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›› Chine - monde

Au G.20, Washington concède à Pékin un armistice de 90 jours

Arrivé à Buenos-Aires dans un esprit combatif, le visage renfrogné contrastant avec l’air jovial des premières rencontres avec Xi Jinping en Floride, le président américain avait mis en garde que ce qui opposait les États-Unis à la Chine était une « pretty nasty dispute - une querelle assez méchante » -.

La réduire, dit-il, à des différends commerciaux était un gentil euphémisme – « a nice soft word ». Dans une réunion dans l’Indiana, il avait même ajouté « nous gagnerons comme nous gagnons toujours ». Voire.

S’il est vrai que la guerre commerciale a économiquement affaibli la Chine au point qu’elle est prête à des concessions pour retrouver une relation normale avec l’Amérique, il serait dangereux pour Washington de pousser son avantage trop loin, sans envisager des compromis en retour.

En heurtant l’extrême la sensibilité nationaliste du pays, D. Trump allumerait des mèches dont personne ne peut prévoir où et quand elles exploseront.

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La brutalité des propos du président américain attisée par l’arrière-plan électoral tranchait avec le discours accommodant et politiquement calibré, articulé à la morale à viseur unique des bénéfices planétaires du libre marché, invariablement répété par le Parti communiste chinois et son n°1.

Le 3 décembre, tout en notant que les discordes ne sauraient être aplanies en 90 jours, un article du Global Times parlait d’intérêts partagés, de compromis et même d’une « certaine confiance réciproque ».

Un sursis avant de nouvelles attaques ?

La réalité est moins rose. Depuis Pékin, Paul Haenle, fonctionnaire vétéran du gouvernement américain, ancien conseiller politique des administrations Bush et Obama, aujourd’hui Directeur du centre de recherche Qinghua-Carnegie, replace la situation dans son contexte réel : « Il ne s’agit pas d’une “percée“ – breakthrough - , mais plutôt d’une tentative pour éviter un effondrement – breakdown - ».

Pour Scott Kennedy expert de la Chine au Centre des Études Internationales et Stratégiques – CSIS – référence de la pensée stratégique américaine, « la Chine n’a obtenu qu’un délai de grâce temporaire, au lieu du retour à la normale qu’elle souhaitait. La seule chose ayant vraiment changé est le rythme de la dégradation des rapports sino-américains ».

Certes, après plus d’une année de pressions négatives provoquées par les tensions, les marchés américains et européens, avides de soulagement, ont réagi positivement ((S&P +0,95% ; Dow Jones +1,13% ; Nasdaq +1,35%) , à l’annonce que Trump avait accepté de ne pas porter à 25% dès le 1er janvier comme il l’avait envisagé, les taxes infligées à un éventail d’exportations chinoises évaluées à 200 Mds de $.

L’armistice retarde l’échéance d’éventuelles nouvelles taxes à mars 2019, quand, à Pékin, se réunira l’Assemblée Nationale Populaire, grand-messe politique annuelle à l’occasion de laquelle le Parti soigne sa légitimité en exposant ses réussites domestiques et internationales et où – mèche allumée de prochaines tensions à venir avec la Maison Blanche et facteur de risques politiques internes - il est impensable qu’il donne le sentiment de capituler face aux pressions de Washington.

Bien sûr D. Trump adepte du cynisme sentimental, a twitté « le grand honneur » qu’il ressentait à travailler avec « son bon ami Xi Jinping », qui répondit sur le même ton, contredisant les mines maussades et crispées de la réunion de travail du week-end dernier.

En attendant, les pressions ne cessent pas.

Il reste que la trêve n’est qu’un répit temporaire et sa mise en œuvre toute théorique. Le 3 décembre dernier Steve Mnuchin, le secrétaire d’État au trésor et son entourage expliquaient que le moratoire sur la hausse des taxes était certes un chemin vers un apaisement durable.

Mais il ajoutait aussitôt que pour qu’il devienne définitif et débouche sur un accord commercial en bonne et due forme, il faudrait que Pékin fasse des proposions concrètes dans les trois mois pour réduire le déficit commercial et protéger les entreprises américaines contre les captations illégales de technologies.

Larry Kudlow, 71 ans, expert financier, premier conseiller économique à la Maison Blanche ancien de l’équipe Reagan, espère même que Pékin annulera ses taxes sur le soja décidées en riposte à Trump frappant les fermiers du Middle-West.

A peine la réunion achevée, Trump - prenant à contrepied les Chinois fervents de la diplomatie secrète -, faisait pression en annonçant par message public, que la Chine allait approuver le rachat du Hollandais NXP, héritier de Philips, leader mondial de l’électronique automobile par Qualcomm, le géant américain des microprocesseurs.

Décidée en 2016, mais bloquée par Pékin propriétaire des parts de la division des produits standards de NXP à hauteur de 2,7 Mds de $, la manœuvre américaine de rachat de NXP s’inscrit dans la stratégie globale des États-Unis pour empêcher la Chine d’accéder à la technologie de pointe des microprocesseurs. Lire : L’impitoyable guerre des microprocesseurs. (Suite)

Peu après, un nouveau « Tweet » annonçait la suppression ou la réduction des droits de douane (aujourd’hui à 40%) sur les automobiles américaines exportées en Chine. Non confirmée par les Chinois, eux-mêmes soucieux de protéger le secteur chez eux, la déclaration semblait moins le résultat d’un accord qu’un coup de poker destiné à leur forcer la main.

De même - tentative de pression ou manœuvre brouillonne - alors que les deux n’ont pas publié de communiqué commun, la Maison Blanche évoqua unilatéralement une augmentation imminente des achats chinois de produits agricoles américains, mais, dit le porte-parole sans rire, « pas encore confirmée par la partie chinoise. ». De fait, les annonces chinoises sur ce sujet sont restées vagues. On est loin de la confiance évoquée par Global Times.

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Patience chinoise et parti-pris d’optimisme.

Au milieu de ce chassé-croisé où chacun jouait une partition différente, la partie chinoise cherchant constamment à présenter la séquence de manière positive – le 4 décembre, tout en reconnaissant qu’il y avait loin de la coupe aux lèvres, le Shanghai Daily titrait à contretemps :« Avec de la bonne foi Pékin et Washington peuvent résoudre tous les différends » - tandis que la Maison Blanche soufflait le chaud et le froid, alternant les déclarations d’espoir, les surenchères unilatérales et les menaces voilées, le Parti fit un geste attendu souligné par un « tweet » de Trump.

Wang Yi, le MAE confirma que le Fentanyl était déclaré illégal en Chine. Puissant opioïde addictif appartenant à la famille de l’héroïne, originaire d’Asie, en vente en libre en Chine, le produit est responsable de nombreux décès par surdose aux États-Unis où il est consommé comme drogue ou comme antidouleurs.

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Au total, les analyses des experts internationaux expriment un soulagement teinté de perplexité. La plupart soulignent qu’en 90 jours, répugnant à donner en interne l’impression publique de reculer face aux États-Unis, le Parti n’aura ni le temps ni les moyens d’imposer les corrections souhaitées par Washington. D’autant qu’à Pékin les chercheurs font remarquer qu’en contrepartie des concessions réclamées par Trump, Washington n’a rien promis.

C’est exactement ce que constate Sun Zhe co-directeur du programme « Initiative Chine » de l’université Columbia qui s’efforce cependant de rester positif : « Placés sous de fortes pressions, les Chinois ont beaucoup cédé, probablement dans l’espoir que, dans les mois qui viennent, Washington reconnaîtra leurs efforts pour préserver coûte que coûte la relation ».

Aux limites du stoïcisme.

Mais il ajoute que « la plupart des Chinois se demandent quelles concessions les États-Unis pourraient faire à l’avenir, étant donné que jusqu’à présent leur seule promesse aura été de ne pas relever le niveau des taxes infligées à la Chine ».

On est là au cœur de probables controverses nationalistes à venir dont la virulence limitera sérieusement la marge de manœuvre de ceux qui, dans le Parti, seront tentés de faire des concessions à l’Amérique. L’article du Global Times du 3 décembre, exprimant le point de vue de la direction politique du régime est une mise en garde directe sur ce thème.

L’analyse commence par le passage obligé que le Parti s’impose toujours à lui-même pour juger toute situation, même pénible, de manière positive.

Réveillant le vieil argument des progressistes selon lequel les pressions externes forcent les conservateurs du Parti et les lobbies industriels à accepter les réformes structurelles de la machine économique ; s’appliquant même à relativiser les agressions de Trump qui, dit l’auteur, cherche par ses intransigeances anti-chinoises à séduire son électorat, le texte, souligne d’abord la bonne volonté américaine n’ayant durant les rencontres du G.20, jamais mentionné le programme China 2025, bête noire de ceux qui, aux États-Unis, dénoncent les captations illégales des hautes technologies.

Un peu plus loin, l’auteur en arrive même à considérer que les 6 mois de guerre commerciale furent, en dépit des fortes tensions, l’occasion de mieux se connaître et de jauger à la fois leurs intérêts vitaux et les lignes rouges à ne pas dépasser.

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Puis vient la mise en garde renvoyant à la nécessité pour le Parti de ménager l’orgueil chinois face à la première puissance occidentale. « S’il est vrai que l’armistice montre que les deux parties ont pris conscience que mieux valait mettre fin à la guerre commerciale, tandis qu’il serait possible qu’au cours de ces 90 jours naisse une confiance pouvant conduire à des compromis, la réalité est qu’il est hautement improbable que durant ces trois mois Washington et Pékin parviennent à résorber leurs vastes différends. »

« Certes l’Amérique est forte, mais elle ne doit pas se tromper, l’écart de puissance n’est pas si large. La Chine qui n’est ni la Corée du sud, ni le Japon ni l’Australie, protègera ses intérêts vitaux. Mieux vaudrait qu’en poursuivant les siens Washington agisse avec prudence. »

« Les relations entre les deux sont étroitement imbriquées, au point qu’une rupture totale est impossible. C’est la raison pour laquelle, dans la recherche d’un accord commercial, chacun doit faire des concessions et accepter des compromis. S’il est vrai que la Chine recherche une relation sino-américain saine et équilibrée, elle rejettera les exigences excessives et dangereuses pour elle. »

Sans faiblir, Xi Jinping contourne l’Amérique.

En attendant, Xi Jinping poursuit au pas de course sa stratégie enveloppante de contournement de l’Amérique.

Le 2 décembre, à l’issue du G.20, il signait avec l’Argentine, en situation financière critique et placée sous l’assistance d’un prêt de 56 Mds de $ du FMI, une trentaine d’accords portant sur l’agriculture et les infrastructures ainsi qu’un accord d’échange de devises pour une valeur de 9 Mds de $ permettant de régler les échanges à l’écart du dollar.

Le lendemain 3 décembre, il était dans l’arrière-cour proche de Washington au Panama, qui en juin 2017 avait tourné le dos à Taïwan pour se ranger sous la bannière financière de Pékin. Lire : Coups de boutoir méthodiques de Pékin contre l’Île. Le Panama quitte le navire taïwanais.

Là aussi, alors que les deux négocient un accord de libre-échange, furent signés une avalanche d’accords pour la construction d’infrastructures, les finances et le tourisme. L’élan chinois se précise alors même que Washington, menace les pays d’Amérique Centrale de couper l’aide américaine s’ils ne contrôlent pas mieux leurs flux d’immigration vers les États-Unis.

Le 4 décembre, Xi Jinping arrivait au Portugal pour une visite de 2 jours avec des propositions de prêts pour faire construire des infrastructures par les groupes chinois et tenter d’intégrer le port de Sines à l’extrême sud du pays, à l’entrée occidentale de la Méditerranée, dans la nébuleuse globale des Nouvelles routes de la soie. Si la manœuvre chinoise réussissait, le Portugal serait le premier pays de l’UE à intégrer concrètement les nouvelles routes de la soie.

Cette première avancée de Pékin au sud-ouest de l’Europe se développe alors qu’à l’initiative de Paris et Berlin, les pays de l’UE ont conclu un accord pour mieux contrôler les investissements étrangers, notamment ceux venant de Chine.

La décision n’est pas anodine si on se souvient que State Grid, le géant chinois de la distribution électrique, associé à la Compagnie des Trois Gorges et au fond souverain chinois, détient 28% des parts de la compagnie portugaise de distribution d’électricité et de gaz : Redes Energeticas Nacionais. Lire : L’énergie globale, selon China State Grid.

Enfin alors que les investissements chinois au Portugal atteignent les 12 Mds de $, Pékin s’est aussi introduit dans la plus grande banque privée du pays BCP et le n°1 portugais de l’assurance : Fidelidade.

 

 

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