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›› Politique intérieure

Retour de flammes académique. Mise aux normes universitaire et contradictions marxistes

Il fallait s’y attendre, le professeur Xu Zhangrun, auteur le 24 juillet dernier d’une critique publique rédigée depuis le Japon et adressée au président Xi Jinping, intitulée « A l’heure de nos craintes et de nos espoirs » (lire : Fêlures) fustigeant le nationalisme ayant trahi les principes d’ouverture réformiste en vigueur depuis 1978, vient de subir un premier retour de flamme politique. Tout indique que ce n’est pas fini.

Le 25 mars, la présidence de Qinghua lui a signifié qu’il devait cesser ses cours, que son salaire serait réduit et qu’une équipe de l’université allait enquêter sur la lettre ouverte postée en juillet. Dans un message envoyé à ses amis sur son portable, Xu a partagé ses inquiétudes : « Je ne sais pas quelle sera la suite. Je m’étais depuis longtemps mentalement préparé à cela. Au pire je pourrais finir en prison ».

Le régime qui accepte les critiques sur les dysfonctionnements internes en phase avec le ressentiment social, n’a jamais toléré celles remettant en cause sa trajectoire politique ou la prévalence du Parti unique. Dire qu’il se méfie des intellectuels est un euphémisme.

Alors qu’en apparence le Parti unique inscrit son action à l’intérieur comme à l’extérieur dans la philosophie confucéenne humaniste et conviviale de l’harmonie, en réalité ses rapports avec les intellectuels dissidents restent inspirés par la philosophie des légistes.

En lisant la profession de foi du premier ministre du Qin Li Si, adressée à l’empereur, il y a plus de 2000 ans, on mesure la force de l’esprit de continuité dans la pensée politique chinoise qui, aujourd’hui, occupée à une lutte féroce contre la corruption met aussi sous le boisseau les déviants, les dissidents et les intellectuels sommés de se conformer aux « caractéristiques chinoises ».

« Que chacun fasse son métier ! Que les lettrés s’occupent de littérature ! Mais ils ont la fureur de se mêler de ce qui ne les regarde pas. Ils exaltent le passé, ils méprisent le présent ; infatués de leur courte sagesse, front contre front, nez contre nez, ils conversent mystérieusement, médisent de tout le monde, critiquent tes lois et tes ordonnances. »

Tenir à distance l’influence occidentale.

Depuis 2012, la méfiance envers la pensée politique dissidente est décuplée quand elle est exprimée de l’étranger et qu’elle se réfère, comme c’est le cas du professeur Xu, au modèle politique libéral occidental, considéré comme nuisible à l’épanouissement national et à l’esprit collectif.

Après le 19e Congrès qui en octobre 2017 affirma avec force la prévalence idéologique des « valeurs chinoises » de concentration des pouvoirs, clé de la souveraineté nationale et de la stabilité politique, les intellectuels déviants osant s’exprimer prennent des risques.

D’autant qu’en arrière-plan surnage toujours la crainte existentielle du Parti sérieusement choqué par les transes politiques internes de la secousse de Tian An Men et de la chute de l’URSS qui résonnèrent toutes deux au sein de l’appareil comme le tocsin d’une catastrophe inéluctable.

La raideur politique du régime décidé à ne prendre aucun risque face aux influences occidentales expliquait déjà la sévérité des sanctions qui frappèrent Liu Xiaobo condamné à 11 ans de détention en décembre 2009 et décédé en prison le 13 juillet 2017, pour avoir réclamé le multipartisme, l’indépendance de la justice et – de manière très utopique - l’évolution vers un système fédéral.

Les critiques de Xu ne vont pas aussi loin dans la remise en cause du Parti. Ouvertement il ne conteste pas sa prévalence et ne fait que dénoncer sa stratégie de centralisme extrême à l’origine d’un malaise dans la société qui, dit-il, « s’interroge avec angoisse sur la route suivie par le pays. »

Mais sa mise en examen par ses pairs s’inscrit dans une campagne d’une envergure exceptionnelle pour tenir sous le boisseau les médias et recadrer idéologiquement le système éducatif et les scientifiques, des écoles primaires aux grandes universités en passant par les centres de recherche accusés de se laisser influencer par des « idées hostiles » occidentales.

L’offensive la plus visible et celle à laquelle la nouvelle classe moyenne, la jeunesse et la communauté des expatriés sont très sensibles, frappe Internet dont l’ouverture et la réactivité se sont récemment effondrées.

Lire : Main basse politique sur l’information et Internet pour protéger le Parti.

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La leçon académique du président de Harvard.

Est-ce une coïncidence, au milieu de cette mise au pas normative frappant notamment la recherche académique sommée de « penser juste » et de limiter ses échanges avec l’Occident, eut lieu à Pékin une incidence contrastée dont la dissonance politique avec la fermeture académique du régime ne manquera pas de susciter l’agacement du pouvoir en même temps que des débats politiques internes dans la sphère des intellectuels chinois.

Le 20 mars, quelques jours avant la destitution du professeur Xu Zhangrun, Larry Bacow, Président de l’Université de Harvard prononçait à l’Université de Pékin (北大), juste avant d’être reçu par Xi Jinping, un long discours sur la fraternité académique des chercheurs et l’intérêt pour les meilleures universités de la planète d’échanger des idées et d’accepter d’écouter les opinions contraires.

« Prendre le contrepied de la sagesse conventionnelle et accepter d’accueillir des opinions contraires au risquer de se tromper, demande beaucoup de courage et de détermination » (…) « Les grandes universités développent ces qualités. Ce sont des lieux où les individus sont encouragés à écouter et à parler, où la valeur d’une idée est discutée et débattue - et non supprimée ou réduite au silence. (…) ».

Puis, comme pour désarmer par avance la théorie des « spécificités culturelles », il a ajouté : « Certes, Harvard est une université américaine et Beida est une université chinoise. Nos institutions ont la responsabilité de contribuer de manière positive à nos propres sociétés et à l’intérêt national, ainsi qu’au monde en général. Mais en tant qu’universités, nous remplissons cette tâche précisément en incarnant et en défendant des valeurs académiques qui transcendent les frontières de tout pays. »

Et encore : « Si voulons êtres les apôtres de la vérité, nous devons apprécier la diversité dans toutes ses dimensions possibles, inviter dans nos communautés les personnes qui défient notre pensée et les écouter. Surtout, nous devons accepter la tâche difficile d’être rapide à comprendre et lent à juger. »

Voir le texte complet du discours du Président Bacow

Enfin, dans sa conclusion, allusion directe à la situation au Xinjiang où l’action publique chinoise est l’objet de fortes critiques occidentales, Bacow a versé une sérieuse dose d’irritant sur la plaie déjà à vif de la relation entre la Chine et l’Occident.

Ses dernières paroles avant les politesses d’usage de fin de séminaire, citèrent en effet le célèbre poète Ouïghour Abdurehim, décédé en 1995 à Urumqi auteur de « La Trace » et de « Les terres qui s’éveillent » (1988 et 1994) célébrant l’héroïsme des révoltés Ouïghour contre l’oppression chinoise. Lire : Le roman historique, véhicule du nationalisme ouïgour

« Au cours de ma vie, j’ai toujours cherché la vérité ; dans la recherche de la vérité, c’est ma pensée qui, sans cesse, fut mon guide. Sans fin, mon cœur aspirait à s’exprimer, cherchant à trouver des mots à la fois de sens et de grâce. Venez, mes amis, que notre dialogue commence dans la joie. »

Nul doute que si ce discours parvenait jusqu’à lui au fond de sa prison – ce qui reste du domaine de l’improbable -, il mettrait du baume au cœur du professeur Ilham Tohti, condamné le 23 septembre 2014 à la prison à vie pour avoir uniquement commis comme le professeur Xu, la faute de critiquer non pas la prévalence politique du parti unique, mais seulement ses méthodes.

Lire : Condamnation à la prison à vie d’un intellectuel ouïghour.

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La contradiction marxiste du capitalisme d’État.

Comme un malheur n’arrive jamais seul, le 28 mars, on apprenait qu’un autre professeur de Qinghua, Lü Jia 吕 嘉, de la section des études marxistes obligatoires était lui aussi sous le coup d’une investigation interne lancée par des élèves adeptes du marxisme le plus radical.

L’épisode signalé par Supchina qui cible un professeur, pourtant relais de la propagande marxiste du régime, révèle un inquiétant dérapage.

Précisément provoqué par les excès de centralisme dénoncé par Xu, il rappelle l’idéologie maoïste rigide et féroce des « gardes rouges » - 红卫兵 hong weibing - de la révolution culturelle dont la susceptibilité dogmatique extrême attisée par la surenchère du fanatisme maoïste, avait précipité nombre de professeurs chinois dans un cycle souvent mortel d’humiliations publiques.

Dans le pamphlet accusateur du professeur Lü, encouragés par la promotion officielle de Karl Marx à laquelle se livre Xi Jinping, les Maoïstes radicaux de Qinghua qui semblent remettre à l’honneur la lutte des classes abandonnée en 1978 par le parti qui y voyait un ferment de division sociale, usèrent du vocabulaire sectaire, agressif et méprisant des 红卫兵 vouant aux gémonies les moindres déviations du dogme.

Ainsi le professeur Lü fut il accusé d’être une « vache démoniaque » et d’avoir « un esprit de serpent » - 牛鬼蛇神 – niu gui she shen -, insultes empruntées à Du Mu (803 – 852) poète de la dynastie Tang qui les utilisa dans la préface d’un recueil de poésies de Li He (791 – 817) pour faire l’éloge des éléments chamaniques de ses poèmes.

Mao, admirateur de Li He, mort à 26 ans et connu pour ses écarts sexuels et son intempérance alcoolique, reprit ces termes pour désigner les réactionnaires et les ennemis de classe.

Par ces ignominies, les étudiants victimes de l’endoctrinement politique du régime voulurent signifier à leur professeur qu’il déviait de la stricte orthodoxie marxiste. Inutile de dire que, surpris par cette escalade doctrinaire et exaltée qu’il a lui-même déclenchée, mais dont il ne mesurait pas la virulence, le Parti n’apprécie guère ces débordements de surenchère idéologique sectaire rappelant les heures sombres du Maoïsme.

L’idéalisme marxiste et la norme politique.

Appliqué à normaliser la société par un discours qui emprunte autant au Marxisme qu’aux anciennes pensées chinoises, non seulement confucianistes, mais on l’a vu, au courant légiste répressif, l’appareil s’accommode d’autant plus mal des enthousiasmes révolutionnaires des jeunes étudiants que ces derniers sont aussi animés de sincères aversions contre les exubérances inégalitaires du capitalisme d’État, offensant les dogmes communistes pourtant portés aux nues par le régime.

La contradiction politique, consubstantielle de l’ouverture économique reste une constante de la Chine moderne. Elle offusque les radicaux. En mai 2018, célébrant le 200e anniversaire de Marx, Xi Jinping le glorifia comme le « plus grand penseur des temps modernes », orientant la feuille de route du parti vers « une société idéale, sans oppression ni exploitation ».

Mais dit Rana Mitter, professeur d’histoire de la Chine à Oxford, « l’objection des jeunes marxistes de la nouvelle gauche radicale est que la Chine communiste de nom, est en réalité capitaliste. Pour eux, les inégalités, la pollution, et la corruption, sont la conséquence de cette anomalie ».

Ces tensions politiques, en partie provoquées par le développement très rapide du pays, sont à la racine de la répression contre les jeunes marxistes. Le 24 août 2018, 50 jeunes activistes furent arrêtés et mis au secret. Ils s’étaient regroupés à Jasic Technologies à Shenzhen, fabricant de machines à souder, pour protester contre le harcèlement par la police d’ouvriers manifestant contre leurs bas salaires et les conditions de travail très dures.

Le mouvement qui se nourrit d’une prise de conscience par les jeunes idéalistes des écarts entre leurs conditions privilégiées et le sort des travailleurs, s’est dilaté ailleurs en Chine.

D’autres étudiants de Qinghua et l’Université du peuple ont été coupés de leurs familles. La plupart ont été relâchés, mais certains activistes ont disparu. Une psychose s’est emparée des campus, attisée par des kidnappings d’étudiants, dénoncés par des lettres publiques ouvertes.

 

 

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