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Chronique de la « menace chinoise »

On se souvient qu’au printemps dernier la Commission européenne avait publiquement considéré que la Chine constituait « une menace systémique. » Bruxelles voulait signifier par là que le caractère intrusif des stratégies extérieures de Pékin avaient, au-delà des contentieux commerciaux, le potentiel de bousculer le paradigme socio-politique fondant l’épine dorsale de la marche des sociétés démocratiques de la planète.

En d’autres termes, la déclaration exprimait la préoccupation que « les caractéristiques chinoises » qui s’exonérant parfois du droit des affaires, ont quelques difficultés à se couler dans le système des appels d’offres ouvert. Plus encore, mêlant intimement l’action politique aux projets économiques, les projets cherchent souvent à s’attacher un interlocuteur par des avantages directs en nature ou en espèces.

Le 14 octobre, le New-York Times publiait un article qui présentait l’exemple inverse de la Deutsche Bank ayant construit ses affaires sur une pratique de corruption et de népotisme au sein de la haute administration chinoise.

Utilisant le viseur du « guanxi », constante culturelle que les familiers de la Chine connaissent bien, le journal explore, sur une période de 15 ans, les relations passées de la banque avec les dirigeants chinois. L’historique met l’accent sur deux contradictions : celle des Occidentaux violant leurs propres valeurs éthiques ; celles des Chinois confrontés à la rémanence du népotisme alors même que la direction politique s’est engagée dans une vaste opération de redressement moral du Parti.

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Nommée « guanxi – 关系 », la notion s’articule à une étymologie fluide, inventaire des possibles, entre la sècheresse de l’absence de relations et la profusion des potentiels – y compris affectifs – découlant de la pratique des échanges de cadeaux.

Le premier phonème « guan – 关 » signifie à fois la « la porte » et l’acte de la « fermer – 关门 ». Associé à d’autres phonèmes comme dans « guanxin 关心 » ,« guan huai 关怀 » ou « guanzhao 关照 » il évoque l’attention affective portée aux autres. Quant au 2e phonème « 系 xi, » il suggère l’attachement, le lien, les relations de parenté ou/et un système.

Au cœur du contexte fortement interactif de la société chinoise, cet aspect de la culture qui fonde les relations entre personnes sur des échanges de cadeaux ou de faveurs, aboutit à créer un réseau d’influence. Dans l’idéal, il fluidifie les rapports humains et apporte du liant aux affaires et à la vie sociale.

Poussé à ses extrêmes il crée des pôles d’influence autour de personnes ayant ce prestige et ce pouvoir de séduction que les Chinois appellent« 势力 - shili - » exprimant le rayonnement d’un individu qui peut se dilater en capacité de pression.

Assez vite, le souci pragmatique d’efficacité touche aux limites de la corruption.

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L’article du New-York Times, dont l’enquête a croisé celles de la Suddeutsche Zeitung, des avocats de la banque elle-même ainsi que celle de la « Securities and Exchange Commission », organe fédéral américain de contrôle des marchés financiers qui travaille sur le sujet depuis plusieurs années, traite certes de faits révolus.

Ces derniers couvrent en effet la période de plus de dix ans ayant en théorie pris fin avec le départ en 2012 du banquier suisse Josef Ackermann 70 ans qui fut PDG de la banque de 2002 à 2012.

Les détails dévoilés, en partie liés à la famille de l’ancien premier ministre Wen Jiabao dont le nom revient avec insistance dans les rapports, dessinent un réseau d’influence au centre duquel se trouve Lee Zhang, 54 ans, ancien chef du bureau de Goldman Sachs à Pékin, répondant exactement à la description d’un homme de prestige et d’influence qui, dans la tradition chinoise, s’attachent aux personnalités, pas toujours publiques, possédant ce que la culture populaire appelle le « shili 势力 ».

Le concept de « Sheli » est avec celui du « Guanxi » évoqué plus haut au cœur de la culture sociale chinoise.

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La promotion commerciale par l’écheveau des influences croisées.

Les réseaux de Lee nommé Directeur de la Deutsche Bank en Chine en récompense de ses succès de médiation avec la haute direction chinoise qui placèrent la DB au cœur des plus lucratives opérations d’entrée en bourse de banques et de groupes chinois, englobent une longue liste de personnalités directement liés à la famille Wen et au cœur du pouvoir chinois.

On y retouve Zhang Beli, diamantaire, épouse de Wen, son gendre Liu Chunhang, sa fille Wen Rucheng, sa brue Yang Xiaomeng et son fils Wen Winston.

Mais ce n’est pas tout. Contrairement aux plaidoyers de la Banque et de Joseph Ackermann dont les arguments évoquent la prescription d’une situation révolue et soldée par les les sanctions américaines de 16 millions de $ infligés par la justice américaine à la DB pour violation du « Foreign Corruption Practice Act – FCPA - » la haute direction chinoise compte toujours des membres éminents dont la famille a bénéficié des largesses de la Deutsche Bank [1].

Parmi eux Li Zhanshu n°3 du régime, président de l’ANP, dont la la fille Li Qianxin, résidente à Hong Kong aujourd’hui présidente d’une société de gestion d’actifs avait été engagé dans l’équipe de communication de Deutsche Bank sans en avoir les qualifications.

Wang Xisha, fille de Wang Yang n°4 du régime président de Conférence Consultative du Peuple Chinois, a été membre de la Direction de la Deutsche Bank à Hong Kong. Elle est mariée au banquier (Nicholas) Zhang Xinliang, petit-fils de Zhang Aiping ancien ministre de la défense, n°2 de la CMC et neveu par alliance de Yu Zhengcheng, ancien n°4 du régime, aujourd’hui à la retraite.

Même Wang Qishan, actuel vice-président et ancien président de la Commission Centrale de discipline qui mena les premières charges contre la corruption endémique est cité pour avoir accepté des pots de vin quand il était maire de Pékin de 2003 à 2007.

Pour rattraper son retard en Chine par rapport aux banques américaines comme la Citibank, JP Morgan ou Morgan Stanley, la Deutsche Bank a adopté la stratégie classique à trois volets qui, à partir de la fin des années 90 fut celle de nombreux prétendants au marché chinois.

1) Distribuer aux membres de l’oligarchie et à leurs familles de généreux cadeaux que l’enquête évalue à 200 000 $ ;

2) S’attacher les services de consultants – intermédiaires, clés de l’accès rapide aux dirigeants et dont les honoraires se sont élevés à 14 millions de $. En retour ces derniers rapportèrent plus d’une centaine de millions de $ en commission quand la Banque fut engagée pour piloter les introductions en bourse des groupes chinois ;

3) Engager les enfants et les proches des dirigeants chinois – le rapport dit qu’une centaine de jeunes enfants et de parents des dirigeants chinois ont été engagés -, y compris quand ils n’avaient pas les compétences requises pour le poste.

La manœuvre a fonctionné. Alors qu’à la fin des années 80, la Banque allemande n’était pas présente en Chine, en 2011 Bloomberg la plaçait au tout premier rang des banques internationales pour le pilotage des inscriptions en bourse en Chine et en Asie.

La réussite de la DB en Chine est cependant entachée d’une accommodation acrobatique de la Banque avec l’éthique des affaires dont les exigences de probité, de transparence et de respect du droit commercial ne peuvent plus être ignorées par les responsables des groupes financiers ou industriels occidentaux.

Choc de cultures et contradictions éthiques.

Les succès commerciaux obtenus par la Banque allemande dans la compétition avec ses concurrents américains en Chine l’ont été au mépris de l’éthique de la transparence publique, de la libre concurrence et du droit des affaires, dont l’exigence morale devient de plus en plus pressante en Occident.

Ces transgressions renvoyant aussi à un choc de cultures sont favorisées par la persistance en Chine de la tradition sociale du « guanxi », creuset de la corruption et du népotisme.

Au milieu de la promotion du « rêve chinois » appuyé au redressement moral du Parti qui s’exonère cependant des principes d’indépendance de la justice garant de l’équité des investigations, la nouvelle de la présence rémanente dans les hautes sphères politiques de membres éminents de l’appareil dont la famille a bénéficié des passe-droits d’une banque étrangère, pourrait attiser des vents politiques contraires que l’appareil tentera de mettre sous le boisseau.

Ce n’est certes pas la première fois que la presse étrangère à laquelle l’opinion chinoise n’a accès que sous le manteau, jette la lumière sur la corruption de la haute administration. Déjà à l’automne 2012, le même NYT avait publié en première page un article sur la fortune de la famille Wen Jiabao, en insistant sur les trafics d’influence et les conflits d’intérêt. « Billions in Hidden Riches for Family of Chinese Leader ».

La Deutsche Bank n’est pas non plus une exception. Goldman Sachs, Morgan Stanley, UBS, Credit Suisse et Citigroup ont également été ciblés par la justice américaine et la Commission de régulation boursière pour des recrutements de complaisance au profit des enfants de la haute direction chinoise.

Mais, le fait que 7 années plus tard, presque jour pour jour, le même journal étranger lève le voile sur la rémanence au sommet du népotisme clanique et familial incite à s’interroger sur l’efficacité de la lutte anti-corruption et la rémanence des obstacles endogènes, dont la pratique du « guanxi » n’est qu’une partie.

Lire :
- Guerre contre la corruption : le Parti s’interroge sur lui-même.
et
- Réflexions sur les origines de la corruption et ses remèdes.

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En arrière-plan subsiste une inquiétude exprimée par Wang Qishan lui-même. Aujourd’hui vice-président, Wang qui fut le premier maître d’œuvre de la campagne anti-corruption de Xi Jinping, avait jugé en 2012 – sans élaborer - que l’offensive tous azimuts du Parti ne s’attaquait pas aux causes mêmes de la corruption, mais uniquement aux symptômes.

S’agissant des « causes », ce qu’il avait en tête reste en Chine un puissant non-dit. En revanche, la contradiction institutionnelle d’une répression sans la garantie d’une justice indépendante saute aux yeux.

D’où la crainte exprimée par Bruxelles d’une « menace systémique ». Dans la relation avec la Chine, la Commission européenne, instruite par l’exemple des influences des « caractéristiques chinoises » en Afrique, et, dans certains pays d’Asie du sud-est comme le Cambodge, redoute la contagion des valeurs anti-démocratiques.

En Europe, « l’osmose »pourrait être facilitée à la fois par les intérêts d’affaires sur le marché chinois et, comme on l’a vu dans le cas de la Deutsche Bank, par la surenchère compétitive des groupes occidentaux entre eux, prêts à tourner le dos à la morale pour élargir leur part de marché en Chine.

Note(s) :

[1Voir la liste des banques et groupes industriels sanctionnées au nom du FCPA (adopté en 1977) éditée par la Commission de régulation boursière américane (US Securities and Exchange Commission) en septembre 2019. Ces sanctions sont prises au nom Foreign Corrupt Practice Act, par lequel les États-Unis s’arrogent une compétence juridique internationale pour lutter contre la corruption globale.

 

 

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