Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Chine - monde

En mer de Chine du sud, les limites de la flibuste impériale chinoise

Depuis la mi-décembre la mer de Chine du sud est à nouveau le théâtre de tensions. En sous-main et à bas bruit, se joue un bras de fer dont l’enjeu est le code de conduite que Pékin veut mettre à sa main pour contrôler l’exploration et l’exploitation des ressources d’hydrocarbures, y compris dans les zones économiques exclusives (ZEE) des riverains.

Au cœur des controverses, les propositions chinoises visant à affirmer la prévalence du suzerain chinois et à exclure de la région les étrangers et en premier lieu les États-Unis.

La première condition exigerait qu’aucun exercice militaire conjoint impliquant des forces armées extérieures à la zone ne soit conduit sans l’aval de toutes les parties. Ce qui, dans le mode de décision à l’unanimité de l’ASEAN, Pékin ayant au moins Phnom-Penh à sa diligence inconditionnelle et empressée, confèrerait à la Chine un droit de veto sur les manœuvres de la marine des États-Unis.

La proposition chinoise se décline aussi dans une version civile, stipulant que toute coopération économique – ce qui impliquerait les activités d’exploration et d’exploitation des ressources d’hydrocarbures – ne pourrait inclure des compagnies extérieures à la région sans l’aval des autres pays de l’ASEAN. Là aussi la vassalité obligée du Cambodge confèrerait à Pékin un droit de veto.

Les échauffourées passées sous les radars de l’information grand-public impliquent la Chine qui, au nom des traces culturelles et de l’histoire, réclame toujours, par sa « ligne en 9 traits » traversant les ZEE des riverains, la presque totalité de l’espace marin grand comme la Méditerranée.

S’opposant à elle avec plus ou moins de virulence, toujours attentifs à leur part de marché en Chine, confrontés aux harcèlements des garde-côtes chinois et aux réclamations territoriales de Pékin, l’Indonésie, le Vietnam, la Malaisie ont récemment défié l’impérialisme de Pékin.

Les Philippines, premier pays à avoir juridiquement affronté la Chine, mais dont le Président Duterte vient de dénoncer les accords de défense avec Washington, flottent. Comme la plupart des membres de l’ASEAN, Manille qui a pris la mesure des empiètements de Pékin, est en même temps séduit par l’attrait des finances chinoises.

Face à la Chine, une alliance introuvable.

Les Philippines, peuplées de 110 millions d’habitants, sur un archipel de plus de 7000 îles en partie volcaniques, orientées sud-nord sur une longueur de plus de 2000 km ferment la mer de Chine à l’Est entre les Célèbes au sud et Taïwan au nord.

Ancienne colonie américaine jusqu’en 1946, traditionnellement le plus solide point d’appui stratégique de Washington avec des accords de défense datant de 1951, assortis d’un stationnement de troupes sur l’archipel, les Philippines sont, avec le Vietnam, le pays dont la relation avec Pékin a été le plus heurtée.

La querelle a atteint son point d’orgue le 12 juillet 2016, quand la Cour Internationale d’arbitrage de La Haye saisie par Manille a statué contre Pékin, réfutant ses revendications historiques sur l’ensemble de la Mer. Lire : Arbitrage de la Cour de La Haye. Tensions et perspectives d’apaisement.

Ignorant le jugement, la Chine a accéléré la militarisation des îlots, tandis que l’US Navy multiplie ses patrouilles dans les eaux réclamées par Pékin. Lire : Nouvelles tensions en mer de Chine du Sud.

Arrivé au pouvoir en mai 2016, l’avocat Rodrigo Duterte, brutal, injurieux et iconoclaste (il avait traité Obama de « Fils de p.. »), mais populaire pour son franc parler et sa lutte impitoyable contre les mafias et les narcotrafiquants, a violemment bousculé le paysage stratégique. Lire : Duterte, l’imprévisible, rebat les cartes et s’invite dans la cour des grands.

Après avoir lui-même ressenti le poids exorbitant des influences chinoises (lire : Mer de Chine du sud. La carte sauvage des hydrocarbures. Le dilemme de Duterte), écartelé entre Washington et Pékin, critiqué par les haut-responsables de l’armée et son ministre des Affaires étrangères Tedoro Locsin Junior, il a, en février 2020, décidé de mettre fin à l’alliance avec Washington.

Le pas de deux n’est peut-être pas terminé. Alors que Manille n’a pas pris part aux récents durcissements contre Pékin, la Malaisie et le Vietnam espèrent que Rodrigo Duterte se joindra à eux dans un front uni contre les prétentions chinoises.

*

Le Vietnam, surpeuplé au sud de la Chine (96,2 millions d’habitants en 2019, sur l’équivalent de 60% du territoire français), gouverné par un parti unique sur le modèle autocrate chinois, est un pays dont la culture et l’histoire sont imbriquées à celles de la Chine par les 15 siècles d’occupation chinoise du nord Vietnam, depuis les premiers Han jusqu’à l’avènement des Ming. Lire : Querelles sino-vietnamiennes. Rivalités des frères ennemis et enjeu global.

Il est aussi le pays d’Asie du Sud-est dont la relation avec Pékin s’est le plus sérieusement aigrie. Aux fréquents heurts des pêcheurs vietnamiens avec les garde-côtes chinois se sont ajoutées les vives contestations autour des explorations pétrolières dans la ZEE vietnamienne, jusque dans le golfe du Tonkin, et à propos des zones contigües aux archipels desParacels et des Spratleys.

En mai 2014, ces rivalités ponctuées d’incidents avaient explosé en un violent rejet de la présence chinoise dans le pays, provoqué par le mouvement d’une plateforme d’exploration pétrolière dans les parages des Paracels. Lire : Explosion de violences anti-chinoises au Vietnam.

Cinq années plus tard, les tensions sont toujours à vif. Entre le 4 juillet et le 24 octobre 2019, la plateforme d’exploration chinoise Haiyang Dizhi (HD8), escortée par des garde-côtes a effectué 4 missions de relevés sismiques couvrant une superficie d’environ 110 000 kilomètres carrés dans la ZEE vietnamienne, s’approchant à certains moments à moins de 70 nautiques des côtes de la province de Phu Yen (90 km au nord de Nha Trang).

Dans le même temps, le garde côte chinois Haijing 35111 a harcelé le navire japonais Hakuryu-5 affrété par une coentreprise vietnamienne associée au russe Rosneft dans le bloc 06.01 situé à 190 nautiques au sud-est du Vietnam. Par ses manœuvres d’empêchement, les garde-côtes chinois cherchent à imposer par avance l’exigence de Pékin d’interdire par le code de conduite la participation de groupes d’hydrocarbures étrangers à l’exploration des ressources.

A cette occasion, les plateformes chinoises et leurs escortes ont, pour la première fois, mis à profit la logistique des bases arrières des Spratleys. Transformées en points d’appui, elles confèrent aux expéditions d’exploration et de harcèlement une plus grande capacité à durer sur zone.

*

Le vaste archipel Indonésien de 2 millions de km2, ferme la mer au sud et contrôle les accès à l’océan indien. Peuplé de plus de 260 millions d’habitants en majorité musulmans sunnites, il surveille d’autant plus jalousement sa zone économique exclusive qu’elle recèle le vaste gisement de gaz du bassin de Sarawak, situé à 140 nautiques au nord-est de l’archipel des Natuna dans une zone traversée par la ligne de revendication chinoise.

Avec des ressources prouvées de 1300 Mds de m3 de gaz et une production journalière envisagée de 56 millions de m3 à partir de 2030, la zone est en cours développement au coût estimé à 30 Mds de $ par plusieurs « majors » dont la Britannique Premier Oil, les Japonais Mitsui Oil Exploration et Impex, et les Américaines Conoco Phillips et Chevron, que les exigences de Pékin veulent exclure de la zone.

*

La Malaisie, 60% du territoire français, 32 millions d’habitants, est à cheval sur la partie méridionale de la mer par deux territoires distants de 350 nautiques. A l’ouest la partie péninsulaire contrôlant le détroit de Malacca et à l’est la partie insulaire sur l’Île de Bornéo, avec les États de Sarawak et du Sabah, tous deux jouxtant l’Indonésie au sud et à l’ouest.

Le 12 décembre 2019, Kuala Lumpur s’est juridiquement heurté à Pékin en déposant une requête aux NU pour étendre son plateau continental au-delà des 200 nautiques. La requête faisait suite à celle déposée conjointement en 2009 par Hanoï et Kuala Lumpur portant sur une portion de la mer de Chine au sud des Spratleys, à équidistance entre la côte malaise de Bornée et les côtes du Vietnam.

Les 2 requêtes ont déclenché une réaction de la Chine dont la « Ligne en 9 traits » nie la possibilité d’un élargissement des plateaux continentaux riverains au-delà des 200 nautiques, alors même que ses propres revendications dans l’archipel des Spratleys réclament une extension des plateaux autour des îlots, en infraction avec l’arbitrage de la Cour de La Haye du 12 juillet 2016 ignorée par la Chine (voir plus bas).

La contradiction n’a pas empêché Pékin d’accuser Kuala Lumpur de « porter atteinte à la souveraineté de la Chine et de violer les principes fondamentaux du droit international ».

*

Dans une note très précise du 21 décembre 2019, Nguyen Hong Thao de l’Académie Diplomatique de Hanoï, détaille les raisons de la colère de Pékin.

La requête d’élargissement de Kuala Lumpur double presque la dimension de son plateau continental par rapport aux lignes de base de 1979. En pleine préparation d’un code de conduite par lequel les pays de l’ASEAN tentent de contenir l’appétit impérial chinois, l’initiative réaffirme la force de l’arbitrage de la Cour de La Haye limitant les eaux territoriales adjacentes des îlots réclamés par Pékin à 12 nautiques, à l’exclusion de toute zone économique exclusive.

Empiétant sur les réclamations territoriales chinoises et prenant les NU à témoin, la Malaisie réfute la validité de la « ligne en 9 traits ». En ripostant par un élargissement du plateau continental, au fait-accompli dans les Spratleys et les Paracels, elle remet sur la table l’exigence de la négociation et du dialogue que Pékin semble avoir oubliée.

Dans la foulée, Nguyen espère - mais rien n’est moins sûr - que Manille se joindra à Kuala Lumpur et à Hanoi pour, cette fois, déposer à l’ONU une demande tripartite d’élargissement de leur plateau continental.

*

++++

Les garde-côtes, outils de la puissance impériale.

En Asie du Sud-est toute la presse spécialisée en parle. Selon l’analyse du centre de recherche stratégique CSIS associé à Asia Maritime Transparency International (AMTI) qui par l’imagerie satellite suit les mouvements de navires et les changements de la structure des îlots en mer de Chine du sud, voilà des mois que la marine chinoise, fait face aux marines malaisienne et vietnamienne sur les sites d’exploration malaisiens ND1 et ND2 dans l’archipel des Spratleys.

Au cœur des zones contestées par la « ligne en 9 traits » de Pékin, le face-à-face met en jeu plusieurs garde-côtes chinois venant des Mischiefs et des Fiery Cross (lire : Mer de Chine du Sud : Le G.7 accuse la Chine qui se cabre), au moins un patrouilleur malaisien peut-être escorté d’un bâtiment lance-missiles et deux bâtiments vietnamiens non identifiés.

La zone jouxte aussi au sud, le groupe d’îlots de Kalayaan (Kalayaan Islands Group – KIG -), à 150 nautiques de Palawan, dans la ZEE des Philippines.

Composé de 11 îlots et récifs, le groupe de 79 hectares habité par 200 personnes qui comporte une piste d’aviation de 1300 m, occupé par l’armée philippine, administré par Manille se trouve au cœur de l’archipel des Spratleys et des réclamations chinoises de la « ligne en 9 traits ».

L’objet du face-à-face est le « West Capella » une plate-forme de forage affrétée par le Britannique Seadrill spécialisé dans l’exploration pétrolière en eau profonde. Sous-traitée par le Malaisien Petronas, elle a commencé ses explorations de pétrole et de gaz au large de l’État de Sabah, dans le Bloc ND4, en octobre 2019.

Le mois suivant, 2 garde-côtes chinois de la classe Zhaojun et Zhaolai, abandonnant leur mission d’escorte des chalutiers chinois dans la ZEE indonésienne, n’ont cessé de harceler la plateforme West Capella opérant dans la zone correspondant à la demande d’extension du plateau continental malaisien.

Les 26 et 27 décembre une autre opération de harcèlement chinoise a eu lieu dans le bloc SK 408 à 120 nautiques au large de Sarawak, exploré par le Malaisien Sapura Energy avec des investissements de Petronas et de Shell.

Selon AMTI, les images satellite révèlent également ce qui semblent être des navires de pêche ou de garde-côtes vietnamiens déployés pour surveiller les opérations malaisiennes dans la zone commune d’extension du plateau continental.

Commentant cette information, Nguyen Hong Thao, spécule sur l’absence de solidarité entre Hanoï et Kuala Lumpur, laissant mal augurer de la capacité de résistance de l’ASEAN à la tentation impériale chinoise.

L’ASEAN prise en otage.

Dans une analyse du 29 octobre 2019, parue dans The Diplomat, Trinh Le, diplômé de l’Université de Melbourne, jetait une lumière crue sur le dilemme de l’ASEAN.

« La Chine est à la fois un partenaire économique et une menace pour la stabilité de la région, aucun des différends entre Pékin et certains riverains n’ayant été réglé. Alors que les litiges devraient se résoudre par la négociation, le dialogue se déroule de plus en plus avec un pistolet sur la tempe. »

(…) « Les capacités navales de la Chine ont progressé à un rythme effréné, avec le lancement récent de navires amphibie de débarquement, de nouveaux sous-marins nucléaires et conventionnel et une flotte de porte-avions dont l’ampleur catalyse les tensions régionales. » (…) « Au cours de la dernière décennie, elle a construit plus de 100 navires de guerre. Dans les eaux contestées, en mer de Chine du sud, elle a bétonné et militarisé des îles artificielles. »

Les derniers événements qui contredisent les discours chinois en faveur du dialogue, sont l’exacte illustration de la stratégie impériale de Pékin. Mettant en scène une coercition, elle divise l’ASEAN et tente de faire évoluer le rapport de forces en sa faveur.

Dans une interview au South China Morning Post Harsh Pant professeur de relations internationales au King’s College de Londres, observe qu’il sera difficile pour le bloc de maintenir un équilibre entre les deux superpuissances économiques.

« Le confort traditionnel d’avoir la Chine comme partenaire économique et les États-Unis comme partenaire de sécurité n’est plus à l’ordre du jour » (…) « L’ASEAN devra réévaluer ses relations avec la Chine et son statut en évolution rapide de 2e puissance économique mondiale. » (…) « Il ne sera pas facile de concilier les énormes avantages économiques du marché chinois avec l’ampleur de la menace maritime qu’elle pose ».

Alors que la solidarité entre Hanoï et Kuala Lumpur reste à confirmer et que Manille, tout à son rejet des Américains, est resté en marge des tensions, la Malaisie semble déterminée à continuer l’exploration des ressources en dépit des menaces chinoises.

Ces dernières ne sont pas anodines. Parmi les garde-côtes chinois impliqués dans le harcèlement se trouvait le Zhaolai 5403 de 5000 tonnes, décrit par AMTI comme « l’un des navires les plus intimidants de la flotte des garde-côtes chinois ».

Kuala Lumpur n’est pas restée inerte puisqu’elle a dépêché sur les lieux le garde-côtes Bagan Datuk et le patrouilleur de haute mer KD Kelantan (1600 t) équipé de 2 canons, d’une mitrailleuse et d’un hélicoptère de bord.

++++

La lourde insistance chinoise autour des Natuna.

Récemment pourtant, la réaction la plus vive observée aux empiètements chinois dans la région fut celle de Jakarta.

Alors qu’à leur rencontre en marge de l’ASEM à Madrid les 15 et 16 décembre derniers, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi et son homologue indonésien Retno Marsudi avaient convenu de renforcer leur partenariat stratégique à l’occasion du 70e anniversaire de leurs relations diplomatiques officielles, tandis que le ministre indonésien de la Défense, Prabowo Subianto, s’était rendu à Pékin en quête d’une aide chinoise pour moderniser l’armée, l’atmosphère de chaleureuse confiance réciproque a volé en éclats peu après la rencontre de Madrid.

En cause la présence insistante depuis la mi-juin d’une flottille de pèche chinoise escortée par les 2 garde-côtes Haijing 35111 et 2169 dans la ZEE indonésienne au large de Ranai, à 124 nautiques au nord dans l’archipel des Natuna. Venant de Fiery Cross ils évoluaient à l’intérieur à la fois de la ZEE indonésienne et de la ligne en 9 traits chinoise.

Réagissant vivement, le Président Joko Widodo déclara que la souveraineté indonésienne sur les Natuna n’était pas négociable, puis rappela l’arbitrage de la cour de La Haye du 12 juillet 2016, réfutant les droits de la Chine à l’intérieur de la « ligne en 9 traits »

Fin décembre, l’ambassadeur de Chine était convoqué pour recevoir une protestation officielle. Le 7 janvier, l’armée de l’air déployait 4 F-16 sur l’île de Riau. Le lendemain, le Président Widodo se rendait en personne sur l’archipel, tandis que 8 bâtiments de guerre étaient dépêchés sur zone. Sur place, Ronny Irianto Moningka, commandant la base aérienne déclarait que Jakarta ne faisait que protéger son territoire.

*

Ce n’est pas la première fois qu’un ambassadeur de Chine est convoqué à Jakarta. En 2016 déjà, raconte le NYT, l’Indonésie protesta officiellement après qu’un garde-côte chinois avait – dans cette même zone, mais à l’intérieur des eaux territoriales de Jakarta -, percuté un navire indonésien qui remorquait un pêcheur illégal chinois.

Le choc avait libéré le chalutier chinois, mais laissé l’équipage aux mains des Indonésiens. A l’époque, ulcérée, la ministre des pèches indonésienne, Susi Pudjiastuti, déclara que « l’arrogance de la Chine sabotait la paix »

La vigueur de la réaction indonésienne marquait un tournant dans une longue suite d’incidents dans cette région où Jakarta, l’œil rivé sur sa part de marché en Chine, avait souvent baissé pavillon. En mars 2013, toujours au large des Natuna, un garde-côte indonésien qui avait capturé un chalutier chinois et séquestré son équipage de 9 hommes, céda sous la menace des canons d’un patrouilleur chinois.

De toute évidence, Pékin dont l’intention d’empiètement sur la ZEE indonésienne et sur le gisement des Natuna traversée par la « ligne en 9 traits » ne faiblit pas, teste la détermination indonésienne. A Zhongnanhai on estime peut-être que la force des liens économiques dessine de nouvelles opportunités pour les appétits chinois.

Le chantage impérial de Pékin.

Il est vrai que depuis 2016, la diplomatie sonnante et trébuchante de Pékin n’a pas ménagé ses efforts. Les liens économiques entre Jakarta et Pékin ont explosé. Le commerce bilatéral qui, en 2003, plafonnait à 3,8 Mds de $, atteint aujourd’hui 36,1 Mds de $ et la Chine est désormais le premier investisseur dans l’archipel (2,3 Mds de $ au cours du premier semestre 2019, représentant 16% du total des IDE.)

Surtout, les promesses électorales de Widodo faites en 2019, de restaurer les infrastructures le rendent sensibles à l’attrait des finances chinoises. En juillet 2019, il avait même proposé à Xi Jinping la création d’un fonds spécial d’investissements à faible taux d’intérêt pour faciliter les investissements chinoise dans 4 « corridors » des « Nouvelles routes de la soie ». Cinq mois plus tard, le Comité de coordination des investissements étrangers attribuait la valeur de 91 Mds de $ de projets d’infrastructure aux groupes chinois.

Enfin, début janvier, Jakarta acceptait l’aide chinoise pour mener à bien le projet pharaonique de déplacer la capitale dans la province de Kakimantan-Est, sur l’île de Borneo.

Ces réalités étaient rappelées par le porte-parole chinois lors de la conférence de presse journalière du Waijiaobu, après l’incident des Natuna : « Nous pensons que l’Indonésie gardera également à l’esprit la vue d’ensemble des relations bilatérales et de la stabilité régionale, résoudra correctement les différends avec la Chine ».

D’abord confiante dans ses atouts, la Chine a décidé de ne pas obtempérer. Même après les mises en garde, 4 garde-côtes continuèrent un temps d’évoluer dans la ZEE indonésienne. Nombre de commentateurs se demandent si Pékin n’a pas franchi une ligne rouge. A Jakarta, en tout cas le marchandage chinois suscite un débat.

A Jakarta l’orgueil national et l’enjeu de souveraineté.

Tout en reconnaissant l’importance des liens commerciaux et des investissements chinois Luhut Pandjaitan, le ministre des Affaires maritimes également en charge des IDE a jeté un pavé dans la mare, en rappelant que le pays ne « vendrait pas sa souveraineté » à Pékin.

Traduisons : La souveraineté est une ligne rouge. La nouvelle administration élue n’a pas modifié la manière dont elle considère les incursions maritimes chinoises. Comme le dit aussi Edhy Prabowo, le nouveau ministre des pèches, « la pèche illégale est le premier ennemi de l’Indonésie. »

Les enjeux sont élevés. Ils valent aussi pour toute l’ASEAN. Isolément aucun pays n’est en mesure de résister aux pressions chinoises qu’elles soient militaires, financières ou commerciales. Il est vrai que jusqu’à présent, écartelés entre leurs intérêts commerciaux, l’attrait des finances chinoises et les défis de leur développement, les pays membres n’ont pas montré une grande solidarité.

Certains comme le Laos ou le Cambodge, durablement intoxiqués à l’aide chinoise, n’ont même pas la marge de manœuvre suffisante pour modifier leurs allégeances. D’autres comme la Thaïlande, la Birmanie, ou les Philippines flottent. Impossible d’ignorer le poids économique et stratégique du grand voisin.

Mais, écrit Collin Koh, chercheur à l’Université technologique de Singapour, en plaçant publiquement Jakarta en porte à faux comme elle vient de le faire, usant à la fois de l’intimidation par ses garde-côtes et du chantage aux aides économiques sous conditions impériales, la Chine a peut-être poussé ses avantages un peu trop loin.

Alors que le Vietnam qui préside l’ASEAN est déjà enclin à durcir sa position, tandis qu’avec Hanoï, Kuala Lumpur conteste la « ligne en 9 traits » par sa requête d’élargissement du plateau continental, les derniers incidents avec Jakarta pourraient contribuer à dresser contre Pékin un front rebelle rejetant ses exigences du code de conduite.

A trop vouloir affirmer sa prévalence par la force, Pékin est en train de brouiller l’image de « puissance douce » que depuis les années 90 elle tente de propager, en contrepoint des alliances militaires américaines.

 

 

Au-delà de la reprise des contacts militaires, la lourde rivalité sino-américaine en Asie-Pacifique

[20 avril 2024] • Jean-Paul Yacine

Au Pakistan, des Chinois à nouveau victimes des terroristes

[28 mars 2024] • Jean-Paul Yacine

Munich : Misère de l’Europe-puissance et stratégie sino-russe du chaos

[22 février 2024] • La rédaction

Au Myanmar le pragmatisme de Pékin aux prises avec le chaos d’une guerre civile

[9 janvier 2024] • Jean-Paul Yacine

Nouvelles routes de la soie. Fragilités et ajustements

[4 janvier 2024] • Jean-Paul Yacine