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›› Taiwan

Victoire sans appel de Tsai Ing-wen sur fond de lourdes incertitudes

Après une spectaculaire remontée dans l’opinion attestée par les sondages depuis juin 2019 à mesure que se développèrent les troubles à Hong Kong, Tsai Ing-wen (57,1% des voix) a, le 11 janvier nettement surclassé Han Kuo-yu (38,6%), le candidat du Guomindang et son principal concurrent à la présidentielle.

La victoire de Tsai (4e mandat d’un indépendantiste depuis 2000) a d’autant plus de relief qu’elle a battu le record de voix obtenues à une présidentielle depuis 1996, avec 8,170 231 bulletins contre 5,522 119 à Han Kuo-yu. Le 3e candidat James Soong, plafonne très loin derrière à 4,3% des voix avec seulement 608 590 bulletins.

Sans conteste possible c’est bien le poids menaçant de la Chine qui s’est traduit le 2 janvier 2019 par le discours solennel et crispé de Xi Jinping et la rigidité de l’appareil à Hong Kong, qui aura permis un tel retour de fortune de Tsai Ing-wen qui, il y a exactement un an, rassemblait moins de 35% d’intentions de vote, contre plus de 50% à Han Kuo-yu. La désaffection de l’opinion était le prolongement du large revers électoral de mi-mandat subi le 28 novembre 2018.

Lire : Tsai Ing-wen à la peine. Sous la vigilance de Pékin, le paysage démocratique de l’Île évolue.

Le « miraculeux » retournement de fortune de Tsai Ing-wen.

Plombées par des controverses de politiques intérieures qui dressèrent l’opinion contre elle, y compris dans son propre parti, avec des polémiques autour du mariage gay, de la réforme des retraites, de la pollution, des lois travail, encore aggravées par un affaire de contrebande de tabac impliquant ses gardes du corps, la direction de China Airlines et des membres de la sécurité nationale, les intentions de vote en sa faveur sont restées à ce faible niveau de plus ou moins 35% jusqu’à la fin mai.

La courbe de popularité de Tsai commença irrésistiblement à s’inverser au cours de la première quinzaine de juin. A l’entrée de l’été, il devint en effet clair qu’avec la Loi sur l’extradition proposant une version totalitaire et très extensive de la « sécurité nationale », l’attelage Xi Jinping – Carrie Lam n’avait pas l’intention de protéger à Hong Kong les libertés garanties par « un pays deux systèmes ». Lire : A Hong Kong, un anniversaire en feu et Hong Kong, rappels historiques et essai de perspective.

Dans l’Île, l’épisode était d’autant plus sensible que Pékin envisage obstinément - et contre la volonté de la totalité des Taïwanais sans exception -, d’imposer les mêmes « Deux systèmes » en guise de modalité de réunification.

Le 25 juin, une semaine après la manifestation monstre du 16 juin dans la R.A.S, les opinions favorables à Tsai atteignaient 46%, gagnant 10 points en 3 semaines. Après un recul en octobre novembre à 40 – 45%, sa cote s’est à nouveau envolée pour dépasser 55% à la veille du scrutin.

Tsai a bien compris que sa popularité tient à la fermeté politique de ses réponses aux pressions chinoises qui, depuis son accession au pouvoir en 2016, réduisent comme peau de chagrin son réseau diplomatique à la portion congrue. Lire : Coups de boutoir méthodiques de Pékin contre l’Île. Le Panama quitte le navire taïwanais.

Répondant au discours de Xi Jinping qui, le 2 janvier 2019, glosait sur le caractère inéluctable de la réunification sans tenir compte de la constante opposition des Taïwanais exprimée au long des enquêtes d’opinion et des élections, Tsai a sans détour rappelé que son parti chevauchait l’idée d’une rupture politique. Lire : Les défis de l’obsession réunificatrice.

Fermeté politique face aux pressions chinoises.

Contrairement au Guomindang, elle et son parti n’ont jamais accepté le postulat du « consensus de 1992 » reconnaissant l’appartenance de Taïwan à la Chine, tandis que la « majorité des Taïwanais – tous partis confondus - rejetait fermement le schéma des Deux systèmes ».

Après quoi, elle avait longuement souligné la nature démocratique du régime de l’Île. Rejetant les menaces militaires, elle avait condamné les manœuvres d’intrusion oblique de Pékin dans le jeu politique taïwanais, dénoncé les harcèlements contre son exécutif, y compris par des pressions sur des compagnies aériennes ne désignant pas l’Île selon les règles normatives définies par le Parti communiste.

Rappelant qu’elle était prête à engager des négociations pacifiques, - « tout est négociable sauf notre liberté », avait-elle rappelé paraphrasant le Président Reagan lors d’un interview à CNN en mars 2019 (lire : Taïwan : appelant à la rescousse la conscience des démocraties, Tsai tente d’échapper au face-à-face avec Pékin.), Tsai avait réitéré que le dialogue devait être conduit dans le respect et la reconnaissance mutuels, sans condition préalable, entre pouvoirs politiques établis et non par le truchement d’initiatives individuelles non reconnues par Taipei.

La remarque de Tsai faisait référence aux tendances de la Chine à contourner le pouvoir élu dans l’Île pour négocier directement avec le Guomindang (KMT – 國民黨), héritier de Tchang Kaï-chek qui reconnaît le « consensus de 1992 » avec cependant la réserve que, dans l’esprit du vieux parti nationaliste héritier de Sun Yat-sen, « une seule Chine » ne suppose pas qu’elle soit communiste, nuance que Pékin fait mine d’oublier.

C’est avec en tête toutes ces considérations fermement affichées sur la liberté et la démocratie qui, sans aucun doute fondèrent son succès électoral, qu’après sa victoire, Tsai déclarait lors de sa première réunion de Présidente réélue, le 11 janvier : « La démocratie taïwanaise et notre gouvernement démocratiquement élu ne cèderont jamais aux pressions et aux menaces ».

En apparence, la victoire de Tsai est totale. Son succès personnel rétablit – il faut le rappeler grâce aux pressions de Pékin - l’autorité politique qu’elle avait perdue dans l’Île et même dans son Parti.

Au Yuan législatif, son Parti a conservé la majorité absolue avec 61 sièges malgré un recul important de 7 sièges par rapport à 2016. Le Guomindang son principal adversaire héritier de la guerre civile stagne toujours à l’étiage législatif de 38 sièges (+3 par rapport à 2016).

Pour autant l’examen détaillé des résultats législatifs révèle que le paysage politique n’est pas forcément figé sur une trajectoire qui serait de plus en plus favorable à la rupture avec Pékin. Il n’augure pas non plus d’un deuxième mandat politiquement facile pour Tsai Ing-wen.

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Les faces cachées des législatives.

Première observation, la mouvance de rupture indépendantiste du Parti du Nouveau Pouvoir 時代力量 New Power Party- créé en 2015 dans le sillage du mouvement des tournesols du printemps 2014 (lire : Taïwan : Craquements politiques dans l’accord cadre. Les stratégies chinoises en question), est en recul.

Alors qu’elle avait conquis 5 sièges en 2016, elle n’en a plus que 3. Au-delà des problèmes internes que connaît la formation de Huang Kuo-chang – 2 membres ont quitté le Parti en 2019 -, sa performance électorale suggère que l’humeur d’affrontement direct avec Pékin fait moins recette.

Deuxième observation, les législatives ont entériné le surgissement - 1,6 million de voix, 11,2% des suffrages exprimés - du Nouveau Parti du Peuple créé en août dernier par le Maire de Taipei Ko Wen-je dont la ligne politique prône le compromis pragmatique avec Pékin, l’honnêteté, la transparence politique et la défense sociale des Taïwanais.

Certes Ko a manqué son but d’empêcher un des 2 grands partis de détenir la majorité absolue. De même, il est encore très loin de son objectif affiché de « pousser le KMT et le DPP à la marge, pour rassembler au centre la majorité des Taïwanais », grâce, dit-il à une classe politique jeune et totalement renouvelée.

Mais avec 5 sièges au Yuan Législatif, il incarne désormais une sensibilité politique dont la vision de compromis pourrait séduire les Taïwanais aux prochains scrutins.

Dernière observation, le KMT qu’on disait à la veille de sombrer à force de se tromper dans le choix de ses champions électoraux, bouge encore. En dépit des contradictions doctrinales qui le minent entre la vision d’appartenance à la Chine et le rejet du régime de Pékin, il représente toujours une force politique considérable sur laquelle Tsai devra compter.

Au total, 4 723 504 suffrages se sont exprimés en faveur de ses candidats, soit seulement 87 737 de moins que celles recueillies par le DPP (4,811,241).

Les ombres tutélaires de Pékin et Washington.

Enfin comme à chaque événement politique majeur de l’Île enjeu stratégique entre la Chine et les États-Unis, les réactions de Washington et Pékin donnent une indication des défis à venir.

Pékin affirme que les résultats de l’élection vue par le Parti comme un « scrutin local » ne changeront rien à l’ambition de réunifier à terme l’Île avec le Continent. Il n’en reste pas moins qu’après le désaveu infligé par les élections de district du 24 novembre à Hong Kong, le Parti est confronté à ses marges méridionales à une nébuleuse de contestation politique de sa norme autocrate dont il serait mal avisé de ne pas tenir compte.

D’autant que la stratégie de Tsai destinée à desserrer l’emprise commerciale de Pékin, commence à porter ses fruits. S’il est vrai que le Continent reste toujours le premier client de l’Île, Claude Leblanc qui cite le gouvernement Taïwanais souligne dans l’Opinion que les exportations et les investissements vers les 18 clients alternatifs identifiés par Taipei, ont depuis 2016 respectivement augmenté de 21% (117 contre 96 Mds de $ d’exports) et de 60% (391,5 au lieu de 235,9 Mds de $ d’investissements).

Déjà sur le Continent, l’humeur est à la prudence. Pour l’instant, Xi Jinping a renoncé à interpeller les Taïwanais par l’affichage martial rigide adopté dans son discours du 2 janvier 2019. Les chercheurs confirment que la voilure nationaliste a été réduite.

A l’Université de Xiamen, JI Ye professeur au département des études taïwanaises spécule que « Pékin n’appliquera pas de pression maximale à Tsai à moins qu’elle ne prenne des mesures drastiques pour provoquer Pékin ».

Au cœur des préoccupations du Parti, le soutien dont Tsai, instrumentalisant la rivalité stratégique sino-américaine, bénéficie déjà de la part de Washington.

Dans un contexte où les contradictions américaines ne sont pas moindres que celles de Pékin et de Taipei, - D. Trump ayant abandonné la prudence stratégique à l’égard de Pékin, tout en répétant qu’il cherche un compromis - (lire : Flambée de tensions dans le Détroit sur fond de « bruits de ferraille ». Quel avenir pour Taïwan ?), le moins qu’on puisse dire est que la stratégie de Tsai tenant à bout de bras le flambeau de la démocratie et des droits dans le monde, constitue pour le Parti Communiste chinoise en porte-à-faux sur ce sujet, un irritant de première grandeur.

Une chose est certaine : au moment même où Xi Jinping évoquant le « Rêve chinois » dont la réunification constitue un des principaux arcs-boutants, Taipei a échappé au face-à-face réducteur avec Pékin. La trajectoire comporte des risques considérables d’aggravation de la situation dans le Détroit.

Alors que Tsai Ing-wen affirme vouloir préserver le statuquo dans le Détroit qu’elle est en train de bousculer, deux inconnues majeures planent au-dessus de cette situation : la réaction de la faction dure du PCC et de l’APL qui rêve d’en découdre militairement une fois pour toutes et la capacité des États-Unis à dissuader une agression chinoise contre l’Île.

Certes Mike Pompeo a été l’un des premiers à féliciter Tsai. Au-delà subsiste cependant plusieurs incertitudes : la capacité des États-Unis à s’engager dans un contexte où resurgissent les symptômes d’isolationnisme et le degré d’unité de la communauté des pays libres ainsi que leur détermination à protéger les droits et la liberté dont Taïwan se dit le porte-parole global face à l’autocratisme de Pékin.

 

 

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