

 

 

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