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›› Economie

Assainissement des finances, effets de la guerre commerciale et impact du crédit social des entreprises

La croissance qui ralentissait sensiblement depuis plusieurs mois – elle était de +6,4 % au dernier trimestre 2018 -, semble se stabiliser à +6% au 3e trimestre, tandis que les investissements, la consommation intérieure [1] et les échanges extérieurs continuent à se contracter.

En revanche, la production industrielle mesurée par l’indice des directeurs d’achat repassé au-dessus de 50, reprend de la vigueur, suite aux mesures prises par le gouvernement qui, par ce biais, compense le recul de l’export (réduction de l’impôt sur les revenus des entreprises, des ratios de réserves obligatoires des banques – la dernière baisse a eu lieu en 2 fois 0,5%, en octobre et novembre - , stimulus à la consommation et poursuite du vaste plan de constructions d’infrastructures et d’aménagement du territoire).

La reprise industrielle a stoppé la chute de la bourse en baisse de 11% depuis le 19 avril, après la forte hausse des 4 premiers mois de 2019 (+34%), tandis que les mesures de relance ciblées par le desserrement des réserves obligatoires ont permis de dégager 126 Mds de $ de liquidités.

Tout en procédant à des mesures ciblées destinées à relancer l’économie, le pouvoir surveille les institutions financières fragiles et les banques encore embourbées dans la « finance grise ».

Recapitalisation des banques et marché interbancaire.

Le Bulletin des statistiques économiques du Trésor signale notamment la recapitalisation de la Banque de Jinzhou à hauteur de 3 Mds de RMB et de deux sociétés de gestion d’actifs la « China Geat Wall Asset Management » et « Cinda Investment Co. ».

Au Shandong, conformément à un plan arrêté en août dernier, la Hengfeng Bank 恒丰银行 sera recapitalisée à la fois par le gouvernement provincial et le fonds souverain chinois dont l’implication signale l’urgence et le sérieux avec lequel le pouvoir considère le risque financier.

L’attention du régulateur s’est aussi portée sur le marché interbancaire où les petites banques privées souvent à court de dépôts s’échangent des actifs financiers (emprunts ou prêts) pour se capitaliser au risque de perpétuer les dérives de la finance grise.

Toujours selon la note du Trésor, dans le contexte du marché boursier chinois « deuxième marché mondial en termes de capitalisation boursière mais, depuis sa création l’un des moins performants du monde, où les financements des petites banques restent majoritairement dépendants du marché interbancaire source de leur financement à court terme, les autorités sont désormais confrontées à un dilemme. »

L’assainissement du marché interbancaire un des terreaux de la finance grise, recèle en effet le risque d’assécher l’approvisionnement des banques privées. Bravant cet inconvénient, le régulateur vient de plonger le couteau dans la plaie. Tel est l’arrière-plan de la faillite et de la banque Baoshang à la fin mai 2019, premier indice que le pouvoir s’attaque sérieusement au désordre du marché interbancaire.

Lire : L’armistice Chine - Etats-Unis ne rassure pas les acteurs.

« Malgré la moindre qualité de leurs actifs, les petites et moyennes banques (13% du marché bancaire particulièrement actives pour le financement du secteur privé) parvenaient à obtenir des financements à bas coût sur le marché interbancaire, jusque là implicitement garanti par l’État. » La mise sous tutelle de la Baoshang – premier défaut interbancaire en Chine - a sifflé la fin de ces connivences. Elle est « un gage de la volonté de réforme des autorités. »

Nasdaq chinois.

Confirmant que l’assainissement du marché des capitaux est une priorité, notamment dans le contexte d’accès limité aux financements pour le secteur privé, le gouvernement a aussi lancé mi-juin le « SSE STAR Market », marché des valeurs technologiques. « La particularité de ce marché, réplique du NASDAQ tient à son nouveau système d’enregistrement dont l’objectif est de réduire l’intervention du régulateur dans le processus d’inscription. »

Lancé à l’instigation du président Xi Jinping lui-même, l’initiative est, avec l’assainissement du marché interbancaire, un autre pas décisif vers une réforme majeure de la finance chinoise au milieu du freinage de la croissance.

Début décembre, 31 demandes sur les 141 enregistrées ont été approuvées par le régulateur. Il s’agit de fabricants de micro-processeurs comme Montage, de producteur de batteries (Ronbay), de sociétés du secteur de la santé, ou de plus gros groupes étatiques comme China Railway Signal & Communication 中国同号, s’ajoutant à d’autres du secteur de la sécurité et de surveillance comme Raytron Technologies (senseurs infra-rouges).

4 millions de petits investisseurs dont certains à seulement 70 $ se sont mis sur les rangs. A l’ouverture, l’engouement a été spectaculaire avec des gains de 84% pour la majorité des introductions. Certains comme Anji Microelectronics (Basé à Shanghai il fabrique entre autres des microprocesseurs et des diodes) ont enregistré une envolée de 287% au point que leur cotation a dû être stoppée deux fois pour calmer le marché.

L’initiative qui, pour l’instant, est réservée au marché chinois a clairement pour but de retenir en Chine les capitaux levés par les introductions en bourse des groupes chinois. En dépit de la guerre commerciale avec les États-Unis, ces derniers continuent en effet à préférer le Nasdaq ou le NYSE.

En 2019, 16 groupes chinois y ont été introduits, levant au total 2 Mds de $.

Enfin, près l’emballement initial, le flot des demandes d’inscription au Nasdaq chinois s’est tari. Le 29 septembre, pour le Financial Times, Fraser Howie auteur de « Red Capitalism : The Fragile Financial Foundation of China’s Extraordinary Rise », signalait que, depuis août, seulement une trentaine de compagnies chinoises avaient fait acte de candidature. Au total 826 millions de $ ont été levés.

Pour nombre d’analystes, une des raisons de la désaffection tient au fonctionnement courtisan du système politique chinois. Les régulateurs auraient alourdi plus que de raison les critères d’entrée sur ce marché boursier afin d’éviter d’enregistrer un « mouton noir » dont les mauvaises performances à l’offre publique auraient porté atteinte à la réputation du Président Xi Jinping, à l’origine du projet.

Dans un discours en novembre dernier, ce dernier avait en effet annoncé que le « STAR Market » consoliderait la position de Shanghai comme place financière mondiale, en même temps que centre des sciences et technique et creuset de l’innovation chinoise.

Réforme des taux du crédit.

Dernière mesure en date de libéralisation du marché financier destinée à relancer l’économie, le 20 août dernier, la Banque de Chine a décidé de relier son système d’établissement de taux prêteur de référence au marché déterminé par la demande réelle de liquidités à la banque centrale par 18 institutions financières dont 2 étrangères.

La réforme comprend 2 volets : d’une part, un taux préférentiel de crédit, le Loan Prime Rate (LPR) à un an servira de référence au coût des nouveaux crédits aux entreprises. D’autre part, ce taux sera lié à la Medium Term Lending Facility (MLF), taux prêteur de la PBoC aux banques. Le coût du crédit a légèrement baissé depuis.

Annoncée comme une étape de l’adaptation des taux d’intérêt aux besoins réels du marché, la mesure qui fixera les taux de référence le 20 de chaque mois, vise à baisser le coût des emprunts et à réduire les charges de financement pour les PME et le secteur privé.

Sans être une libéralisation complète des taux d’intérêts la décision est tout de même un pas vers l’ouverture du marché financier. La transition exercera cependant une forte pression sur la rentabilité des banques déjà sous pression.

Plusieurs analystes estiment que la mesure n’aura pas l’efficacité escomptée sur les taux. Au Trésor français on estime même que la pression qu’elle exercera sur les banques pourrait avoir l’effet inverse de consolider leurs liens avec les grands groupes publics au détriment du privé et des PME.

Ici réapparaît l’obstacle majeur d’une économie contrôlée par le pouvoir et non ouverte au marché dont l’objet est, par les subventions aux groupes publics, non pas de faire jouer la libre concurrence, mais de rester maître du marché de l’emploi, condition de la stabilité sociale. C’est un choix stratégique immuable du régime chinois.

Il rend très difficile l’ouverture au marché. L’inconvénient vaut bien celui des économies de marché qui, par le jeu pervers de la libre concurrence, tire les profits vers le haut en abaissant les coûts et parfois la qualité.

Préoccupé de remettre en ordre ses finances et son marché boursier – tâche qui tient du mythe de Sisyphe dans un système où l’économie est étroitement imbriquée à la politique ce qui, entre autres, perpétue les délits d’initiés - le pouvoir est aussi sous la pression de la guerre commerciale avec les États-Unis.

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Effets de la guerre commerciale sur le tissu industriel.

Dans la dernière livraison de « China Leadership Monitor » Li Shaomin fait le point des conséquences en Chine de la querelle avec Washington, dont on voit bien qu’elle est un dialogue de sourds, puisque la Maison Blanche nourrit le projet irréaliste de modifier les arcs-boutants même du système politique chinois, pour qui « le libre marché » a un effet politique répulsif.

Le principal effet des harcèlements douaniers de D. Trump contre la Chine oblige Pékin à reconsidérer – c’est en cours - le paradigme de sa croissance, jusque-là articulé en partie aux investissements étrangers. Ces derniers, déjà échaudés par l’augmentation du coût de la main d’œuvre, la hausse des impôts et la persistance des restrictions administratives, reculent. Une autre conséquence visible est la relocation hors de Chine des entreprises étrangères.

Li Shaomin estime que, dans les années qui viennent, les migrations affecteront jusqu’à 5 millions d’emplois. Il ajoute que, « compte-tenu de l’issue incertaine de la guerre commerciale et des obstacles structurels handicapant une réforme de fond du système économique chinois, les perspectives à terme sont sombres ». (…)

« Le nombre de sociétés quittant la Chine ne faiblira pas. Les partantes ne seront pas remplacées par de nouvelles qui hésiteront à s’installer. » (…). « Le Parti a certes pris des mesures d’ouverture, mais à ce jour elles sont insuffisantes pour amortir le choc ».

« Entre octobre 2018 et octobre 2019, 50 groupes étrangers pour la plupart américains et japonais dont Apple, Samsung, HP, Dell, Microsoft, Foxconn, et Suzuki ont quitté la Chine ». Ils se réinstallent principalement au Vietnam, en Thaïlande, à Taïwan, en Inde, au Cambodge et (2e choix) au Mexique. Beaucoup de Japonais rentrent au Japon. Leur principale motivation est d’échapper aux droits de douane de la guerre commerciale.

Plus encore, passée la phase d’observation de la nouvelle situation, 70 autres groupes envisagent de partir. Déjà, ils diminuent leurs investissements.

Même 50% de leurs co-entreprises chinoises réfléchissent à se délocaliser. Une enquête de Backer McKenzie portant sur 600 entreprises en Asie-Pacifique estime que 82% des entreprises chinoises envisagent de modifier leurs circuits d’approvisionnement à la suite de la guerre commerciale. Elles aussi réduisent leur dépendance à des sous-traitants chinois.

Coûts de production, crédit social et instabilité légale.

L’article fait aussi l’inventaire des facteurs à l’origine des départs. Ils vont de l’augmentation des droits de douanes (1re cause) à la hausse des coûts de production (salaires, taxes, prix de l’énergie), en passant par les contraintes administratives et le paradigme politique et socio-économique. Ce dernier, dit l’article, est le 2e facteur des départs.

La volonté du parti de contrôler de l’intérieur le fonctionnement des entreprises, y compris les étrangères qui s’ajoute à l’impact mal connu du crédit social sur les sites de production, constitue un répulsif pour nombre de sociétés. (Voir l’annexe).

Enfin, l’expérience montre que la manière dont sont traitées les entreprises étrangères évolue avec le temps. Tant qu’aux premières années de la réforme, la Chine avait besoin de capitaux et souhaitait profiter des expériences de gestion des groupes étrangers, ces derniers bénéficiaient d’un traitement administratif favorable.

Plus tard quand les investissements ont commencé à affluer et que les entreprises locales eurent acquis un savoir-faire de gestion, les régimes d’exception disparurent progressivement. La même instabilité existe dans le système juridique du fait de l’absence d’équité dans l’application des lois. Compte-tenu de l’asymétrie de puissance et de l’importance du marché chinois pour nombre d’acteurs, les ripostes légales des investisseurs étrangers sont rares.

ANNEXE.

Le crédit social des entreprises.

Plusieurs médias français dont l’Opinion, Les Echos, Le Figaro et France 24 ont récemment évoqué les effets pervers de l’intrusion politique du Parti dans les entreprises.

Poussant au bout l’analyse des effets de la logique du contrôle politique, certains comme Jörg Wuttke, président de la Chambre de Commerce européenne en Chine estiment que « le crédit social des entreprises pourrait signifier “vie ou mort “ des entreprises pour les sociétés étrangères. ».

Celles-ci, précise le rapport de la Chambre, pourraient se voir appliquer des sanctions telles que «   des inspections et des audits ciblés plus fréquents, des restrictions dans la délivrance d’autorisations gouvernementales (par exemple des droits d’utilisation des terres et des permis d’investissement) ; elles pourraient aussi être exclues des politiques préférentielles (par exemple des subventions et des remises fiscales), des restrictions aux marchés publics ainsi que des soumissions aux accusations publiques  ». (…)

« Si une entreprise est inscrite par les autorités sur une liste noire, alors elle serait soumise à «  une liste complète de sanctions conjointes  ».

Même l’UE qui négocie depuis 2013 un accord sur les investissements avec Pékin – les deux en sont à la 7e session du dialogue - s’est émue des conséquences « mal connues » du crédit social. Dans une note de l’Institut Montaigne du 15 octobre, François Godement et Eric Chaney font la part des « vices et des vertus » de l’intrusion politique dans l’économie.

S’il est vrai qu’en théorie les « notations sociales » pourraient inciter les sociétés chinoises à plus de transparence et à intégrer les critères de bonne gouvernance, d’attention aux questions sociales et à l’environnement dits « critères ESG », la vérité oblige à dire que la définition des éventails de notation et le respect des critères sont des inconnues incitant à la méfiance : « Rien ne garantit que les règles ne soient pas changées de façon discrétionnaire, selon les fluctuations de la ligne du parti communiste. » dit le Conseiller économique Eric Chaney.

Encore plus prudent, François Godement met en garde contre « la collecte massive de données créant un véritable portrait de chaque entreprise, la non-fiabilité des informations (des marques peuvent se voir imputer les violations du droit de propriété par les faussaires s’appropriant leur nom), l’opacité des algorithmes et le risque évident de politisation en cas de conflit international. »

Note(s) :

[1Le recul du marché automobile de gamme moyenne continue. Honda (+9,8%), Toyota (+7,1%) sont une exception. Le Haut de gamme progresse avec Mercedes (+10%), BMW (+14%), Porsche (+22%) et toutes les grandes marques de luxe (Ferrari, Lamborghini, Alfa Romeo, Aston Martin, Mac Laren, Rolls Royce).

Renault Nissan, n°4 des ventes recule à –4,5% par rapport à 2018. PSA, 50e rang des ventes, recule à –56%. Les deux premiers constructeurs VW et GM freinent également. Le premier est à –5,5%, le 2e freine sévèrement à –20%, comme toutes les marques américaines avec une chute record de Ford à –33%.

 

 

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