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›› Editorial

Xi Jinping en Birmanie. Rétablissement spectaculaire des intérêts chinois

Les 17 et 18 janvier derniers, pour sa toute première visite à l’étranger de l’année 2020, le Président Xi Jinping était à Naypyidaw la capitale birmane au sud de la région de Mandalay.

Cœur culturel du « pays birman », la région est entourée des « 7 États ethniques » dont l’irrédentisme plus ou moins virulent a ponctué la très turbulente, souvent violente, situation intérieure du pays depuis sa sortie du Commonwealth et son indépendance en 1948. Les tensions ethniques manipulées par Pékin dans les années 60, furent aussi le principal levier d’action de l’influence maoïste anti-coloniale, active dans la région jusqu’à la fin des années 70.

Enfin les régions frontières avec la Chine - notamment les États de Chan et de Kachin -, sont toujours le théâtre de trafics (bois, drogue, êtres humains) impliquant plus ou moins directement les responsables locaux (lire notre article écrit en 2009 : Chine-Myanmar : le dilemme birman et la note du bureau des NU pour la lutte contre la drogue).

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S’il est un voisin de la Chine dont l’importance stratégique pour Pékin dépasse celle de tous les autres c’est bien le Myanmar.

Situé dans l’arrière cour chinoise avec une frontière commune longue de 2200 km (la plus longue après celles avec la Mongolie et la Russie), couloir de passage d’un gazoduc et d’un oléoduc, cordons ombilicaux stratégiques majeurs pour Pékin, le pays vient de connaître un basculement démocratique en demie-teinte source de nombreux malentendus et d’espoirs déçus.

Depuis 2017, Aung San Suu Kyi (ASSK), le symbole asiatique des droits et de la démocratie, lauréate du Prix Nobel en 1991, placée en première ligne au poste de « Conseillère Spéciale d’État » après la victoire sans appel de son parti « la Ligue Nationale pour la démocratie » aux élections législatives de 2015, mais dont la marge de manœuvre est étroitement contrôlée par l’armée, est aux prises avec de violentes critiques de l’ONU et de la communauté internationale pour son absence de réaction aux féroces harcèlements dont sont victimes les Rohingyas dans son pays [1].

Le 11 décembre, représentant la Birmanie à la Cour Internationale de Justice de La Haye, elle a, après avoir écouté les violentes accusations lancées contre elle, nié les charges de génocide.

« Au cours d’un exposé de 40 minutes », ASSK, écrit dans Ouest France Sophie Boisseau du Rocher, Dr en Sciences Politiques / IFRI, a « sans émotion et avec conviction, rétabli les rôles. Sans escamoter les responsabilités, elle a reconnu les fautes et les dérives de l’armée ayant fait un usage disproportionné de la force, appliquée sans discernement contre les populations civiles et les combattants de l’Armée du Salut des Rohingyas de l’Arakan. »

« En revanche, tout en exprimant de l’empathie pour les nombreuses victimes civiles innocentes, elle a clairement réfuté le terme de “génocide“, car pour qu’il y ait génocide, il faut qu’il y ait intention planifiée : à ce titre, elle a démonté l’argument mis en avant par la Gambie et replacé la succession des faits dans leur déroulement en tentant de démontrer que “l’intention génocidaire“ n’était pas la seule hypothèse. ». Lire : À La Haye, Aung San Suu Kyi demande à être entendue.

Alors que l’étoile humanitaire et démocratique d’Aung San Suu Kyi est en train de pâlir en Occident et à l’ONU, Pékin dont l’influence au Myanmar était en recul, attesté par la décision de l’ancien président Thein Sein de suspendre la construction du barrage de Myitsone en 2011 [2], opère depuis 3 ans un de ces rétablissements d’influence dont le Parti a le secret.

La longue vision stratégique au secours des « États parias ».

Déjà utilisée par le passé avec tous les pays objet de l’ostracisme occidental ou/et de l’O.N.U - le Pakistan, l’Iran, la Corée du Nord sont les exemples les plus connus -, la manœuvre chinoise consiste à garantir aux « parias » désignés un appui politique inconditionnel assorti de projets de développement qui, depuis 2013, s’inscrivent dans le prêt-à-porter de constructions d’infrastructures des « nouvelles routes de la soie ».

Au Myanmar, le schéma chinois en cours depuis 2016 (lire : Aung San Suu Kyi à Pékin. Retour au principe de réalité) avait déjà été mis en œuvre dès la fin des années 70, par Deng Xiaoping, à l’époque du Général Ne Win.

L’arrangement qui comportait la fin du soutien aux dissidences larvées et aux guérillas communistes, engageait Pékin à soutenir sans faiblir le régime à l’O.N.U et à l’aider économiquement par des investissements d’infrastructures.

La longue vision du patriarche considérait déjà les projets de pipe-lines gaz et pétrole et l’accès chinois à l’océan Indien.

40 ans plus tard, la ligne chinoise, cette fois enveloppée dans le discours faisant la promotion des Nouvelles Routes de la Soie, n’a pas varié d’un pouce. Considérant ses intérêts stratégiques, Pékin cultive la relation à la fois avec les militaires birmans et avec Aung San Suu Kyi qui, elle-même, se réjouit de trouver à Pékin des interlocuteurs plus compréhensifs.

19 ans après Jiang Zemin, dernier Président chinois venu en visite à l’époque de la Junte, Xi Jinping arrive dans un pays où les investissements chinois tiennent de loin le haut du pavé alors que les projets occidentaux, en partie handicapés par l’ostracisme politique, ont tardé à se matérialiser.

Coopération et appui sans conditions.

Fort des succès de la lutte contre la pauvreté en Chine, le Président chinois venu célébrer les 70 ans des relations diplomatiques établies peu après la création de la République Populaire, a signé 33 projets de développement, tout en affirmant, en contraste avec les pays occidentaux, que la Chine respecte les « particularités culturelles et politiques » des pays où elle engage des coopérations de développement.

On y retrouve l’habituelle panoplie des projets de construction de barrages, de ponts, de routes et de voies ferrées reliant des zones économiques spéciales où les investisseurs bénéficient de conditions fiscales préférentielles. La partie chinoise a aussi promis de participer activement au développement économique de Rangoon et de sa région, cœur démographique et culturel du pays.

Enfin, n’éludant pas ses intérêts Pékin a laissé entendre qu’une partie des investissements chinois iront à l’État de Kachin, où se trouve le barrage de Myitsone dont la construction a été stoppée en 2011 par le gouvernement parce que le lac de retenue allait noyer un site sacré, tandis que presque toute l’électricité produite était destinée à la Chine.

A l’été 2018, alors que montaient les rumeurs que le barrage serait relancé, un accord bilatéral attribuait à titre de compensation à un consortium dirigé par le Groupe chinois CITIC, un projet de port en eau profonde à Kyaukphyu dans l’État de Rakhine.

Approuvé par le parlement, le projet de port en eau profonde dont la construction totale durera 20 ans, sera mené par des compagnies chinoises [3] et le groupe thaïlandais Charoen Pokphand. Il comprendra les terminaux des îles Madae et Yanbye équipés de 10 postes d’amarrage, ainsi que la route et le pont reliant le port à un nouveau parc industriel.

Le tout donnera à Kyaukphyu une capacité annuelle de 7,8 millions de tonnes de fret et de 4,9 Millions de conteneurs EVP (à comparer avec les 700 Millions de tonnes et les 42 millions d’EVP de Shanghai).

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Le vent a tourné.

Quand en juin 2015, 5 mois avant les élections qui virent son triomphe, Aung San Suu Kyi rencontrait le Président Xi Jinping à Pékin, elle était encore une icône mondiale des droits et de la démocratie.

La Chine en revanche avait en 2011 subi la rebuffade de l’arrêt du méga projet de barrage de Myitsone. Son influence dans le pays birman était en recul et, portée par l’élan démocratique, celle de l’Occident semblait avancer irrésistiblement.

Personne n’a oublié les images de Barack Obama venu en 2012, embrasser Aung San Suu Kyi, dont la résidence surveillée avait été levée en 2010. Pourtant, deux ans plus tard, lors d’une nouvelle visite du Président américain, le ton avait déjà changé. Dans le New-York Times, Mark Lander écrivait :

« Cette fois leur image de vétérans politiques était marquée par les traces de leur combat. Aux prises avec des revers de politique intérieure, les deux sont confrontés à des doutes sur leur leadership. » C’est peu dire qu’Aung San Suu Kyi était consciente des embuches dans son pays dominé par le pouvoir sans partage des militaires : « Je mets en garde contre les excès d’optimisme (…) Le processus de réforme est un chemin cahoteux. ».

Obama n’était pas moins prudent. Il constata (c’était il y a 6 ans) le refus de la junte d’amender la disposition constitutionnelle barrant la route de la présidence à ASSK, au prétexte de ses liens familiaux avec l’étranger (mariée au Tibétologue britannique Michael Vaillancourt Aris décédé en 1999, ses deux fils sont des citoyens britanniques) ; en même temps, lors de la conférence de presse commune, le Président américain avait rappelé que « La discrimination envers les Rohingyas ou toute autre minorité religieuse, n’exprimait pas la vraie nature que la Birmanie voudrait être à long terme ».

Le changement de ton et d’ambiance entre 2012 et 2014, pavait déjà la route au retour d’influence de la Chine. Celui-ci fut accéléré par la crise des Rohingyas, l’ostracisme occidental et l’appui inconditionnel de Pékin apportée à Aung San Suu Kyi.

Depuis, celle qui n’est que la « Conseillère spéciale de l’État et porte-parole de la présidence de la République Birmane » que certains médias occidentaux appellent à tort « Chef de l’État de fait », a rencontré plusieurs fois le Président chinois, en avril dernier lors du 2e forum des Nouvelles routes de la soie à Pékin et le 17 janvier à Naypyidaw.

Chaque fois, il a été question de la « longue amitié » et de la coopération mutuelle « gagnant – gagnant ». En filigrane, toujours omniprésents, les intérêts stratégiques de la Chine soucieuse du maintien de son influence dans sa vaste arrière-cour, matérialisés par les cordons ombilicaux du gaz et de pétrole vers le Yunnan.

La crise des Rohingyas pèse toujours sur la situation.

Le 27 décembre, 2 semaines après le plaidoyer d’Aung San Suu Kyi à La Haye et 3 semaines avant la visite de Xi Jinping, l’Assemblée Générale des NU condamnait à une très large majorité (139 voix pour, 9 contre et 28 abstentions) les violations des droits de l’homme contre la minorité musulmane.

Le représentant birman Hau Do Suan, exprimant le nationalisme bouddhiste pour qui les Rohingyas sont des « intrus » Bengalis, quand bien même leurs familles ont vécu dans le pays pendant des générations, avait rétorqué qu’il s’agissait « d’un exemple flagrant de deux poids, deux mesures… Une application sélective et discriminatoire des normes des droits de l’homme sur un pays membre, délibérément conçue pour exercer une pression politique injustifiée sur la Birmanie ».

Ce n’est pas tout. La Chine est également dans le collimateur des défenseurs des droits. Le 14 janvier le rapport annuel de l’ONG Human Right Watch estimait que Pékin « menaçait globalement les droits dans le monde »

« Il y a longtemps que Pékin réduit au silence ses détracteurs sur son territoire. Mais maintenant, le gouvernement chinois essaye d’étendre cette censure au reste du monde. Afin de protéger l’avenir de chacun, les autres gouvernements doivent agir ensemble pour résister à l’offensive chinoise contre le système international de défense des droits » (Kenneth Roth, Directeur exécutif d’HRW).

Ainsi se dessine le dilemme birman et celui d’Aung San Suu Kyi évoqué par Richard Horsay expert de la Birmanie à l’International Crisis Group : « Le Myanmar a toujours été très bon pour ne pas céder à la pression internationale. Jusqu’à présent il n’a pas changé son approche sur la question des Rohingyas » (…).

« Sachant qu’il a besoin de la protection de la Chine au Conseil de sécurité, il calcule l’ampleur des concessions qu’il devra faire aux intérêts de Pékin pour conserver son appui ».

En surplomb, gardons à l’esprit l’importance capitale que la Birmanie revêt pour Pékin. Cette conscience fonde l’analyse que jamais la Chine n’abandonnera son influence en Birmanie.

Elle y restera fidèle, même en prenant le risque de s’engager dans un pays tourmenté, ostracisé et traversé par d’importantes tensions internes, les haines religieuses héritées de l’histoire qui viennent de mettre la lauréate du prix Nobel de la paix en porte-à-faux, s’ajoutant aux conflits ethniques qu’Aung San Suu Kyi tentait d’apaiser dans le sillage de son père assassiné en 1947.

ANNEXES
5 Points essentiels de la Constitution birmane de 2008.

1. Chapitre 3, art n°59 : « le Président lui-même, son conjoint, l’un de ses enfants légitimes ou leurs conjoints ne doivent avoir aucun lien d’allégeance à une puissance étrangère ». (…) « Ils ne peuvent jouir des droits et privilèges d’un sujet d’un gouvernement étranger ou d’un citoyen d’un pays étranger ».

2. Chapitre 3, art n°57 (d) : « le Président doit être familier des affaires politiques, administratives et militaires de l’Union ».

3. Chapitre 4, art n°141 la chambre haute (224 sièges) comptera 56 personnels du secteur de la défense nommés par le Commandant en chef.

Chapitre 4, art n°109 (b) « La chambre basse du parlement (440 sièges) ne doit pas compter plus de 330 membres élus et pas plus de 110 représentants du secteur de la défense.

4. Chapitre 5 art n° 232 (b) (ii) « (Pour la formation du gouvernement), le président tiendra compte d’une liste de personnes fournies par le Commandant en Chef pour tenir les postes de ministres de la défense, de l’intérieur et des questions de frontières ».

5. Chapitre 11 art n° 431 : « En situation d’urgence, le Conseil national de défense et de sécurité exerce le pouvoir souverain au nom du président ».

Tensions dans l’État de Rakhine

Source : Groupe Asie / Pacifique sur le blanchiment d’argent (APG), organisation internationale autonome fondée en 1997 à Bangkok, composée de 41 membres et d’un certain nombre d’observateurs internationaux et régionaux. L’action de l’APG est soutenue le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, l’OCDE, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, la Banque asiatique de développement et la Banque asiatique de développement et le Groupe Egmont de renseignement financier.

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L’État de Rakhine, ancien État d’Arakan situé sur la côte occidentale du pays ouvrant sur le Golfe du Bengale est le théâtre d’une insurrection sur fond de conflits séparatistes et de graves violences communautaires.

La situation de sécurité de l’État s’est fortement dégradée après le 9 octobre 2016, suite aux attaques armées contre la police des gardes-frontières dans le canton de Maungdaw ayant causé la mort de membres des forces de sécurité.

Le Myanmar indique que les attaques ont été menées par un groupe armé appelé Harakat al-Yaqin (rebaptisé plus tard Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA), qui, selon des sources, a des liens avec des membres de la diaspora Rohingya résidant en Arabie saoudite. Le groupe a envahi un poste de sécurité au nord de la ville de Maungdaw, saisissant des armes et des munitions.

La violence a une première fois culminé à la mi-novembre 2016, quand des affrontements ont fait 86 morts dont 17 parmi les forces de sécurité birmanes, sur lesquelles pèsent de graves accusations d’atteintes aux droits des personnes dilatées en accusations de crimes de génocide par une enquête diligentée par les NU.

Une deuxième aggravation de la situation de sécurité a eu lieu à la fin août 2017, quand l’ARSA a, toujours dans l’État de Rakhine, lancé des attaques coordonnées contre 30 postes de police et une base militaire. Au cours de cette bataille, 71 personnes ont perdu la vie dont 59 insurgés et 12 membres des forces de sécurité.

Les effets combinés des attaques de l’ARSA mentionnées plus haut, des opérations brutales indiscriminées menées par les forces de sécurité, sur fond de violences intercommunautaires ont conduit un nombre très important de « Rohingyas / musulmans de l’État de Rakhine » et d’autres groupes ethniques nationaux à fuir au Bangladesh, créant un exode massif de populations ayant ému la communauté internationale.

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ANNEXES (Suite)
L’histoire chaotique des Rohingyas

(Source : https://www.lefigaro.fr/)

C’est un peuple sans État. Les Rohingyas, dont l’ethnie est originaire de l’actuel Bangladesh, vivent depuis des générations dans l’ouest de la Birmanie. Ils sont musulmans, et leur religion est extrêmement minoritaire dans un pays pratiquant une intense foi bouddhiste. Privés de droits élémentaires, ils sont victimes de répression de la part de l’armée.

L’histoire commence au XVIe siècle. En Asie du Sud-Est, à cette époque, la notion de frontière n’existe pas telle que nous la concevons aujourd’hui. Les royaumes sont bâtis autour de grandes cités, dont l’influence se traduit par le contrôle des populations. Après une conquête, il n’est pas rare qu’une partie des vaincus soit déportée, non pour devenir esclaves, mais par souci de renforcer la population de la cité victorieuse et ainsi accroître son influence.

Les faits se déroulent dans l’Arakan, une bande de terre côtière baignée par le Golfe du Bengale et séparée du reste de l’actuel territoire birman par une haute chaîne montagneuse. Du XVIe au XVIIIe siècle, c’est la cité de Mrauk-U qui y exerce une autorité dominante. Son influence s’étend jusqu’à sa colonie de Chittagong, située dans l’actuel Bangladesh.

En 1644, Chittagong se révolte, tentant de s’affranchir de cette tutelle. Sans succès. La rébellion est matée. Près de 80.000 habitants sont déportés en Arakan. Afin d’empêcher toute tentative de retour, ils sont marqués au fer rouge. C’est sans doute l’un des premiers apports massifs de populations bengalies en Arakan : les chercheurs estiment que les déportés ne sont jamais retournés s’installer au Bengale, et ce même après la perte de la colonie de Chittagong par Mrauk-U, au profit de l’Empire moghol (XVIIe siècle).

La fin du XVIIIe siècle marque un changement majeur dans l’équilibre géopolitique de la région. Les terres situées au nord du fleuve Naf passent sous contrôle britannique, en 1760.

Le cours d’eau devient une frontière. Ce faisant, les Anglais établissent artificiellement une séparation entre le monde birman, asiatique, et le monde indien, autrefois franchie sans plus de question par les populations des deux bords. Une situation qui perdure aujourd’hui : c’est toujours la Naf que doivent franchir les Rohingyas fuyant la Birmanie moderne.

Au sud de ce fleuve, les choses changent également. En 1785, les Birmans annexent l’Arakan. Dans la tradition de l’Asie du Sud-Est, une partie de la population, environ 20.000 personnes, est transférée jusqu’à Amarapura, la capitale birmane de l’époque. Une partie des musulmans fuit une occupation qui semble avoir été particulièrement brutale.

Commence alors pour eux un exode continu vers le nord. En 1811, la ville de Cox’s Bazaar est créée, du côté de l’actuel Bangladesh, afin d’absorber ce flot de réfugiés. La cité fait également toujours parler d’elle, étant en première ligne pour accueillir les Rohingyas aujourd’hui.

*

Le XIXe siècle marque un nouveau chamboulement régional. L’empire des Indes britanniques annexe peu à peu la Birmanie. La conquête se termine en 1890. Dans l’ancien royaume d’Arakan, les Britanniques inversent le flux migratoire, encourageant l’installation de la main-d’œuvre bengalie, jugée plus apte à effectuer le travail des champs.

Cette main-d’œuvre est en grande partie composée de saisonniers qui rentrent chez eux une fois les mois de travail achevés. Mais le temps passant, la part de travailleurs décidant de s’installer croît, provoquant le mécontentement des populations de l’Arakan.

Les tensions s’exacerbent au cours de la Seconde Guerre mondiale. Les Japonais envahissent le pays sous l’œil favorable d’un certain nombre de Birmans, qui y voient la possibilité de s’affranchir du colonisateur britannique. Un État birman fantoche est d’ailleurs créé par les Japonais entre 1943 et 1945.

(NDLR : Parmi ceux qui accueillirent d’abord favorablement les Japonais figurait le père d’Aung San Suu Kyi. Comme nombre de nationalistes, il voyait dans le Japon qui proclama l’indépendance de la Birmanie en 1943, le moyen de prendre ses distances par rapport au colonisateur britannique.

Au fur et à mesure de l’impopularité croissante des occupants (dont la victoire devient moins certaine), Aung San se rapprocha des Alliés et des mouvements communistes. Avec ces derniers il fonda l’Organisation anti-fasciste de Birmanie.

Finalement, se rangeant aux côtés des Alliés, le 27 mars 1945, il emmena ses troupes à se révolter contre les Japonais contribuant à les chasser de Birmanie.)

Durant ces troubles marquées par l’incertitude et les haines communautaires, des milliers de Musulmans furent tués sud de l’Arakan. En retour, les Bouddhistes furent massacrés au Nord. Les deux populations fuirent pour se réfugier dans des zones plus favorables, les Bouddhistes vers le sud et les Musulmans vers le nord, se concentrant dans les zones où vivent toujours les actuels Rohingyas.

*

Après le retour de la puissance britannique en 1945, les Bengalis revinrent s’installer en Birmanie. L’indépendance birmane, en 1948, bouleversa à de nouveau l’équilibre de la région.

Les musulmans, assimilés à un effet pervers de la période coloniale, sont alors considérés comme des citoyens de seconde zone, même s’ils possèdent alors le droit de participer à la vie politique. Dans les années 1970 et 1980, le régime militaire va peu à peu les mettre au ban de la société, en en faisant des apatrides et en durcissant leurs conditions de vie.

En 1978, environ 200.000 Rohingyas se réfugient au Bangladesh. En 1992, plus de 230.000 supplémentaires franchissent le fleuve Naf. En 2012, après des violences communautaires, 140.000 prennent la fuite. Cet exil se poursuit au cours des années suivantes. Certains embarquent dans des navires de fortune, abandonnés par des passeurs peu scrupuleux, et se retrouvent ballottés entre divers pays, aucun État de la région ne souhaitant les accueillir.

Aung San Suu Kyi sur la sellette

Une nouvelle vague de migrations est en cours depuis 2016 après l’attaque de postes frontières birmans par des rebelles royinghas, et la sévère répression qui s’en est suivie. On estime cette fois que plus de 620.000 personnes ont passé la frontière en direction du Nord.

En 2017 Aung San Suu Kyi avait assuré que les forces de sécurité avait reçu des instructions pour éviter les dommages collatéraux et que des civils soient blessés lors de l’opération antiterroriste.

Elle avait en outre précisé que son pays était « prêt » à organiser le retour des plus de 410.000 Rohingyas réfugiés au Bangladesh voisin. « Nous sommes prêts à débuter la vérification » des identités des réfugiés, en vue de leur retour, a-t-elle assuré dans l’enceinte du parlement, à Naypyidaw, la capitale birmane.

Ce discours télévisé était très attendu après plus de trois semaines de troubles dans l’ouest de la Birmanie. Aung San Suu Kyi n’avait jusqu’alors que mollement appelé l’armée à la retenue et à épargner les civils. (source le Figaro : Birmanie : Aung San Suu Kyi prête à organiser le retour des Rohingyas.)

Note(s) :

[1L’armée dont il est impossible de surestimer le pouvoir implacable et sur laquelle Aung San Suu Kyi (ASSK) a peu de prise, contrôle 1/4 des sièges au parlement et se trouve à la tête directe ou par influence des ministères clefs de la défense, de l’économie, des affaires frontalières et de l’intérieur.

Il reste que l’O.N.U et la Communauté internationale estiment qu’ASSK porte une responsabilité dans ce que les Nations Unies ont qualifié de génocide de l’ethnie musulmane des Rohingyas. En 2018, Ottawa lui a retiré sa nationalité honorifique canadienne et Amnesty International sa fonction d’Ambassadeur extraordinaire.

[2Une décision catastrophique pour la Beijing’s State Power Investment Corporation - 中电投 - qui a investi 3,6 Mds de $ dans le projet.

[3China Harbor Engineering Company, China Merchants Holdings (International), TEDA Investment Holding, Yunnan Construction Engineering Group

 

 

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