Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Editorial

Chine, Vietnam, Russie, ASEAN, États-Unis, les rapports de forces bougent

Alors que, dépassant les menaces de D. Trump qui, début juillet, promettait d’infliger 456% de droits de douane à l’acier vietnamien exporté aux États-Unis, le président vietnamien Nguyen Phu Trong prépare sa visite officielle à Washington à l’invitation du même D. Trump qui était à Hanoï en février dernier, tout indique que, dans un futur proche, la relation du Vietnam avec Pékin pourrait à nouveau s’envenimer.

En cause, l’objet déjà ancien de leurs querelles aggravées par les réclamations chinoises : le contrôle de la Zone Économique Exclusive vietnamienne et des gisements d’hydrocarbures qu’elle recèle.

Lire : Explosion de violences anti-chinoises au Vietnam.

*

A Pékin, tandis que le conflit global avec Washington s’enkyste, la déclaration de D. Trump, lors de sa visite au Vietnam, aux marches sud de la Chine, dans l’ancien pays tributaire devenu un rival stratégique irritable et réfractaire, n’aura pas manqué de susciter quelques sérieuses alertes :

« Aujourd’hui, l’économie vietnamienne est l’une des plus dynamiques du monde… Nous savons qu’il est dans l’intérêt des États-Unis d’avoir des partenaires prospères dans cette région et qui ne dépendent de personne… Nous voulons des partenaires forts, pas des voisins faibles. Et surtout, nous recherchons l’amitié. » (Source Hanoi Times).

Les insistantes pressions de Pékin. Risque d’isolement.

Aux États-Unis, la RAND corporation a, dans une étude théorique, récemment évalué les capacités de combat réelles de l’APL dans le cas d’une guerre ouverte entre la Chine et le Vietnam. A Hanoï, la presse militaire en parle. Heureusement, nous n’en sommes pas encore là.

Mais à sa manière insistante et répétitive, Pékin teste la détermination du Vietnam par des intrusions répétées dans les eaux contestées et, en Mer de Chine du sud, celle des États-Unis et de quelques uns de leurs alliés, en militarisant les îlots qu’elle bétonne, élargissant ainsi et contre le droit de la mer ses eaux territoriales.

En juillet dernier, le navire de reconnaissance chinois Haiyang Dizhi 8 escorté par une petite flottille de garde-côtes a longuement croisé dans les parages du haut fond de Vanguard. Située à mi-distance entre le Vietnam et les côtes de l’État malaisien de Sarawak sur la partie occidentale de l’île indonésienne de Bornéo, le périmètre empiète, dans sa partie occidentale, sur la Zone Économique Exclusive (Z.E.E) du Vietnam. Après avoir quitté la zone, le navire est réapparu en août.

Or, il se trouve que ces parages situés – la précision est importante - hors des limites réclamées par la « ligne en 9 traits » chinoise et à 90 nautiques des côtes vietnamiennes clairement dans la ZEE de Hanoi, recèlent des gisements de pétrole dont le potentiel estimé à 230 barils/jour est actuellement explorée par Vietsovpetro une co-entreprise russo-vietnamienne.

Établie en 1981 à Vung Tau – l’ancien Cap Saint-Jacques des Français - en pleine guerre froide sino-vietnamienne, au moment où Hanoi sous embargo international était à couteaux tirés avec Pékin qui l’avait attaqué en 1979 alors qu’il envahissait le Cambodge, la coopération russo-vietnamienne - à l’époque entre le groupe soviétique Zarubezhneft et le Vietnamien Petrovietnam - renvoie aux pires périodes de la relation entre Hanoï et Pékin.

Mais aujourd’hui, l’alignement des planètes se réajuste. Tandis que Vladimir Poutine, fidèle à l’histoire vietnamienne de l’URSS, mais confronté à des difficultés internes qui l’affaiblissent, pourrait être tenté d’assouplir sa posture à l’égard de l’Occident (le récent échange de prisonniers ukrainiens et russes en est le signe avant-coureur), la Maison Blanche dont on connaît le tropisme pro-russe entravé par l’enquête du procureur Muller, est en crise avec la Chine et se rapproche clairement de Hanoï.

Dès lors, le jeu de Pékin dans les parages de la ZEE vietnamienne apparaît isolé. Au pire, compte tenu de la proximité de Hanoï à la fois avec Moscou et Washington, il pourrait s’avérer acrobatique, d’autant qu’il se développe contre le droit et qu’en décembre 2010, VietsovPetro et Zarubezhneft étaient tombés d’accord pour poursuivre leur coopération jusqu’en 2030, la plus grande part de capital étant détenue par Hanoi à 51%, laissant 49% aux Russes.

++++

Humiliation de Hanoï et implication de Washington.

L’agacement de Hanoï confronté aux intrusions chinoises répétés se rapproche progressivement d’un sentiment d’humiliation.

L’année dernière une pression de Pékin avait forcé le Vietnam à abandonner l’exploitation pourtant déjà commencée d’un gisement par une JV avec l’Espagnol REPSOL, hors de la ZEE vietnamienne, mais cette fois situé à l’intérieur de la « Ligne en 9 traits ». Celle-ci est réfutée par Hanoï au nom de l’arbitrage de la Cour de La Haye (juillet 2016) que Pékin n’a pas accepté au nom de sa longue présence et de son influence culturelle dans la zone.

Lire :
- le paragraphe « Le dilemme énergétique vietnamien »
et
- Arbitrage de la Cour de La Haye. Tensions et perspectives d’apaisement.

Ce n’est pas fini. Le 3 septembre 2019, le bureau de Hanoï de la BBC diffusait en vietnamien un reportage sur le mouvement par l’entreprise publique « 中油燃气 – CNOOC » d’une plateforme-grue baptisée Lam Kinh (Lan Jing en Chinois), clairement à l’intérieur de la ZEE vietnamienne [1].

Il n’est pas anodin d’indiquer que la migration de la plateforme est également suivie de près et sa position diffusée en vietnamien par Voice of America, directement financé par l’exécutif américain.

Un autre contexte important est souligné par un article d’Asia Times publié le 5 septembre dernier. il indiquait que « le mouvement présumé de la grue Lam Kihn par la Chine dans les eaux vietnamiennes intervenait alors que le Vietnam et les neuf autres membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est participaient cette semaine à un exercice naval avec la marine des États-Unis. » (lire : US and 10 ASEAN navies begin first joint military exercises in Southeast Asia.)

La Chine teste les limites de Washington.

C’est dans ce contexte devenu inflammable que plusieurs experts américains dont Denis Blasko (ancien de West-Point et du renseignement militaire américain) viennent de se livrer à l’analyse des capacités réelles de l’armée chinoise dans le cas – très hypothétique - d’un conflit direct avec le Vietnam.

Au milieu des quelques certitudes évidentes que sont l’augmentation rapide de la puissance navale de Pékin et le déséquilibre flagrant avec celle de Hanoï que les Vietnamiens reconnaissent, subsiste l’inconnue de l’aptitude au combat de la marine chinoise, alors que, selon Blasko, les responsables militaires de l’APL envisagent sans enthousiasme une entrée en guerre directe avec le Vietnam.

*

En attendant, la Chine explore la résilience du Vietnam jusqu’à de dangereuses limites, alors que les plaques tectoniques des rapports de forces bougent. Pour autant, elle dispose encore d’une marge de manœuvre liée à la plus importante inconnue de ce théâtre : la détermination américaine à s’engager militairement.

Spéculant sur les hésitations de Washington, Pékin pourrait parier sur sa capacité à vaincre à la manière de Sun Zi « sans combat », par la stratégie oblique de ses pressions récurrentes, de son influence financière et de ses propositions de coopération pour l’exploitation conjointe des ressources. Il reste qu’au sein de la direction politique à Pékin, si certains peuvent estimer que le jeu en vaut la chandelle, d’autres pourraient juger l’aventure dangereuse.

Jusque il y a peu, au Bureau Politique, les tenants d’une prise de risque poussant les enchères à leurs limites, sont confortés par le passé récent. Alors que Pékin exerçait des pressions ininterrompues sur Manille à propos du récif des Scarborough (2012 – 2014), Washington s’est tenu à distance quand bien même les Philippines figurent parmi les plus anciens alliés militaires des États-Unis.

En 2014, lors des extrêmes tensions entre Pékin et Hanoï, la Maison Blanche n’avait pas bougé non plus. Et toujours pas en 2017 et 2018 quand CNOOC avait forcé le Vietnam à abandonner ses explorations dans une zone où pourtant elles étaient juridiquement aussi légitimes sinon plus que celles des groupes chinois.

Les vents tournent.

Aujourd’hui, le mouvement des planètes évoqué plus haut joue moins en faveur de Pékin.

A Hong Kong, la rigidité nationaliste chinoise en porte-à-faux rejaillit directement sur Taïwan où la Présidente indépendantiste Tsai Ing-wen a beau jeu de se poser, avec l’aide empressée de Washington, en parangon de la démocratie mondiale face aux pressions des autocrates de Pékin.

En Asie du sud-est, s’il est vrai qu’aucun pays ne prend le risque de défier Pékin, la participation de tous à un exercice de l’US Navy contredit le discours chinois stigmatisant la présence illégitime de l’armée américaine dans le Pacifique occidental.

Enfin, dernière évolution, après la stigmatisation par la Maison Blanche des missiles balistiques intermédiaires chinois qui menacent Taïwan, Mike Pompeo, le secrétaire d’État américain, a, le mois dernier, tenu à rassurer Manille, à propos des pressions chinoises sur l’îlot Thitu occupé par les Philippines depuis 1971.

« Dans la zone de la mer de Chine du sud, partie du Pacifique occidental, toute agression armée contre les Philippines, activerait l’article 4 du traité de défense mutuel ».

Il n’en fallait pas plus pour que le Président Duterte, habituellement plus prudent, se lance dans une diatribe martiale contre Pékin affirmant publiquement : « si vous touchez à Thitu (215 nautiques à l’ouest de Palawan et 500 nautiques au sud de Hainan), je dirai à mes militaires de se préparer à des missions suicide ».

On le voit, l’ambiance entre Manille et Pékin a radicalement changé depuis l’époque où, séduit par les promesses financières chinoises et excédé par l’entrisme de Washington, le président philippin avait traité Barack Obama de « fils de p… ». Lire le § « Pragmatisme de Manille » de l’article Le grand chassé-croisé sino-américain en Asie. Un apaisement en demi-teinte.

En même temps, la conviction de Pékin que Washington ne déclenchera pas un conflit pour de simples récifs se brouille.

++++

La carte sauvage du nationalisme vietnamien.

Une autre incertitude de taille plane sur les stratégies chinoises. Elle renvoie au nationalisme exacerbé des Vietnamiens. Les successeurs d’Hô Chi Minh, vénéré à Hanoï comme le symbole mythique de l’indépendance nationale, se souviennent que les sacrifices des masses ont successivement permis de triompher militairement de la France et des États-Unis.

En 1979, - l’épisode est ces jours-ci fréquemment rappelé dans la presse de Hanoï – l’armée vietnamienne a, sur les flancs nord du pays, à seulement 150 km à l’ouest de Cao Bang de sinistre mémoire pour le corps expéditionnaire français sérieusement bousculé en 1950 par le Viet Minh, tenu à distance la Chine alors que, dans le même temps, à 1000 km au sud, les héritiers du Général Giap envahissaient le Cambodge.

La presse de Hanoï, alertée par la montée des tensions avec la Chine donne quelques indications sur les débats en cours au sein de l’appareil de défense vietnamien.

Le 30 août un article du journal de la défense nationale signé du ministre de l’information Nguyen Manh Hung également général dans l’armée, évoquait clairement que, dans un conflit futur, c’est encore la « guerre populaire » qui assurerait la défense du pays. Mais il soulignait que, par le passé, le Vietnam avait toujours pris l’initiative. La remarque reprenait un débat interne sur l’opportunité ou non de prendre l’initiative militaire contre la Chine.

Hanoï à la recherche d’alliés.

Mais depuis 1979, les temps ont changé. Compte tenu du déséquilibre des forces avec un budget militaire vietnamien plus de 40 fois inférieur à celui de la Chine, 10 fois moins d’avions de combat et 11 fois moins de navires de guerre, Hanoï cherche à dissuader Pékin en multipliant les coopérations de défense récemment avec l’Afrique du sud, l’Australie, l’Union européenne et le Japon.

Mais à Hanoï on a conscience que c’est d’un rapprochement militaire avec Washington à l’occasion de la visite du Président Trong que viendrait la dissuasion la plus efficace.

S’il est vrai que le Vietnam s’interdit des accords de défense avec d’autres pas, on peut néanmoins s’attendre à une montée en gamme des relations existantes, avec une plus grande fréquence des escales au Vietnam de l’US Navy – souhaitées par Washington - et des achats par Hanoï d’équipements militaires américains, diversifiant ses fournisseurs qui, pour l’heure, sont presque exclusivement Moscou et Tel Aviv.

Asia Time souligne que la perspective est d’autant plus probable que l’augmentation des achats vietnamiens d’armes américaines pourraient tenir à distance les sanctions infligées à Hanoï dans le cadre du « Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act – CAATSA - », pour avoir acheté des armes russes sous embargo.

*

Alors que la querelle entre Hanoi et Pékin en mer de Chine du sud pourrait s’aggraver autour de l’exploration d’hydrocarbures, la persistance de l’ancienne coopération entre Moscou et Hanoï et les perspectives encore ténues, mais réelles d’un apaisement des tensions entre la Russie, les États-Unis et l’Europe, font courir à Pékin le risque d’un isolement.

D’autant qu’une partie de ses explorations empiètent sur les droits de Hanoï, tandis que ses pressions de souveraineté exercées par sa marine entrent en conflit avec le fait accompli de l’occupation depuis 48 ans par Manille de l’îlot Thitu.

Au moment où la rigidité doctrinale de Pékin est sur la sellette à Hong Kong et Taïwan, tandis que l’autocratisme chinois commence à être perçu comme une menace globale, les tensions en cours confirment la raideur stratégique chinoise.

Mettant à nouveau en exergue le conflit de droit par lequel Pékin réfute l’arbitrage de la cour de La Haye de juillet 2016 qui déboutait la Chine de ses réclamations de souveraineté sur toute la mer de Chine du sud, les tensions avec Manille et Hanoï portent le risque que, dans l’ASEAN, l’image chinoise d’une puissance douce, contrepoids pacifique au militarisme de Washington, se brouille.

Lire aussi :
- Sérieuses discordes dans le triangle Chine – Inde – Vietnam.
- Querelles sino-vietnamiennes. Rivalités des frères ennemis et enjeu global.

Et l’Europe ?

Dans ses plaques tectoniques de la puissance entrant lentement en mouvement, un absent : l’Europe.

Incapable de parler d’une seule voix, non seulement face à la Chine qui tente de défaire le lien transatlantique, mais également face aux États-Unis qui la malmènent, elle peine, dans les tensions qui montent, à jouer le rôle d’arbitre dont elle-même se prévaut.

A cet égard, la dernière visite à Pékin d’Angela Merkel est éclairante.

« Le dernier sommet Allemagne-Chine a-t-il été un succès ? » Titre le Guardian qui cite Maximiliane Koschyk correspondante de la Deutsche Welle.

« À en juger par le nombre de transactions signées et la fréquence à laquelle les « droits de l’homme » ont été mentionnés, oui. Mais alors que la chancelière allemande Angela Merkel a commenté publiquement et en privé les manifestations en cours à Hong Kong, et qu’elle retournera en Allemagne avec pas moins de onze accords de coopération, sa récente visite en Chine ne satisfera ni les représentants d’entreprises ni les défenseurs des droits de l’homme. »

« La Fédération des industries allemandes (BDI), par exemple, critique le fait que l’industrie allemande se trouve perdante en essayant de concurrencer l’économie gérée par l’État chinois. Et ceux qui avaient espéré que le voyage de Merkel mènerait à un véritable dialogue avec la société civile chinoise ont également été déçus. Après tout, Merkel ne rencontre que des avocats spécialistes des droits de l’homme en privé. »

*

L’ambivalence de Berlin hésitant entre ses intérêts commerciaux directs en Chine et la solidarité européenne qu’elle appelle de ses vœux ferme un cycle. Ce dernier s’était affirmé au temps où la puissance industrielle allemande exerçait un attrait irrésistible en Chine. C’était aussi le temps où tournant le dos à l’Europe, l’Allemagne ménageait d’abord ses intérêts directs. Lire à ce sujet : Chine – Allemagne – Europe. Le grand malentendu.

Aujourd’hui, la réalité est non seulement que le temps de la force impérieuse des exportations de machines-outils est passée en Chine, montée en gamme technologique et que, comme Bruxelles, Berlin cherche sa voie dans un monde en effervescence où s’étalent les attributs de puissance auxquels l’Europe a renoncé.

Note(s) :

[1En 2018, le Pentagone expliquait l’agressivité chinoise en mer de Chine du sud en soulignant que Pékin, devenu le 2e consommateur de pétrole et le 3e de gaz de la planète, importait chaque année 461 millions de tonnes de pétrole soit 4 fois plus qu’en 2004 et 90 millions de m3 de gaz, soit 67% de sa consommation, pourcentage qui augmenterait à 80% en 2035.

 

 

A Hong-Kong, l’inflexible priorité à la sécurité nationale a remplacé la souplesse des « Deux systèmes. »

[25 mars 2024] • François Danjou

14e ANP : Une page se tourne

[14 mars 2024] • François Danjou

La stratégie chinoise de « sécurité globale » face aux réalités de la guerre

[29 février 2024] • La rédaction

Que sera le « Dragon » ?

[13 février 2024] • François Danjou

Brève et brutale crise boursière. Le prix de la défiance

[28 janvier 2024] • François Danjou