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›› Chronique

Coopération scientifique France-Chine : entre incohérences et contingences. Ou les vraies raisons d’une régression programmée

L’auteur est un protagoniste de la coopération scientifique et universitaire, bon connaisseur des réalités de la Chine contemporaine.

*

On a trop tendance à le penser, la modeste position de la France en matière de coopération scientifique avec la Chine serait imputable à nos seules faiblesses.

C’est non sans humour et grâce à des informations inédites et confidentielles que l’auteur nous démontre que la situation est en partie liée à la double diplomatie scientifique de notre pays, celle du Quai d’Orsay et celle mise en œuvre par les opérateurs français (universités, CNRS…), qui évolue de façon divergente depuis des années.

Mais, plus récemment, la Chine joue également un rôle majeur dans la régression programmée des échanges scientifiques : elle se ferme en se soustrayant aux pratiques de collaboration internationale, le tout dans une atmosphère défavorable entretenue par l’emprise du PCC.

L’intérêt de l’article repose sur l’excellente connaissance de l’auteur quant aux ambitions chinoises ainsi qu’aux plans du Parti-État qui les soutiennent. L’auteur en dévoile plusieurs qui sont passés inaperçus.

Mais, et c’est un changement majeur, elles sont désormais contrecarrées par un endiguement généralisé ainsi qu’une perception franchement négative, sinon hostile, des pays occidentaux. La science et la technologie font partie de ce retournement. La dernière partie de l’article esquisse des recommandations dont certaines sont propres à la situation de notre pays.

1re partie : Les faux espoirs de la reprise du dialogue scientifique France-Chine.

Il y a un peu moins de deux ans, notre collègue Bernard Belloc, fin connaisseur des réalités franco-chinoises, signait un article sur la coopération scientifique bilatérale (mars 2018).

Il y faisait un constat sans concession sur les incohérences institutionnelles françaises et les gaspillages de la ressource publique. Il déplorait également l’absence de vision de la France alors que la Chine, devenue en très peu de temps une grande puissance scientifique, fait face à des acteurs français désargentés agissant en ordre dispersé avec des outils de coopération obsolètes.

Selon l’auteur, les handicaps de la France, pourtant aisément remédiables, faisaient d’elle un acteur de second plan parmi les partenaires de la Chine. Selon toute vraisemblance, la France serait en effet en 2020 en position inchangée, au septième rang des partenaires scientifiques de la Chine.

Il n’est toutefois pas inutile de faire un point de situation et d’analyse alors que s’ouvre une nouvelle décennie. D’une part parce que plusieurs événements bilatéraux sont venus en partie combler le déficit de dialogue scientifique tout en laissant penser à une relance de la collaboration.

Et d’autre part parce que le contexte entourant l’ensemble des relations entre la Chine et les pays développés a beaucoup évolué, avec, hélas, une influence défavorable sur les échanges scientifiques et universitaires.

Cependant, cette tendance négative n’est depuis plusieurs mois plus seulement imputable aux partenaires occidentaux. En fait, elle trouve aussi de façon croissante son origine dans les politiques chinoises autoritaires, toutes fort peu tournées vers la réciprocité, l’ouverture ou l’excellence scientifique.

En revanche, comme elles sont au contraire toutes associées à des valeurs contraires à celles qui, hors de Chine, prévalent dans le monde scientifique, il est difficile de ne pas croire que la fluidité des échanges scientifiques et universitaires n’en sera pas durablement affectée.

Un nouvel élan ?

Tout avait pourtant très bien commencé avec en janvier 2018, la visite du Président Macron, accompagné d’une délégation française dont la ministre Vidal et plusieurs PDG d’organismes scientifiques et présidents d’université.

Le contenu du programme présidentiel incluait des séquences de nature scientifico-technologique (CFOSAT, intelligence artificielle…). Grâce à notre poste diplomatique, en première ligne dans cette affaire, un processus vertueux s’est alors mis en action : l’engagement était pris de tenir une commission mixte scientifique et technique (COMIX) [1] capable de relancer les échanges dans ce domaine après 7 ans de silence.

La suite est pour le moins confuse puisqu’il se passera près de 13 mois avant que la Ministre Vidal vienne présider en février 2019 à Pékin la COMIX. Le retard était déjà un bon indice du très faible empressement de la Chine à tenir cette réunion figurant pourtant dans le relevé des décisions bilatéral de la visite présidentielle.

Avant cet événement de février 2019, deux réunions de « préparation » ou de nature « technique » s’étaient tenues en Chine avec les hauts représentants des organisations scientifiques françaises, preuve que le Ministère de la Recherche a tenté de mobiliser l’ensemble des parties prenantes françaises et qu’une vaste consultation avait été entreprise pour faire aboutir des orientations présentées comme ambitieuses. Du jamais vu depuis près d’une décennie selon le CNRS.

En juin 2018, à la faveur de la participation de la Ministre Vidal à la visite du Premier Ministre Philippe en Chine, cette dernière a en effet rencontré son homologue chinois (WANG Zhigang) ainsi que le Président de la CAS (BAI Chunli), c’est-à-dire les deux personnalités les plus importantes de la recherche chinoise. Une occasion de mettre l’accent sur le souci de la France d’organiser rapidement la COMIX.

A Shanghai, la ministre s’est également déplacée dans l’unité mixte internationale E2P2L (CNRS-Solvay) ainsi qu’à l’Institut Pasteur de Shanghai après avoir présidé, à l’Université de Shanghai, une réunion des instituts franco-chinois (IFC).

Plus tard, en décembre 2018, ce fut au tour du Directeur général de la recherche du MESRI (DGRI), Bernard Larrouturou, de faire le déplacement à Pékin avec les mêmes hauts représentants français pour pallier l’absence de la ministre Vidal, retenue, et donc transformer ce qui devait être la COMIX en réunion de « préparation ».

Tout ceci montre à l’évidence, que, malgré quelques cafouillages, l’ensemble des acteurs et opérateurs français ont travaillé de façon convergente et assidue afin de positionner la discussion bilatérale au meilleur niveau ainsi que sur les sujets de fond de la coopération.

Décalages et modestie des résultats.

Que retenir de ces initiatives ? De l’avis de plusieurs participants et à parcourir les compte-rendus, l’impression est que, hélas, les retombées ne sont pas à la hauteur de la mobilisation française. De toute évidence, les parties chinoises n’ont tout d’abord pas pris au sérieux l’exercice.

Tout au long des réunions de préparation évoquées plus haut, on a servi aux PDG et autres présidents français d’organismes des interlocuteurs chinois subalternes.

Lors de la COMIX entre les ministres chinois et français (février 2019), la liste des participants chinois que le rédacteur a pu se procurer, prête d’ailleurs à sourire puisqu’elle mentionnait l’intervention « de vice-inspecteurs des relations internationales ». En d’autres termes, des « apparatchiks » plus au fait de la doctrine officielle et du contrôle des chercheurs que des défis scientifiques du moment !

Selon un responsable français présent, ils « récitaient la langue de bois de leur département ministériel sans lever la tête », en plus d’être de parfaits inconnus et de ne parler aucune langue étrangère. Cela a jeté un froid au point de plomber la réunion…

Plus grave encore, et preuve que nos périmètres EPST-universités sont au final de minuscules obstacles eu égard aux étanchéités institutionnelles et disciplinaires du paysage chinois de la recherche : l’Académie des sciences chinoises n’avait pas été associée à la COMIX (alors qu’elle a un poids au moins équivalent à celui du CNRS en France qui réalise 70% des échanges scientifiques), tout comme les partenaires universitaires chinois (ministère de l’éducation).

Enfin, l’organisateur chinois n’a pas souhaité la participation de l’Académie chinoise des sciences sociales (CASS) - ou n’a pas été autorisé à l’inviter. En d’autres termes, la France a développé un dialogue qui n’a aucune portée ni matière parce qu’il a eu lieu avec des interlocuteurs non représentatifs, sans parler du fait qu’ils n’étaient investis d’aucune autorité sauf celle d’évacuer les contenus les plus importants ainsi que les véritables acteurs de la coopération [2].

Faut-il y voir une intention matoise ou un accident guidé par la contingence politique chinoise ? On peut s’interroger surtout dans un pays où les apparences reflètent plus souvent des constructions que des réalités. Mais une certitude quant au style néo-brejnevien de cette COMIX : l’institution chinoise chargée de ce dialogue, le MoST, n’a pas contribué à donner une image en adéquation avec les ambitions affichées par la Chine en matière de recherche…

Sur le fond, les résultats sont d’une modestie confondante. Mentionnons toutefois les points positifs : le procès-verbal évoque la priorité donnée aux actions structurantes de recherche (laboratoires internationaux, réseaux…) et fait la liste des domaines prioritaires (environnement, intelligence artificielle, physique corpusculaire…) qui feront l’objet d’un séminaire conjoint destiné à faire émerger des projets.

Plus intéressant : les agences de moyens des deux pays, à savoir la NSFC (Fondation des sciences naturelles) et l’ANR sont encouragées à relancer leur partenariat autour d’une nouvelle entente afin de soutenir les priorités du moment, c’est-à-dire les actions structurantes.

Dans la pratique, ces orientations sont très en deçà de ce que nous enseigne l’observation de la coopération scientifique conduite par les grands opérateurs de recherche (EPST, universités, grandes écoles…), comme si cette COMIX avait finalement permis d’éluder les questions essentielles.

Aujourd’hui, ces derniers aspirent en effet à explorer des partenariats plus évolués, comme celui en œuvre à l’E2P2L (public-privé en milieu international et installé en Chine), ou qui embrassent le continuum formation-recherche-innovation en Chine. De même, la question de l’accès croisé aux grandes infrastructures de recherche ou aux grands projets multilatéraux est passée sous silence.

Plus irritant encore est la problématique liée à l’accès aux financements chinois de la recherche par les acteurs, privés et publics européens alors que les programmes européens associent des opérateurs de recherche chinois ou des entreprises [3], ceci dans le cadre de l’accord d’ouverture réciproque UE-Chine de la fin 1999.

Comme l’ont montré plusieurs études, il n’est pas appliqué du côté chinois, ce qui commence à être dénoncé au plus haut niveau de l’UE et par certaines entreprises européennes développant de la R&D en Chine. Mais la situation perdure depuis près de deux décennies. Et, dans son dialogue scientifique avec la Chine (Commission Mixte), l’UE répugne visiblement à exercer la moindre pression pour plus de réciprocité.

Tout ceci pour dire que la modeste COMIX franco-chinoise est bel et bien passée à côté des grands dossiers scientifiques, a fortiori des grands enjeux de la Science en général. Et ce ne sont pas seulement nos institutions et entreprises qui paieront le prix de ce dialogue inabouti ; ce sont également nos chercheurs et laboratoires de recherche pour qui l’accès à la science chinoise est devenu une nécessité, compte tenu de son poids relatif, sans parler de ses ressources (budget, présence chinoise dans nos laboratoires…).

2e partie : La double diplomatie scientifique française.

La COMIX a également mis en évidence une autre question que notre collègue B. Belloc dénonce dans son papier, celle du rôle du service scientifique et universitaire de l’Ambassade (en fait le MAE), juge et partie de la coopération, mais aussi parfois financeur d’initiatives sans lien avec les intérêts des établissements français, voire même opposées à la stratégie française en matière universitaire et scientifique.

Comment ne pas adhérer à son propos ?

Le problème n’est donc pas nouveau mais, avec la préparation de la COMIX, il a pris un tour inattendu puisque, dans un mouvement de défiance franco-français, la Ministre Vidal a publiquement annoncé en juin 2018 lors de sa visite en Chine qu’elle confiait au CNRS le soin de procéder aux consultations préalables à la COMIX, souhaitant par la même ne pas déléguer cet exercice à l’Ambassade, y compris pour le segment des discussions avec les partenaires chinois...

Cette décision ne s’explique pas seulement par la rivalité de deux départements ministériels, le MAE et le MESRI, sur la coopération internationale.

Elle a un lien direct avec le contenu de la visite de Mme Vidal à Shanghai qui l’a conduite à l’Institut Pasteur de Shanghai (IPS) [4] ainsi qu’à une rencontre avec l’ensemble des IFC (Instituts français de Chine).

Selon un proche de la Ministre, cette réunion a produit le plus mauvais effet, l’activité des IFC n’étant nullement calée sur des principes d’excellence. Autre reproche adressé à l’Ambassade qui soutient massivement le label des IFC et n’implique pas d’établissements de premier rang en France, à une exception près. Autrement dit, le MAE soutient à grands frais des projets médiocres, sans impact sur le rayonnement académique et scientifique de notre pays.

Quant à sa visite de l’IPS, elle est venue confirmer toutes les inquiétudes de la Ministre sur les gaspillages d’un « partenariat » quasiment sans aucun contenu collaboratif ni retombée pour notre pays, avec, en toile de fond, des risques avérés de prolifération : depuis 2004, l’ambassade a en effet englouti plusieurs millions d’euros à soutenir l’accord intergouvernemental sur les maladies infectieuses, notamment, sous la forme de postes d’expatriés de haut niveau à l’IPS et d’un soutien financier pour des transferts de technologie vers la Chine, plus précisément pour la conception et la mise en service d’un centre de confinement P4 à Wuhan.

Un beau cadeau diplomatique ! Ce qui est étonnant dans cette affaire, qui occupe l’espace bilatéral depuis plus de 15 ans sans interruption, c’est l’absence d’évaluation et la reconduction des moyens d’année en année, surtout que les parties chinoises ne les réclament aucunement.

Cette interrogation va de pair avec une autre : pourquoi l’Ambassade continue-t-elle de solliciter des soutiens et des ressources de la part des opérateurs publics français pour ce programme alors que précisément ces derniers s’y refusent, avec le soutien de leurs tutelles, depuis plus de 15 ans ?

Idem pour les intérêts privés : aucune entreprise française n’a souhaité s’impliquer dans le dossier [5].

Mais ce n’est pas tout ! Il faudrait aussi parler de deux programmes dont l’insuccès est notoire. Des centaines de milliers d’euros d’argent public ont été déversés dans ces projets sans lendemain, sans parler des dépenses de personnels de l’Ambassade pour les instruire ! Il s’agit tout d’abord des « écoles d’été France excellence » (EEFE), un programme destiné à soutenir des viviers de doctorants chinois.

Après trois éditions et quelques dizaines d’écoles soutenues à bout de bras par l’Ambassade, seule une poignée d’étudiants chinois se sont engagés dans un cursus doctoral… ce qui laisse penser que le coût par étudiant dépasse les 100k€ !!

Autre projet qui a connu un échec retentissant, celui de la maison franco-chinoise de l’innovation [6], sorte d’incubateur/hôtel d’entreprises destiné à faire émerger des entreprises innovantes des deux pays capables de tirer profit des « écosystèmes d’innovation chinois ».

Le projet a donné lieu à la création d’un poste d’expert (ETI) « innovation ». Du luxe quand on connaît la disette budgétaire du MAE, ou celle de l’ESR français. Initialement prévu pour apporter son savoir-faire dans une institution locale (ou mettre en œuvre un projet) comme tout expert financé par le MAE, l’intéressé est en fait installé à l’Ambassade contribuant ainsi à alimenter la machine administrative française sans pour autant faire avancer nos positions économiques en Chine, ni aider d’une quelconque manière nos entreprises.

A croire que la Chine est capable de modifier les règles administratives françaises et que nos intérêts économiques en Chine n’ont aucune importance ! Heureusement, c’est Bercy qui a sifflé la fin de partie, le projet ne répondant à aucune demande. Sans parler du fait qu’il ne s’appuyait ni sur un modèle d’affaires sérieux, ni sur un quelconque cofinanceur.

Notre Ambassade semble coutumière des entreprises éphémères qui contribuent par ailleurs à flécher des moyens considérables sur des projets ne répondant à aucun enjeu par des institutions françaises. Avant l’expert « innovation », l’Ambassade a abrité pendant cinq ans un expert « maladies infectieuses » dont le profil de poste indiquait un lieu de travail à Wuhan, au centre de confinement P4, soit à 1 200 km de la capitale. Un bon indicateur des détournements du MAE et de l’incurie administrative associée à un projet aussi sensible que stratégique.

Cette longue digression pour souligner une évidence : il y a deux diplomaties scientifiques de la France en Chine, l’une conduite par notre Ambassade, l’autre par l’ensemble des opérateurs scientifiques et universitaires français (universités, organismes, grandes écoles…).

Si la première est guidée par la contingence diplomatique, la seconde l’est par l’excellence scientifique et l’intérêt de nos chercheurs à faire progresser la connaissance plus rapidement grâce à la coopération avec des partenaires chinois de haut niveau.

Évidemment, les méthodes diffèrent : le MAE privilégie l’approche descendante (« l’Ambassadeur a dit que… », « les chinois proposent que… ») et l’allocation automatique de moyens sans évaluation ni consultation alors que les opérateurs de recherche fonctionnent par appels à propositions et évaluation.

On m’objectera que l’Ambassade lance chaque année plusieurs appels à projets. Certes, mais dans la pratique, les bons connaisseurs du MAE savent que le gros des moyens sont les postes d’ETI alloués de façon discrétionnaire à une institution et/ou un projet.

Ces postes financés par le MAE mais administrativement gérés par l’Agence « Expertise France », qui non seulement ne connaît absolument rien des domaines de coopération mais est sujette à des cooptations suspectes (voir l’annexe n°2 sur les S.H.S), en plus d’introduire des coûts supplémentaires de gestion pour chaque recrutement.

Autre évidence, ces appels s’appuient sur des objectifs de coopération inchangés [7] depuis des décennies en plus de concerner des projets qui ne répondent plus aux priorités des organismes scientifiques français, lesquels ont abandonné depuis des années les programmes de ce type !

Non seulement ces deux diplomaties ne se rencontrent pas mais elles s’ignorent au point de passer à côté des véritables enjeux et des excellents projets de collaboration scientifique. La première parce qu’elle est décalée des réalités scientifiques en plus d’être influencée par le pays hôte, les autres parce qu’ils n’en ont pas les moyens.

C’est au fond le constat qu’a fait la Ministre Vidal lors de ses missions en Chine. Et qui l’a amenée à recommander une plus grande prise en compte des défis que doivent relever les organismes français en matière de collaboration scientifique avec la Chine (financement, actions d’envergure…).

Un point qui a sa traduction bilatérale dans le compte rendu de la COMIX qui plaide pour un soutien plus grand aux laboratoires conjoints, à l’instar de l’E2P2L à Shanghai ou des autres laboratoires internationaux. Puissent nos chercheurs être mieux servis et lutter à armes égales en matière de coopération avec leurs collègues et concurrents anglais, australiens, canadiens ou américains [8] !

++++

3e Partie : Les nouvelles contingences chinoises.

Mais l’ensemble des incohérences des errements de notre diplomatie ne peuvent à eux seuls expliquer les difficultés du moment en matière de coopération scientifique. La question des moyens et des voies de collaboration (programmes, budget…), de plus en plus étroites pour les chercheurs, joue un rôle crucial dans l’étiolement du portefeuille de collaboration scientifique en Chine, comme en témoigne le volume moindre d’actions d’envergure du CNRS en 2020 par rapport à 2015 [9].

Une bonne illustration des problèmes est la suppression en 2018 par le CNRS d’un programme compétitif cofinancé avec la Chine qui faisait émerger annuellement une quinzaine de projets sur environ une centaine de dépôts. Mieux que rien, malgré le très faible taux de sélection. S’ajoute à cette situation tendue, l’absence prolongée de l’ANR dans la coopération malgré l’intention louable de relancer une entente avec la NSFC, son homologue chinois. Nous y reviendrons.

Mais là encore il ne s’agit que de réalités propres à la situation française. Or d’autres facteurs négatifs influent sur une situation déjà passablement dégradée, et ils sont sans doute tout aussi puissants. Seule consolation, ils viennent de la Chine et touchent l’ensemble des partenaires occidentaux.

« Oborisation » [10]

Ces autres facteurs sont les conséquences directes du formidable raidissement politique chinois. Il s’exprime avec une grande force dans trois directions depuis l’arrivée de XI Jinping : la forte concentration du pouvoir, l’emprise totale du Parti sur l’État et le contrôle massif de la société.

Dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), c’est sans doute l’emprise du Parti qui est la plus manifeste avec la mise à l’écart des bons experts et des responsables familiers des véritables enjeux.

Désormais, pour les visites de haut niveau, les universités chinoises orientent de façon assez systématique leurs collègues français vers le VP, chef du Parti. Même lors des visites en Chine de la Ministre Vidal, cette dernière, pourtant elle-même ancienne Présidente d’université (2012-2017) s’est fait imposer comme interlocuteurs les représentants du PCC en place dans les universités.

Atteindre les véritables parties prenantes chinoises des projets de collaboration est désormais devenu quasiment impossible, ce qui naturellement introduit une forte barrière à l’entrée à tout projet conjoint.

Autre indicateur de l’emprise du Parti : tous les interlocuteurs officiels chinois ont aujourd’hui expurgé de leur narratif les mots « collaboration » ou « coopération », devenus obsolètes en raison de l’introduction par le Parti de deux nouvelles doxas qui servent autant à établir la validité des projets qu’à fixer la ligne d’action chinoise dans l’ESR : BRI (« Belt and Road Initiative » autre appellation « d’OBOR ») et les « talents ».

La première est très documentée mais ce que l’on sait moins c’est que, depuis 2013, le concept protéiforme d’OBOR est inscrit dans la charte du PCC aux côtés de celui de « rêve chinois » qui prédit une sorte de plénitude et prospérité généralisée à la Chine au terme d’un siècle de parcours communiste (2049).

D’un point de vue international, et vu du PCC, ces idéaux intérieurs exigent un environnement externe favorable, d’où la promotion d’une nouvelle vision normative des relations internationales qui inclut « la construction d’un destin partagé pour le futur de l’humanité ». En d’autres termes, il s’agit d’un nouveau cadre pour les relations internationales qui fonctionnerait selon un modèle de gouvernance international plaçant la Chine au centre du jeu.

Cette vision est alimentée par la conviction affichée du PCC que « les concepts soutenant l’ordre économique et politique de la Chine ont une valeur supérieure à ceux de l’Occident » en plus de constituer « des sagesses chinoises [11] » pour le reste du monde ainsi qu’une « contribution à l’humanité [12] ».

La traduction opérationnelle d’OBOR dans l’ESR est encore peu développée mais elle obéit au même schéma : pour pouvoir « mieux » coopérer avec des établissements universitaires chinois, les partenaires étrangers sont invités à rejoindre l’une des deux associations labellisées BRI.

Pour l’instant, ces deux structures sino-centrées (statut, gouvernance, financement…) sont de vagues fora de discussion universitaire [13].

A terme, et si l’on suit les évolutions de structures similaires dans d’autres secteurs et que l’on examine attentivement la stratégie OBOR du MoE chinois parue en juillet 2016, on comprend que ces « alliances » sont néanmoins appelées à s’ériger en organisations normatives ou exécutives, voire, à beaucoup plus long terme, en organisations capables de concurrencer l’UNESCO. Par exemple, pour créer un système alternatif aux ECTS européens et organiser les flux étudiants en faveur de la Chine.

D’une façon générale, l’ambition de la Chine s’explique par le fait que les valeurs portées par les instances multilatérales (UE, ONU,…) sont orthogonales à la vision normative de l’ESR portée par le PCC qui abhorre les mots clés de liberté académique, autonomie des établissements, état de droit, débats d’idées, etc.

Mais, rassurons-nous, ces deux initiatives chinoises sont encore très loin de cet objectif ultime, notamment parce que les membres de ces deux alliances sont à ce jour faiblement représentatives et n’ont pas fait la preuve de leur valeur ajoutée dans le paysage international de l’éducation.

On assiste à une tentative similaire dans le domaine scientifique, il s’agit l’Alliance ANSO. L’ANSO est une association de droit chinois pilotée par la CAS. Elle regroupe à ce jour une trentaine d’organisations de recherche (académies, Instituts…), majoritairement sur le parcours continental de BRI (PECO, Asie centrale et orientale…).

Aucune organisation scientifique d’Europe de l’Ouest (Grande Bretagne, France, Allemagne…) n’est présente dans l’ANSO malgré les pressions de la CAS pour les y attirer. Malgré aussi le fait qu’ANSO est dotée d’un budget d’intervention qui a déjà donné lieu à des financements de projets.

Naturellement, la stratégie chinoise à plus long terme vise à exploiter ces instances d’une part pour en faire un levier permettant de développer une sorte de créance en direction des pays visés et d’autre part pour labelliser les projets. Aux yeux de la Chine, les institutions qui n’auront pas pris part à ces instances BRI sont susceptibles un jour de se voir, d’une façon ou d’une autre, pénalisées dans la conduite des projets de collaboration éloignés des priorités d’OBOR.

Idem en matière de labellisation : sans elle, pas de financement, pas d’accès à la collaboration. Une sorte de donnant-donnant qui est aujourd’hui très loin d’avoir tenu ses promesses… mais qui trouve des débuts d’applications dans plusieurs pays.

Les talents.

C’est une des obsessions du moment. Tous les partenaires de la Chine, dans tous les domaines et pays, sont entrepris pour faciliter le retour en Chine de « talents » expatriés. La France n’échappe pas aux sollicitations, à tous les niveaux.

On sait par exemple que le PDG du CNRS, en visite à la CAS lors de ses déplacements en Chine en 2019, a été entrepris pour laisser ses talents, c’est-à-dire ses chercheurs statutaires, faire de longs séjours scientifiques au service de la Chine indépendamment de tout projet. Et ceci avant même d’entamer un dialogue sur la coopération bilatérale !

La politique chinoise des talents est très bien documentée [14] en plus de conduire aux mêmes conclusions.

Pour faire court, disons que la plupart des programmes de « talents » sont désormais pilotés par le MoST et/ou le Parti, ce qui a pour effet de davantage lier l’identification des talents aux priorités politico-technologiques du moment (Internet+, plan 2025, 13e plan…). Et aucunement à la coopération ou l’excellence scientifique.

Autre certitude : malgré les apparences, les programmes ne visent finalement que les « talents » d’origine chinoise installés à l’étranger. Une récente note du Trésor [15] semble aller dans le même sens tout en précisant que l’attractivité était plus forte dans les milieux économiques qu’académiques, ce qui conforte les résultats d’une étude européenne qui classait la Chine dans les derniers rangs des pays attractifs pour les scientifiques du monde entier…

Le marquage politique du recrutement de « talents » par la Chine a eu des conséquences très négatives sur la perception de l’Occident quant à ce qui est présenté par la Chine comme de la coopération et qui se révèle être en réalité une vaste entreprise visant à soustraire des ressources scientifiques et technologiques pour les mettre au service de la Chine.

Une enquête parlementaire est en cours aux États-Unis qui a déjà interdit à ses chercheurs fédéraux de participer d’une façon ou d’une autre à ces programmes. Quant aux chercheurs universitaires américains, ils se voient imposer des limitations (fréquence et durée des déplacements), voire des interdictions [16].

Le Canada et l’Australie sont dans les mêmes dispositions, notamment pour les recrutements dans les métiers sous tension liés à la high tech’ (programmeurs…) ou la recherche qui doivent aujourd’hui systématiquement transiter par les services de sécurité (GRC) afin de prévenir toute intrusion de personnels de l’APL [17].

Dans les deux pays, les séjours des chercheurs en Chine (surtout ceux d’origine chinoise) sont également sous surveillance renforcée. En France, le CNRS a imposé des limites aux missions de ses chercheurs. Mais la communauté et les organismes le savent bien, nombre de leurs chercheurs ont imprudemment signé des contrats chinois qui contreviennent aux obligations statutaires tout en les délestant de leur propriété intellectuelle.

Pour leur défense, les chercheurs sont souvent laissés à eux-mêmes : les chargés de valorisation des organismes ou universités français, à qui échoit localement le soin de transformer ces contrats chinois de « talent » en contrat de prestation se traduisant par une rentrée d’argent pour les organismes, sont souvent démunis ou ne savent pas comment procéder pour traiter à distance de tels dossiers.

La NSFC mise au pas.

L’obstacle est lié à la nouvelle situation chinoise qui fait converger la recherche en priorité vers l’entonnoir des intérêts directs chinois. A ce titre, les priorités nationalistes du régime deviennent des obstacles à une coopération scientifique véritable et de bonne foi.

Ainsi en est-il de l’absorption depuis février 2018 par le MoST de l’agence de financement de la recherche (NSFC). Cette mise sous tutelle, totalement passée inaperçue en Occident alors qu’il s’agit de l’un des bras armés chinois en matière de R&D, est un événement qui a tout d’une reprise en main, sinon d’un règlement de compte institutionnel puisque la NSFC bénéficiait depuis sa création en 1986 d’une certaine autonomie.

Elle était aussi reconnue internationalement pour la qualité de ses évaluations ainsi que sa capacité à mettre en œuvre des programmes conjoints qui font la grande force de la coopération sino-britannique ou sino-allemande [18].

En mettant la main sur cette caisse de 4 milliards d’euros, le MoST a déjà commencé à imprimer sa marque : changement d’interlocuteurs ou présence de commissaires politiques dans les réunions techniques, volonté de remettre en question l’orientation et les modes d’évaluation des projets, souci de mettre sur pied des programmes « talents », etc.

A des degrés divers, tous les partenaires internationaux de la NSFC font le même constat de relations devenues en quelques mois rugueuses, alors qu’elles avaient été pendant de longues années fluides et constructives.

La France n’échappe pas à cette réalité. Malgré le souhait de la Ministre Vidal de remettre sur les rails un dialogue NSFC-ANR afin de soutenir la mise en œuvre concrète des orientations de la COMIX, aucun accord ne semble en vue en dépit du déplacement en Chine à deux reprises du président de l’ANR et du souci français d’aboutir rapidement à des appels conjoints. Si blocages il y a, ils sont imputables aux raisons indiqués ci-dessus. Évidemment, en attendant, ce sont nos chercheurs qui en font les frais…

Nationalisation des données et systèmes.

Plus inquiétante encore car ayant un réel impact sur la production de connaissances est la directive publiée le 2 avril 2018 par le Conseil des affaires d’État (c’est-à-dire le Bureau du Premier Ministre).

Elle prône des « règles visant à renforcer la sécurité et l’accessibilité des données scientifiques ». Si l’on comprend bien, il s’agit de mettre sur pied un mécanisme national de collecte et d’archivage généralisé des données de toute nature.

Ce système, dont la mise en œuvre est confiée au seul MoST, a vocation non seulement à centraliser mais aussi à assurer la fiabilité ainsi que la traçabilité des données. Si l’objectif du projet semble avant tout national (stockage des données en Chine, garantie de l’accès, fiabilité et qualité des données…), rien n’est dit sur les implications internationales de ce nouveau système. Mais le doute alimente le sentiment d’une menace diffuse.

C’est pourquoi une démarche officielle européo-américaine a été organisée auprès du MoST afin de savoir dans quelle mesure le projet pouvait concerner la coopération internationale ou la R&D étrangère en Chine. On n’en sait pas plus. Le 25 juin 2018, à quelques jours du lancement du plan « science ouverte » par le MESRI [19], la Ministre Vidal a également interrogé son homologue chinois, WANG Zhigang.

Selon un diplomate présent, le ministre chinois, la mine impassible, s’est enfermé dans un mutisme total, au risque de perdre la face devant ses conseillers et les plus hauts représentants de la recherche française. Un témoin français relate le silence glacial qui s’est installé à la suite de cet épisode, plombant le reste de l’entretien. Une double évidence : le sujet est hyper sensible et l’on n’est pas du tout sur la même ligne !

Dans la pratique, ce nouveau projet s’inscrit dans une tendance plus générale, notamment la Loi sur la cybersécurité entrée en vigueur le 1er juin 2017 qui introduit des risques d’ingérence en plus d’imposer aux organisations présentes sur le territoire chinois (toutes entreprises) de fournir un soutien technique aux « organes de sécurité nationale » (l’article 28).

Dans la même veine, signalons le dernier développement, mis au jour par le Financial Times du 9 décembre 2019 : le PCC entend interdire les équipements et logiciels informatiques étrangers par les administrations chinoises à partir de 2022.

Sans doute une étape avant une extension vers les acteurs privés. Tous les grands comptes occidentaux présents en Chine ont donné de la voix alors qu’ils sont déjà frappés en Chine par des restrictions massives en matière financière (rapatriement de profit, limitation de change, etc.) ou des freins à la mobilité des cadres.

Dans tous les cas, on comprend bien que tous ces projets et autres législations chinoises, de portée internationale, vont dans le sens contraire à la fluidité des échanges scientifiques tout en suscitant des interrogations majeures sur la pérennité de certaines grandes entreprises bilatérales scientifiques qui impliquent des partages de données (CFOSAT, SVOM…).

4e partie : quelle contre stratégie ?

Se pencher sur le vaste mouvement de réactions et de contremesures aux visées chinoises qui sont apparues dans les pays occidentaux au cours des dernières années mériterait à lui seul plusieurs papiers. Nous en avons évoqué certains dans le domaine de l’ESR, nous n’y reviendrons pas.

Parler de la manière d’orienter nos chercheurs ou de maintenir des relations constructives avec la Chine dans le domaine de l’ESR me paraît plus important, notamment parce que, contre partie de la liberté académique qui prévaut dans l’ESR, nos communautés n’ont sans doute pas toutes les clés et les bons réflexes pour aborder, développer ou mettre en œuvre des collaborations avec des partenaires chinois.

Au niveau de la gouvernance de nos organisations, on continue aussi à recevoir toutes les délégations chinoises qui se présentent, comme si de rien n’était. Dernier exemple en date, le 26 novembre 2019, lors du colloque international des 80 ans du CNRS : les organisateurs avaient eu l’idée incongrue de faire intervenir sur le thème de la science ouverte le VP international de la CAS, ZHANG Yaping, alors que son organisation d’appartenance est aux avant-postes du projet de centralisation de données !

Il faut en être bien conscient, le contexte a radicalement changé. La bienveillance, voire le formidable élan de sympathie qu’inspirait la Chine quant à son développement à l’orée des années 2000, a aujourd’hui complétement disparu.

La Chine est désormais associée à une perception foncièrement négative parce que ses velléités d’exportation des principes guidant son modèle économique combiné à ses politiques intérieures rentrent en collision avec les fondements des démocraties libérales et l’ordre international qu’elles ont construit.

En tentant de le mettre à mal par tous les moyens que possède une puissance économique comme la Chine afin d’en ériger un autre, a-libéral, hégémonique et sino-centré, alimente bien entendu un rejet généralisé des initiatives chinoises.

D’autant qu’elles se confondent très souvent avec le PCC, parti unique autoritaire qui se confond lui-même avec l’État. Et combien même la Chine prétend soutenir le « multilatéralisme » alors qu’il s’agit en fait d’un système alternatif sino-centré qu’elle tente de mettre sur pied pour remplacer l’actuel avec des organisations créées de toute pièce, dans tous les domaines.

Autre facteur aggravant qui s’exprime fréquemment dans la sphère universitaire et scientifique. Il contribue à instiller le soupçon sur les véritables intentions de la Chine parce qu’elles ressemblent à la maxime « faites ce que je dis, pas ce que je fais » ! Le narratif chinois continue d’être réglé sur des déclarations d’ouverture, à l’instar des propos en faveur du prétendu libéralisme de la Chine du Président XI Jinping lors du Forum de Davos (avril 2017).

Ou, plus récemment, le 5 novembre 2019, à l’occasion de la foire de Shanghai : le même Président a appelé à davantage de coopération internationale dans le domaine des sciences et des technologies [20]. Ces déclarations ne convainquent personne, a fortiori pas les décideurs étrangers présents en Chine.

Il suffit pour s’en convaincre d’interroger les centres de recherche des entreprises occidentales en Chine ou encore de lire le rapport annuel de la Chambre de commerce européenne qui documente les innombrables limitations et discriminations auxquelles sont soumis les intérêts européens.

Les démocraties libérales l’ont oublié, pendant les quarante années de la guerre froide, elles ont vécu aux côtés d’un système alternatif, présenté comme menaçant, liberticide et oppressant. Au nom d’idéaux antinomiques, la confrontation qui a parfois été très tendue entre les protagonistes, a donné lieu à plusieurs conflits meurtriers dans des pays périphériques.

La grande différence avec la situation actuelle chinoise, c’est bien entendu que la Chine fait partie de l’espace mondial sans être séparée par un rideau de fer ou soumis à un COCOM [21], comme l’étaient les pays de l’est avant la chute du Mur.

Autre grande différence, le modèle soviétique a disposé pendant des décennies de puissants relais politiques et de précieux soutiens idéologiques dans tous les milieux de la société, y compris dans les pires moments (pacte germano-soviétique, purges staliniennes, soulèvements hongrois et tchèque…). Rien de tout cela pour la Chine. Avec une image dégradée, le pays fait désormais face à un vaste mouvement tous azimuts d’endiguement.

Et le fait d’être en prise avec l’Occident dans (presque) tous les domaines amplifie inévitablement cet ostracisme.

Tout ceci pour dire que le contexte restera durablement défavorable au développement de la coopération scientifique et universitaire France-Chine, les autres pays européens [22] étant logés à la même enseigne.

Dans un ESR français fragilisé par le manque de moyens, notamment en matière de collaboration internationale, il est difficile de ne pas anticiper des arbitrages de moyens en défaveur de projets en lien avec la Chine, au profit d’autres zones. Mais, et c’est le paradoxe, alors que la science chinoise monte en puissance, comment moins collaborer ou mettre des freins aux projets des chercheurs qui se lancent dans des coopérations scientifiques avec des collègues chinois ?

Esquissons quelques pistes sous forme de conclusions. La première se situe au niveau de la méthode : ce sont les chercheurs qui doivent rester les interlocuteurs de leurs collègues chinois, aucunement la gouvernance des établissements.

Ceci afin de s’affranchir du dérangement introduit par la présence des membres du Parti qui n’entendent rien dans les échanges scientifiques. Dans le même registre, il convient de faire en sorte de ne pas associer nos représentants diplomatiques : ce sont moins des aides que des sources de perturbations pour les projets scientifiques, notamment vis-à-vis des partenaires chinois qui y voient des interférences politiques !

Mon expérience de la Chine et l’observation des pratiques industrielles me suggèrent une autre évidence : la prise de décision quant à ce qui a trait à la Chine est toujours bien meilleure lorsqu’elle est le produit d’un traitement différencié.

Dans tous les domaines. Il est funeste d’appliquer des processus décisionnels communs à d’autres zones et, dans l’ESR, des modes de coopération qui s’appliquent mécaniquement ailleurs qu’en Chine. Pour le coup, déléguer la prise de décision de collaboration (ou l’instruction) aux seuls enseignants-chercheurs ou aux directions scientifiques ou encore aux seuls sinophones des organisations françaises (la pire option !) me paraît synonyme d’une prise de risque.

Sur la Chine, personne ne doit travailler dans son coin, isolément, comme j’ai pu l’observer très souvent, y compris dans les entreprises qui délèguent parfois leur dialogue avec les autorités locales ou centrales à leurs services des affaires publiques, tenus par des chinois.

Je crois beaucoup dans le croisement de l’expertise collective et des bonnes pratiques. Naturellement elles réclament une déclinaison opérationnelle qui est propre à chaque organisation, et c’est évidemment le plus compliqué.

Mais définir ce mécanisme contribue beaucoup à prévenir des accidents et des mauvais choix surtout que l’ESR dispose aujourd’hui de l’ensemble des ressources : experts de la Chine contemporaine, bureaux de représentation, attachés sectoriels de l’Ambassade, retours d’expérience… A mon sens, les personnes les mieux placées pour mettre en place ce type de processus appartiennent aux services des relations internationales.

Autre évidence, celles des restrictions. Les chinois le font sans vergogne, pourquoi pas nous ? N’ayons pas peur d’exclure préventivement des domaines, des laboratoires, des projets portés certains chercheurs, etc. Cela aurait le mérite de la clarté pour nos partenaires chinois comme pour les porteurs de projets français.

Certes, aujourd’hui, la plupart des chercheurs n’ignorent pas la procédure HFD, mais cette dernière présente le grand défaut d’être imprévisible, longue, binaire et différenciée selon les organisations concernées. Molle dans les universités et rigide dans les EPST, ce qui n’exclut pas des situations délictueuses où des chercheurs payés par le contribuable sont indirectement au service d’intérêt privés chinois plus de 80 jours par an ou travaillent au rayonnement scientifique d’institutions chinoises ! Il y a beaucoup de naïveté à croire que ces chercheurs coopèrent et que leurs responsables l’ignorent !

Enfin, et cette période de basses eaux le permet sans doute plus aisément, la Chine paraît un terrain idéal pour faire converger nos deux diplomaties. Sur le fond et la forme. Notamment parce que les moyens dont dispose le MAE en crédits d’intervention (qui incluent les postes d’ETI) dépassent d’un facteur deux (voire trois), ceux à la disposition de l’opérateur qui assure l’essentiel de la coopération scientifique France-Chine (le CNRS).

Alors même que du point de vue de l’efficacité et du rayonnement, le résultat est complètement inverse depuis des années ! Avant même d’envisager des synergies, il y a sans doute un réservoir d’opportunités à mettre sur une trajectoire de convergence et d’excellence la diplomatie scientifique du MAE et celle des opérateurs français.

++++

ANNEXES
L’accord sur les maladies infectieuses (MIE) : quelles contreparties ?

Signé en 2004, en grande pompe après l’épidémie de SRAS en Chine (2002-2003), l’accord sur les MIE correspondait depuis les années 90 a une demande récurrente de la Chine, soucieuse de développer ses capacités de R&D dans le domaine et de réinstaller un institut Pasteur à Shanghai (fermé en 1950).

Dans la pratique, depuis 2004, il n’a jamais reçu qu’une très faible adhésion des opérateurs (y compris de l’Institut Pasteur de Paris et de l’INSERM ) mais aussi des tutelles françaises (MESRI, Santé…), sans parler des autorités de contrôle (risque de prolifération, intégration civilo-militaire).

C’est donc le MAE qui porte cette « coopération » depuis 15 ans sous forme de troublantes largesses qui se chiffrent sans doute en millions sur la période : experts français mis à disposition, transferts de technologies pour un P4, livraison de matériels, etc.

En l’absence d’explication pour une telle générosité, les spéculations vont bon train : s’agit-il d’une contrepartie demandée par la Chine pour les bonnes affaires d’un industriel français ? Pour que la Chine accepte d’acheter une partie de la dette sociale française (CADES) ?…

Les SHS : Des erreurs de casting en chaîne.

En 2018, le MAE publie un profil de poste d’ETI. Il s’agit de mettre en œuvre à Xi’an une coopération en urbanisme et développement urbain. On recherche donc un urbaniste expérimenté, un architecte ou un économiste de haut niveau capable d’aider les autorités locales à concevoir un plan de développement urbain. Stupeur, les candidats qualifiés dont un détenteur de PhD sinophone, sont éconduits !

C’est en fait l’assistante du service « éducation » de l’Ambassade, sans aucune formation dans le domaine qui a été recrutée ! En 2014, pour le poste d’ETI du Centre Franco-chinois en SHS de Tsinghua, le MAE s’est associé les services d’une jeune chercheure sans habilitation (HDR) spécialisée dans les mouvements sociaux en Chine, un peu comme si l’X en France se faisait imposer un membre chinois du PCC pour enseigner la pensée de Xi Jinping ! Autant dire que la chercheure n’a jamais pu réellement effectuer le moindre travail à Tsinghua.

Presque même scénario à Hong Kong (pour le CEFC) ? Le MAE a recruté en 2019 un chercheur junior sans appartenance ni HDR pour piloter un laboratoire dont l’objectif est d’attirer des financements, des chercheurs et de s’implanter dans le milieu académique de Hong Kong (7 universités). Un peu comme si on retenait un jeune cadre pour diriger une entreprise du CAC 40 ! On lui souhaite bonne chance.

Acronymes utilisés

ANR : Agence Nationale de la Recherche.

CEFC : Centre d’Étude Français sur la Chine contemporaine.

CFOSAT : Satellite d’observation de la terre franco-chinoise

CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique.

COMIX : Commission mixte scientifique et technologique franco-chinoise.

DGRI : Direction Générale de la Recherche et de l’Innovation.

E2P2L L’UMI (Unité Mixte Internationale) : E2P2L est un laboratoire de chimie crée en 2011, basé à Shanghai, et focalisé sur la recherche et le développement de nouveaux produits et procédés éco-efficients.

ESR : Enseignement Supérieur et de la Recherche.

ETI : Encadrant technique d’insertion.

HDR : Habilitation à diriger des recherches.

IFC : Institut Franco-chinois.

INSERM : Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale.

MAE : Ministère des Affaires étrangères.

MESRI : Ministère de l’Enseignement supérieur de la Recherche et le l’innovation.

MIE : Maladie Infectieuse Immunité et Environnement

NSFC : National Natural Scientific Foundation 国家自然科学基金.

OBOR : One Belt One Road. Du Chinois : « Une ceinture économique, une route de la soie : 一个经济带 一个 丝绸路 ».

PCC : Parti Communiste Chinois.

SHS : Sciences Humaines et Sociales.

SRAS : Syndrome Respiratoire Aigu Sévère.

Note(s) :

[1ll s’agit d’une instance de dialogue pour identifier des convergences franco-chinoises capables d’orienter les opérateurs et les financeurs des deux pays pour les prochaines années, sur la forme (nature des programmes et projets) comme sur le fond (options disciplinaires).

C’est également une rencontre qui favorise la compréhension réciproque des politiques et des priorités. ». In « Comix franco-chinoise : vers un nouveau départ ? » Le CNRS en Chine, n°29 (printemps-été 2019), p. 37.

[2Par euphémisme diplomatique, le CNRS évoquait « l’asymétrie de la représentation chinoise » ! Cf. Le CNRS en Chine, n°29 (printemps-été 2019), p. 38

[3On pense bien entendu à la présence de Huawei dans des instances de réflexions européennes sur la 5G dans le cadre du FP7 et de H2020, ce qui alimente les tensions entre le Parlement et la Commission depuis plusieurs années.

[4L’IPS est une unité de 400 personnes de l’Académie des sciences de Chine (CAS), la gouvernance de l’IPS est entièrement chinoise. Contrairement à une idée reçue, l’IPS n’accueille des chercheurs français que de façon occasionnelle (à l’exception de 1 ou 2) et sur projet.

Ce qui a pu donner l’illusion que l’IPS est une organisation française en Chine est le fait que l’un des directeurs scientifiques est un pasteurien payé par le MAE. Un autre chercheur, celui-là du CNRS, mais travaillant à l’IPS est également rémunéré par le MAE. Lire : Les Instituts franco-chinois [中文].

[5Alain Mérieux, à la demande des autorités françaises, a accepté, un temps, de remplir les fonctions de président d’honneur.

[6Au fil de la communication de l’Ambassade, on ne parvient pas à comprendre si l’ambition était de concevoir une ou plusieurs « maisons ».

[7Sur le fond (priorités disciplinaires) et sur la forme (type de projet et partenariat). Cf. le programme de recherches avancées (PRA) franco-chinois lancé par un opérateur associatif soutenu par le MAE au milieu des années 90.

[8Ces quatre pays réalisant plus de 75% des co-publications scientifiques internationales de la Chine.

[9« Le CNRS en Chine : un état des lieux », édition 2015.

[10« Oborisation » : Le néologisme désigne la tendance chinoise à articuler toutes ses actions extérieures au concept « One Road One Belt ou OBOR » articulé à l’ambition stratégique normative de la référence unique aux « caractéristiques chinoises » définissant un système politique autocrate et des procédures administratives verticales que Pékin entend promouvoir dans ses projets internationaux.

[11Cf. dépêche de l’Agence Tsinghua du 29 avril 2018 “China’s party system offers wisdom for today’s world”.

[12Intervention de XI Jinping au 19e Congrès, repris dans In « Authoritarian Advance, Responding to China’s Growing Political Influence in Europe », GPPI/Merics, fév. 2018, p. 7. 16

[13l’Alliance UASR (“University Alliance of Silk Road”) rassemble aujourd’hui 132 établissements de 32 pays différents. Le siège est à l’Université de Lanzhou. Quant à l’autre alliance, l’UABR (“University Alliance of Belt and Road »), elle regroupe 126 universités de 23 pays autour de l’Université Jiaotong à Xian.

[14En particulier dans le monumental décorticage du financement de la recherche chinoise financé par l’Union Européenne et réalisé par la société britannique « Development Solutions Europe » : FWC FPI/PSF/2015 Lot 4 – Advance Access to Financial incentives for Innovation in China.

Ce recueil en 7 volumes montre sans aucune ambiguïté comment et pourquoi les acteurs européens sont, de façon systématique, exclus des sources chinoises de financement de la R&D, y compris les programmes « talents ».

Ce grand travail a été suivi en 2019 d’une enquête sur l’attractivité scientifique de la Chine (FWC FPI/PSF/2015, lot 4 : Rfs 2018/398182/1). Il est intéressant de noter que la Commission européenne a pris soin de se désolidariser des conclusions de ces études qu’elle a pourtant commandées pour guider ses concertations avec la Chine. Selon un fonctionnaire de l’UE, au plus près du dossier, « (…) à charge, ces études ne permettent pas un dialogue apaisé avec la Chine » !

[15Présentation du programme « 1 000 talents », initiative du Parti Communiste Chinois (PCC) pour attirer les hauts talents internationaux en Chine, 4 oct. 2019 (tresor.economie.gouv.fr)

[16Ex. Georgia Tech dans les domaines des matériaux.

[17Voir à ce sujet : « Picking flowers, making honey », Alex Joske du “The Australian Strategic Policy Centre”. Oct. 2018. Ce cercle de réflexion australien a récemment estimé à 2 500 le nombre de chercheurs de l’APL s’étant rendus dans des institutions de recherche étrangères entre 2006 et 2017. Le Canada, la GB, l’Australie et les E.-U. sont très ciblés.

[18Respectivement 17 millions et 5 millions d’euros iraient à des projets conjoints (2016).

[194 juillet 2018. « La science ouverte est la diffusion sans entrave des publications et des données de la recherche. Elle s’appuie sur l’opportunité que représente la mutation numérique pour développer l’accès ouvert aux publications et – autant que possible – aux données de la recherche. La science ouverte vise à construire un écosystème dans lequel la science est plus cumulative, plus fortement étayée par des données, plus transparente, plus rapide et d’accès plus universel. ». Lire : Plan national pour la Science Ouverte.

[20Il a appelé à approfondir la coopération internationale et à refuser le repli sur soi dans le domaine de l’innovation. Il a également plaidé en faveur de la « levée les barrières qui nuisent à la circulation des connaissances, des technologies, des talents et des autres facteurs d’innovation ». (…) « soutenir les échanges et coopérations techniques entre entreprises selon leur libre arbitre ».

[21Pendant la Guerre froide, système multilatéral de contrôle des exportations de matériels sensibles vers le bloc de l’est.

[22Un cadre de haut niveau d’un très grand établissement de recherche allemand m’a ainsi déclaré que son organisation avait « exclu » la Chine de toute collaboration, cette décision figurant explicitement dans son plan stratégique confidentiel.

 

 

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