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›› Lectures et opinions

« BRI » DE VERRE. L’Islam dans le collimateur

Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) vient de publier de « nouveaux » documents sur les « centres de formation professionnelle » établis par le pouvoir chinois au Xinjiang, pour, au prétexte de « déradicaliser » les Ouïghours infestés par le poison islamiste, tenter du même coup d’enrayer leurs velléités d’indépendance.

Voilà déjà plusieurs années que la situation se dégrade, mais les médias francophones, vraisemblablement soucieux de ne pas heurter la susceptibilité de Pékin, faisaient en sorte de n’en parler qu’au minimum et avec une certaine retenue.

On ne sait pas qui a laissé fuiter ces documents (à qui profite le crime ?) mais on y apprend, il est vrai avec moult nouveaux détails, des tas de choses que l’on savait déjà et ce, depuis pas mal de temps.

L’information émanant d’organes de presse respectables indépendants n’est plus sujette au doute. Elle s’étale maintenant, de manière peu contestable, à la une de la presse mondiale. Le 16 novembre, le New-York Times publiait le fac-similé en chinois d’une série de 24 directives présentant en 400 pages les « éléments de langage » destinés aux cadres du Parti pour expliquer les internements arbitraires à la population ouïghour et aux familles des « disparus » dont elles n’ont plus de nouvelles.

En même temps qu’un plan d’action détaillé pour la surveillance et le contrôle étroit des populations ouïghour, suivies de directives envisageant clairement d’étendre le contrôle et les restrictions imposées à l’Islam à d’autres provinces de Chine, on y trouve aussi, en 96 pages, les commentaires du Président Xi Jinping.

Après la série d’attentats contre les gares de Kunming, d’Urumqi et de Canton en 2014, suivis d’une explosion au marché d’Urumqi (lire : La Chine et le péril du « Djihad ».), le n°1 chinois a prononcé une série de discours secrets dont la teneur incitait l’administration et la police à augmenter la violence de la répression, dans le cadre de ce qu’il a qualifié de « nouvelle guerre populaire ».

Enfin, les documents révèlent que les quelques cadres inquiets des effets pervers de la répression sans nuances qui résistèrent à la stratégie indiscriminée d’emprisonnement de masse, furent sanctionnés et contraints à des séances d’autocritiques.

En paraphrasant un de nos anciens ministres des Affaires Étrangères qui avait cependant une difficulté sémantique ou d’élocution pour désigner les « Ouïghour » (voir : Kouchner (French Foreign Office)), il faut rappeler que les deux principales caractéristiques de l’ethnie sont qu’elle est à la fois de souche turque et de religion musulmane.

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Risques de contrefeux sur la « Route. »

Interner un million (ou plus) de turcs musulmans, voilà qui ne va pas embellir la belle image de la route de la soie, peuplée de quelque 150 millions d’individus qui partagent peu ou prou, ces mêmes deux caractéristiques.

Au Xinjiang, la stratégie de normalisation sinisée de Pékin risque de froisser les susceptibilités de ces populations partageant une même langue, des pans d’histoire commune, une culture et, pour beaucoup, une même religion musulmane sunnite, même s’il existe également des Turcs Alevis ou chiites en Iran et en Azerbaïdjan (sans parler des Tchouvaches, Lakoutes et autres Gagaouzes chrétiens orthodoxes).

De là à prévoir un embrasement indigné, sur le tracé des Nouvelles Routes de la soie, il y a encore de la marge. Lire notamment : Controverses globales autour du traitement des Ouïghour. Pékin rallie un soutien hétéroclite et brouille la solidarité des musulmans.

La solidarité musulmane flottante a prouvé qu’elle avait ses limites (ce ne sont pas les palestiniens qui le contrediront) et le panturquisme a montré que les intérêts des États à forte composante turque (Turquie, Kazakhstan, Ouzbékistan, Azerbaïdjan, Kirghizstan, Turkménistan) ne coïncident pas forcément, tandis que leurs gouvernements ont des relations financières et économiques importantes avec la Russie et la Chine obligeant à des louvoiements et à des concessions idéologiques.

Les braises des foyers de résistance.

Cependant, même si la Turquie est bien trop obnubilée à lutter contre le PKK pour risquer de mécontenter « inutilement » la Chine, l’opposition pourrait, face à un silence trop assourdissant d’Ankara, trouver des raisons d’attiser des ressentiments et des mécontentements. Sans compter qu’à l’extrême droite, le Parti d’Action Nationaliste (MHP), proche de l’armée et du gouvernement, peuplé des intransigeants « loups gris », pourrait se sentir trahi.

L’Ouzbékistan ne va pas non plus chercher la paille dans l’œil de son grand voisin. Mais là aussi, l’opposition, quoique fortement muselée, pourrait pousser à plus de solidarité. Elle y gagnerait peut-être une audience populaire tout en affaiblissant la dictature en place. En même temps, elle obligerait le gouvernement à bouger sur un terrain où il ne souhaite guère s’embourber…

Au Kazakhstan, les tensions au Xinjiang pourraient gonfler le nombre des réfugiés clandestins et des Oralmans, ces Kazakhs rapatriés des pays voisins. Objectivement, le risque existe que les situations se déclinent selon un schéma contagieux, sous diverses formes et à des degrés divers, dans toutes les républiques à composantes turques de la région.

Il ne faut également pas sous-estimer les diasporas turques, européenne (plus de 5 millions) et américaine (autour d’un million) ayant aisément accès aux pouvoirs médiatiques.

A part quelques fumigènes niant l’évidence en évoquant des « fake-news », le pouvoir chinois, imperturbable, continue, sûr de lui, à marteler son bon droit et la pureté de ses intentions. Mais le compte de la « puissance douce » n’y est plus.

*

Sur la « BELT, » la route de la soie maritime commençait par un passage entre les îles Paracels et les îles Spratleys irritant de première grandeur pour Hanoï dont la méfiance à l’égard de la Chine date des tentatives avortées des armées de l’empereur Qianlong, 1788 – 1789 battues à la bataille de Dong Da – devenue Danang -, qu’aujourd’hui encore les Vietnamiens considèrent comme la plus grande victoire militaire de leur histoire.

Quel que soit l’angle de vue, les uniformes blancs des marins chinois paradant fièrement sur les ponts de leurs destroyers, ont de plus en plus de mal à passer pour de braves colombes porteuses de rameaux d’olivier.

Lire:Mer de chine du sud. Mythes et réalités.

Enfin, au départ même de la « ROAD », dans le Grand Ouest chinois, l’internement forcé de plus d’un million de Ouïghour que Pékin cherche à siniser, renvoie à un radicalisme de « normalisation culturelle », heurtant de plein fouet les discours de respect des minorités du pouvoir chinois.

Il s’inscrit à contrecourant de l’héritage de Hu Yaobang, qui, il y a 30 ans, préconisait de mettre fin à la politique de peuplement et enjoignait aux cadres du Parti d’apprendre la langue Ouïghour. Lire : L’obsédant héritage de Hu Yaobang.

Quel que soit l’angle de vue, « L’INITIATIVE » de camps d’internement à grande échelle, diffusant le sentiment d’une rigidité orthodoxe sans nuance, n’est pas des plus heureuses.

La « B.R.I » pourrait encore avoir pris du plomb dans l’aile.

 

 

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