Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Taiwan

Chine – Taïwan – Etats-Unis, sérieux orages en vue

S’il est une question recélant un fort potentiel de durcissement des tensions sino-américaines c’est bien la question de Taïwan.

Alors qu’à la tête de l’Île, la présidente indépendantiste rue dans les brancards de Pékin qui lui inflige depuis 2016 une série d’humiliations diplomatiques (lire : Coups de boutoir méthodiques de Pékin contre l’Île. Le Panama quitte le navire taïwanais et Taiwan à la recherche d’un nouveau soft-power), aux États-Unis, le renforcement cautionné par Donald Trump de la mouvance adepte de relations plus étroites de Washington avec l’Île (lire : Les retours de flamme de la « politique d’une seule Chine ») porte le risque d’un emballement stratégique.

Contrairement à la discrétion de leurs prédécesseurs qui ménageaient la susceptibilité ré-unificatrice de Pékin, Tsai et Trump sonnent le rappel d’un parrainage des « nations libres » contre les pressions du Continent qui ignore systématiquement le déterminant démocratique de l’Île.

Plus encore, piétinant les codes de la « politique d’une seule Chine » exigeant que les relations entre Washington et Taipei restent confinées dans des échanges sobres et discrets, les deux hissent de plus en plus haut l’étendard de leur connivence. A mesure que le temps passe et que se durcit la rivalité stratégique sino-américaine, le rapprochement entre Taipei et Washington s’affirme contre l’arrière-plan anti-démocratique de Pékin sur lesquelles les récentes effervescences à Hong-Kong viennent de jeter une lumière crue.

Il ne fait aucun doute que le rejet massif par la rue de Hong Kong du projet de loi sur l’extradition, habilement manipulé par Taipei (lire : Chine – Hongkong, la fracture) [1] a sérieusement augmenté l’effet répulsif sur les Taïwanais du schéma « Un pays deux systèmes » dont personne – toutes tendances politiques confondues - ne veut dans l’Île.

En même temps, la séquence de Hong-Kong qui n’est pas achevée a contribué à freiner la chute dans les sondages de Tsai Ing-wen, la replaçant en position favorable dans la course dans la présidentielle pour 2020 dont elle a remporté la primaire du DPP le 13 juin par une avance de 8,2% sur son concurrent le plus sérieux William Lai (賴清德 – Lai Qing De -).

Ayant écarté le cauchemar d’une scission au sein du parti, Tsai dont la popularité chez les jeunes a été dopée par l’adoption de la loi sur le mariage homosexuel, semble, pour l’instant du moins, avoir repris des couleurs contre ses concurrents de l’opposition.

Inquiète, l’opposition fourbit ses armes.

Avec des fortunes diverses, deux prétendants émergent. L’indépendant Ko Wen-je 柯文哲, chirurgien et maire de Taipei depuis 2014 qui ne s’est pas encore déclaré et le vieux routier du KMT ancien membre du Yuan Législatif de 1993 à 2002, Han Kuo-yu 韓國瑜, 62 ans, vainqueur surprise du fief indépendantiste de la mairie de Kaoshiung en novembre 2018 avec près de 54% des voix.

Le 15 juillet, aux primaires du KMT, ce dernier crédité de 44,8% des voix, a triomphé du milliardaire Terry Gou, patron de Foxconn (27,7%) et d’Eric Chu, ancien maire du Nouveau Taipei déjà battu par Tsai Ing-wen aux présidentielles de 2016 (17,9%).

Au sein du vieux parti nationaliste, l’inquiétude face au retour de popularité de Tsai est palpable dans les entrailles mêmes du KMT dont le site publiait le 13 juillet une note alertant sur la perte d’audience progressive de Han Guo Yu.

La conclusion sonnait le tocsin. En substance, elle mettait en garde contre un affaissement plus grave de la popularité du candidat du KMT alors même que celle de Tsai relevait la tête. Une tendance qui, selon la note, annoncerait « la crise existentielle la plus grave de l’histoire du parti. »

Il est vrai qu’il y à peine 3 mois, tous les sondages prédisaient que Han
triompherait aisément de Tsai à la prochaine présidentielle. Récemment, elle est repassée en tête des intentions de vote, jouant habilement des effervescences hongkongaises au milieu desquelles elle s’appliqua, pour l’instant avec succès, à décrire tous ses opposants y compris Ko l’indépendant, comme des marionnettes de Pékin, tandis qu’elle présentait le DPP comme le seul parti capable de protéger la souveraineté de Taïwan et son système démocratique.

++++

Tsai exploite son avantage.

Aujourd’hui, Tsai s’engouffre avec détermination dans la brèche ouverte par les troubles à Hong Kong, reflets du centralisme obstiné, antidémocratique et impatient de Pékin. La remontée dans les sondages de Tsai avait d’ailleurs commencé immédiatement après sa réponse directe aux vœux de Xi Jinping, le 2 janvier dernier (lire : Les défis de l’obsession réunificatrice).

Son discours d’alors, réponse du tac au tac au n°1 chinois, spéculait sur une réalité traversant tous les partis politiques. Jamais les Taïwanais qu’ils soient d’obédience politique proche du KMT se considérant comme les authentiques dépositaires de l’héritage historique de la Chine d’après 1911 ou les tenants d’une politique de rupture avec le Continent, arrière-plan idéologique de la présidente Tsai Ing-wen, n’accepteraient un arrangement qui placerait l’Île dans une position de subordination au Parti Communiste chinois.

C’est bien ce qu’elle a répété avec un sens consommé des symboles le 4 juin dernier, le jour même du 30e anniversaire de la répression de Tian An Men dans un « tweet » adressé aux « amis amoureux de la liberté à Hong Kong et en Chine » : « Soyez certains que malgré les menaces, Taïwan continuera à défendre la liberté et la démocratie (…) Aussi longtemps que je serai au pouvoir, Taïwan ne cédera jamais aux pressions ».

A 6 mois du scrutin du 11 janvier 2020, l’incertitude électorale continue certes à peser sur Tsai.

En dépit des vents favorables levés à la faveur de l’orage hongkongais, rien ne dit qu’elle sera capable de maintenir la force de la vague qui la porte. Son bilan intérieur qu’elle a promis de corriger, reste mitigé ; ses adversaires du KMT ne ménageront pas leurs attaques pour stigmatiser les tensions dans le Détroit portées par son refus de reconnaître le consensus de 1992 ;

Sans compter que le maire indépendant de Taipei Ko Wen-je, comptant lui aussi parmi les « amis de Pékin » également capable de rallier la jeunesse, pourrait « siphonner » une partie des voix du DPP effrayées par les risques d’un durcissement des relations avec Pékin.

Pour l’heure cependant, Tsai exploite la faille ouverte sur les thèmes des libertés et de la démocratie. Le 11 juillet, elle quittait Taipei pour un voyage officiel aux Caraïbes [2], mais prenait soin de donner un lustre et une visibilité inédits à une escale de 4 jours à New-York et Denver qui contrastait avec l’habituelle discrétion des passages aux États-Unis des présidents Taïwanais.

Resserrement des liens entre Taipei et Washington.

Pour la première fois de l’histoire, un président taïwanais participait à un événement officiel couvert par la presse au bureau de représentation de Taipei aux États-Unis, où Tsai accueillit les ambassadeurs aux NU des quelques pays, la plupart sud-américains, reconnaissant encore la souveraineté de l’Île, tandis que sur le trottoir d’en face des manifestants chinois résidant aux États-Unis exprimaient leur colère aux cris de « A bas Taïwan. Unifions la Chine ».

Circonstance aggravante pour Pékin, l’occurrence s’est accompagnée d’une vente d’armes américaines à l’Île, d’une valeur de 2,2 Mds de $, la plus importante de ces dernières années, comportant notamment 108 chars Abraham et 250 missiles anti-aériens portables Stinger.

Décrié par Pékin qui reproche à Washington de ne pas se conformer aux « Trois communiqués », le choix des équipements est clairement une réponse aux exercices chinois simulant une attaque de l’Île par des troupes aéroportées et des chars amphibies. Lire : Dans l’œil du cyclone, veillée d’armes électorale et Le « Taïwan Relations Act » et les illusions du statu-quo.

4e décision américaine de transfert d’équipements militaires à l’Île depuis l’arrivée à la Maison Blanche de D. Trump et la 2e cette année, la nouvelle, associée à celle de la visite « profil haut » de Tsai aux États-Unis a logiquement provoqué une réaction courroucée de Pékin qui a d’abord demandé à Washington de sursoir à la vente.

Le 9 juillet, le porte-parole du Waijiaobu Geng Shuang accusait Washington de « grossière interférence dans les affaires intérieures de Pékin, heurtant la souveraineté de la Chine, menaçant sa sécurité et la stabilité dans le Détroit. » Un bref moment, la querelle dans le Détroit s’est exprimée dans les rues de New-York quand, au plus fort des échauffourées entre pro et anti Tsai, la police a du séparer un affrontement entre les deux groupes.

Plus généralement, alors qu’aux injonctions de Pékin décrivant la réunification comme une nécessité historique, Tsai oppose les principes de liberté et de démocratie, la Maison Blanche qui dit respecter le principe « d’une seule chine », s’est engagée dans une voie donnant corps à l’hypothèse d’un sérieux rapprochement entre Taïwan et Washington.

L’arrière-pensée est non seulement d’exercer un contrepoids aux pressions militaires chinoises en multipliant les passages de l’US Navy dans le Détroit - une dizaine de fois depuis juillet 2018 - , mais également de favoriser la survie du seul pays authentiquement démocratique du Monde Chinois.

Cette réalité a commencé s’exprimer lors de la signature par D. Trump en mars 2018 du Taïwan Travel Act, suivi en août par une première visite « profil haut » de Tsai aux États-Unis, marquée par le discours à la Bibliothèque Ronald Reagan de Los Angeles. Déjà, elle avait mis en exergue la liberté de l’Île, symbole de la démocratie globale face aux pressions chinoises.

Lire : « Quand Pékin harcèle Taïwan, Washington lui ouvre les bras. »

Pour l’heure la spirale des menaces et des ripostes n’a pas de cesse.

Le 12 juillet, la Chine envisageait ouvertement d’imposer des sanctions aux groupes industriels vendant des armes à Taïwan. Le même jour, dans un tweet, Cui Tiankai l’ambassadeur de Chine à Washington, mettait en garde contre les tentatives de séparer l’Île du Continent : « Ceux qui jouent avec le feu finiront par être eux-mêmes brûlés. »

Le 16 Juillet l’APL annonçait sans donner de détails l’organisation de manœuvres aéronavales au large de côtes sud-est de la Chine. Les déclarations du ministère chinois de la défense caractérisant les exercices de « routiniers » ne peuvent pas cacher l’augmentation de leur fréquence dans les parages de l’Île.

En 2018 seulement l’armée chinoise a organisé 5 exercices à tir réel dans le Détroit, tandis qu’en avril dernier des chasseurs J-15 franchissaient pour la première fois la ligne de partage de l’espace aérien entre l’Île et le Continent.

Lire : Taïwan : appelant à la rescousse la conscience des démocraties, Tsai tente d’échapper au face-à-face avec Pékin.

++++

Notes de Contexte.

1.- Exercices des F16 taïwanais

(Source : http://psk.blog.24heures.ch/archive/2019/07/30/taiwan-les-f-16-operationnels-pour-la-lutte-antinavires-867763.html )

L’annonce aurait pu être relativement anodine, mais Taipei signe ici une mise en garde très claire vis-à-vis de la Marine de guerre chinoise. En effet, cette dernière a débuté des manœuvres navales de grandes envergures dans le dans le détroit de Taïwan près de Dongshandao, à environ 55 km de Jinmen.

De son côté Taïwan est décidé à ne pas se laisser intimider par le grand voisin chinois. En contre -partie, l’armée de l’air taïwanaise a
envoyé deux avions de chasse Lockheed-Martin F-16 « Viper » armés de missiles Raytheon AGM-84 « Harpoon » simuler une attaque sur des navires désaffectés au large de la côte sud-est de Taïwan dont l’un portait le nom du porte-avions chinois Liaoning.

Après avoir détruit leurs objectifs par des tirs de missiles Harpoon les deux F-16 sont rentrés sans incident à leur base. Il s’agissait du premier tir réel de missiles AGM-84 effectué par les F-16 modernisé en service à Taïwan.
Petite anecdote : L’un des deux navires cibles avait été baptisé « Liaoning », soit le nom de l’actuel porte- avions chinois.

Mise à jour des F-16 :

Taïwan a commencé à moderniser ses F-16 dès 2017 par l’adjonction du nouveau radar Northrop-Grumman APG-83, d’une avionique modernisée, d’un cockpit aux écrans compatibles avec des lunettes de vision nocturne, d’une central de navigation GPS et un nouveau système de guerre électronique de type l’ALQ-176 couplé avec système de leurres ALQ-184 (V) 7.

En matière de communication, les appareils sont équipés de nouvelles radios numériques, et d’un système amélioré de transmission de donnée (Link16) . Les pilotes sont dotés d’un viseur de casque permettant l’emploi du missile Raytheon AIM-9X « hyper véloce » en remplacement des AIM-9PM actuels.

Question motorisation, les moteurs Pratt & Whitney F100-PW-220 seront portés à la norme -229E plus puissant et permettant de réduire les délais de maintenance.

Taïwan a aussi passé commande de nacelles de ciblage, mais n’a pour l’heure pas précisé le modèle choisi entre le AN/AAQ-33 SNIPER ou AN/AAQ-28 LITENING plus ancien. Concernant l’armement, les F-16 seront dotés en plus de l’AIM-9X de missiles AIM-120C7 AMRAAM et d’une variété d’armes guidées d’attaque au sol comme les bombes GBU-10 Enhanced Paveway II ou GBU-56 JDAM Laser.

Taiwan a reçu des missiles Raytheon AGM-84L « Harpoon » BlockII et du matériel connexe tels que les équipements de contrôle et de guidage « Harpoon » (au total 30 conteneurs de lancement, ainsi que des kits de configuration AGM-84G à AGM-84L.)

La vente comprenait des équipements de maintenance et de tests.

2. Manipulations électorales par le Net

En quittant Taïwan le 11 juillet, interviewée à l’aéroport de Taoyuan, Tsai a, sans nommer Pékin, fait allusion à des interférences extérieures ayant influé sur les élections législatives de novembre 2018 où elle et son parti ont essuyé une sévère défaite. Lire : Une gifle électorale de mi-mandat.

Le 27 juin un article d’Asia Times assurait que le Front Uni auquel le président Xi Jinping accordait des fonds et des moyens de plus en plus importants avait réussi à distordre les élections législatives de novembre 2018 par le truchement de fonds secrets alloués aux candidats pro-PPC et par la diffusion sur les réseaux sociaux de fausses informations discréditant des candidats du DPP.

Au même moment paraissait dans Foreign Policy un article signé Paul Huang qui étudiait plus particulièrement les circonstances de la victoire de Han Kuo Yu à Kaoshiung en novembre dernier. Comment est-il possible interroge t-il que, « sorti de nulle part », ce parfait inconnu du grand public ait réussi à conquérir le vieux fief du Minjindang et, six mois plus tard, à se placer avantageusement dans la course à la présidence pour le scrutin de janvier 2020 ?

Si pour Pékin, Han est la divine surprise d’un candidat populiste entièrement acquis à sa cause, la suspicion d’ingérence chinoise avant le scrutin avait déjà été évoquée par un article du New-York Times publié le 21 novembre 2018. Contrairement aux dénégations de Pékin la tentation impériale d’influer sur les élections de l’Île est irrépressible et ancienne.

De grossière et brutale en 1996 quand des salves de missiles furent tirées dans les parages de l’Île pour dissuader l’élection au suffrage universel de Lee Tung-hui, elle est aujourd’hui devenue plus sophistiquée. Cette fois la manœuvre a consisté à noyer Facebook dans une avalanche d’appuis hyperboliques à Han Kuo-yu en prenant soin de mettre toute critique sous le boisseau, tout en discréditant par la diffamation le candidat du DDP à Kaoshiong, Chen Chi-mai.

Il est vrai, explique Paul Huang, qu’en 2018, Tsai était déjà impopulaire, avec un taux d’approbation en chute libre, tombée de 70% d’opinions favorables en 2016 à moins de 30% juste avant les élections. Le déclin a été attribué à une série de réformes internes controversées et, selon certains, à son style de communication et de leadership inefficace.

Pour autant peu de personnes s’attendaient à ce que le DPP perde le fief de Kaohsiung - 2,8 millions d’habitants – conquis en 1998. En 2014, le parti de Tsai avait même infligé une des plus sévères déroutes de son histoire au KMT, raflant 68% des suffrages.

Le candidat de Tsai à la course de 2018 à Kaohsiung était Chen Chi-Mai, 55 ans un député expérimenté originaire de Keelung, proche de Chen Shui-bian avocat du changement constitutionnel du nom de l’Île en « République de Taïwan », médecin du travail et professeur, élu à trois reprises député indépendantiste de Kaoshiung (1996 – 2004) puis porte parole du Yuan exécutif.

De février à septembre 2005, il fut, à 41 ans, le jeune maire intérimaire de Kaoshiung après Frank Hsieh et avant Chen Chu, deux figures emblématiques du mouvement indépendantiste [3].

Han, l’outsider surprise

En revanche, Han Kuo-yu était un choix initialement controversé du KMT et détesté par l’appareil qui le considère comme un parvenu. Étrangère à la politique de Kaohsiung, sa rhétorique pro-chinoise et populiste « Make Kaoshiung great again - 讓高雄再次偉大- Rang Gaoxiong zaici weida » semblait déconnectée du vieux fond indépendantiste de la ville.

Son investiture à la candidature pour la mairie, était au mieux, un pari risqué et de long terme, ouvertement articulé à la réunification où le Continent, à ménager absolument dans les discours, apparaissait comme la solution à tous les problèmes de développement de la ville. « Ne dites pas ce que Pékin ne veut pas entendre et l’argent viendra naturellement comme par magie. » Enfin Han s’est également laissé aller à des remarques improvisées qui lui valurent des accusations de sexisme et de préjugés à l’encontre de minorités.

Mais contrairement à Trump, célèbre homme d’affaires avant son investiture à qui les critiques le comparent, Han, en revanche, était un nom largement inconnu jusqu’à la fin de l’été 2018, à peine quatre mois avant la date du scrutin. C’est à ce moment que démarra son ascension fulgurante dans les sondages. Fin octobre, 3 semaines avant le scrutin, il avait presque rattrapé les 20 % d’avance du DPP.

Le surgissement inattendu de la « vague Han » dont la popularité s’est étendue à de nombreuses régions de Taïwan, a surpris le KMT lui-même. La machine politique du DPP et la base à Kaohsiung ont eu beau se démener pour aider la campagne de Chen, il était trop tard : Han a finalement remporté la victoire avec 892 000 voix, soit 53% contre 44% pour Chen, record absolu pour un candidat du KMT à Kaohsiung.

++++

La marée Facebook

La présence écrasante de Han a submergé Internet et les médias sociaux. Selon le Taïwan Public Opinion Centre, la puissance de cette campagne numérique a joué un rôle essentiel dans la victoire du KMT.

Par exemple, les organismes d’observation de l’opinion et des médias ont constaté que les informations relatives à Han initiaient systématiquement un ensemble de réactions, de commentaires et d’activités partagés sur Internet nettement supérieur à ceux de tous les autres candidats du KMT réunis.

La présence en ligne est extrêmement importante à Taïwan, une société hautement connectée, où la voix numérique du candidat amplement relayée peut être un facteur essentiel du succès électoral.

*

En première analyse on pourrait dire qu’un candidat populiste chevauchant l’impopularité du président en exercice pourrait défier une logique électorale défavorable grâce à son charisme et au pouvoir des médias sociaux. Le cas s’est maintes fois présenté. Mais ce n’est pas ce dont il s’agit ici.

A Taïwan, Facebook domine le paysage Internet et les médias sociaux. Environ 19 millions des 23,5 millions d’habitants de l’île possèdent un compte Facebook. Or le compte Facebook officiel de Han Kuo-yu fut un succès. A la fin de la campagne, il attirait un demi-million de « followers », soit le double de son adversaire du DDP, Chen.

Un autre groupe a joué un rôle crucial dans la campagne. Identifié sur Facebook et nommé « Fans de Han Kuo-yu pour la victoire ! » dont le slogan était « En partance pour un ciel bleu ! », il a été créée le 10 avril 2018, le lendemain du jour où Han déclarait sa candidature à la mairie de Kaohsiung.

À l’époque, écrit Paul Huang, Han n’était qu’une obscure note de bas de page de la politique taïwanaise. Seuls quelques dizaines de supporters se présentèrent à son premier meeting.

Mais, à mesure que la campagne prenait de l’ampleur, le groupe est rapidement devenu la plus grande page non officielle de la communauté des inconditionnels de Han sur Facebook, avec un total de plus de 61 000 membres au moment de l’élection de novembre (Il compte actuellement 88 000 membres.).

Une cyber-unité de l’APL ?

Les utilisateurs y ont fait la promotion de Han en publiant ses discours, des mémos et très souvent de fausses informations attaquant son adversaire Chen, le gouvernement du DPP et, en vrac, tous ceux qui osaient critiquer Han.

Des milliers de messages de ce type ont été partagés par le groupe au cours de la campagne, ce qui en fit le lieu de prédilection pour la création, la diffusion et l’amplification d’informations récoltées sur les médias sociaux par les cercles d’amis. Les fausses nouvelles en provenance du groupe furent souvent diffusées sur « Line », une application de messagerie similaire à WhatsApp utilisée par la plupart des Taïwanais connectés.

*

La manœuvre n’est pas passée inaperçue au sein de l’équipe électorale de Chen. Ce dernier a tenu une conférence de presse pour la dénoncer et menacer de poursuivre en justice quelques utilisateurs spécifiques du groupe pour avoir diffusé des informations manifestement fausses.

Selon l’équipe de campagne de Chen, un utilisateur particulièrement actif était lié à une adresse IP domiciliée en Chine, laissant supposer qu’il pourrait s’agir en fait d’un cybergroupe professionnel chinois. Ying-Yu Lin, professeur adjoint à l’Université nationale de Chung Cheng à Taiwan et expert de l’armée chinoise, estime que le cybergroupe peut être rattaché à la Force de soutien stratégique (SSF) de l’APL.

En novembre 2018, la page du groupe répertoriait six administrateurs. Deux d’entre eux, identifiés sous les noms « Fang Jianzhu » et « Yun Chi », ont rejoint le groupe le 10 avril 2018, date de son lancement par Fang. Un autre administrateur, « Chen Geng », a rejoint le 18 avril, alors que tous les autres n’ont rejoint la page que plusieurs mois plus tard.

Or les trois administrateurs initiaux se sont aussi identifiés sur Linked’In avec leurs noms Fan, Yun et Chen comme des employés de Tencent, la société chinoise de technologies et de médias sociaux, contrôlant « WeChat » la plus prolifique application de messagerie au monde, coopérant étroitement avec le gouvernement chinois à des fins de surveillance et de censure.

Toujours selon leurs profils Linked’in, les trois se disent également diplômés de l’Université de Pékin, deux d’entre eux ayant, disent-ils « travaillé dans les relations publiques pour de nombreuses entreprises étrangères ». Or tous les experts s’accordent à dire que LinkedIn est l’un des terrains de jeu préférés de Pékin pour mener ses opérations d’espionnage et d’influence.

Les agences de renseignement américaines et allemandes ont toutes deux documenté de nombreux cas soupçonnés d’espionnage chinois qui exploitaient le site de réseautage professionnel à des fins de renseignement. Leur technique de prédilection consiste à créer de nombreux comptes et identités factices - parfois des centaines, voire des milliers -.

Ils les utilisent pour approcher et recruter des cibles peu méfiantes (souvent des ressortissants occidentaux) susceptibles de divulguer des secrets par naïveté avec l’espoir qu’elles deviennent éventuellement des sources actives de renseignements.

Il n’existe aucune preuve que Han lui-même ait comploté avec ce groupe ou un autre. Mais il était certainement conscient que son soutien en ligne était quelque peu mystérieux. « Je ne sais pas qui ils sont, mais je les remercie pour leur soutien », a été la réponse habituelle de Han aux accusations selon lesquelles des « cyber-forces inconnues », éventuellement originaires de Chine, alimentaient sa campagne et sa popularité.

Han Kuo-yu est officiellement dans la course à la présidentielle au nom du KMT. Tout indique qu’en amont du scrutin il continuera à bénéficier de l’appui de Pékin qui, compte tenu de l’enjeu, ne reculera devant aucun expédient.

Note(s) :

[1Signe qu’on venait de franchir le pas de la perfidie politique laissant Carie Lam démunie en rase campagne, après avoir renoncé à réclamer l’extradition de Chan Tong-kai, 19 ans, meurtrier de sa fiancée à Taïwan, Chiu Chui-cheng, un des vice-ministres taïwanais de la Commission pour des Affaires continentales souligna que même ses propositions de règlement au cas pas par cas resteraient sans suite.

[2St Vincent et Grenadines, Sainte Lucie, St Kitts et Nevis et Haïti.

[3Madame Chen, actuelle secrétaire générale de la présidence de Tsai, avait même déclenché la fureur de Pékin en invitant à Kaoshiung le Dalai Lama en 2009 sous la présidence KMT de Ma Ying-jeou.

 

 

Regards sur l’inquiétude des aborigènes et le durcissement de la Chine

[7 mars 2024] • François Danjou

Manoeuvres législatives

[7 février 2024] • Jean-Paul Yacine

Présidentielles. Victoire de Lai Qing De ; net recul législatif du Min Jin Dang. Souple et pragmatique, Ko Wen-je renforce sa position d’arbitre

[15 janvier 2024] • François Danjou

Présidentielles 2024 : Lai toujours favori. L’écart avec Hou se resserre. Les perspectives du scrutin législatif se brouillent

[26 décembre 2023] • François Danjou

Promouvoir la démocratie et les libertés pour échapper au face-à-face avec Pékin

[16 novembre 2023] • François Danjou