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« La terre à la dérive » : Une superproduction chinoise

Le jour de la fête du nouvel an, les Chinois eurent droit à deux événements inédits liés à l’espace. Le premier était le film du module lunaire Yutu 玉兔 – lapin de jade – progressant avec ses chenilles sur la face cachée de la lune ; le deuxième était une surproduction à grand spectacle « 流浪地球 – liu lang di qiu – la terre à la dérive - ».

Avec son titre anglais « The wandering earth - la terre en migration - », la fiction est un film catastrophe sur-dopé qui raconte le sauvetage aux ordres de l’ONU de la planète terre menacée par la transformation du soleil en géante rouge où une équipe d’astronautes chinois joue le rôle central.

Adapté d’un roman de Liu Cixin, le plus connu des auteurs de science-fiction chinois, 9 fois lauréat du « Prix Galaxy – 银河- yin he » dédié en Chine à la science-fiction, récompensé aux États-Unis par le prix Nebula en 2010 et 2011 et surtout, premier lauréat asiatique du prix Hugo [1], le film, mis en scène par Frant Guo 郭帆, semble viser principalement un public jeune tant les effets spéciaux et les rodéos d’immenses camions hauts comme des immeubles de trois étages à la cabine vaste comme une passerelle de navire, semblent sortis de jeux vidéos.

Sous réserve que soit démentie la rumeur selon laquelle la bureaucratie aurait organisé des séances gratuites obligatoires, le pari est réussi puisque, 2 semaines après sa sortie, le film au budget opaque variant selon les sources entre 6 et 60 millions de $, a déjà été vu par plusieurs dizaines de millions de spectateurs. Mais les adeptes de films intimistes, des intrigues policières bien ficelées, des sagas historiques ou des séries aux caractères soigneusement étudiés s’y ennuieront beaucoup.

Colonisation de l’espace et fragilité du genre humain.

S’il est vrai que l’argument du roman et du film s’exonère de la vérité scientifique et qu’il faut aux adultes un sérieux effort d’imagination pour entrer dans l’histoire, la succession de cataclysmes – tremblements de terre, inondation, effondrements, montée des eaux engloutissant les villes côtières comme Shanghai – diffuse l’inquiétant sentiment de la grande fragilité de la planète bleue, renvoyant à la réalité des catastrophes écologiques qui se préparent.

L’histoire imagine que pour sauver le genre humain menacé, la terre elle-même est transformée en véhicule arraché de l’orbite solaire par douze moteurs surpuissants qui, après avoir stoppé la rotation de la terre, la dirigent vers Proxima du Centaure, l’étoile la plus proche du système solaire. Une succession de péripéties et de déboires viennent perturber le voyage.

Le manque d’oxygène et la chaleur dégagée par les monstrueux moteurs obligent l’équipe à porter des scaphandres. Autre avatar, à un moment de l’aventure, les réacteurs géants tombent en panne, précipitant la planète vers Jupiter. Finalement, la terre est sauvée in-extremis par un des astronautes, héros du film, sacrifié dans de vastes explosions déclenchées sur Jupiter dont le souffle repousse la planète hors de son attraction mortelle.

On le voit, l’imagination passe de très loin les limites du vraisemblable. Mais c’est la loi du genre enveloppée dans une mise en scène, des musiques et des effets spéciaux fortement marqués par l’influence des grandes superproductions américaines où les catastrophes n’ont pas de limites et où flotte, en arrière-plan, le nationalisme moral de bon aloi et l’amour pour la patrie.

Quelques messages subliminaux.

Au-delà des interrogations sur l’aventure hors du système solaire et la colonisation de l’espace, à côté des questions écologiques affleurant depuis au moins dix ans, et de plus en plus, à la surface discours politique chinois sur les réelles menaces pesant sur la planète [2], la mission de sauvetage exclusivement chinoise aux ordres de l’ONU envoie un signal sur l’universalisme de la pensée politique chinoise.

Récemment remis à l’honneur avec la réapparition du concept de « Tianxia – 天下 - tout sous le ciel », épine dorsale idéologique des « nouvelles routes de la soie » plaçant la Chine au centre et capable de servir de modèle de développement et de gouvernance mondiale, le concept renoue par delà les siècles avec l’idée de la centralité de l’Empire venant bousculer la prévalence occidentale.

Clin d’œil également à la situation géopolitique, le film montre une gigantesque station spatiale internationale où on croise de nombreux astronautes chinois, alors que Pékin est exclue par les Américains de celle existant réellement. Ce qui a poussé la Chine à développer la sienne. Lire : 天宫 2. La revanche céleste de la Chine.

Clin d’œil encore aux déboires de la relation sino-américaine. Alors que l’équipe d’astronautes chinois occupe toute l’image, c’est un spationaute russe lui aussi sacrifié dans l’odyssée qui évoque l’idée d’une coopération internationale, tandis que les Américains sont totalement absents du film.

Enfin, signe on ne peut plus amical aux 法国人, les ordres de l’ONU sont données par un voix off sans accent, en Français, sous-titré en chinois et en anglais, comme tout le film, ce qui indique l’ambition de diffusion mondiale.

Note(s) :

[2Même s’il y a encore loin de la coupe aux lèvres, notamment en matière de dépollution des sols et des rivières, après les controverses publiques sur la qualité de l’air à Pékin, le Parti a pris les mesures radicales d’éloigner les usines polluantes et de mieux contrôler l’utilisation du charbon domestique. Dans la capitale, les résultats sont spectaculaires.Lire https://www.questionchine.net/la-longue-marche-chinoise-vers-la-conscience-ecologique

 

 

La comédienne et réalisatrice Jia Ling, « star » des réseaux sociaux

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