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›› Lectures et opinions

La guerre de tranchées sino-américaine

Hormis les grands défis des bouleversements climatiques et des migrations qui seront la marque du XXIe siècle mettant à l’épreuve les consciences identitaires à l’origine de sourdes angoisses des peuples européens sur fond de menaces de l’Islam politique, la grande affaire internationale de cette fin 2018 est la rivalité qui s’enkyste entre les deux premières puissances de la planète. Débutée comme une banale guerre commerciale elle s’est transformée en une compétition stratégique globale.

Si les missiles balistiques sont toujours dans leurs silos, les hostilités gagnent clairement en intensité par le truchement de la propagande chinoise sortie de ses frontières nationales pour riposter aux attaques américaines. Aux États-Unis, un consensus bipartisan anti chinois semblant revenu aux affres du « péril jaune » se dilate au point, dit David Shambaugh, qu’une trêve paraît improbable.

Dans ce contexte excessivement crispé par ce qui commence à ressembler à une aversion xénophobe, les américains promoteurs d’un retour au dialogue avec la Chine sont désormais inaudibles.

Faisant suite à plusieurs articles de QC consacrée à la question, l’analyse qui suit, de cette « guerre de tranchées », est une nouvelle pierre apportée à l’état catastrophique des relations sino-américaines, où la suspicion hostile a remplacé l’élan de coopération articulé à la « realpolitik » initié par Kissinger en 1972. Lire à ce sujet : Le dangereux face-à-face entre Pékin et Washington.

Regain offensif de la propagande chinoise.

Le 24 octobre dernier dans « The Diplomat », Sarah Cook, analyste pour Freedom House dont elle dirige le « China Media Bulletin » - ONG financée par le gouvernement américain considérée à Pékin comme un « intrus subversif » -, passait en revue les trois volets des campagnes médiatiques du Parti communiste chinois : 1) la résurgence des thèmes maoïstes ; 2) la mise sous le boisseau des effets économiques adverses de la guerre des taxes ; 3) et la diffusion jusqu’à l’opinion publique américaine de la propagande officielle chinoise.

A la fin septembre et à la mi-octobre, la télévision officielle CCTV diffusa aux heures de grande écoute des programmes qui, par les sujets, leurs références et le vocabulaire employé, renvoyaient à l’idéologie maoïste du repliement nationaliste en vigueur durant le Grand Bond en avant et à l’aversion communiste à l’égard des religions.

Le 30 septembre, les informations du soir étaient consacrées à la visite dans le Nord-Est du Président qui, dans ses conversations avec les fermiers, mit l’accent sur l’autosuffisance économique du pays à l’instar des discours de Mao des années 50 et 60.

Le 16 octobre une émission dédiée au Xinjiang, contre offensive aux accusations des ONG internationales stigmatisant l’internement massif des Ouïghour, développa le thème cher au régime de la fonction salvatrice du Parti face à l’extrémisme religieux, à quoi les journalistes ajoutèrent que les internés bénéficiaient aussi de cours de perfectionnement de mandarin.

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Le deuxième axe d’effort de la propagande est l’occultation des informations économiques négatives, conséquences de la guerre des taxes avec Washington. Outre que la censure surveille comme l’huile sur le feu le vocabulaire boursier employé par les journalistes leur enjoignant d’éviter des termes comme « effondrement  », « krach », « chute » etc., le 11 septembre, le site financier Netease a été forcé d’annuler ses mises à jour financières quotidiennes après quoi il a du sacrifier à l’autocritique et annoncer qu’il allait « rectifier son contenu  ».

15 jours plus tard, la cyberautorité nationale imposa un mois de suspension au portail internet financier Phoenix News Media pour avoir enfreint les règles de la censure économique, dont la plus grande partie était déjà en vigueur depuis la crise boursière de 2015. Globalement, la ligne rouge de la censure tient à distance les commentaires ou informations pouvant donner le sentiment d’un affaiblissement de la Chine ou d’une crise.

Le troisième volet de la propagande emprunte une voie déjà connue de la machine politique chinoise coutumière des « suppléments » publiés à grands frais dans le Wall Street Journal ou le Washington Post.

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Incursion politique dans l’Amérique profonde.

Cette fois pourtant l’offensive de la propagande chinoise est non seulement descendue au niveau local d’un État américain, mais, ripostant aux campagnes critiques des ONG comme Freedom House, elle a aussi développé des thèmes s’immisçant clairement dans le débat politique aujourd’hui très fracturé de la démocratie américaine.

A la fin septembre, le journal « Des Moines Register  » quotidien local destiné aux lecteurs de la capitale de l’Iowa a publié 4 pages de « China Watch » payées par le China Daily, expression directe du régime politique chinois.

Au lieu des habituels thèmes faisant la promotion des «  Nouvelles routes de la soie » ou louant le climat des affaires en Chine favorable aux investissements étrangers, cette fois la publicité a focalisé sur les effets pervers de la guerre des taxes dans le secteur américain du soja.

L’encart faisait suite aux interviews sur le même sujet de l’ambassadeur de Chine retransmis par National Public radio et Fox News les 3 et 12 octobre derniers.

Les premières salves de cette campagne agricole avaient été tirées en juillet par CGTN - le surgeon international de CCTV - qui diffusa une vidéo de 2 minutes dont la conclusion était une question à caractère clairement électoral visant le scrutin de mi-mandat de novembre.

D’autant plus insolite qu’il était formulé par un régime où les élections n’ont pas cours, l’appel aux électeurs américains digne d’une estrade de campagne, se demandait s’ils allaient continuer à soutenir Trump et les Républicains, même après que leur politique les aient « touchés au portefeuille ».

Les chiffres du département de la justice qui, au titre de la loi sur les investissements étrangers « Foreign Agents Registration Act – FARA - », a enregistré les sommes déboursée par le China Daily, révèlent que, depuis 2017 le journal chinois a mis sur la table 15,7 millions de $ - soit 60% du total des sommes engagées par des annonceurs étrangers en 20 mois - pour, dit Sarah Cook, « influencer l’opinion publique américaine ».

Seulement voilà. Au lieu de l’impact politique attendu, l’intrusion directe sans précautions de la machine politique chinoise dans le processus démocratique américain a provoqué un sérieux retour de flamme dont le plus important analysé par David Shambaugh dans le South China Morning Post du 2 novembre est la naissance d’un front commun anti chinois bipartisan, semblant transcender les clivages politiques traditionnels.

Le retour de flammes d’un front anti chinois.

Ancien directeur du China Quaterly, bible de la sinologie moderne, aujourd’hui à la tête des études politiques chinoises à l’Université Georges Washington, Shambaugh analyse que, quels que soient les résultat des élections de mi-mandat, il est peu probable que le front anti chinois qui, aux États-Unis, traverse tous les partis, se désagrège dans un avenir proche.

Plus encore, l’acrimonie qui s’est récemment durcie, traverse aussi et sans référence politique, plusieurs secteurs professionnels, allant des militaires traditionnellement méfiants de la montée en puissance de la Chine, désormais présente sur des théâtres où on la voyait peu, aux ONG sérieusement bridées par les dernières lois limitant leur action, en passant par les chercheurs contraints par la censure ou les milieux d’affaires confrontés au durcissement des procédures de visas.

Synthèses de ces hostilités, les rapports de 2017 préparés par la nébuleuse de sécurité ont désigné la Chine « comme un rival stratégique » des États-Unis, initiant un raidissement anti chinois tous azimuts de l’administration Trump, mais, dit Shambaugh, qu’une majorité démocrate au Congrès plus sensible aux questions des droits de l’homme ne sera pas portée à tempérer, au contraire.

Un des meilleurs signes du « consensus anti-chinois » est l’appui des deux partis au décret sur la défense nationale relatif au budget 2019 bloquant tous les achats publics d’équipements à des groupes chinois comme comme Huawei, ZTE (télécom), Dahua Technology et Hikvision (vidéo-surveillance) ou Hytera.

A quoi s’ajoute une phobie générale contre les investissements chinois dans le « high-tech » où règne la crainte du viol du droit de propriété et l’obsession d’espionnage, aggravée par l’angoisse diffuse du rival stratégique chinoise conséquence de l’ampleur affichée des « nouvelles routes de la soie  », défi global à la prévalence américaine, tandis que, sur les campus où se développe la méfiance contre la propagande culturelle chinoise des instituts Confucius très actifs dans la communauté sino-américaine, on commence à assister à des harcèlements de citoyens chinois.

Constatant qu’aujourd’hui aux États-Unis, la voix des partisans d’un accommodement avec Pékin ne porte plus, Shambaugh, très pessimiste, conclut son analyse en revenant sur les vieux malentendus non réglés de la relation sino-américaine.

Alors que les deux partis se retrouvent autour d’une appréciation partagée de la menace chinoise, l’auteur estime que la phobie anti-chinoise « n’a aucune chance de s’estomper tant que le régime de Xi Jinping continuera ses répressions politiques internes et qu’à l’extérieur il n’abandonnera pas ses pratiques mercantiles. »

Et il ajoute que l’histoire des 50 dernières années démontre clairement qu’aux États-Unis un consensus prochinois ne peut surgir que si, à l’intérieur le régime chinois adopte des politiques libérales et si à l’extérieur il coopère aux stratégies de Washington.

Comme Xi Jinping craint que la proximité idéologique avec les mouvances libérales constitue un cheval de Troie menaçant la survie du Parti, tandis qu’à l’extérieur, il développe une influence articulée aux « caractéristiques chinoises » opposées au droit et à la démocratie, il faut s’attendre à la perpétuation des heurts dans la relation sino-américaine.

 

 

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