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›› Editorial

Quand les hyperboles nationalistes paralysent l’esprit de conciliation et hypothèquent l’avenir

Nous étions habitués aux déclarations ambigües jetant des voiles pudiques sur les dissensions, faisant l’impasse sur les contrastes culturels, ponctuées de promesses de coopérations. Glosant sur la conduite apaisée des affaires du monde, elles mettaient sous le boisseau les angoisses de profondes rivalités globales.

Ce schéma articulé à la conscience que les deux premières puissances de la planète n’avaient pas d’autre choix que de négocier leurs différends et leur angoisses pour s’en arranger est, pour le moment et en apparence du moins, renvoyé aux calendes grecques.

Il reste qu’en Chine, le sentiment du temps long projetant les échéances du rêve chinois jusqu’en 2049 produit un recul et une intuition d’avenir qui submergent les péripéties du présent et favorisent les accommodements tactiques à des fins ultérieures plus vastes.

S’il est vrai que rien ne sera jamais oublié des actuels embarras causés par la présidence Trump, à Pékin, la réflexion stratégique du long terme reste arrimée à la conviction qu’à la longue, c’est l’impératif du compromis qui triomphera. Au pire, l’exigence d’apaisement sera confortée par la conscience que la dissuasion nucléaire interdit la montée aux extrêmes militaires.

Mais pour l’heure, il faut reconnaître que les émotions ont envahi la totalité du paysage visible.

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A son dernier passage à Pékin, Mike Pompeo que Xi Jinping, choqué par les attaques du vice-président Pence a refusé de recevoir, a essuyé les plâtres de ce nouveau mode de relations sino-américaines, articulé à des ressentiments qui ne sont pas nouveaux, mais dont l’aigreur était jusqu’à présent noyée dans la ouate feutrée des précautions diplomatiques.

Le 8 octobre, à Diaoyutai, résidence des visiteurs étrangers de marque au nord-ouest de la capitale chinoise et ancien domicile de Mao et de ses proches durant la révolution culturelle, le Secrétaire d’État aux affaires étrangères de Donald Trump a, dès les toasts d’accueil, essuyé une charge brutale du ministre des affaires chinois.

Répondant au déferlement d’accusations du vice-président Mike Pence, le 4 octobre, Wang Yi a, devant la presse – chose inhabituelle en Chine -, accusé Washington de ne cesser d’attiser les tensions et de dégrader à dessein la confiance réciproque.

Au-delà de la guerre commerciale dont les coups sont de plus en plus brutaux, touchant désormais plus de 50% des exportations chinoises vers l’Amérique, assortie d’une chute régulière des bourses chinoises (+ de 20% depuis janvier), l’angoisse de Pékin s’alimente de la crainte que l’administration Trump pourrait remettre en cause la reconnaissance par Washington de la « politique d’une seule Chine », fondement même de la relation depuis le rapprochement opéré par Nixon dans les années 70.

La question de Taïwan au cœur des craintes chinoises.

Au cours d’une autre réunion, Wang Yi qui fut ambassadeur à Tokyo (2004 – 2007) mais dont la sensibilité particulière à la question taïwanaise date de l’époque où il était Directeur du bureau des Affaires taïwanaises (2008 – 2013), a exhorté Pompeo à respecter les « Trois communiqués » (1972, 1979, 1982), déclarations d’intention de la Maison Blanche acceptant le principe de l’unité de la Chine qui accompagna l’établissement des relations officielles entre Pékin et Washington (1979). Lire : Dans l’œil du cyclone, veillée d’armes électorale.

Tout comme la sècheresse de l’accueil à Diaoyutai répondait à l’agression tous azimuts de Mike Pence, la fébrilité chinoise à propos de Taïwan exprimée par Wang Yi ripostait aux raidissements de l’Amérique décidée à protéger Tsai Ing-wen des harcèlements diplomatiques dont elle est l’objet depuis son accession à la présidence.

Pékin, dit Wang Yi, attend de la Maison Blanche, qu’elle cesse d’interférer dans la politique chinoise de séductions financières destinée à détacher l’Île de ses appuis diplomatiques et qu’elle « prenne des mesures concrètes » pour freiner les dérives indépendantistes de Tsai Ing-wen, conditions de la stabilité des relations sino-américaines.

Yang Jiechi ancien ministre des Affaires étrangères (2007 – 2013) qui fut ambassadeur à Washington (2000 – 2004), membre du bureau politique, spécialiste des relations sino-américaines dont la carrière est au cœur des controverses avec Washington en mer de Chine du sud, à Taïwan et même en Corée du nord où pourtant les deux affichent une volonté de coopération, a reconnu que l’actuelle tourmente ponctuée par d’échanges très agressifs, était le signe que la relation était à un tournant.

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Réponses acerbes au discours de Mike Pence.

Le 9 octobre, le Quotidien du Peuple, adoptant un ton ulcéré et nationaliste, affirmant que la Chine ne cèderait jamais aux pressions, publiait une synthèse des réactions de la jeunesse chinoise aux attaques de Mike Pence, jugées arrogantes et biaisées.

Prenant systématiquement le contrepied de chaque accusation, l’auteur réfutait l’un des points essentiels du « roman américain » enseigné aux États-Unis à propos des relations bilatérales, selon lequel l’Amérique aurait, depuis le milieu du XIXe siècle, toujours protégé la Chine des outrages ; et qu’après l’établissement des relations bilatérales en 1979, elle l’aurait aidée à s’intégrer au monde moderne.

Les réfutations passent en revue les erreurs ou impasses historiques de Pence depuis la participation américaine aux pillages et aux humiliations infligées à la Chine par les « huit puissances (Ba Guo 八国) » dont la liste est toujours enseignée aux écoliers chinois (Japon, Russie, France, Grande Bretagne, Allemagne, États-Unis, Italie, Autriche-Hongrie), jusqu’aux accusations d’ingérence dans la politique intérieure américaine, reproche que, du point de vue chinois, il est facile de retourner contre Washington en référence aux constantes ingérences américaines à propos de Hong-Kong du Tibet, du Xinjiang ou de Taïwan, ou des actuelles stratégies des « Nouvelles routes de la soie », que Washington ne cesse de contrecarrer.

Au passage, les contredits stigmatisent aussi « l’erreur historique » de la cession de l’administration de l’îlot Senkaku au Japon en 1945, ou la fable selon laquelle Washington avait facilité l’accès à l’OMC alors que, rappelle l’article, les Chinois avaient du endurer de sévères privations pour se conformer aux critères d’admission. (L’idée reprend celle récemment développée par Fu Ying avec bien plus de finesse dans un article du « Global Times » ; lire : Fu Ying analyse les tensions sino-américaines.)

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Enfin, s’il est vrai que la diatribe de Pence manque de nuance, celle attribuée à la jeunesse chinoise, s’articule aussi à une dose évidente de mauvaise foi. Ainsi, les États-Unis sont-ils accusés « d’ingérence » dans la guerre de Corée, alors que leurs armées qui avaient presque totalement déserté la péninsule intervenaient au nom des Nations Unies en réaction à une agression directe sans déclaration de guerre du Nord contre le Sud, soutenue par Pékin qui, dit l’article, « fut obligé d’intervenir pour protéger la mère patrie ».

De même, les jeunes chinois s’alignent sans nuance sur le discours officiel, en soutenant contre le droit international que les îlots bétonnés et militarisés de la mer de Chine du sud génèrent des eaux territoriales, parties d’un espace maritime grand comme la Méditerranée dont ils ne doutent pas qu’il est « entièrement chinois. »

Retour à la grande image du long terme.

Après ces réfutations pied à pied des controverses de l’instant dont certaines sont exactes tandis que d’autres sont mal argumentées ou de mauvaise foi, resurgissent les arrière-pensées du long terme. Capables de concessions tactiques immédiates pour un bénéfice stratégique ultérieur, elles se projettent à l’horizon 2049, centième anniversaire de l’investiture du Parti à la tête de la Chine.

Reprise le même jour par le Global Times, l’idée s’impose d’un apaisement ultérieur inéluctable, fond de tableau de la pensée complexe chinoise. Au passage, les auteurs placent la Chine dans la position moralement vertueuse de l’offensé refrénant ses pulsions de riposte.

« Nous sommes heureux que l’Amérique redeviennent puissante, mais la grandeur ne peut se fonder sur les pressions exercées contre les autres visant à les éclipser. Si au lieu de réagir avec grandeur et dignité la Chine ripostaient aux provocations de Washington, les relations sino-américaines seraient déjà effondrées au détriment du reste du monde ».

A l’espoir d’un apaisement raisonnable formulé par le Quotidien du Peuple, le Global Times ajoute le réalisme. S’il est vrai que la Chine est aujourd’hui loin d’avoir les moyens de subjuguer la puissance de l’Amérique dont les atouts technologiques et la capacité à mobiliser des alliances dépassent largement celles de Pékin, l’histoire a montré qu’elle recèle une plus forte capacité de résilience confortée par sa dissuasion nucléaire.

L’article ajoute que, s’il fallait en arriver à ces extrémités, les élites américaines qui soutiennent aujourd’hui D. Trump s’en détourneraient. Avec les Chinois, elles chercheraient une alternative qui ne peut-être que celle de la quête sincère d’une coopération « gagnant – gagnant », pour construire une « communauté de destins ».

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En attendant, à court et très court terme, la Direction chinoise doit résoudre le défi très concret posé par la Maison Blanche qui, en lui imposant de revoir sa manière biaisée de commercer, menace l’ampleur de ses réserves de change, dont la masse est aujourd’hui de 3000 Mds de $ - en baisse de 2,5% depuis janvier 2018 -. Construites sur ses surplus d’exportation, elles constituent l’assurance du régime contre une brutale crise financière dont les implications socio-politiques seraient catastrophiques.

Pour bien mesurer l’ampleur des malentendus et la difficulté d’une conciliation, on gardera à l’esprit que, pour beaucoup d’élites chinoises, le déséquilibre commercial - une des racines de la croissance -, est un juste retour des choses après les humiliations subies au cours du XIXe siècle. Elles justifient les captations illégales de technologies et les libertés que prend la Chine avec les dogmes du marché dont l’application stricte constitue, de son point de vue comme une menace pour sa stabilité interne et la pérennité du Parti. .

 

 

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