Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Politique intérieure

Hong Kong : la défiance s’aggrave. A la détermination des émeutiers, Pékin répond par la menace militaire et suggère une fermeté inflexible

Dans la R.A.S, les troubles n’ont pas cessé. Après les démonstrations monstre ayant, le 16 juin, rassemblé 2 millions de manifestants (lire : Chine – Hongkong, la fracture.) qui, non seulement réclamaient le retrait définitif du projet de loi sur l’extradition, mais exprimaient aussi leur inquiétude face à l’alourdissement de la main politique de Pékin, le volume des rassemblements s’est réduit.

En même temps, les affrontements se sont durcis, tandis que le ton des réactions de Pékin, y-compris par les responsables militaires, devenait plus menaçant.

Après avoir culminé dans la violence et les saccages le 1er juillet, jour anniversaire de la rétrocession inaugurant le schéma politique des « deux systèmes » où de jeunes révoltés avaient mis à sac le Legco (lire : A Hong Kong, un anniversaire en feu.), les émeutiers ont continué à défier la police dont la réaction s’est progressivement raidie.

Défi à la police et profanation des emblèmes.

Dans la nuit du 21 juillet au 22 juillet, à l’ouest de Central, dans le district de Sai Ying Pun, les émeutiers ont fait le siège du Bureau de Représentation de Pékin qu’ils ont couvert de graffitis. De l’encre noire a été jetée sur les emblèmes chinois.

Le lendemain 22 juillet, Wang Zhimin, le Directeur du Bureau, déclarait que les manifestants n’avaient pas seulement défié la loi, mais avaient aussi porté atteinte à la dignité du gouvernement central à Pékin et menacé la souveraineté et la sécurité de la Chine. En réponse, la police anti-émeutes a, à plusieurs endroits de la R.A.S, lancé des grenades lacrymogènes et chargé la foule, provoquant des affrontements plus durs et blessé plus de 12 personnes.

Cinq semaines après le point culminant du 16 juin, les manifestants étaient encore plusieurs dizaines de milliers (430 000 selon les organisateurs et 138 000 selon la police).

Les émeutes se sont poursuivies le week-end et jusqu’au lundi 29 juillet, tandis que la police interdisait de nouveaux rassemblements. Jusqu’à 60 personnes auraient été arrêtées, tandis que, dans la mouvance des droits, une polémique montait autour des brutalités de la police.

Dans le district de Yuen Long (Nouveaux Territoires) où, le 22 juillet des manifestants avaient été agressés par de possibles membres des triades [1], une unité spéciale anti-émeutes a tiré des balles en caoutchouc et dispersé à coups de bâtons les manifestants qui ripostèrent en utilisant des extincteurs.

*

Récemment, la situation a été marquée par deux évolutions majeures :

1) La mise en cause des États-Unis accusés de soutenir en sous-mains les révoltes ;

2) Un net raidissement du pouvoir central à Pékin assorti de menaces d’engagement de l’armée.

*

« La main noire de Washington »

Le 23 juillet dernier, Hua Chunying le porte-parole du Waijiaobu avait déjà directement mis en garde le pouvoir politique à Washington contre ses interférences à Hong Kong. « 香港近期暴力事件也算是美方的一个“作品”. Xiang Gang jinqi baoli shijian ye suanshi meifang de yige “zuopin”– Il est aussi possible d’affirmer que les récents incidents violents à Hong Kong sont une fabrication américaine »

Et « 美国应该知道一件事 - Meiguo yinggai zhidao yī jian shi -, 香港是中国的香港, - xianggang shi zhongguo de xianggang -,我们不允许任何外国干涉, - women bu yunxu renhe waiguo ganshe, ”我们 建议美国 撤回他们 的黑手 - Women jianyi meiguo chehui tamen de haishou.: L’Amérique doit savoir une chose : Hong Kong appartient à la Chine et nous ne tolérerons aucune interférence étrangère. Nous conseillons à l’Amérique de retirer sa “main noire“ »

A ces accusations, Donald Trump, dans une de ses phases d’humeur conciliante entre deux « tweet » agressifs, avait réagi en déclarant publiquement que Xi Jinping gérait l’affaire de Hong Kong au mieux.

Mais, en pleine guerre commerciale poussé à ses extrêmes, le compte n’y était pas.

Une bonne partie de l’opinion publique chinoise dont le nationalisme redoute le chaos aux portes de la Chine et Pékin qui, depuis longtemps accuse la mouvance démocrate de la R.A.S d’être soutenue par les ONG des droits elles-mêmes financées par le « National Democratic Institute for International Affairs (NDI) » lié au Congrès, restent persuadés que les États-Unis jouent à Hong-Kong un jeu trouble anti-chinois [2].

++++

Mises en garde de Pékin.

Déjà le 1er juillet 2017, Xi Jinping avait tracé une ligne rouge à l’occasion de l’anniversaire de la rétrocession, fustigeant fermement les tenants de la mouvance indépendantiste dont plusieurs députés élus avaient été exclus du Legco par invalidation de leurs prestations de serment.

Lire : A Hong Kong, un tribunal invalide 4 parlementaires récemment élus.

Le 29 juillet dernier, à Pékin, le Bureau des affaires de Hong-Kong et Macao ayant rang de ministère, directement sous l’autorité du Comité Permanent et de Xi Jinping, responsable de la gestion politique de la R.A.S, réitérait sa confiance aux forces de police au milieu de controverses sur leurs violences et l’utilisation indiscriminée de gaz lacrymogènes.

Le 1er août, le général Chen Daoxiang 陈道祥, commandant l’unité de l’armée chinoise stationnée à Hong Kong qui s’exprimait à la cérémonie du 92e anniversaire de la fondation de l’APL, adressa une sévère mise en garde aux manifestants : « Récemment, Hong Kong a été témoin d’une série d’incidents extrêmement violents. » (…)

« Ces derniers ont sérieusement perturbé la prospérité et la stabilité de la R.A.S et remis en question l’état de droit et l’ordre social (香港发生了一系列暴力激进事件, 严重扰乱了香港的繁荣稳定-. Menaçant gravement la vie et les biens de ses citoyens 严重威胁香港市民的生命财, ils ont aussi gravement violé les principes de base du schéma Un pays, Deux systèmes - 国两制原则的原则底线. » (…) « Ces actions ne peuvent absolument pas être tolérées 绝对不能容忍. Nous les condamnons fermement, 我们对此表示强烈谴责 ».

Après quoi, ayant apporté son soutien à Carie Lam, il rappela que l’APL avait la « détermination 解决 et les moyens 能力 de protéger la souveraineté nationale, la stabilité et la prospérité de Hong Kong. 保护香港的国家主权, 稳定和繁荣 ».

Une vidéo militaire menaçante

.

Simultanément, Pékin faisait diffuser sur Youtube une vidéo de 3 minutes accessible à Hong Kong montrant une unité de l’APL à l’entrainement, armée de fusils d’assaut, de matraques et de boucliers, maîtrisant à sa manière efficace et directe les tumultes sociaux.

Après qu’un jeune officier leur ait adressé une sommation avant usage de la force, les émeutiers étaient vigoureusement repoussés à coups de boucliers et de bâtons, projetés à terre à plat-ventre et immobilisés.

A bon entendeur salut.

Pour autant, aussi efficace que soit l’APL, chacun voit bien que les méfiances et les dissensions sont telles que l’usage exclusif de la force, ni même les accusations d’une ingérence étrangère, ne sauraient être les seules réponses à la crise de confiance qui plombe gravement la relation avec Pékin.

Quand on écoute les meneurs ou des témoins anonymes de la foule qui, le 16 juin, avaient exprimé leur défiance à l’occasion de la plus puissante manifestation depuis 1997, il apparaît clairement que ce qui est en cause dépasse largement la question de la loi sur l’extradition :

« Nous ne reculerons pas. Trop de compromissions ont été acceptées par le passé » ; « Nous ne faisons que lutter pour ce à quoi nous croyons » ; « le moment est historique pour Hong Kong ».

En réalité, toutes les réponses des manifestants ramènent à la nature même de la relation avec Pékin. S’il est exact que seule une petite minorité prône l’indépendance, tous condamnent le poids excessif du Continent dans les affaires du territoire.

++++

A la racine des troubles

Certes, la colonie britannique a été rétrocédée à Pékin en 1997, mais le principe « un pays deux systèmes » la protège en théorie de l’autoritarisme du pouvoir central.

Les Hongkongais jouissent de la liberté d’expression, d’une justice et de médias indépendants de l’exécutif, d’élections démocratiques, du droit de manifestation et de celui de se présenter librement aux suffrages des citoyens.

L’angoisse est que, selon les accords avec Londres, « un pays deux systèmes » prendra fin en 2047, dans seulement 28 ans. A cette date, c’est l’actuelle jeunesse politiquement très défiante à l’égard de Pékin qui sera aux affaires.

Autre inquiétude, Pékin a déjà exprimé une impatience normative et tenté quelques coups de canif dans les « deux systèmes » auxquels la rue a répliqué. La succession des tentatives d’empiètement et des réactions populaires jalonne l’effritement de la confiance entre la R.A.S et Pékin. Au-delà de la question de l’extradition et du rejet de Carie Lam, c’est bien ce déficit de confiance que le mouvement qui dure depuis plus de 7 semaines, exprime.

*

En 2003, 500 000 personnes défilèrent dans les rues pour protester contre l’amendement de la Constitution de l’article 23 sur la sécurité nationale qui aurait permis de réprimer légalement toute critique du système chinois. En 2014, le mouvement « Occupy Central » avait bloqué le centre de Hong Kong pendant des semaines pour réclamer un mode de suffrage universel protégé de la supervision de Pékin.

Dans l’actuel système législatif, non seulement Pékin exige de filtrer les candidats en fonction de leur allégeance politique au Parti, mais encore la répartition hybride des circonscriptions entre celles représentant des territoires (40 des 70 sièges) et celles (30 sièges) représentant des catégories socio-professionnelles dont la grande majorité soutient Pékin, est vue par les démocrates comme une distorsion du suffrage direct.

Ce système fait que, si le projet d’extradition était mis aux voix au Legco, il serait probablement adopté en dépit du puissant rejet de l’opinion. Lire : Hong Kong : un suffrage universel aux « caractéristiques chinoises. ».

Enfin, depuis l’avènement de Xi Jinping, le Parti a utilisé des procédés de coercition dignes de pressions mafieuses qui eurent un effet répulsif sur l’opinion. En 2015, la machine politique avait, toute honte bue, fait enlever 5 libraires de Hong Kong qui vendaient des « magazine people » révélant la vie amoureuse cachée du Président. Même leurs familles ignoraient ce qu’ils étaient devenus.

L’un des libraires de nationalité suédoise, mais Chinois d’origine avait été contraint de se livrer à un exercice de repentance forcée à la télévision d’État - dans le plus pur style de la révolution culturelle - qui en dit long sur la manière dont le Parti voit la « Chine dans le monde » et combien il rejette toute influence occidentale :

« Même si je suis Suédois, je me sens toujours authentiquement Chinois et mes racines sont toujours en Chine. C’est pourquoi j’espère que les autorités suédoises respecteront mon choix, mes droits et ma vie privée et me laisseront résoudre moi-même mes problèmes »

Lire : Hong – Kong sous influence.

*

Enfin, s’il est vrai que les manifestations ne sont pas les premières, beaucoup d’analystes disent que cette fois elles sont différentes. On y voit des avocats, des hommes politiques et des juristes appuyant la jeunesse née après la rétrocession qui, très inquiète de l’avenir, constitue la partie la plus vive du mouvement.

L’analyse qui précède montre que la solution répressive aujourd’hui brandie par Pékin sera insuffisante. Tout comme les perspectives d’intégration de la R.A.S au projet de la « Grande baie » (lire : Hong-Kong à l’aune des « caractéristiques chinoises ».) pourraient n’apparaître que comme un palliatif matérialiste à la quête de liberté insufflée par les « deux systèmes ».

Une impossible remise en question. Le danger du tout répressif.

Le 29 juillet Chris Buckley et Austin Ramzy évoquaient cette question dans le New-York Times, en soulignant qu’à ce jour les réactions de Pékin semblaient laisser entendre que la crise n’était due qu’aux interférences extérieures ou aux tensions socio-économiques qu’il appartenait à Carie Lam de régler. En aucun cas les différentes prises de position officielles laissèrent entendre que les effervescences pouvaient avoir été provoquées par la manière trop intrusive et impatiente de Pékin.

Si on en croit un éditorial de l’édition internationale du Quotidien du Peuple du 29 juillet dernier, aujourd’hui corseté dans un nationalisme d’autant plus rigide qu’il est humilié par les récentes agressions contre les symboles de souveraineté, le sérail politique chinois, n’est pas disposé à plus de souplesse.

Après avoir indiqué dans le titre que la police ne peut plus se comporter comme « une gentille nounou 香港警察执法不能再“温柔如保姆”! », la conclusion était sans équivoque : « face à une telle situation il n’y a pas d’hésitation à avoir, ni à s’embarrasser de considérations psychologiques. Que les manifestants soient affublés du chapeau de liberté et de la démocratie ne change rien, la réaction du gouvernement et de la police doit rester conforme à la loi. »

Note(s) :

[1Le 21 juillet, des activistes des droits et des membres du parti démocratique du Conseil Législatif accusèrent la police d’être restée inerte alors que des dizaines de nervis vêtus de chemises blanches dont certains portaient des masques, attaquèrent les manifestants. Plus de 40 d’entre eux avaient été blessés dont au moins un plus sévèrement.

Carie Lam a catégoriquement démenti les accusations qui – fait marquant – avaient été reprises sur son compte Facebook par James Tien, 73 ans, ancien président du Parti Libéral et ancien membre pro-Pékin du Legco (circonscription fonctionnelle) qui appelait à la démission de la gouverneure « Êtes-vous toujours chef du gouvernement ou les Triades ont-elles pris le pouvoir à Hong Kong ? »

[2Lié à l’Internationale Socialiste, proche du Parti démocrate et financé par le Congrès sous couvert de l’organisation National Endowment for Democracy, le NDI a clairement l’objectif dont on ne peut ignorer la sensibilité pour les régimes autoritaires, de « promouvoir la démocratie ». Les pouvoirs qui en sont les cibles voient naturellement ce prosélytisme démocratique américain comme des « tentatives de subversions ». D’autant qu’il abrite aussi des arrière-pensées d’influence stratégique de Washington.

 

 

L’appareil fait l’impasse du 3e plénum. Décryptage

[17 février 2024] • François Danjou

A Hong-Kong, l’obsession de mise au pas

[2 février 2024] • Jean-Paul Yacine

Pour l’appareil, « Noël » est une fête occidentale dont la célébration est à proscrire

[29 décembre 2023] • Jean-Paul Yacine

Décès de Li Keqiang. Disparition d’un réformateur compètent et discret, marginalisé par Xi Jinping

[4 novembre 2023] • François Danjou

Xi Jinping, l’APL et la trace rémanente des « Immortels » du Parti

[30 septembre 2023] • François Danjou