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›› Chine - monde

Violente charge de Pompeo contre le Parti. Les dessous du raidissement chinois

Le 30 octobre dernier, à l’occasion d’un discours du Secrétaire d’État Mike Pompeo au très conservateur Institut Hudson, la méfiance ombrageuse entre les États-Unis et la Chine qui disent pourtant l’un et l’autre vouloir éviter un conflit direct et préférer la coopération, a franchi le cap symbolique d’une guerre encore froide, mais sans merci, entre les « caractéristiques chinoises » exprimées par le régime et l’Occident dont Washington se dit le porte-parole.

Si les mots ont un sens, c’est en tous cas ainsi que résonne une des phrases les plus inamicales jamais proférée publiquement pas un secrétaire d’État américain contre le régime chinois. « Aujourd’hui, nous réalisons enfin à quel point le Parti communiste est vraiment hostile aux États-Unis et à nos valeurs. ». On notera au passage – la remarque prend tout son sens à la fin de cette note - que Mike Pompeo cible « le parti communiste chinois » et non pas « la Chine ».

La menace émanant d’un pouvoir « marxiste-léniniste » n’est pas seulement dirigée contre l’Amérique, dit M.Pompeo, elle a aussi l’ambition d’instaurer une domination globale, « il suffit d’écouter ce que disent les dirigeants chinois » (…). « Leurs méthodes constituent un défi pour les États-Unis et le monde auquel nous devons tous collectivement faire face. »

L’alerte vient 7 mois après que la Commission Européenne avait elle-même considéré que les pratiques internationales chinoises exprimaient « une rivalité systémique », signifiant que les stratégies extérieures de Pékin avaient, au-delà des contentieux commerciaux, le potentiel de bousculer le paradigme socio-politique fondant l’épine dorsale de la marche des sociétés démocratiques de la planète.

S’appuyant sur une longue série des reproches faits à Pékin, faisant écho aux déceptions, préoccupations, parfois à la vindicte, de la presque totalité du sérail politique américain, sénateurs, représentants et membre de l’exécutif compris, l’argumentaire du chef du département d’État ne s’embarrasse plus de l’ambiguïté diplomatique.

Portant le fer dans la plaie au moment même où la Maison Blanche cherche péniblement les prémisses d’un accord commercial, le discours exprimait aussi la somme des contradictions pesant sur la politique chinoise de Washington.

Hésitations stratégiques et frustrations américaines.

Tiraillée à l’extrême, la ligne officielle, encore brouillée par les foucades de D. Trump, flotte entre les deux contraires d’une improbable guerre froide anti-chinoise et l’obligation d’un accommodement stratégique que la dimension et la puissance de la Chine rendent inévitable.

D’une part les affres d’une rivalité globale dont certains Cassandre imaginent qu’elle mène droit au conflit militaire direct et, d’autre part, la conviction, datant de Kissinger et Nixon que le rapprochement de « realpolitik » avec Pékin, en dépit des chemins politiques contraires et des risques d’une relation asymétrique au détriment de l’Amérique, est la seule stratégie possible.

L’oscillation exprime aussi la désillusion face à l’échec du militantisme de l’ouverture à la Chine qui fut le crédo de Washington et de nombre d’experts sinologues depuis la signature des trois communiqués (1972, 1979, 1982 : respect mutuel sur la scène stratégique ; reconnaissance par Washington de Pékin comme le seul gouvernement légal de la Chine ; intention de part et d’autre de renforcer les liens économiques, académiques, scientifiques et technologiques).

« Nous avons réduit notre relation avec Taïwan en souhaitant une réunification pacifique ; encouragé l’entrée de la Chine à l’OMC ; hésité à défendre nos amis – Philippins et Vietnamiens – contre les pressions de Pékin en mer de Chine du sud » (…) « Franchement, nous avons fait énormément pour accompagner la montée en puissance de la Chine dans l’espoir qu’elle devienne plus libre, plus attentive aux règles du marché et, en fin de compte, plus démocratique. En pure perte. Trop souvent Pékin n’a pas suivi ».

L’éventail des reproches est large. Il va des hypocrisies commerciales à l’OMC – « le plus grand hold-up de l’histoire sur les emplois » - disait Trump dans un de ses discours -, aux intrusions politiques et manœuvres d’influence du « Front Uni » au cœur même de la politique américaine ; du viol de la propriété intellectuelle aux stratégies internationales de chantage à l’accès au marché chinois, imposant le silence aux groupes commerciaux et même à l’Association américaine de basket-ball (NBA) quand elles critiquent de la Chine [1] ;

Pompeo a aussi fustigé le fait accompli en mer de Chine du Sud, les pressions contre Taïwan, ainsi que les attaques contre les droits de l’homme ciblant les dissidents en politique intérieure et, au Xinjiang, contre les musulmans, en passant par la corruption des partenaires de Pékin des Routes de la soie entraînés dans « le piège de la dette [2] menaçant leur propre souveraineté. »

Ce n’est pas tout, selon, le Carnegie Moscow Center à Moscou et annexe du « Carnegie Edowement for International Peace », basé à Washington, « l’automne 2019 restera dans les mémoires à cause des protestations anti-chinoises au Kazakhstan qui s’insurgent contre l’augmentation des dettes à la Chine, la présence invasive des entreprises chinoises et le schéma de troc commercial échangeant les technologies chinoises pour le pétrole kazakh ».

A ces récriminations contre Pékin, dit le rapport, s’ajoutent celles liées aux « persécutions des Ouïghour de la province voisine du Xinjiang », dont l’ampleur « attise la crainte de la société kazakhe pour l’expansion chinoise ».

Enfin, à la grande fureur du Waijiaobu, le Secrétaire d’État a pris soin de désolidariser ses critiques du Parti de l’appréciation que Washington exprime en faveur du « peuple chinois ».

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« Séparer le Peuple du Parti est une offense à la Nation chinoise »

« A Hong Kong et au Xinjiang, » poursuit Pompeo, le régime chinois bafoue les droits de l’homme les plus élémentaires de ses propres citoyens - le grand et noble peuple chinois - ; Le modèle ainsi proposé au monde est celui où la pensée doit être conforme à celle élites communistes. ». (…) Ce n’est pas l’avenir que veulent les autres démocraties, ni même les Chinois. » Les critiques de Mike Pompeo s’appuient entre autres sur un rapport de Radio Free Asia, financé par le Congrès des États-Unis selon lequel « au moins 150 personnes sont mortes dans les camps d’internement du Xinjiang »

« Le recours systématique de Pékin à la contrainte n’est pas une bonne chose pour ceux d’entre nous qui croyons à la démocratie et à la souveraineté en tant que normes fondamentales devant régir le commerce mondial et la manière dont les pays interagissent. Exprimant des revendications sans fondements légaux en mer de Chine méridionale et au mépris du peuple taïwanais, ces pressions menacent les libertés de l’ordre international. »

Les reproches adressés à Pékin par M. Pompeo recoupent ceux déjà exprimées par Mike Pence qui, au passage, fustigeait les groupes américains engagés en Chine, les accusant de « vendre leurs principes », soupçonnant notamment NBA d’être devenue une « filiale du Parti ».

Le 25 octobre, Hua Chunying porte-parole du Waijiaobu déclarait lors d’une conférence de presse de routine que les propos du Vice-Président étaient « mensongers » et « arrogants ». (…) « La norme la plus importante en matière de droits de l’homme était de savoir si le peuple chinois était satisfait. » (…)

Au fur et à mesure que le pays avance à pas de géant, a-t-elle ajouté, « le peuple chinois ressent de plus en plus de bonheur et d’épanouissement. Notre gouvernement attache une grande importance à la protection et à la promotion des droits de la personne. »

Évoquant les critiques à propos de la politique chinoise au Xinjiang et à Hong Kong, son ton a adopté la véhémence vindicative de la victime injustement outragée. « Un groupe de politiciens américains dirigé par Pence a semé la confusion par ses remarques irréfléchies et ses calomnies fabriquées » (…) « Toute tentative visant à déshonorer la Chine et à la salir est destinée à n’être qu’un trompe-l’œil qui tombera dans les oubliettes de l’histoire. »

Mais la partie de l’intervention de Pompeo qui a assurément le plus heurté le Parti fut celle où, spéculant sur le désir de liberté du peuple chinois, il a clairement laissé entendre que le régime qui censure l’information libre, n’était pas légitime.

Outre une première intervention de Cui Tiankai, ambassadeur à Washington s’exprimant à l’Institut Houston : « séparer le peuple du parti revient à défier la nation chinoise » (…) et « Il est hautement hypocrite de prétendre souhaiter le succès de la Chine tout en diffamant le travail du Parti qui l’a permis », le sujet a été repris avec fougue par Geng Shuang, le porte-parole :

« Le discours de Pompeo est une attaque vicieuse contre la Chine révélant l’état d’esprit biaisé et férocement anti-communiste de certains hommes politiques américains qui prétendent séparer le Parti du peuple chinois ».

Livre Blanc : Entre propagande et non-dits au cœur des soucis du régime.

En juin dernier, le gouvernement chinois avait publié un Livre Blanc (LB) en Anglais qui ne balayait pas tous les aspects de la rivalité stratégique entre Pékin et Washington, mais clarifiait « la position de la Chine » sur les « consultations économiques et commerciale sino-américaines ».

Le texte qui commence par le constat que les échanges économiques sont à la fois le stabilisateur (« ballast ») et le moteur (« propeller ») de la relation bilatérale « au bénéfice du peuple », sous-tendu par le souci de bénéfices réciproques (« win-win »), est une profession de foi sur la complémentarité des deux économies, leur enchevêtrement inéluctable et le constat que les querelles nuisent non seulement aux deux acteurs, mais aussi à l’économie globale.

La rhétorique adopte un parti-pris historique mettant l’accent sur les progrès de la relation depuis 40 ans ; elle est également « globalisante », reprenant le discours des effets néfastes de la querelle sur la santé économique de toute la planète. La distance par l’histoire et la généralisation planétaire permet d’éluder le détail des récriminations qui fondent le réquisitoire de M. Pompeo.

Tout au plus les signataires acceptent t-ils de considérer le reproche de vol de technologies, avant de rejeter en bloc la responsabilité des échecs des pourparlers, sur Washington « ayant 3 fois manqué à sa parole [3].

*

Pour Pékin, « les 5000 ans d’histoire » ayant largement contribué aux progrès humains, attestent de l’autonomie innovatrice de la culture chinoise. Celle-ci se matérialise aujourd’hui par les efforts du pays en R&D (1760 Mds de RMB / 246 Mds de $) et le nombre de brevets déposés (327 000 en hausse annuelle de 8,2%). Pour remettre en perspective cette avalanche de brevets chinois de qualité très inégale, lire L’innovation avec caractéristiques chinoises.

Quant aux reproches de « pratiques déloyales », de « vol de technologies » et de « défaut de réciprocité », elles procèdent d’une erreur de perspective. En réalité, ces symptômes, dit le LB, ne sont que les conséquences de l’intégration des chaînes de production et de partage du travail, à l’origine de transferts naturels de technologies et de savoir-faire.

Cette vision recèle cependant un puissant non-dit du Parti estimant que les cessions à l’industrie chinoise des hautes technologies par les groupes étrangers sont le prix à payer pour le très lucratif accès au marché que leur accorde le régime.

La fin du LB en arrive au noyau dur de la querelle cristallisé par le refus bec et ongles du Parti de toucher à son système socio-économique mêlant étroitement la politique à la production industrielle.

Cœur de la légitimé du régime, les groupes publics solvables ou non, doivent bénéficier des aides de l’État parce qu’ils participent activement à la réponse du parti au défi d’avoir à créer chaque année plus de 10 millions d’emplois. Cette préoccupation qui renvoie aux « caractéristiques chinoises » est clairement formulée dans le § IV du LB.

Au milieu des bonnes paroles rappelant la disponibilité de Pékin pour le dialogue entre interlocuteurs souverains et responsables, soulignant aussi que Washington doit reconnaître les institutions de la Chine et sa trajectoire de développement, on lit ceci :

« Sur les grandes questions de principe, la Chine ne reculera pas. » (…) « Bien que personne ne s’attende à résoudre tous les problèmes au moyen d’un seul accord, il est nécessaire de veiller à ce que tout accord réponde aux besoins des deux parties et permette de parvenir à un équilibre. » (….)

« La Chine ne fléchira pas sous la pression et relèvera tous les défis qui se présenteront à elle. Elle est ouverte à la négociation, mais se battra jusqu’au bout si nécessaire. »

Gardant à l’esprit que le sujet renvoie à la légitimité même du Parti, il est prudent de prendre au sérieux cette profession de foi.

Note(s) :

[1Entre autres : American Airlines, Apple, Audi, Cathay Pacific, Disney, Delta Airlines, Marriot International, Mercedes-Benz, NBA, Nike, Ray-Ban, Swarovki, Tiffany & Co, Versace, Viacom, Zara.

[2S’il est vrai que nombre de partenaires de Pékin sur les « nouvelles routes de la soie » en Afrique ou en Asie du sud-est se sont endettés auprès de la Chine, le pourcentage des créances chinoises dépasse rarement 25% du total de leur dette. L’Institut Lowy du nom de son fondateur, le milliardaire australien Frank Lowy, précise cependant que le risque d’une aggravation de la dépendance financière à la Chine existe dans certains États.

« Les compagnies de travaux chinoises ont le savoir-faire pour livrer des infrastructures de qualité, mais les faits font craindre que, livrées à elles-mêmes, elles sont tentées par la corruption et laissent filer l’inflation de leurs coûts » (…)

« L’ampleur des prêts de la Chine et l’absence de mécanismes institutionnels solides pour protéger la viabilité de la dette des pays emprunteurs posent des risques évidents. Les prêts chinois représentent une part plus importante du PIB dans les petites économies. »

« Si la Chine veut rester un important bailleur de fonds de développement dans le Pacifique et tenir à distance sans répondre aux accusations de « piège de la dette » de ses détracteurs, elle devra restructurer en profondeur son approche, notamment en adoptant des règles formelles de prêt, analogues à celles des banques de développement multilatérales. »

Lire : Ocean of debt ? Belt and Road and debt diplomacy in the Pacific

[31) Le 22 mars 2018, sur la foi des « fausses accusations », dit le LB, formulées par la « section 301 » d’une enquête sur la Chine, révélant la stratégie de transfert forcé des technologies ; 2) Le 29 mai 2018, quand Washington imposa de nouvelles taxes au prétexte que Pékin refusait d’amender son système économique ; 3) Le 6 mai 2019, quand, dit le LB, « Washington, empiétant sur la souveraineté chinoise insista pour inclure de nouvelles exigences dans la négociation ».

En réalité, les 2e et 3e cause des volte-faces américaines sont les mêmes : le refus chinois de modifier son système socio-économique par lequel les grands groupes chinois pourvoyeurs d’emplois, partie essentielle de la légitimité du parti et de la stabilité politique du régime, bénéficient des subventions publiques quelle que soit leur rentabilité réelle.

 

 

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