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L’ANP 2019. Un empilement de défis économiques et politiques

Alors qu’au milieu du scepticisme de nombre d’observateurs, la guerre commerciale sino-américaine paraît marquer une pause (Voir la 1re note de contexte), tandis que le président Xi Jinping a, après avoir proposé un sommet sur l’île de Hainan, refusé par la Maison Blanche, accepté une nouvelle rencontre avec D. Trump dans sa propriété de Mar-a-Lago, les nouvelles de l’économie chinoise ne sont pas bonnes.

Selon Bloomberg, le 7e mois consécutif de freinage s’accompagne du recul de la production industrielle et de la baisse de 25% de la bourse de Shanghai devenue la place financière la moins performante au monde. Le New-York Times écrit en substance que quel que soit l’angle de vue et en dépit des articles des médias officiels sommés par le pouvoir d’atténuer la réalité, l’économie chinoise ralentit sérieusement.

Les moteurs de la croissance faiblissent.

Les signes et les causes sont multiples, avec en tête les ratés des trois principaux moteurs de la croissance :

1) La consommation intérieure dont le plus flagrant symptôme est le recul de la croissance du marché de l’automobile à seulement +3% en 2018 au lieu de +13,7% en 2016. (Dans ce tableau affectant sérieusement la JV PSA - DONGFENG, les véhicules hybrides et électriques tirent leur épingle du jeu avec une croissance de +37,6 % en fin d’année 2018.

Avec cependant la restriction que les véhicules hybrides ne comptent actuellement que pour 0,6% du parc en circulation, un chiffre que le gouvernement ambitionne de porter à 20% en 2020. Voir en Chinois : 中国新能源汽车保有量达199万辆!这些新车值得你关注

2) Les investissements domestiques actuellement en baisse de 30% par rapport au pic de 2018, souffrent de la faiblesse du marché financier en crise. La baisse accompagne la chute de 10% de la devise chinoise depuis 2013. Après un rebond en 2017, le Yuan a perdu 5,6% en 2018. Les plus pessimistes estiment qu’il franchira la barre symbolique de 7 RMB pour 1 $ en 2019.

3) Les exportations toujours excédentaires avec un surplus de 233 Mds de $ avec les États-Unis (chiffres chinois), ont en décembre 2018 connu leur plus mauvaise performance en 2 ans. La baisse de 4% par rapport à décembre 2017 est due à la faiblesse de la demande globale freinée par la crise. Compte tenu de la conjoncture, il est peu probable qu’en 2019 les chiffres s’améliorent.

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A ces causes et signes majeurs, s’ajoutent la guerre des taxes avec Washington ; le gel du marché immobilier dont le magazine Caixin dit dans un article de novembre 2018 qu’il connaîtra une récession en 2019, en dépit des mesures d’assainissement des prêts toxiques et de la finance grise.

Autres alertes : la faillite de plusieurs institutions financières non bancaires, le déclin du secteur privé, la persistance des dettes du gouvernement central et des provinces représentant 266% du PIB (contre 162% en 2008) évaluées à 34 000 Mds de $ dont plus de 50% pèsent sur les groupes publics.

Les dettes sont attisées par la hausse de 14% des emprunts en 2017 et par une relance spectaculaire des prêts bancaires en janvier 2019 ayant atteint 480 Mds de $, accompagnant une augmentation des facilités financières à caractère social pour la somme astronomique de 600 Mds de $ (mesures de soutien et obligations bancaires à taux préférentiels)

La relance chinoise souhaitée par les marchés et la détente du conflit commercial ont induit un fragile sentiment d’optimisme des marchés rapidement transformé en inquiétude attisée par les désordres de la bourse dont les hausses rapides ont rappelé la crise de 2015 où le crash avait été précédé de la montée rapide des valeurs (Caixin).

La crainte est confirmée en février 2019 par la contraction pour le troisième mois consécutif de la production industrielle mesurée par un indice des directeurs d’achat (PMI) restant sous la barre de l’indice 50 indiquant un freinage de l’activité industrielle avec peu d’espoir que la tendance s’inverse en 2019.

L’accumulation de ces nouvelles pessimistes coïncide avec un moment important du calendrier institutionnel chinois marqué par la réunion annuelle des assemblées, dont l’ouverture est prévue le 5 mars.

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L’ANP du 5 mars sous la pression de grands défis.

Cette année, l’événement au cours duquel le Parti se livre en général à un exercice rituel d’autopromotion visant à conforter sa légitimité, assorti de l’analyse des défis qu’il doit affronter, verra la conjonction des plus sévères risques politiques depuis 2013.

A la veille du très sensible 30e anniversaire de la répression de Tian An Men, le 4 juin 1989, avant que le 1er octobre lui donne l’occasion d’un nouvel exercice de nationalisme auto-laudatif à l’occasion du 70e anniversaire de l’avènement du Parti au pouvoir, Xi Jinping, qui depuis 2012, s’est ostensiblement placé en première ligne, est confronté à une contestation venant de l’intérieur du sérail lui reprochant de hisser trop haut le pavillon du nationalisme chinois.

Accompagnant la rivalité globale avec Washington, les contrefeux allumés partout dans les pays occidentaux, mais pas seulement, inquiets de l’empreinte grandissante de la Chine, stigmatisent Pékin d’une manière inédite depuis la fin des années 70.

Réagissent à la fois aux abus commerciaux et aux intentions politiques cachées, aux mauvais traitements infligés aux Ouïghour au Xinjiang, aux exorbitantes revendications en mer de Chine du sud et aux menaces militaires contre Taïwan, elles créent un malaise dans l’appareil souligné par le professeur Xu Zhangrun l’été dernier dans son adresse critique au n°1. Lire : Fêlures.

A l’intérieur, l’alourdissement de la censure et des contrôles, le harcèlement des opposants, la lutte brutale contre les corrompus ayant condamné à la prison ferme des dizaines de milliers de bureaucrates et responsables de tous niveaux y compris de hauts responsables de grands groupes, ont créé dans la classe moyenne et l’administration une atmosphère angoissante de suspicion et de défiance.

Les rares témoignages comme celui du professeur Zhang Jian de Beida, cité par Bloomberg laissent entendre que les tensions internes sont bien plus lourdes que celles que les étrangers perçoivent de l’extérieur.

Les entrepreneurs perdent confiance.

Même les entrepreneurs autrefois enfants chéris du Parti, choyés par Jiang Zemin sont saisis d’une angoisse qui les pousse à quitter le pays. Le 23 février le New-York Times publiait l’histoire édifiante de Chen Tianyong, ancien juge et avocat reconverti dans l’immobilier à Shanghai, aujourd’hui installé à Malte. Dans un article de 28 pages publié sur les réseaux sociaux, il explique pourquoi il a quitté la Chine.

La charge intitulée « Pourquoi j’ai quitté la Chine, un adieu et une mise en garde » exprimant les sentiments d’une partie de la classe moyenne est féroce et sans nuance : « l’économie chinoise est comme un navire géant voguant vers un précipice. Sans changements fondamentaux, il fera naufrage et ses passagers perdront la vie (…) Mes amis, si vous pouvez partir prenez vos dispositions le plus vite possible ».

Le New-York Times ignore combien en Chine ont lu la mise en garde avant qu’elle ne disparaisse du net, effacée par la censure, mais Chen Tianyong affirme que beaucoup d’hommes d’affaires critiquent en privé la gestion économique du Parti et ont perdu confiance dans l’avenir du pays, convaincus que les problèmes déjà sérieux ne feront que s’aggraver.

Il est un fait qu’au lieu de poursuivre la libéralisation de l’économie, Xi Jinping a accentué les contrôles dans tous les aspects de la société.

Selon un sondage de Hurun / Shanghai, à peine 30% des Chinois fortunés disent avoir confiance, une chute brutale par rapport au 60% de 2017. En moins d’un an, la proportion de ceux qui ont totalement perdu confiance a grimpé de 7 à 14%, et la moitié des sondés envisagent de quitter le pays.

Fred Hu, fondateur d’une société d’investissements et ancien Directeur de Goldlman Sachs en Chine fustige directement les choix idéologiques du Parti « Nous devons prendre conscience que les succès des 40 dernières années sont le résultat de l’ouverture et des réformes économiques et non pas la conséquence du modèle exemplaire chinois ».

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NOTES de Contexte
I. Chine – États-Unis. Quelques dessous de cartes.

Selon le South China Morning Post (SCMP), le lundi 25 février, après l’annonce de D. Trump que l’ultimatum venant à échéance le 1er mars - et dont chacun savait qu’il ne serait pas tenable -, serait prolongé, le Vice-Premier Ministre Liu He qui conduisait la délégation chinoise aux réunions de conciliation « de la dernière chance » à Washington, était rentré à Pékin.

Derrière lui il a laissé plusieurs membres de son équipe chargés d’effacer les obstacles techniques à un accord commercial que les deux présidents pourraient signer en Floride.

La stratégie de la Maison Blanche alternant la férocité des menaces, les « tweets » ambigus et les déclarations affirmant une proximité affective avec Xi Jinping, continue de plus belle.

Pour les experts et les sources chinoises du SCMP, en dehors des concessions de Pékin d’importer plus de soja, de blé, de maïs et de microprocesseurs, nombre d’ultimatums américains n’ont reçu aucune réponse claire de Pékin.

Ils vont du changement structurel de l’économie chinoise (voir la note de contexte n°2), à la suppression de l’exigence de JV en échange de l’accès au marché, en passant par les transferts forcés de technologies et les procédures de brevets trop favorables aux entreprises chinoises handicapant les entreprises étrangères. Mais peu importe.

Un parti pris d’apaisement.

A ce stade et en attendant peut-être de nouvelles volte-face américaines auxquelles la Chine tente de s’adapter tant bien que mal, la priorité à Pékin qui prépare ses réunions annuelles des assemblées et à Washington où malgré les transes commerciales on n’oublie pas le poids incontournable de la Chine, est de diffuser à Mar-a-Lago l’image, sinon d’une complète réconciliation, au moins celle d’une trêve prolongée profitable aux marchés.

Le 25 février, ignorant la réalité des blocages et les mises en garde des plus radicaux de ses conseillers, D. Trump « tweetait » : « L’accord avec la Chine avance. Les relations entre nos deux pays sont très solides. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de reporter la hausse des taxes. Attendons de voir ce qui arrivera. »

La partie chinoise, bien que poussée dans ses retranchements et hésitant à s’attaquer aux réformes de structures alors que son économie freine sérieusement, est dans le même état d’esprit, privilégiant l’image positive d’un apaisement.

Le 26 février, le China Daily écrivait que les négociations étaient la preuve que la guerre commerciale pouvait être résolue. « Dans ce contexte », ajoutait le quotidien en anglais dont la valeur objective et factuelle n’est pas meilleure que les « tweets » laconiques du président américain, « les deux s’efforcent de développer des relations commerciales robustes contribuant à la croissance mondiale ».

Mais chez les experts économiques et financiers, l’humeur est au doute et à la défiance. Pour Anindra Mitra analyste au gestionnaire de fond d’investissements de Singapour BNY Mellon, cité par le SCMP, s’il est vrai que la situation cessera de s’aggraver, il est peu probable que les relations sino-américaines reviennent au stade où elles étaient en 2012.

« En dépit du soulagement exprimés par les marchés chinois et malgré l’éloignement attendu des risques systémiques globaux, la relation entre Washington et Pékin restera crispée. (…) « Toute concession de la Maison Blanche offusquera les radicaux et suscitera même les critiques des démocrates. » (…). « Les négociations sur les mécanismes destinés à contrôler la mise en œuvre des promesses chinoises, seront quant à elles ponctuées par les mesures de ripostes de Pékin qui, elles-mêmes, déclencheront des rétorsions américaines. »

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NOTES de Contexte (suite)
II. La structure insolite de l’économie chinoise. 喝 毒 解 渴.

Dans un article de project-syndicate du 11 février 2019, Arvind Subramanian, maître conférence à la Harvad’s Kennedy School abordait la question de la structure de l’économie chinoise dont la nécessaire réforme est fréquemment soulevée par les négociateurs américains qui y voient la condition indispensable pour équilibrer les relations économiques bilatérales.

Jusque récemment, la Chine s’est développée sur un mode marqué par le contrôle étroit de l’État sur l’économie et la société. Ce schéma, dit Subramanian, ne peut plus avoir cours.

Dans une situation où les dettes internes s’accumulent, tandis que les politiques de relance créent une dépendance handicapant les réformes structurelles, portant une politique étrangère « impériale » clairement sur-exposée, articulée à des prêts mettant en difficulté les pays débiteurs, objet de puissants contrefeux, la Chine dont la modernisation dépend des transferts ou des captations de technologies, ressent la morsure d’une situation globale moins favorable, parfois hostile à son modèle traditionnel de développement.

La croissance à deux chiffres, encore possible jusqu’en 2011 est devenue problématique.

Un schéma à bout se souffle

La thèse de Subramanian est que la voie suivie aujourd’hui par la Chine est inverse de celle nécessaire à un développement sain et durable qui suppose à la fois des institutions étatiques solides et une ouverture politique, condition de la compétition dynamique et innovante et de la confiance des investisseurs.

Ce que fait Xi Jinping qui ferme le régime tout en abreuvant l’économie de « relances » aggravant la dette, revient à l’incohérence de boire du poison pour étancher sa soif 喝 毒 解 渴 – He Du Jie Ke.

Il existe une relation étroite entre développement et ouverture politique contre laquelle le régime se crispe aujourd’hui au-delà de toute logique. L’insolite, dit l’auteur, est que la situation chinoise contredit cette dialectique. Selon la théorie de la porosité entre développement et ouverture politique, avec un régime aussi fermé, la Chine ne devrait pas être aussi riche.

Entre les années 90 et 2000, l’Occident faisait le pari que la contradiction cesserait à mesure que l’exigence du développement conduirait le régime à plus d’ouverture politique. Aux États-Unis, l’enjeu a conduit à la souplesse des transferts technologiques, capables à la fois d’accélérer la modernisation qui, elle-même, aurait un effet d’ouverture politique.

Raidissement politique.

Depuis 2012, c’est l’inverse qui se produit. La Chine de Xi Jinping se ferme. Au lieu de conduire à la liberté d’entreprise du privé, la route suivie par Pékin est celle d’un capitalisme d’État. Loin de se résorber, les contradictions de l’économie chinoise s’aggravent.

Selon l’auteur, elles conduiront immanquablement à une secousse de réajustement qui se traduira par un sérieux freinage de la croissance. Nul ne peut prédire le moment du choc inévitable. Mais sa probabilité est homothétique de l’ampleur du défi que le système chinois pose à la logique d’une modernisation durable.

La dernière partie de l’analyse est une série de conjectures sur les mesures que le régime pourrait prendre pour atténuer la secousse et sur les effets qu’elles auront sur l’économie globale. La plus évidente serait une dévaluation substantielle de la monnaie pour réduire les ratés de l’export et amortir le freinage de la consommation domestique.

La conséquence pour les autres monnaies aurait l’effet d’un « tsunami ». En Asie, pour rester dans la course de l’export, les monnaies voisines dévalueraient. L’Europe et les États-Unis seraient menacées par une sévère déflation, conséquence du renforcement relatif du Dollar et de l’Euro.

Il existe un exemple historique prémonitoire où en 1930, en réaction à la crise de 29 la Livre Sterling et le Dollar dévaluèrent de 40% en 4 ans, quand le France et le Mark appuyés sur l’or, restèrent stables. Avec les conséquences socio-politiques que nous savons.

Aujourd’hui, un choc monétaire chinois concernerait 30% du commerce global. L’effet serait d’autant plus catastrophique que les échanges commerciaux comptent pour 25% du PIB global alors qu’en 1930, ils n’en représentaient que 8%. En d’autres termes une dépréciation des monnaies asiatiques initiée par la baisse du RMB aurait un impact bien plus terrible que les dépréciations du Dollar et de la Livre en 1930.

D’une manière ou d’une autre, conclut l’auteur, la situation chinoise défiant les lois macro-économiques et de la géopolitique, accélèrera un retour à la logique. Quand cela se produira, mieux vaudra y être préparé.

 

 

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