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›› Editorial

Vue cavalière de l’année du Cochon. Perspectives du Rat

Depuis le 25 janvier, 1er jour de l’année du Rat, la Chine est aux prises avec une crise sanitaire. Le souvenir funeste du SRAS en 2003 ajoute au sentiment que l’épreuve est aussi un défi politique pour l’appareil.

Ses réactions expriment à la fois une fébrilité et la volonté d’afficher son efficacité. (Voir le journal de l’épidémie, régulièrement mis à jour : A Wuhan, le fantôme du SRAS et une première analyse des conséquences politiques de la crise : Wuhan, crise médicale et craquements dans l’appareil.)

QC balaye ici les principaux points forts de l’année du Cochon et jette un éclairage sur les perspectives de l’année du Rat.

Durcissement intérieur.

En politique intérieure, dans la foulée du 19e Congrès en octobre 2017, le durcissement commencé en 2012 a continué, non seulement pour éliminer la corruption, mais également pour mettre la société aux normes des « caractéristiques chinoises ». Internet et les réseaux sociaux sont contrôlés comme jamais ; le monde académique est mis aux normes ; la justice est chapitrée ; les universitaires surveillés et sanctionnés, tandis que les religions sont sommées de conformer leurs textes sacrés à la doxa nationaliste de la prévalence chinoise.

Les symptômes d’un retour au centralisme politique autour de la personnalité de Xi Jinping se sont accumulés, renforçant la structure léniniste du pouvoir. 85% des cadres locaux nommés par Xi Jinping tissent une toile où tout commence et tout finit par le Secrétaire Général. Lui-même a progressivement élargit ses domaines d’intervention et de contrôle.

Les racines multiples des allégeances au Président vont des réseaux de fils de vétérans maoïstes – la « 2e génération rouge » - aux bases politiques du Zhejiang et du Fujian, en passant par les anciens du Shaanxi et de Qinghua.

S’il est vrai que de rares voix se sont exprimées pour s’élever contre la mise aux normes et l’absence de respiration politique de la société, elles ont été réduites au silence, en dépit des protestations ou des appuis venant de l’étranger.

Le professeur Ouïghour Ilham Tohti, courtisé par les Américains et condamné en 2014 à la prison à vie pour séparatisme après avoir exprimé sur VOA son opposition à la dure répression au Xinjiang est toujours en prison. Lire : Condamnation à la prison à vie d’un intellectuel ouïghour.

Quand le 18 décembre 2019, le Parlement européen lui a décerné le Prix Sakharov, le porte-parole du Waijiaobu, laconique a rappelé qu’il était un « criminel condamné par la justice chinoise ». Lire : Xi Jinping : Centralisation du pouvoir et fragilités politiques.

Le 25 mars, le professeur Xu Zhangrun, auteur le 24 juillet 2018, d’une critique publique adressée à Xi Jinping rédigée depuis le Japon, a été informé par la présidence de Qinghua qu’il devait cesser ses cours, que son salaire serait réduit et qu’une équipe de l’université allait enquêter sur sa lettre ouverte critiquant le Secrétaire Général.

Alors qu’en apparence le Parti unique inscrit son action à l’intérieur comme à l’extérieur dans la philosophie confucéenne humaniste et conviviale de l’harmonie, en réalité ses rapports avec les intellectuels dissidents restent inspirés par la philosophie des légistes dont l’arrière-plan n’est pas l’harmonie par la vertu et la morale, mais par la répression des déviants.

Développé à partir d’arguments vertueux sur la nécessité d’éduquer le peuple et d’éradiquer les mauvais comportements civiques, les fraudes et les crimes, ce qui explique l’adhésion initiale de la société en quête de sécurité, le « crédit social » qui utilise la puissance informatique pour mettre en fiche les Chinois, augmente le poids du contrôle de l’État sur les citoyens.

Par sa généralisation aux entreprises y compris étrangères, le crédit social confirme l’omniprésence de l’État dans tous les secteurs, y compris dans l’économie. L’impression d’entrisme tentaculaire, confinant au noyautage politique est l’une des origines du recul de la présence étrangère en Chine [1].

Ce mouvement de défiance a récemment été accéléré par la psychose née de la crise sanitaire de Wuhan ayant entraîné la fermeture temporaire de plusieurs grandes marques étrangères.

Le 1er octobre qui marqua le 70e anniversaire du Parti à la tête de la Chine, fut un autre affichage spectaculaire de la puissance du régime.

La parade militaire, de loin la plus théâtrale et la plus impressionnante de l’histoire chinoise, a résonné en écho au nationalisme brandi par Xi Jinping depuis 2012 et singulièrement depuis le 19e Congrès. L’épisode affirma le choix du régime de se démarquer des systèmes politiques occidentaux par les « caractéristiques chinoises ».

Mais l’impression de solide puissance et de contrôle sans faille de la société cache des vulnérabilités.

Fragilités.

Malgré la censure, l’effervescence des réseaux sociaux indique que la stature de Xi Jinping a perdu une partie de son autorité écornée par la mise à jour des fragilités et des dysfonctionnements de l’appareil à l’occasion de la crise sanitaire de Wuhan.

Aux limites sud du pays, depuis le 15 juin 2019, les émeutes de Hong Kong qui ne faiblissent pas n’ont certes pas écorné l’autorité du Parti en Chine, mais, compte tenu du contraste des cultures politiques, elles jettent une ombre sur l’avenir des « Deux systèmes » et, à plus long terme, sur la viabilité politique du rattachement définitif de la R.A.S en 2047. Là aussi, la crise sanitaire qui renvoie au souvenir du SRAS en 2003 (1750 cas, 286 décès à Hong Kong) ne contribue pas à dissiper les ressentiments.

Une autre révélation sensible fut la publication le 16 novembre 2019, par le New-York Times de 400 pages issues d’une fuite de documents confidentiels du Parti sur la répression de la minorité Ouïghour au Xinjiang.

Les documents offrent une vue inédite depuis les entrailles même du régime de la répression des Ouïghour au Xinjiang, par laquelle les autorités ont, au cours des trois dernières années, envoyé jusqu’à un million de Ouïghours, Kazakhs et autres ethnies dans les camps d’internement, dans l’intention affichée de les « déradicaliser ». Les détails des fuites ne laissent pas de doute sur la brutalité des traitements réservés aux prisonniers.

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Économie. Entre réformes et relance, l’hypothèque virale de Wuhan.

En économie, le paysage de 2019 a été dominé par la guerre commerciale avec Washington, le souci de lutter contre la finance grise, l’ambition d’assainir le marché financier et de l’ouvrir de manière contrôlée. En arrière-plan on perçoit la constante hésitation entre la volonté de contrôler la dette contre la tentation de relance budgétaire pour soutenir une croissance en recul que les dernières statistiques situent à +6% au 4e trimestre 2019.

L’intention de relance s’est exprimée d’abord par les réductions successives des ratios des réserves obligatoires des banques dont la plus récente date du 6 janvier 2020. 8e réduction depuis le début de 2018, elle a cette fois libéré 115 Mds de $. L’autre mesure de relance est la baisse des taux d’intérêts dont la dernière a été ordonnée par la Banque de Chine le 20 novembre 2019. La mesure vise à diriger les investissements vers l’économie réelle, plutôt que vers des placements financiers.

Elle faisait suite à la décision prise en août de relier le système d’établissement de taux prêteur de référence au marché déterminé par la demande réelle de liquidités à la banque centrale par 18 institutions financières dont 2 étrangères. Avec un taux de référence ajusté chaque mois, la mesure qui fait pression sur la rentabilité des banques, visait à baisser le coût des emprunts et à réduire les charges de financement pour les PME et le secteur privé.

Bien que le pouvoir se défende de pratiquer une politique systématique de soutien financier à l’économie, la plupart des économistes anticipent que la banque de Chine renouvellera ses baisses de taux d’intérêt en 2020. Les mesures de 2019 ont été accompagnées par un relâchement du contrôle du taux du Yuan qui, début août 2019, a, pour première fois depuis 2008, repassé à la baisse le seuil des 7 Yuan pour 1 $.

Cette dernière décision s’inscrit dans les mesures de ripostes chinoises à la guerre commerciale déclarée par la Maison Blanche. Son premier effet est de soutenir les exportations. Il est cependant peu probable que Pékin aille beaucoup plus loin en 2020. Il est probable que le Yuan se stabilisera au taux de 7 pour 1 $.

L’assainissement des finances publiques a franchi une nouvelle étape en 2019 par l’intervention des régulateurs dans le marché interbancaire, principal refuge de la finance grise.

L’incursion publique dans ce terreau des financements suspects, au risque de mettre les établissements financiers les plus fragiles en difficulté, prouve la sincérité de la démarche de nettoyage. Prenant ses responsabilités, l’État a placé sous sa coupe la Banque Baoshang, premier défaut interbancaire en Chine. A marquer d’une pierre blanche.

L’année s’est achevée par l’embellie de l’armistice commercial entre la Chine et les États-Unis dont la signature a eu lieu à Washington le 15 janvier. Lire : Chine – États-Unis. Mise en scène d’un armistice commercial. Le diable est dans les détails.

Même si toutes les taxes n’ont pas été supprimées l’accord a réduit les incertitudes et stoppé la baisse de la croissance à +6%. Au 4e trimestre le secteur des services a progressé de 6,9% ; la croissance de la production était en hausse légère à +5,7 %, celle de la production industrielle, plus vigoureuse à +5,9% . Quant à la croissance de la consommation, elle était à +8%.

Sévères secousses à venir.

Dans l’immédiat, cependant, alors que les problèmes structurels restent entiers (lire : L’ANP 2019. Un empilement de défis économiques et politiques.), la crise médicale de Wuhan qui frappe la Chine après la catastrophe de la grippe porcine, constitue une carte sauvage ayant réduit à néant l’espoir d’une éclaircie. Ses effets sur l’économie aujourd’hui en partie à l’arrêt sont difficiles à estimer, d’autant qu’ils dépendent de la durée de l’épidémie.

La mise en quarantaine a en partie décimé le secteur du tourisme. Les principales agences de voyage, les hôtels et les compagnies aériennes ont offert des remboursements pour février. Certaines compagnies aériennes ont suspendu leurs services à destination et en provenance de Chine.

Les étrangers sont touchés. Tesla a temporairement fermé sa nouvelle usine de Shanghai. Apple a perdu la production des sous-traitants de Wuhan. Les Français de Wuhan pour ne citer que ceux-là (PSA, Renault, Valeo, Plastic Omnium, Delfingen, Suez, Saint-Gobain, Sanofi, Accor, LVMH) seraient gravement impactés si la crise se prolongeait.

L’Académie des Sciences sociales prédit une baisse de 5% de croissance au premier trimestre et une perte totale de plus de 60 Mds de $. A l’ouverture des marchés de Hong Kong, le 27 janvier l’indice Hang Seng (HSI) a plongé de près de 6%. La plus grande crainte de la direction chinoises est celle d’une crise de liquidités.

Pékin et les provinces ont commencé à réagir. 12,6 milliards de dollars ont été alloués aux dépenses médicales (recherche, traitements et équipements). Les grandes banques ont baissé les taux d’intérêt pour les PME et les particuliers dans les zones les plus touchées. La Banque de Chine autorise les habitants du Hubei à retarder leurs remboursements de prêts de plusieurs mois s’ils perdaient leur source de revenus.

Occupé à riposter à la Crise, Pékin dont la demande intérieure se contracte déjà, aura du mal à tenir sa promesse de l’armistice commercial d’acheter 200 Mds de $ de produits américains au cours des deux prochaines années.

Les 200 millions de migrants sont parmi les plus exposés à la crise. Beaucoup d’entre eux qui se déplacent des zones rurales vers les villes pourraient de ne pas trouver d’emploi. Quant aux 10 millions de travailleurs migrants du Hubei, il est facile d’imaginer que, dans la psychose ambiante de la peur de la contagion, ils seront victimes de discriminations.

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Routes de la soie, succès et contrefeux. Rivalité sino-américaine et Corée du nord.

A l’extérieur, l’action de la Chine a été dominée par la rivalité tous azimuts entre Pékin et Washington et les vastes projets des routes de la soie, développés en Asie du sud-est, en Europe, en Afrique, au Moyen Orient, en Asie du sud, en Amérique Latine et même en Arctique. A marquer d’une pierre blanche, l’été 2019 a, un an après le sommet de Singapour entre Donald Trump et Kim Jong-un, marqué la fin d’une longue ambiguïté de la relation entre Pékin et Pyongyang.

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Alors que le 2e sommet de promotion des projets que la Chine appelle « Une ceinture économique, une route de la soie 一个经济带一个丝绸路 - », a eu lieu le 26 avril 2019 à Pékin, une césure est apparue entre les adeptes et ceux qui s’en méfient.

Une grande partie de l’Afrique, Madagascar, le centre et l’Ouest de l’Amérique latine (Panama, Venezuela, Équateur, Pérou, Bolivie, Chili, Uruguay), la Péninsule arabique, le Pakistan, l’Afghanistan, l’Iran, l’Asie du Sud-est (sauf le Vietnam), la Nouvelle-Zélande, la Turquie, l’Asie Centrale, les pays d’Europe Centrale et Orientale, les Pays Baltes, l’Italie, la Grèce et le Portugal ont adhéré.

Les États-Unis, le Canada, les autres pays d’Amérique Centrale (Mexique, Guatemala, Nicaragua, Costa Rica, Cuba), l’Australie, l’Europe Occidentale, le Japon, les 2 Corée sont restés en marge.

Une polémique est née accusant la Chine de s’attacher politiquement les participants par « le piège de la dette ». Le risque existe bel et bien pour le Monténégro, la République du Congo, le Ghana, la Sierra-Leone, la Zambie, le Mozambique, le Zimbabwe, la Mauritanie, la Tanzanie, le Tchad, l’Afghanistan, le Tadjikistan, le Laos, ailleurs, il est plus modéré.

A la fin mars, pour la première fois de l’histoire récente de la relation entre Pékin et Bruxelles, une visite du Président chinois en Europe s’est déroulée sous les auspices crispés et vigilants de la Commission ayant qualifié la Chine « de rival systémique », signifiant que les stratégies extérieures de Pékin avaient, au-delà des contentieux commerciaux, le potentiel de bousculer le paradigme socio-politique fondant l’épine dorsale de la marche des sociétés démocratiques de la planète.

Au Cambodge, dans le sillage scabreux des routes de la soie, Pékin, inquiet pour son image internationale à Sihanoukville, lieu du sommet de l’ASEAN en 2022, a, depuis le 5e mois de l’année du Cochon , sommé Phnom-Penh de mettre fin aux trafics et aux jeux en ligne.

Par dizaines de milliers, dit un article du journaliste australien Shaun Turton dans le Nikkei Asian Review du 10 janvier 2020, les Chinois quittent la ville, des casinos ferment, la moitié des restaurants ont mis la clef sous la porte, les revenus de ceux qui restent ont baissé de 80%, tandis que les loyers ont massivement chuté.

Quant aux Cambodgiens qui s’étaient endettés, souvent lourdement, pour chevaucher l’euphorie immobilière ou offrir des services aux Chinois, ils en sont pour leurs frais. Leurs clients potentiels sont partis sans laisser d’adresse.

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Les 20 et 21 juin de l’année du cochon, Xi Jinping était à Pyongyang. L’événement était d’importance. Il concluait en effet une période récente commencée le 27 mars 2018 quand, signalant un brutal dégel de la relation entre Pyongyang et Pékin, Kim Jong-un s’était rendu à Pékin en train à l’invitation du Président chinois, tout juste trois mois avant le sommet de Singapour. Lire : Péninsule coréenne. Brutal dégel entre Pékin et Pyongyang.

L’initiative par laquelle le régime chinois sort définitivement de son ambiguïté à l’égard de Pyongyang, laisse supposer que, désormais, Pékin exigera avec encore plus de force la suspension au moins partielle des sanctions.

La prochaine carte que Xi Jinping garde dans sa manche – deuxième temps de la stratégie chinoise et irritant de première grandeur pour les caciques de l’Alliance conjointe Séoul – Washington -, est, on l’aura deviné, la question sensible de la présence des troupes américaines en Corée du sud.

Un sujet que la Maison Blanche refuse pour l’heure bec et ongles d’inclure dans la négociation. Autant dire qu’un accord pour un traité de paix n’est pas pour demain.

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Le 2 juillet le G.20 à Osaka a été dominé par la querelle entre la Chine et les États-Unis, ces derniers ayant malmené tous les participants exigeant d’introduire le point n°36 de la déclaration finale rappelant la décision de Washington de se retirer de l’accord de Paris.

Les 12 au 13 octobre, le Président Xi Jinping s’est aventuré au Népal sur les plates-bandes stratégiques de l’Inde. En dépit des bonnes paroles, la visite a manqué son but. Dans ce pays culturellement et économiquement attaché à New-Delhi, Xi Jinping n’a pas réussi à obtenir l’accord pour un traité d’extradition pouvant menacer les 20 000 Tibétains en exil.

Les Népalais ont également rejeté une proposition d’accord de défense du Président chinois.

La visite faisait suite à un passage au pas de course de Xi Jinping en Inde, toute en spectacle mais sans beaucoup de substance. En dépit d’un détour culturel dans le sud-est du pays à Chennai et Mamallapuram, la patrie des sculpteurs de pierre, le malaise bilatéral sino-indien est resté palpable.

En arrière-pensées flottaient les puissants sous-entendus de relations en dents de scie jamais vraiment apaisées et les inquiétudes indiennes encore attisées par la visite à Pékin, le 9 octobre, du Premier Ministre pakistanais Imran Khan en pleine crise entre New-Delhi et Islamabad.

Lire : La très brouillonne et très contradictoire diplomatie chinoise en Asie du Sud.

A la mi-novembre, le président Xi Jinping était au Brésil où avait lieu le 11e sommet des BRICS. Il y a fait, avec succès, la promotion des avantages de la coopération chinoise dans le plus grand pays d’Amérique Latine, jusqu’à présent resté en marge des « Nouvelles routes de la soie ».

Il venait d’Athènes où les actions de Cosco dans le port du Pirée, prolongées dans les PECO apparaissent objectivement comme un contournement de l’UE.

Les arcs-boutants irrésistibles de la diplomatie chinoise restent ses capacités de financements (le plus souvent des prêts aux conditions variables selon les débiteurs) et la force d’attraction de son marché intérieur (en moyenne au moins 25% des exportations des 4 autres BRICS vont à la Chine).

Depuis quelques années, ces atouts sont assortis de l’attraction diffusée par les progrès chinois dans les secteurs de nouvelles technologies (intelligence artificielle, métadonnées, information et cryptage quantiques, biotechnologies).

Le fond de tableau est immuable. Avec Moscou, à qui l’attache une forte dépendance au gaz et au pétrole, Pékin nourrit le projet de créer un pôle de puissance concurrent de Washington. Dans ce contexte, la rivalité stratégique avec les États-Unis ne faiblit pas. Elle s’exprime à propos des revendications de Pékin en mer de Chine du sud induisant des relations heurtées de Pékin avec plusieurs pays de l’ASEAN.

Taïwan et Mer de Chine. Risques d’incidents graves.

A Taïwan, refuge chinois de la démocratie aux portes de la Chine et héritage de la guerre civile, se développe en miroir des troubles à Hong Kong un projet séparatiste confirmé par la réélection de la présidente indépendantiste Tsai Ing-wen (4e mandat d’un tenant de la rupture avec Pékin depuis 2000).

L’Île que la Présidente érige en symbole de la démocratie globale harcelée par l’autocratie de Pékin, reste pour le Parti communiste chinois le creuset d’une anxiété politique en même temps que le symbole inachevé du rêve chinois de renaissance. Soutenue par Washington, elle sera de plus en plus, la pointe émergée d’une compétition stratégique entre la Chine et les États-Unis.

Avec la mer de Chine du sud, où l’US Navy conteste les prétentions chinoises, elle reste une zone stratégique sensible où augmente le risque d’un dérapage militaire. Pour l’instant nous en sommes aux menaces.

En tout début d’année 2019, après une mise en garde du porte-parole Lu Kang qui protestait contre une nouvelle intrusion de l’US Navy dans les eaux des îles Paracel, le Global Times et la télévision nationale annoncèrent le déploiement des missiles DF-26 (pour DF : 東風 – Dong Feng, vent d’Est).

S’il est vrai qu’annoncer le « déploiement » d’un missile mobile de 5000 km de portée capable d’atteindre l’Île américaine de Guam, procède plus de la gesticulation peut-être à usage interne, il n’empêche que l’évocation d’une riposte balistique depuis le Continent fait entrer la situation dans des eaux mal balisées de l’incertitude stratégique. D’autant que dans l’arsenal chinois, le DF-26 est inclus dans la catégorie de missiles balistiques antinavires.

Enfin, à la fin de l’année eut lieu une nouvelle tentative d’apaisement des relations avec le Japon, après une phase de crispation qui durait depuis 2010. Le ton des échanges était clairement à la concilation.

Chine – Japon. Le poids de l’histoire.

Pour l’instant, la bienveillance réciproque s’est appuyée à deux événements également inédits depuis 10 ans : la participation, le 10 octobre, de la frégate lance-missiles chinoise Taiyuan à une revue navale japonaise, elle-même réplique de la présence à Qingdao du destroyer Suzutsuki à l’occasion du 70e anniversaire de la marine, en avril 2019 (lire : 70e anniversaire de la marine à Qingdao. L’Inde et le Japon en vedette. L’US Navy absente. Incident avec une frégate française.)

« Nos relations sont à nouveau sur la bonne voie. Pékin est prêt à travailler avec Tokyo pour approfondir le consensus politique conclu par nos dirigeants et construire des relations militaires solides et durables » a déclaré Wei Fenghe.

Après quoi Taro Kono a glosé sur la « nouvelle phase des relations de défense, condition de la paix et de la stabilité régionales ».

En ligne de mire de l’année du Rat, la prochaine visite de Xi Jinping au Japon. 12 ans après celle de Hu Jintao qui marqua un apaisement inédit de la relation (lire : Chine - Japon. Un remarquable exercice de tolérance diplomatique.) avant qu’elle se crispe à nouveau deux années plus tard, le Président chinois ambitionne d’inaugurer une nouvelle phase de l’histoire sino-japonaise, par un « 5e document conjoint », faisant suite au « 4e », signé en 2008, entre Hu Jintao et Yasuo Fukuda.

L’intention de Xi Jinping, dont les chances de réussite sont minces, compte tenu de la somme des contentieux non apaisés, est d’embarquer Tokyo, sous le nez de Washington, dans ses projets à vocation planétaire visant à promouvoir « une communauté humaine partageant le même avenir - 推动构建人类命运共同体- »

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Technologies. Crispations et Rattrapages.

L’année du Cochon n’avait pas encore commencé quand le 3 janvier, le module Chang’e 4 s’est posé sur la face cachée de la lune, le 3 janvier 2019, dernier mois de l’année du Chien. C’était une première. L’exploit, compliqué par la nécessité de mettre en place un relais radio intermédiaire, a été salué par la NASA.

12 mois plus tard, l’année du Cochon s’est achevée par une série d’annonces sur les progrès rapides de la Chine dans les domaines de l’espace, des voitures et des trains rapides à conduite automatique.

Le 30 décembre, le retour opérationnel de la fusée Longue Marche 5 après les échecs de 2017, avec une capacité d’emport de 25 tonnes comparable à celle de la fusée européenne Ariane, a redonné au programme spatial chinois (exploration de la lune, station spatiale, exploration lointaine et système de positionnement spatial Beidou) le lanceur suffisamment puissant qui commençait à faire défaut.

L’autre avancée méritant attention est la mise en service d’un TGV Pékin – Zhangjiakou (site des JO d’hiver de 2022) à 250 km/h de moyenne sans pilote. Quant aux voitures sans chauffeur, la Chine n’est pas en pointe. 16e d’un classement sur 20 pays (la France est 13e), elle est loin derrière les champions que sont les Pays Bas, Singapour et les États-Unis.

Avant ces annonces de Xinhua, toute l’année du Cochon a été dominée par les déclarations chinoises sur la physique quantique et l’intelligence artificielle. S’agissant de l’intrication quantique des particules subatomiques, les progrès annoncés sont l’effet d’une coopération de chercheurs chinois avec l’Autriche, le Danemark et le Royaume Uni.

Quant à l’Intelligence Artificielle, la réalité est que le progrès chinois sont limités par une pénurie de talents (Yu Yifan jeune sino-américain au CV impressionnant). A l’étranger, son développement est gêné par les liens étroits du secteur avec l’État, à l’origine des soupçons d’espionnage. ». Lire : Intelligence artificielle. Mythes et réalités.

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En fond de tableau : la « guerre des microprocesseurs » et les stratégies de l’industrie chinoise pour combler son retard (lire : La guerre mondiale des semi-conducteurs.). Alors que le pays est le 2e marché mondial des semi-conducteurs, les entreprises chinoises sont absentes du secteur.

À l’heure actuelle, la Chine importe 84% de ses besoins en semi-conducteurs. 16% de ses semi-conducteurs sont produits localement, dont seulement la moitié sont fabriqués par des sociétés chinoises. « Made in China 2025 » vise, entre autres, à produire localement 40% des besoins en semi-conducteurs d’ici 2020 et 70% d’ici 2025.

L’affaire Huawei encourage la Chine à accélérer le développement de son industrie nationale des semi-conducteurs. Les sociétés nationales de ce secteur sont en partie exemptés de taxes. En même temps, Pékin recrute à grands frais des talents étrangers et structure aussi son industrie par des acquisitions d’acteurs locaux ou étrangers, sous l’égide du groupe public Tsinghua Unigroup.

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Mais désormais Américains et Européens se cabrent et résistent à l’internationalisation des groupes chinois. L’affaire Huawei est le principal symptôme des contrefeux occidentaux. Pékin riposte avec le plan « Mille talents » visant à faire venir ingénieurs, scientifiques et entrepreneurs, chinois ou non-chinois, grâce à de très grosses incitations financières.

La guerre des talents est bel et bien déclarée.

C’est bien ainsi que dans son style direct, semblant tourner le dos aux ambiguïtés et aux approches obliques chinoises, que Xi Jinping envisage l’avenir : une lutte existentielle. Ni plus, ni moins.

Tous les journaux chinois alignés sur Xinhua, repris par la presse internationale en avaient parlé : le 21 mai, le président était à Yudu, dans le district de Ganzhou, à l’est du Jiangxi pour commémorer l’épisode spectaculaire et mythique de la « Longue Marche » durant la guerre civile par lequel, selon la légende, le parti a échappé à sa destruction par l’armée de Tchang Kai-chek.

A cette occasion, alors que dans ses « tweet » et interviews D. Trump, qui exprimait l’intention de banaliser la querelle commerciale, ne cessait de priser son exceptionnelle relation avec Xi Jinping, ce dernier prononçait un discours appelant les Chinois à se préparer à participer à une « nouvelle longue marche : 我们正处于长征的起点, 以纪念红军开始其旅程的时间. 我们现在正在开始一个新的长征, 我们必须重新开始- Nous sommes ici pour nous souvenir de l’époque où l’Armée rouge a commencé son voyage et nous entamons une nouvelle longue marche. Nous devons tout recommencer ».

Concrètement, les tensions s’expriment aujourd’hui de manière féroce à travers la querelle autour de Huawei, fleuron du secteur télécoms de la Chine moderne, non enregistré sur les marchés boursiers et au capital opaque.

Huawei. Guerre ouverte. Xi Jinping hausse les enchères.

En pointe dans la compétition globale pour la 5e génération de la téléphonie mobile dont l’éventail des possibilités est encore en cours d’exploration – vitesse de téléchargement et variété des usages y compris dans l’industrie, la robotique, l’aménagement du territoire, la télémédecine, l’automatisation, le pilotage et la surveillance à distance, l’aménagement urbain et les transports (la liste n’est pas close) –, le groupe chinois accusé d’espionnage par Washington est porteur, avant ses concurrents directs Apple et Samsung d’une rupture capacitaire nette par rapport à la 4G, pourtant seulement en cours d’installation en France.

Pour autant, l’avance technologique de Huawei recèle pour l’instant le sérieux talon d’Achille de dépendre du système d’exploitation mobile Android fondé sur le noyau Linux et développé par Google.

Quel que soit l’angle de vue, la référence à la Longue Marche, cette épopée d’une année – octobre 1934 à octobre 1935 -, esquive stratégique meurtrière de 12 000 km ayant coûté la vie à plus de 90 000 militants et fidèles, constituait la plus forte dramatisation par le régime chinois de la vaste rivalité sino-américaine.

Fervent des discours sacrificiels faisant référence aux souffrances endurées par le peuple chinois durant le XIXe siècle et la guerre civile (lire à ce sujet : L’arrière plan sacrificiel et moral de la gouvernance chinoise.), Xi Jinping a, en évoquant la « Longue Marche », haussé les enjeux des mois qui viennent au niveau d’une lutte pour la survie du Régime. Faisant cela, il prend un risque politique interne.

Certains y voient la preuve d’une assurance, articulée à l’un des épisodes les plus emblématiques de l’histoire de la Chine moderne. Mais il est prudent de nuancer. A l’affichage de sérénité tranquille à laquelle sont rompus les porte-paroles, se mêle une inquiétude.

La réalité où on voit le n°1 chinois faire appel aux mânes maoïstes de la « Longue Marche » dans un discours qui, en filigrane, n’évoque rien moins que la survie du système, est tout de même que la partie chinoise exprime une angoisse face aux pressions de la Maison Blanche ciblant, non seulement un des plus emblématiques fleurons technologiques de la Chine moderne, mais aussi et surtout l’architecture même du système chinois où les affaires et la politique sont étroitement imbriquées. Lire : Guerre commerciale, rivalité d’influence. Huawei dans l’œil du cyclone.

Tels sont les enjeux technologiques et politiques pour l’année du RAT. Ils ne sont pas minces.

Note(s) :

[1« Entre octobre 2018 et octobre 2019, 50 groupes étrangers pour la plupart américains et japonais dont Apple, Samsung, HP, Dell, Foxconn, Microsoft, Suzuki ont quitté la Chine », écrivait Li Shaomin dans la dernière livraison de China Leadership Monitor.

Le constat n’était qu’en partie vrai. S’il est vrai que le Taïwanais Foxconn a plusieurs fois évoqué l’idée qu’il a même suggérée à Apple, son départ de Chine continentale n’est pas à l’ordre du jour. Mais le fait que le sujet soit sur la table modifie clairement l’ancien paradigme d’une Chine attractive.

 

 

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