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›› Taiwan

Elections 2020 : Tsai Ing-wen en tête. Fortes incertitudes pour les législatives

A moins de trois mois du scrutin présidentiel du 11 janvier 2020, la candidature, le 13 novembre, du vétéran James Soong, 76 ans, porte avec Tsai Ing-wen la présidente et Han Kuo-yu son opposant du KMT, le nombre de prétendants officiels à trois. L’annonce vient après les abandons de Terry Gou, le fondateur de Foxconn, le 16 septembre et celui d’Annette Lu, le 2 novembre.

Ko Wen-je, le maire de Taipei a aussi jeté l’éponge, mais, pour les législatives organisées en même temps que la présidentielle, il a demandé à Terry Gou d’être la tête de liste de son « Parti du peuple taïwanais » qu’il vient de créer.

Les colistiers des 3 candidats sont également connus : il s’agit de William Lai, 賴 清 德 – Lai Qing De -, colistier de Tsai qui fut son ancien premier ministre, battu par elle à la nomination du DPP ; de Chang San-cheng (Simon Chang 張善政 – Zhang Shanzheng), ingénieur en génie civil, diplômé de l’Université de Taïwan et de Stanford, éphémère premier ministre de Ma Yin-jeou (fevrier à mai 2016), ancien ministre de l’industrie, colistier de Han Kuo-yu ; et Sandra Yu 余湘 – Yu Xiang – femme d’affaires issue de la société civile ancienne présidente de l’agence de publicité United Communications Group, colistière de James Soong.

La carte sauvage de James Soong.

L’arrivée dans la course de James Soong, ancien du KMT, proche de Pékin, opposé à l’indépendance, n’est pas une bonne nouvelle pour le candidat officiel du KMT.

Aux présidentielles de 2000, sa candidature avait déjà siphonné les voix de l’emblématique Lien Chan, ardent défenseur d’un apaisement avec Pékin, ouvrant la voie de la présidence à l’indépendantiste Chen Shui-bian. En 2004, James Soong et Lien Chan cette fois réunis sur le même « ticket » perdirent encore, il est vrai de justesse, contre Chen Shui-bian.

En 2012, nouvelle présidentielle, nouvelle défaite, cette fois cuisante, pour la première fois au nom de son nouveau « 1er Parti du Peuple », avec seulement 2,77% des suffrages. Enfin, sa candidature en 2016, avec une autre dissidente du KMT, divisant encore un fois le Parti, accentua la débâcle de l’héritage politique de Tchang Kai-chek permettant l’élection de Tsai Ing-wen avec presque 2 fois plus de voix qu’Eric Chu, le candidat officiel du vieux parti nationaliste en plein désarroi.

Cette fois, un sondage du 11 novembre crédite James Soong de 8% des voix. Avec seulement 3 députés au Yuan Législatif contre 68 au DPP de Tsai, il n’est pas une menace pour la présidente créditée d’au moins 45% des voix. En revanche, avec une audience en baisse et seulement 29% dans les sondages Han Kuo-yu a du souci à se faire. La crainte d’une lourde défaite de son candidat préféré a aussi saisi Pékin qui se démène pour tenter de remonter la pente.

Le poids controversé de la Chine.

Même s’il est trop encore tôt pour risquer un pronostic, il est cependant nécessaire de souligner encore une fois à quel point la politique intérieure de Taïwan est sous influence de Pékin et Washington.

Il est vrai que depuis quelques années, la neutralité de Washington qui n’a jamais été que de pure forme, n’est plus à l’ordre du jour. Pour contrebalancer les pressions chinoises sur Taipei, la Maison Blanche n’a ces dernières années jamais cessé de donner des gages de soutien à Tsai Ying-wen au nom de la défense de la démocratie.

Pour l’instant cependant, c’est le facteur Chinois qui pèse clairement sur le scrutin. Cette fois avec un intensité inédite qui s’ajoute à la mauvaise prestation de campagne de Han Kuo-yu.

Jusqu’à l’automne 2018 les sondages de Tsai Ing-wen étaient en baisse constante plombés par sa popularité intérieure en berne. Il y a un an exactement, sa popularité plafonnait à 26,6%.

Le faible niveau de popularité de la présidente coïncidait avec la gifle électorale de mi-mandat infligée au DDP lors des élections du 24 novembre 2018 où le Parti de Tsai avait perdu 3 des 6 municipalités phares, y compris dans les 2 ancien fiefs emblématiques de la mouvance indépendantiste de Taichung et Kaoshiung. Cette dernière, ayant, à la grande satisfaction de Pékin, été conquise avec près de 54% des voix par Han Kuo-Yu.

En chute libre, les indices de popularité de la présidente ont commencé à s’inverser après le discours de Xi Jinping aux Taïwanais le 2 janvier. Grave, solennel, entouré des militaires, avec le Général Xu Qilang, le premier d’entre eux assis parmi les officiels de premier rang, Xi s’appliqua à inscrire la réunification avec le Continent qu’il a dit inéluctable dans le cadre du renouveau de la nation chinoise à l’échéance 2049.

Au passage, il souligna que les menaces militaires pour dissuader l’indépendance de l’Île ne pouvaient pas être abandonnées.

Le surgissement soudain de la perspective concrète du rattachement avait renforcé dans l’Île les tensions autour de la gravité de la question. Qui plus est, pas plus cette fois que lors de précédents discours, jamais il ne fut question dans la bouche du Président chinois du choix des Taïwanais qui expriment pourtant, sondage après sondage, toutes tendances politiques confondues, leur refus de partager le même sort politique que la Chine dirigée par le Parti Communiste.

En février 2018, la cote de popularité de Tsai, toujours très basse a commencé à s’inverser. En mars, elle avait bondi à 35,5%. Entre temps, Tsai avait sèchement répondu à la vision de « l’inéluctable réunification » de Xi Jinping en l’exhortant à reconnaître l’existence de la République de Chine et celle des 23 millions de Taïwanais ayant choisi de vivre en démocratie.

La fermeté et la clarté du discours qui appelait aussi à des négociations pacifiques par des canaux institutionnels dont Tsai a rappelé qu’ils avaient été rendus inopérants par Pékin, ont accéléré son retour de popularité en dépit des jugements critiquant sa gestion intérieure. En mai, les sondages la créditaient de 40% de soutiens.

Mais c’est la violence de la situation à Hong Kong exprimant l’échec du schéma « Un pays deux systèmes » qui replaça Tsai sur la trajectoire d’un possible deuxième mandat. En juin, après la première manifestation monstre dans la R.A.S rejetant massivement le projet de loi d’extradition, elle était créditée de plus de 55% d’opinions favorables.

Un mois plus tard, elle survolait le paysage politique avec 59,2% de supporters et plus de 24% d’avance sur son concurrent.

En partie grâce à une connivence affichée avec Washington, Tsai a réussi à placer son duel avec la Chine sur le plan symbolique de la défense des démocraties mondiales contre le pouvoir et l’influence autocratiques de Pékin.

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Pékin manœuvre entre séduction et brutalité.

Début novembre, Pékin réagissait à ces écarts en rendant publiques 26 mesures destinées à faciliter les investissements et le séjour des hommes d’affaires taïwanais en Chine. Parmi les plus commentées : l’octroi de passeports temporaires et l’accès à des services consulaires.

Avec les 31 autres facilités décidées en 2018, la décision porte au total à 57 les dispositions administratives nouvelles destinées à séduire les Taïwanais et leurs entreprises désireux de vivre et investir sur le Continent.
Celles-ci pourront désormais émettre des obligations et investir dans des secteurs qui leur étaient fermés jusque là, tels la 5G et l’aviation civile.

Pour autant, et prenant en même temps le risque de réduire à néant le bénéfice de ses manœuvres pour attirer les Taïwanais, Pékin accompagnait ses mesures de séduction sur le Continent par des fortes pressions, suspendant les autorisations de voyage des particuliers vers Taïwan, tandis qu’en septembre, attirés par les promesses de financement chinois, Kiribari et les îles Salomon basculaient leurs relations diplomatiques de Taipei vers Pékin.

A la fin octobre eut lieu une nouvelle manifestation de l’obsession normative du Parti à l’affut de la moindre manifestation suggérant la capacité de l’Île d’exister par elle-même. La marque automobile de luxe Maserati dont le marché en Chine est considérable au sein de la nouvelle classe moyenne, dut, sur injonction du gouvernement chinois, déclarer qu’elle cessait son appui financier au festival du film taïwanais du « Golden Horse » devenu un événement majeur du cinéma mondial.

A Pékin, le festival évoque le mauvais souvenir de l’année dernière quand, chiffon rouge agité contre le projet de réunification, la jeune cinéaste taïwanaise Fu Yue récompensée pour son documentaire sur la jeunesse taïwanaise, avait déclaré « j’espère que notre pays sera considéré comme un véritable pays indépendant. Tel est mon souhait le plus cher en tant que Taïwanaise. »

L’affaire s’était envenimée quand, réagissant aux pressions chinoises, Tsai Ing-wen avait rappelé que Taïpei ne reconnaîtrait jamais l’appellation « China – Taiwan » que Pékin impose à l’Île pour la désigner dans les événements internationaux.

L’incident Maserati fait suite à une série d’autres pressions du même type, exercées sur Christian Dior et Zara ainsi que sur une série de compagnies américaines dont la documentation laissait entendre que Taïwan était une entité séparée de la Chine.

*

Bien qu’agissant moins directement, Washington entend ne pas être en reste. Le 8 novembre, Tsai Ing-wen accueillait à Taipei, Patrice Harris, psychiatre américaine, première afro-américaine a avoir été élue en 2019 présidente de l’American Medical Association dont l’objet vertueux et très humaniste est de « promouvoir l’art et la science médicale pour le bien de la santé publique ».

L’inconnue des législatives.

En attendant de savoir à quel point la 4e candidature de James Soong fervent défenseur de la réunification du Monde Chinois aura une influence sur le scrutin de janvier prochain et sur l’audience déjà affaiblie de Han Kuo-yu à Taïwan, il faut s’intéresser à l’élection législative dont il faut rappeler que la dernière édition en 2016 fut un cataclysme pour le KMT.

Ayant réussi à battre le KMT dans ses bastions électoraux de Taichung, Hualien et Taipei, le DPP avait remporté 68 sièges sur 113, tandis que le parti nationaliste n’avait réussi qu’à préserver 35 sièges.

En même temps le scrutin avait vu surgir la mouvance de rupture du Nouveau Parti de Pouvoir, (5 sièges) fondé par de jeunes activistes radicaux, soutenus par Lee Teng-hui, prêts à défier les menaces de Pékin.

Dans ces conditions où une fois de plus le KMT n’a pas réussi à choisir un candidat digne de son histoire, instillant la crainte d’une nouvelle grave défaite, les législatives de 2020 prennent pour certains l’importance d’un combat pour la survie même de l’appareil.

En tous cas, une victoire aux législatives serait pour lui la garantie de rester efficace dans la mouvance du pouvoir, tandis qu’une nouvelle défaite pourrait commencer à signifier un déclin irrémédiable. Pour l’instant, les pronostics sont hésitants.

S’il est vrai que la campagne de Han Kuo-yu n’est pas brillante, la vague de mécontents contre le KMT née au moment des « Tournesols » s’est affaiblie. Lire : Taïwan : Craquements politiques dans l’accord cadre. Les stratégies chinoises en question.

Les résultats catastrophiques du DPP aux élections de mi-mandat montrent en effet le risque que son avantage au Yuan législatif pourrait fondre dangereusement. Un récent sondage confirme ces craintes. 34,5% des sondés donnaient la préférence à des députés du KMT, contre 25,4% au DPP. De toute évidence le parti nationaliste se refait une santé. Ses positions sont en tous cas moins fragiles qu’il y a 4 ans.

Quant au nouveau parti de rupture (New People’s Party – NPP -) issu des « tournesols », l’engouement qui l’avait porté en 2016 semble faiblir, peut-être gêné par les controverses internes très médiatisées ayant poussé le chanteur de rock Freddy Lim, membre fondateur, à claquer la porte. Le point clé est sa volonté ou non de faire alliance avec le DPP.

Dernière inconnue dans ce paysage politique en mouvement, le poids du Taiwan People’s Party (TPP), récemment créé par Ko Wen-je, le maire de Taipei, dont le surgissement provoque une fracture dans la mouvance opposée à l’establishment.

Beaucoup d’analystes placent en effet le Taïwan People’s Party et le NPP dans la même mouvance politique. En réalité, les deux sont radicalement différents, notamment dans leur manière de voir leurs relations avec le Continent. Si le NPP s’affirme dans un défi de rupture avec Pékin, Ko Wen-je cherche au contraire une voie d’apaisement.

 

 

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