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›› Chine - monde

Controverses globales autour du traitement des Ouïghour. Pékin rallie un soutien hétéroclite et brouille la solidarité des musulmans

Récemment Pékin a concrètement mesuré l’efficacité et les limites de ses stratégies d’influence globale articulées au pragmatisme de ses projets des « nouvelles routes de la soie » et à son statut de premier prêteur de la planète. L’occasion fut la riposte d’une trentaine de pays pro-Pékin à la mise en cause à l’ONU par 18 pays européens, rejoints par le Japon, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, de la politique de contrôle des populations musulmanes du Xinjiang.

La charge critique rassemblait 15 des 29 pays membres de l’OTAN. Mis à part le Japon, ils étaient tous occidentaux et en majorité européens. Les membres de l’Alliance atlantique n’ayant pas signé la lettre mettant en cause la Chine, sont les États-Unis, la Turquie et 12 pays européens ayant récemment noué des relations économiques et commerciales avec la Chine dont l’Italie, le Portugal, la Grèce, la République Tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, l’Albanie, la Slovénie, la Croatie et le Monténégro.

*

A côté de l’allié russe, la riposte a essentiellement battu le rappel hétéroclite de pays en développement assez souvent autocrates – telle la Biélorussie, seul européen signataire -, les pays du Golfe - ou même férocement dictatoriaux comme la Corée du Nord -, la plupart en crise grave ou en sérieuses difficultés économiques et financières.

Aux Africains et sud-américains (57% des signataires) se sont ajoutés 6 très riches pays musulmans du Golfe, la République Islamique du Pakistan couverte de dettes, économiquement à la remorque de la Chine et traversée par de sérieuses crises d’intolérance islamiste, 4 pays d’Asie du Sud-est dont 3 sont totalement alignés sur Pékin qui leur tient financièrement la tête hors de l’eau en échange d’une totale sujétion stratégique.

Quant au 4e, le Myanmar, également lié à Pékin par le passage sur son territoire d’un oléoduc et un gazoduc vers le Yunnan, il est lui-même l’objet de violentes attaques pour le traitement discriminatoire que la junte et les bouddhistes nationalistes infligent aux Musulmans Rohingya.

En Asie Centrale, seuls deux pays ont signé la réplique pro-Pékin : le Turkménistan, dictature d’un parti unique régulièrement pointée du doigt par les ONG des droits de l’homme et le Tadjikistan aux prises avec une réislamisation des mœurs que le pouvoir politique, héritier de l’idéologie soviétique de « l’athéisme combattant », tente de tenir à distance.

Attaque occidentale contre la Chine et ripostes.

Le 8 juillet dernier, 22 délégués de leur pays à l’Office des Nations Unies à Genève, l’un des deux sièges permanents de l’ONU en Europe ont, sur instruction de leurs gouvernements, cosigné une lettre ouverte adressée à Michelle Bachelet Haut-Commissaire des NU pour les droits de l’homme, critiquant la politique chinoise à l’égard des Musulmans Ouïghour au Xinjiang.

En substance, la lettre enjoignait à Pékin de se conformer à ses propres engagements internationaux de respect de la liberté religieuse et, à cet effet, de mettre fin à l’incarcération arbitraire des Musulmans qu’ils soient Ouïghour ou appartenant à d’autres groupes musulmans minoritaires.

L’accusation s’appuyait sur des documents officiels chinois, des images satellites et des témoignages des familles de Musulmans emprisonnés dans des camps de rééducation au Xinjiang ou objets d’une surveillance policière envahissante au moyen de réseaux de caméras et de postes de police quadrillant étroitement la province du grand ouest chinois.

Lire :
- Au Xinjiang, Chen, le très efficace nouveau secrétaire général mêle répression et action sociale directe.
- « Centres de rééducation » ou répression carcérale ?

Pékin qui avait d’abord nié l’existence des camps avant de les justifier, réfute les accusations arguant que l’objet des centres de détention était de « dé-radicaliser » des islamistes extrémistes ouïghour à l’origine des actions terroristes ayant frappé le Xinjiang, dont il faut constater qu’elles ont très fortement diminué depuis l’instauration des mesures de contrôle serré accompagnant les incarcérations. Lire : Xinjiang. Menaces djihadistes directes et spirale répressive.

Signe de l’efficacité des stratégies d’influence chinoise, 4 jours plus tard, le 12 juillet, 37 pays adressèrent à Madame Bachelet une autre lettre ouverte où ils prenaient résolument la défense de Pékin.

Parmi eux, 17 pays Africains (46% des signataires) venus renforcer la Russie, la Corée du Nord, 7 pays du Golfe tous Musulmans, 4 d’Asie du Sud-est, 2 Sud-Américains, 2 d’Asie Centrale et le Pakistan.

En Europe, la Biélorussie était le seul signataire pro-Pékin ayant pris le contrepied des 15 pays d’Europe de l’Ouest, appuyés par les 3 Pays Baltes, formant un ensemble européen critique de la Chine dont 12 sont membres de l’OTAN [1].

La mobilisation en faveur de la Chine est le résultat de longues coopérations sur le terrain dont les pointes émergées très médiatisées sont les vastes rassemblements autour des thèmes de la coopération d’une part avec l’Afrique (FOCAC 中非合作讨论), d’autre part avec le Pakistan et les pays arabes (CASCOF – China Arab States Cooperation Forum - 中国阿拉伯国家合作论坛. -).

S’y ajoutent les récentes coopérations ciblées avec la Grèce, l’Italie et 16 pays d’Europe Centrale et Orientale, le tout sous la houlette des séminaires internationaux organisés en Chine, pour la promotion des nouvelles routes de la soie sur quasiment toute la planète.

Lire :
- Contrôle des religions. Islam en Chine et troubles au Xinjiang.
- Xi Jinping dans le chaudron du Moyen Orient. Quête d’énergie, atouts et limites des influences chinoises.
- Mohammed Ben Salman, la Chine, l’ONU, Masood Azhar, l’Asie du sud et l’Iran.

Dans la lettre, les signataires prennent la défense des « centres d’éducation et de formation professionnelle » du Xinjiang (selon la terminologie de Pékin) partie d’une stratégie de dé-radicalisation destinée à tenir à distance les risques posés par « l’extrémisme et le terrorisme » (expressions également reprises du vocabulaire de Pékin). Ils rajoutent que le Xinjiang connaît à nouveau la sécurité, de sorte qu’au lieu d’être floués comme l’énoncent les critiques, les droits fondamentaux de la population sont mieux protégés.

En conclusion, ils remercient les autorités chinoises de « leur transparence et de l’ouverture dont elles ont fait preuve, à l’occasion de nombreuses invitations de diplomates, d’organisations internationales et de journalistes venus constater les progrès du contre-terrorisme et de la dé-radicalisation », ajoutant que « leur propre appréciation de la situation contredisait complètement les compte-rendu de certains médias occidentaux. »

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Pékin, l’Afrique et le Monde arabe, sur fond anti-occidental.

L’analyse de la liste des pays ayant signé la lettre disculpant Pékin en dit long sur les trajectoires d’influence de la Chine semblant en partie renouer avec la stratégie maoïste de ralliement du Tiers Monde à la cause de Pékin, cette fois non pas au nom du marxisme léniniste, mais en vertu du modèle autocratique des « caractéristiques chinoises », diffusées à coups de prêts financiers aux pays en mal de capitaux, le long des nouvelles routes de la soie.

En arrière-plan, de Moscou à Pékin, en passant par l’Afrique, le Moyen Orient et, à des degrés divers, les pays arabes, continue de résonner une lancinante musique anti-occidentale parfois violemment anti-américaine venant des pays d’Amérique Latine comme Cuba, la Bolivie et le Venezuela ou, en revanche, Pékin est omniprésent avec cependant des succès divers. (lire : Venezuela : de la « Realpolitik » aux rapports de forces. Les « caractéristiques chinoises » à l’épreuve.)

Une autre réalité est une claire absence de solidarité avec les Ouïghour chinois du monde musulman dont tous les pays du foyer religieux de la péninsule arabique, de Bahrain aux Émirats en passant par le Koweit, Oman, le Qatar et l’Arabie Saoudite, se sont rangés derrière Pékin pour riposter aux accusations occidentales.

Cité par CNN, Azeem Ibrahim, américain d’origine égyptienne professeur à l’école de guerre américaine, directeur du « Center for Global Policy », basé à Washington se dit « étonné » que les pays musulmans soient allés jusqu’à apposer leurs signatures sur un tel document félicitant ouvertement la Chine pour le traitement qu’elle inflige à des Musulmans.

« C’est une chose de garder le silence et de s’abstenir. C’en est une autre de soutenir ouvertement alors qu’ils n’avaient pas besoin de le faire. »

Pour le Monde arabe, les Ouïghour ne sont pas un sujet.

S’il est vrai que la connivence entre la Chine et le monde arabe n’est pas récente, l’affichage sans complexe derrière Pékin est peut-être le résultat de la convergence de deux recherches d’influence anti-occidentales, celle de Pékin et celle Mohammed ben Salmane auquel le roi a conféré le statut de Prince héritier de la famille royale saoudienne contre la ligne de succession normale.

Lui-même sérieusement mis en cause à l’Ouest après le meurtre en octobre 2018 à l’ambassade d’Arabie saoudite d’Istanbul du journaliste dissident Jamal Khashoggi, son opposant déclaré, le Prince héritier, un moment fragilisé, est au printemps 2019 allé chercher un appui politique en Chine qui lui a déroulé le tapis rouge.

A ce moment, il avait, selon Xinhua, clairement exprimé son soutien à la politique de Pékin au Xinjiang visant à « prendre des mesures antiterroristes et anti-extrémistes pour préserver la sécurité nationale ».

Après la prise de position à Pékin du président turc Erdogan, ayant le 2 juillet dernier sérieusement baissé le ton de ses anciennes critiques contre le traitement réservé par Pékin aux Ouïghour, le ralliement de quelques pays arabes majeurs semblant passer la population musulmane d’origine turque du Xinjiang par pertes et profits, jette un doute sur la solidarité transnationale du monde musulman.

Dénonçant régulièrement les abus des droits en Arabie Saoudite et récemment la peine de mort requise contre le jeune Shiite Murtaja Qureiris (18 ans), en prison depuis son 13e anniversaire pour avoir participé à des manifestations en faveur des droits, Tamara Qiblawi estimait le 17 juillet sur CNN que « la solidarité musulmane était un mythe. »

Le moins qu’on puisse dire est qu’elle est sérieusement brouillée par les stratégies chinoises faisant feu de tout bois pour tenir à distance les critiques occidentales.

Une longue liste d’absents. Prudence et pragmatisme.

L’analyse de la liste des pays ayant préféré se tenir à distance de la polémique et absents des deux listes n’est pas moins intéressante. En premier lieu, « éléphant dans la pièce occidentale », Washington qui, le 20 juin dernier, avait quitté avec fracas le Conseil des droits de l’homme, est absent de la cohorte des censeurs de Pékin.

Alors que jusqu’à présent les États-Unis étaient critiques à l’égard de la politique chinoise dans la province du Xinjiang, le gouvernement Trump, se désolidarisant de l’Europe, change de stratégie et paraît ménager Pékin sur la question de la lutte anti-terroriste contre l’Islam radical au moment même où il engage contre la Chine une offensive globale.

Il faudra attendre pour savoir s’il s’agit d’une volonté de réchauffement durable de la relation bilatérale exprimée par la Maison Blanche ou d’une simple mesure tactique de D. Trump destinée à ne pas polluer les négociations commerciales par une nouvelle controverse.

En Asie Centrale, rendus prudents par les résonances en politique intérieure de l’écho de la maltraitance des minorités Kazakhs et Kirghiz au Xinjiang, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan et le Kirghizstan, sont restés neutres. En Asie, le mutisme de la Malaisie, de l’Inde, du Vietnam, du Sri Lanka, du Bangladesh de l’Indonésie et des Maldives signale à la fois la volonté de ménager les opportunités futures de coopération avec la Chine et une prudente prise de distance.

S’il est vrai que la Malaisie n’a pas signé la lettre critiquant le traitement de certains groupes ethniques, Kuala Lumpur avait, en 2018, tout de même refusé d’extrader vers la Chine un groupe de Ouïghour.

Le Sri Lanka et les Maldives préfèrent ne pas froisser, mais ils ont récemment été au cœur des controverses critiques sur la viabilité des projets chinois des nouvelles routes de la Soie, ce qui explique leur absence de la liste pro-Pékin. Quant à l’Indonésie, l’Inde, et le Bangladesh respectivement 1er, 3e et 4e pays musulmans de la planète, il est clair que le poids de la Chine reste pour eux un invariant économique et stratégique impossible à ignorer.

Sur les 10 pays de l’Asie du Sud-est, seuls le Myanmar, le Laos, le Cambodge et les Philippines ont pris fait et cause pour Pékin pour des raisons diverses.

Le Myanmar est lui aussi confronté à des critiques occidentales pour le traitement qu’il réserve à une communauté musulmane ; Vientiane et Phnom-Penh sont étroitement inféodés à Pékin ; Aux Philippines, sur fond de crise économique, de quête de capitaux et d’hydrocarbures, Rodrigo Duterte est engagé dans un rééquilibrage stratégique acrobatique entre Pékin et Washington.

Les autres dont l’Indonésie citée plus haut sont restés des spectateurs neutres de la controverse. En tête, le Vietnam, pays autocratique pour qui la querelle des Ouïghour n’a pas de sens. Mais, cherchant à l’occasion l’appui de Washington, il reste le rival crispé, mais prudent de Pékin sur les zones d’exploration d’hydrocarbures en mer de Chine du sud.

En Europe Centrale et Orientale enfin, sur l’ensemble des pays ayant noué des liens de coopération avec la Chine dans le schéma "16 + 13, seuls les 3 pays baltes ont signé la lettre critiquant Pékin, les autres dont la liste est citée plus haut se sont abstenus.

A l’ouest de l’Europe, La Grèce et l’Italie sont également restées à distance. L’une et l’autre sont engagées dans une coopération économique avec la Chine, Athènes sur le port du Pirée avec COSCO et Rome dans le cadre de projets d’infrastructures parties des nouvelles routes de la soie, apparues au gouvernement italien comme une planche de salut financière, après le choc de l’effondrement du pont Morandi en août 2018.

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Ainsi se dessine autour de la question Ouïghour, qui renvoie par ricochet et par amalgame aux risques terroristes portés par l’Islam radical, une fracture dans l’éventail des pays entretenant des relations avec Pékin.

D’un côté, cependant gravement amputée par l’absence de Washington, une alliance occidentale dont les arrière-pensées également trempées dans la morale humanitaire sont celles du droit et du respect des individus.

De l’autre, un ensemble disparate de pays venus à la rescousse de la Chine et cautionnant la fermeté brutale de la lutte anti-terroriste. La musique générale des commentateurs entretient l’idée en partie exacte que le soutien apporté à Pékin est homothétique de l’ampleur des bénéfices économiques et commerciaux d’une relation avec la Chine et des promesses de son vaste marché.

L’angle de vue est cependant incomplet. A y regarder de plus près, nombre de pays africains avocats de la stratégie chinoise au Xinjiang cherchent certes l’appui de la substantielle manne financière de Pékin. Il reste qu’eux-mêmes sont sous la menace d’une poussée de l’Islam radical ou, au minimum, d’une évolution des mœurs vers une religiosité inflexible qui les inquiète.

Alors que la preuve est faite d’une collusion de groupes radicaux du Qatar ou d’Arabie Saoudite avec des organisations terroristes, les dirigeants arabes qui se rapprochent de Pékin ont eux aussi tout à craindre d’une exacerbation religieuse extrême qui menacerait leur pouvoir.

Que les Mollahs iraniens se soient tenus à distance de la controverse sur les Ouïghour est une incidence qui mérite attention. Elle ne rassure ni la Chine, ni l’Arabie Saoudite qui vient d’accepter un déploiement sur son sol de troupes américaines.

Note(s) :

[1Liste des signataires de la lettre de riposte à la mise en cause de la Chine par les pays occidentaux et le Japon.

Afrique : Algérie, Angola, Burkina-Faso, Burundi, Cameroun, République Démocratique du Congo, Egypte, Erythrée, Gabon, Nigeria, République du Congo, Somalie, Soudan, Sud-Soudan, Zimbabwe, Togo, Comores ;

Moyen-Orient : Bahrain, Koweit, Oman, Qatar, Arabie Saoudite, Syrie, Émirat ;

Asie du sud : Pakistan ;

Asie Centrale : Turkménistan, Tadjikistan ;

Asie du Sud-est : Cambodge, Laos, Myanmar, Philippines ;

Amérique du Sud / Centrale : Bolivie, Cuba, Venezuela ;

Europe : Biélorussie ;

Asie de l’Est : Corée du Nord ;

Russie.

 

 

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