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›› Politique intérieure

Wuhan, crise médicale et craquements dans l’appareil

En dépit de la censure, les réseaux ont exprimé nombre de critiques et Xi Jinping, n°1 omnipotent qui depuis 2013 et singulièrement depuis son 2e mandat en 2017 s’est placé au centre du pouvoir n’a pas été épargné.

Hors de Chine, les commentateurs révélaient une incohérence dans les déclarations du Secrétaire Général. Alors qu’au début de la crise il était resté profil bas à Pékin, il a affirmé au Président de l’OMS qu’il avait toujours été en pointe de la lutte.

Mais, relève Willy Lop Lam, ancien du SCMP jusqu’en 1997, aujourd’hui professeur associé à l’Université de Hong Kong, « au début, c’est le Premier Ministre qui, masque sur le visage, était en première ligne dans les hôpitaux de Wuhan. Les images de ses entretiens avec le personnel médical ont submergé les réseaux sociaux » (…)

« Au moins Li Keqiang a eu le cran de se rendre sur place ». La comparaison avec Hu Jintao le prédécesseur de Xi n’était pas non plus très aimable. « Alors que Hu avait visité plusieurs endroits sévèrement touchés par SRAS, Xi reste en sécurité à Pékin ».

La réelle implication du n°1 n’a commencé que quand il a pris conscience des dommages pour sa légitimité de sa position en retrait.

La statue écornée.

Pin Ho, fondateur aux États-Unis de « Mirror Group », un média en langue chinoise très lu dans la communauté des Huaqiao, touche un point sensible : « Alors qu’il a concentré autant de pouvoirs entre ses mains, à la tête d’innombrables commissions et “petits groupes dirigeants“, il est absent de ce défi d’ampleur nationale, voire mondiale, lié à des questions de vie et de mort. Cette erreur pourrait devenir son “Waterloo politique“ ».

Suit une remarque sur les dysfonctionnements de l’appareil où les subordonnés, tous des courtisans, craignent de faire remonter vers le haut les mauvaises nouvelles. La tendance à édulcorer la réalité aurait mal relayé à Pékin l’urgence de la situation.

Les commentaires spéculent aussi sur la propension du n°1 ou de ses courtisans à mal supporter les comparaisons quand elles ne lui sont pas favorables. Ils sont d’autant plus sensibles qu’il s’agit du Vice-président, le plus proche soutien de Xi jinping, qui en 2003 s’était distingué en limitant magistralement les dégâts causés par l’omerta sur le nombre de cas de SRAS à Pékin.

La diffusion sur le net d’une interview par CCTV de Wang Qhisan alors maire de Pékin été visionnée plus de quatre millions de fois en deux heures avant d’être supprimée.

Les commentaires qui répétaient leur désir d’un homme fort, apprécièrent les réponses sincères et confiantes de Wang. Un internaute commente la suppression : « Ce n’est pas que le pays a une mauvaise mémoire. C’est que ceux qui sont au pouvoir n’aiment pas ça ».

Fragilité de l’appareil.

Le 28 janvier, dans le New-York Times, Li Yuan diplômée des Universités de Columbia et Georges Washington, ancienne du Wall Street Journal et de Xinhua originaire du Ningxia où elle a grandi, analysait depuis Hong Kong, les réseaux sociaux chinois.

Son introduction est une charge sans précautions contre les faiblesses de l’appareil, rappelant celle de David Shambaugh qui, dans une critique paru dans le Wall Street Journal en 2015, expliquait que le Parti était « dur à l’extérieur et mou l’intérieur 外硬内弱 ».

« De l’extérieur », dit-elle, « le Parti apparaît puissant et efficace. Il a resserré son contrôle sur la politique, la culture, l’économie et la vie quotidienne des Chinois, donnant le sentiment d’unifier graduellement la société. La crise du coronavirus a détruit cette façade ».

« Les personnels du prestigieux Union Hospital de Wuhan se sont joints à d’autres personnes en Chine pour mendier en ligne des équipements médicaux. Des vidéos ont montré des patients suppliant le personnel de les soigner. La population de Wuhan et de la province du Hubei a été chassée des avions et expulsée des hôtels et des villages. »

« En ligne les critiques comparent défavorablement les dirigeants actuels aux anciens, dont chacun sait pourtant que le bilan en matière de réponse aux catastrophes est plutôt mitigé. Des internautes ont même exhorté les responsables locaux du parti à se suicider. »

*

« Alors qu’il est évident que le vernis de cohésion et de stabilité craque, même certains proches du pouvoir appellent la direction politique à faire part de leurs divergences d’idées au lieu de les cacher. » Citant Hu Xijin, rédacteur en chef du journal Global Times, elle accuse le Parti d’être fermé à toute idée non conforme à sa ligne officielle.

« La censure a détruit la capacité de contrepouvoir des médias d’information », explique Hu qui cite l’arrestation de 8 lanceurs d’alerte convoqués par la police.

Toujours pour relever la fermeture du Parti à autre chose qu’à sa propagande calibrée à l’aune des « caractéristiques chinoises » Li Yuan cite Wang Gaofei, directeur général de Weibo. Alors que son réseau social était contraint de censurer de nombreux articles sur l’épidémie, lui-même faisait publier des recherches menées par des scientifiques de l’Université de Washington montrant une corrélation entre une plus grande couverture médiatique et la réduction des infections.

Mais dans un pays où l’histoire est souvent réécrite pour servir les intérêts du parti, les leçons du passé sont oubliées. La discussion sur le SRAS, ayant il y a 17 ans, tué des centaines de personnes, a été bloquée.

Dans diverses régions, la police a infligé une amende ou détenu plus de 40 personnes pour avoir répandu des « rumeurs ». Mais sur weibo beaucoup affirmaient qu’il s’agissait de cas confirmés.

Wang Heyan, journaliste d’investigation pour le magazine Caixin ayant couvert des cas de corruption impliquant de hauts dirigeants chinois, a déploré sur WeChat qu’elle et ses collègues n’étaient pas autorisés à interviewer des médecins à Wuhan. Eux-mêmes disaient craindre des représailles.

« Si aucun des personnels hospitaliers n’est prêt à prendre un petit risque pour dire la vérité et si les médias ne peuvent pas la rapporter, à la fin tout le monde, y compris les médecins, seront perdant », écrit-elle.

La confiance ébranlée.

Plus fondamental, Hu Xijin, décrit – non sans prendre des risques - la remise en cause même du pacte social et politique par lequel le peuple a abandonné ses droits individuels en échange de la stabilité et de la prospérité.

Comme lui, un internaute s’étonne qu’un appareil politique donnant un tel sentiment de puissance et d’efficacité puisse être à ce point bouleversé. « Nous avons renoncé à nos droits en échange d’une protection », écrit-il. « Mais de quel genre de protection s’agit-il ? Où nous mènera notre apathie politique ? ». Le message a été partagé par 27 000 lecteurs avant d’être effacé par la censure.

Li Yuan note que les Occidentaux peuvent être facilement étonnés par la rapidité avec laquelle le gouvernement chinois peut mobiliser des ressources et construire des infrastructures. Certains experts internationaux de santé publique ont même été impressionnés par la rapidité et l’ampleur du verrouillage de plus d’une douzaine de villes, touchant 56 millions de personnes.

La machine de propagande dit-elle aussi en substance, est passée maître dans la promotion et la mise en valeur de son efficacité pour, par exemple, construire 2 nouveaux hôpitaux à Wuhan en quelques jours. Mais cette quête obsessionnelle d’une réputation d’efficience, gage de légitimité politique, masque de profonds problèmes.

Les vidéos de propagande et les nouveaux bâtiments flambant neufs ne montrent pas le poids que ce constant affichage d’énergie fébrile fait peser sur les individus, la société et l’environnement.

Résilience et vulnérabilité.

Mais Li Yuan, sino-américaine connaît bien ses racines et leur culture. Elle sait qu’en fin de compte, en dépit des critiques et des lanceurs d’alerte c’est encore le parti qui, jouant sur le sens collectif des Chinois, tiendra le haut du pavé. Il a suffi d’une visite de Li Keqiang pour que l’atmosphère change. Elle laisse le dernier mot à Li Haipeng, un journaliste, vétéran qui sait bien que les Chinois et encore plus les malades voient une visite de Pékin comme une manne céleste.

« Envers et contre tout, l’État sera jugé digne de confiance et considéré comme le seul sauveur », a-t-il écrit sur Weibo. « Toutes nos histoires sont les mêmes : elles commencent par l’échec de l’État et se terminent par sa victoire. »

Il serait cependant étonnant que l’épisode ne laisse pas des traces politiques. Même si après la tourmente le décor se reconstitue, derrière le rideau, les factions et les clans dont la soif de pouvoir reste intacte, n’oublieront pas facilement que l’image du n°1 a été écornée.

Mise à jour le 7 février. « Nous voulons la liberté d’expression ».

A 3h 48 du matin, le 7 février l’hôpital central de Wuhan annonçait sur Weibo que le Dr Li Wenliang 李文亮 était décédé dans la nuit à 2h 58.
En décembre dernier, il avait été l’un des premiers lanceurs d’alerte harcelé par la police qui avait tenté de le faire taire.

Si la mort du médecin est en elle-même un drame, la manière dont elle a été annoncée révèle un dysfonctionnement politique dont la première conséquence est de mettre encore plus à mal la relation entre le public et les autorités.

Le 6 février, une première information sur le décès de Li diffusée par le Global Times et d’autres médias officiels dont Caixin et Beijing News a d’abord été effacée. Le même jour à 12h30, un message de l’hôpital annonçait qu’il était dans un état critique, mais encore en vie. Sa mort était officiellement annoncée le lendemain à 3h48, situant l’heure du décès à 2h58.

La première annonce du décès par plusieurs journaux déclencha la fureur des réseaux sociaux critiquant violemment la manière dont la crise était gérée. Peu après apparut le « hashtag » politiquement inflammable aussitôt censuré : « Nous voulons la liberté d’expression - 我们要言论自由 - », tandis que les compagnies Internet chinoises étaient sommées de censurer sans nuance toutes les nouvelles liées à l’épidémie.

La rumeur dit qu’à partir du 6, effrayé par les réactions publiques à l’annonce de sa mort, l’hôpital a, après avoir constaté son décès, pris la décision de ramener Li en survie artificielle.

Quel que soit l’angle de vue, la crise épidémique et la manière dont le pouvoir la gère mettent les relations du régime avec la société sous tension. En première ligne Xi Jinping qui depuis 2017 concentre un nombre importants de pouvoirs et de responsabilités.

Ayant initié un style de pouvoir autour de sa personne, par qui tout commence et tout finit, mettant sous le boisseau la recherche académique, les médias, la justice, le corps enseignant et toute pensée contraire, le n°1 chinois se trouve cœur d’un dysfonctionnement, résultat d’une rupture de la chaîne d’informations que le culte de sa personnalité et les courtisans ont eux-mêmes secrétée.

Le 7 février, sur son blog « Sinicism », Bill Bishop, se demandait s’il s’agissait d’une crise existentielle pour Xí Jìnpíng 习近平.

« Le contrat social du Parti avec le peuple - assurer son bien-être et sa prospérité économique sans cesse croissante contre un abandon des libertés individuelles - est mis à l’épreuve à une ampleur rarement observée ces dernières décennies ».

La nervosité politique, alimentée par la psychose est palpable dans de plusieurs endroits de Chine. Nombreux sont les endroits du pays où les autorités ont pris des mesures identiques à celles mises en œuvre dans le Hubei.

Mais l’affichage d’efficacité ne suffit plus, d’autant que les nouveaux hôpitaux de fortune construits à la hâte n’ont pas tenu leurs promesses.

Selon le Commission de santé publique de Wuhan, l’hôpital de Huoshenshan, qui a commencé à admettre des patients le 3 février avec une capacité d’accueil annoncée de 1000 patients, n’avait le 9 février que 286 lits utilisés et plus aucune place disponible.

L’hôpital de Leishenshan, a ouvert le 8 février avec samedi avec seulement 30 lits contre 1 500 lits annoncés. Selon le New-York Times, « débordés et en sous-effectif, les hôpitaux ont refoulé de nombreux résidents malades, les forçant à rentrer chez eux et à se mettre en quarantaine dans de petits appartements où ils risquent d’infecter d’autres membres de la famille ».

Mise à jour le 11 février.

A Wuhan et en Chine, la colère du public est d’une ampleur inédite. Après l’annonce du décès du Dr Li, 1 milliard d’utilisateurs se sont exprimés sur Weibo. Les messages expriment leur colère contre la censure des médias et l’incompétence des responsables.

Plusieurs intellectuels n’ont pas ménagé leurs critiques.

Xu Zhangrun, professeur de droit à Qinghua, aujourd’hui démis de ses fonctions pour avoir adressé une lettre ouverte à Xi Jinping en 2018 https://www.questionchine.net/felures récidive : « Le système politique se délite sous la tyrannie. La gouvernance de bureaucrates à l’œuvre depuis plus de 30 ans s’est effondrée ». Déjà sanctionné en 2019, il risque la prison.

Xu Zhiyong, maître de conférences, avocat des droits de la société civile, aujourd’hui en fuite, va plus loin :

« Il y a sept ans, je vous exhortais à promouvoir la démocratie en Chine et le respect de la constitution. En retour, j’ai été jeté en prison pour quatre ans. Maintenant, vos hommes me cherchent toujours pour me renvoyer en prison. Je ne pense pas que vous soyez un méchant homme Mr Xi Jinping, juste quelqu’un de pas très intelligent. Pour le bien du peuple, je vous le demande encore une fois : démissionnez, M. Xi Jinping. »

Alors que 2 autres médecins ont révélé avoir été harcelés par la police, 10 professeurs (dont 8 enseignant à l’université de Wuhan) ont signé une lettre ouverte appelant à la liberté de parole inscrite dans les articles 31 et 51 de la constitution.

Surtout ils exigent que les autorités présentent des excuses aux lanceurs d’alerte tourmentés par la sécurité d’État et reconnaissent que le Dr Li Wenliang est un héro national.

*

Le 10 février, réagissant pour la première fois à l’épidémie après le décès du Dr Li, le président Xi Jinping, un masque sur le visage, s’est rendu dans le district de Chaoyang. Dans son style révolutionnaire, il a déclaré Wuhan « ville des héros ». S’adressant aux personnels de santé et à la population par vidéo, il a exhorté chacun à garder confiance et à croire à la victoire.

La télévision d’État a décrit la sortie du Président comme la démonstration de son rôle central dans la direction du pays. La sortie avait également pour but d’exprimer l’empathie officielle pour les gens ordinaires dont la vie est bouleversée par l’épidémie et les mesures imposées par le gouvernement pour en contrôler l’extension.

Il est un fait que les contrôles imposés par le pouvoir sont drastiques. Des prises de température ont été mis en place dans tous les lieux publics (métros, centres commerciaux, gares). Toute personne présentant des signes de fièvre est refoulée et renvoyée chez elle. Dans le pire des cas, elle peut-être adressée directement à un hôpital pour y subir des tests et éventuellement mise en quarantaine.

 

 

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