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›› Editorial

« Risque Chine » ou « menace des autocrates » ? Du danger économique au péril stratégique

Le dimanche 23 février, convoquée par Xi Jinping eut lieu à Pékin une réunion politique d’une dimension exceptionnelle, élargie par vidéo-conférence jusqu’au niveau des gouverneurs districts et des commandants de régiments de l’APL.

Selon Xinhua, l’intervention du Président avait trois volets. Le premier reconnaissait l’ampleur de l’épidémie, « la plus contagieuse et la plus difficile à juguler depuis la fondation de la République populaire ». Il concédait que des manquements avaient eu lieu au début de l’épidémie. Les erreurs devraient servir à « améliorer la capacité du pays à réagir aux crises futures ».

Le deuxième affirmait que les évaluations initiales de l’épidémie par le Comité Central étaient « correctes » et que toutes les mesures adoptées avaient été à la fois efficaces et mises en œuvre à temps, démontrant les « avantages d’une gouvernance de la Chine par le Parti communiste au nom des caractéristiques chinoises ».

La troisième répétait que les deux objectifs stratégiques du Parti étaient de contrôler l’épidémie à Wuhan et au Hubei et de l’empêcher de se dilater jusqu’au cœur politique du pays à Pékin. Trois jours seulement après la réunion de Pékin, Xinhua affirmait que 26 provinces sur 31 n’avaient pas connu de nouveaux cas.

Dans tout le pays seulement 406 nouvelles infections avaient été détectées, dont 401 au Hubei, 2 au Sichuan, 1 dans les provinces du Shandong et du Hebei et 1 dans la municipalité de Shanghai. Le même jour, le porte-parole de la Commission de santé annonçait que le Hubei était la seule province à avoir connu des décès au cours de dernières 24 heures.

10 jours plus tard, si on se réfère aux chiffres de la Commission Nationale de santé, l’objectif fixé par Xi Jinping était en partie atteint. Le nombre de décès journaliers était tombé à moins de 50 alors qu’au moment du discours il était de 130. Celui des nouveaux cas n’était plus que de 131 alors que le 23 février, il était largement au-dessus de 1000.

Les faits, le discours politique et l’urgence du retour à la normale.

Les chiffres ont une vertu politique. Rigoureusement exacts ou en partie manipulés pour se conformer aux intentions du pouvoir, ils expriment en tous cas l’idée que la relance de l’économie dépend d’abord du contrôle de la pandémie en Chine, la priorité des efforts devant s’appliquer au Hubei.

Dans la même intervention du 23 février, Xi Jinping reconnaissait que l’impact de la crise sur les activités de production et sur la société seraient considérables. Mais il ajoutait, cristallisant ce qui désormais sera le discours public chinois, repris à Paris par l’Ambassadeur Lu Shaye : « L’impact sera de court terme et contrôlable. Les fondamentaux économiques du long terme, basés sur une croissance solide restent inchangés. ».

Enfin, incitant les autorités provinciales à prôner le retour au travail, en fonction des circonstances, le Président a promis plus de mesures de relance.

Extrait : « Les politiques budgétaires seront plus proactives, [nous continuerons] à étudier et à introduire des réductions ciblées et par étapes d’impôts et de taxes pour aider les petites, moyennes et microentreprises à surmonter les difficultés. La politique monétaire, plus souple sera accompagnée de mesures de soutien financier. Celles déjà existantes (exemption de taxes et assurance-crédit à l’export) pourront être complétée par d’autres. ».

Sans oublier de mentionner la nécessité de soutenir le grand projet extérieur des « Nouvelles routes de la soie », Xi Jinping revint vite au cœur des préoccupations du régime : ses objectifs économiques et sociaux notamment « la création d’emplois, la réduction de la pauvreté et le maintien de la stabilité sociale. »

Le 28 février, cinq jours après le discours de Xi Jinping, le bilan santé du pays affiché par le pouvoir laissait percevoir que la progression de l’épidémie en Chine était en train de freiner.

A côté du ralentissement observé du nombre de nouveaux cas et décès mentionnés plus haut, l’indice important de la réduction du nombre de cas critiques qui ne s’est pas démenti au 6 mars (5737 au lieu de 7868 au 1er mars, soit une baisse de 27% en 5 jours) confirme la décroissance de l’épidémie en Chine. Le 5 mars le total des nouveaux cas stagnait à +141, la majorité au Hubei, alors que l’épidémie se répandait hors de Chine.

La reprise sera difficile.

En revanche, (source ambassade de France Pékin, Caixin ; Baidu migtation index), les chiffres et les perspectives de l’économie étaient moins rassurants, illustrant une très forte contraction. A la fin février, l’indice manufacturier des directeurs d’achat (PMI) publié par Caixin avait chuté de 14 points par rapport à janvier 2020. Celui de l’emploi, première source d’inquiétude du régime était à 31,8 - en baisse de 15,7 points.

Pire encore, l’indice non manufacturier (consommation, échange et services) était effondré à 29,6, en baisse de 24 points. En février la consommation journalière de charbon par les groupes de production d’électricité a chuté de 35,7%, tandis que l’indice des ventes immobilières dans les 30 villes de Chine a reculé de 60,5%. Le pire recul a probablement été enregistré dans le secteur automobile avec une chute des ventes de 80% en février.

Autres indices de blocage, laissant présager que le redémarrage sera laborieux, les flux des mouvements de population entrant à Pékin, Shanghai et Canton, signalant la difficulté de reprise du travail pour les 200 millions de migrants, étaient en baisse respective de 76,8%, 60% et 50%. L’observation de l’état des transports donne également l’image d’une activité sérieusement ralentie. A Pékin, les 16 lignes de métro accusaient une baisse de fréquentation de 89%, celles de Shanghai de 76%, tandis que sur les autoroutes et les périphériques, les embouteillages avaient diminué de 63,8%.

Le 4 mars, une analyse pessimiste de Xie Yifan, spécialiste des finances chinoises basée à Hong Kong, parue dans le Wall Street Journal, laissait entendre que, même si l’épidémie était éradiquée en Chine à la fin mars, la croissance aura, même dans les scénarios optimistes, du mal à se maintenir à 4%.

Au 4 mars, alors que la Banque de Chine hésitait toujours à baisser ses taux d’intérêt, expliquant, contre l’évidence, que les liquidités du système bancaire étaient à « un niveau raisonnable et suffisant », Xinhua affirmait que 45% des PME avaient repris le travail, tandis qu’à nouveau surgissait le réflexe du mensonge.

Retour de la tendance réflexe au maquillage.

Selon Caixin, certains groupes avaient artificiellement augmenté leur consommation de charbon pour se conformer à la directive de reprise de Xi Jinping. Pire encore, retrouvant l’ADN de désinformation pour contenir les dommages politiques du retard à l’allumage de la machine fin décembre, le 4 mars, Zhao Lijian, le nouveau porte-parole expliquait dans une conférence de presse avant de relayer son message sur WeChat que « s’il était exact que les premiers cas de Covid-19 avaient été diagnostiqués en Chine, l’origine du virus n’était pas nécessairement en Chine ».

*

En attendant que le système politique chinois, se mette au clair avec lui-même ce qui, compte tenu des réflexes récurrents de maquillage peut-être aggravés par l’actuelle équipe au pouvoir, pourrait prendre du temps, le 1er mars, prenant de l’altitude, Jean-Raphaël Chaponnière (JRC, ancien du CNRS et ancien économiste à l’AFD) s’interrogeait dans Asialyst sur le « risque Chine » et ses conséquences sur la mondialisation.

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Interrogations sur la mondialisation.

Au cœur de la réflexion de J.R. Chaponnière, la réorganisation par les entreprises de leurs chaînes de production pour limiter leur dépendance à la Chine. La crise asiatique du milieu des années 90, celle globale de 2009, suivie en 2011 par l’accident de Fukushima furent déjà des premières alertes de la vulnérabilité des entreprises fonctionnant en flux tendu, par un système de production fragmenté, aux correspondants étrangers limités, parfois unique, en tous cas, sans marge de manœuvre.

« En 2009, Les indices de production industrielle avaient chuté à Singapour, en Malaisie et en Thaïlande. En 2011, révélant la situation de quasi-monopole de petites entreprises japonaises dans la fabrication de composants essentiels à plusieurs secteurs, la catastrophe de Fukushima avait entraîné la désorganisation de plusieurs filières de production dans toute l’Asie et au-delà. » (…)

(…) « Quelques mois plus tard, les inondations de Bangkok eurent aussi des répercussions sur l’industrie informatique du monde entier : 40% de l’assemblage de disques durs se réalisaient dans des usines situées à Bangkok. »

Mais avec l’épidémie de coronavirus, mondialement dilatée depuis la Chine, la secousse change d’échelle.

« L’usine du monde occupe en effet des positions incontournables dans les chaînes globales de production ». D’autant que le nœud industriel de Wuhan accueille non seulement une série de groupes automobiles dont le Japonais Honda et les Français PSA et Renault y ayant délocalisé leurs usines, « mais également, des entreprises électroniques, qui produisent la moitié des fibres optiques dans le monde. »

Bien qu’il soit encore trop tôt pour l’affirmer avec certitude, J.R. Chaponnière avance que la gestion brutale de la crise par le parti, après une première phase de laxisme et de camouflage, pourrait être « hors de proportion avec la dangerosité réelle de l’épidémie ». Les blocages mis en place par le Parti ont en tous cas « effondré la mobilité et freiné le retour des 290 millions de migrants après le Chunjie ».

Ailleurs qu’en Chine, où il n’existe aucune statistique fiable sur les effets du ralentissement chinois, on peut néanmoins conjecturer que les premières victimes seront « les secteurs fonctionnant en flux tendu conservant peu de stocks de pièces détachées et composants ». Seront particulièrement frappés ceux n’ayant aucune solution de rechange en dehors de la Chine. Le fait que la secousse survienne « alors que les stocks mondiaux sont au plus bas (Financial Times, payant), aggrave les effets de la crise. »

Autre idée proposée par J.R. C., rarement évoquée ailleurs, « faute de fournisseurs alternatifs, l’absence d’un produit même de faible valeur ajoutée suffit à désorganiser la production ».

Une analyse fine de 1250 rubriques douanières permet de mesurer la dépendance réelle à la Chine des grands producteurs mondiaux par catégorie de produits. Le Japon tient la corde avec une prévalence à 75% de composants chinois, dans une centaine de postes et à 50% dans 340 autres postes.

Chaponnière cite une enquête du Shanghai Japanese Commerce and Industry Club montrant que plus de 50% des chaînes de production seront affectées, tandis que seulement 25% des entreprises avaient envisagé une solution de rechange.

En Inde, l’industrie pharmaceutique dépendant des fournitures chinoises est sérieusement touchée. En Europe et aux États-Unis, l’addiction à la Chine est moins préoccupante qu’au Japon avec cependant pour les États-Unis, 75% de dépendance directe dans 45 postes et 50% dans 147 autres rubriques. Pour l’Allemagne plus liée à la Chine que la plupart des autres pays de l’UE, le pourcentage de dépendance est à 75% dans seulement 12 rubriques et à 50% dans 69 autres.

Après avoir identifié les zones géographiques les plus vulnérables au risque chinois, l’analyse cible les secteurs. Clairement, les plus fragiles sont ceux ayant pris l’habitude de fonctionner sans stocks et en flux tendu, avec en tête les hautes technologies, la pharmacie et l’automobile.

En conclusion, J.R. Chaponnière interroge les effets du « risque Chine » sur la « mondialisation ». Survenant après Fukushima, les inondations de Bangkok et la guerre commerciale sino-américaine poussant à la relocalisation de la production aux États-Unis, la crise médicale du coronavirus d’une ampleur sans commune mesure avec les précédentes, pourrait, si elle se prolongeait, « ouvrir l’acte 1 de la démondialisation ».

Pour autant, l’évaluation du « risque Chine » par le seul viseur économique pourrait ne pas suffire.

« Risque Chine » ou menace des autocrates ?

Par amalgame qui n’est pas le fait de J.R. C., mais d’une interprétation imprécise et de facilité de langage, l’expression « risque Chine » assimile en effet sans nuance « la Chine et tous les Chinois » au péril posé par le parti léniniste au pouvoir dans le vieil Empire depuis 1949.

Alors qu’aux premières heures de l’épidémie, se sont en effet exprimées les tendances historiques du régime à maquiller la réalité, implicitement reconnues par le n°1 qui citait des « erreurs » avant d’expliquer que les réactions du parti avaient été « correctes », il est légitime de reconsidérer « le risque » par le viseur stratégique.

Et au lieu de le qualifier de « chinois », peut-être serait-il plus judicieux d’analyser la séquence du coronavirus par le biais de la différence entre régimes autocratiques et systèmes politiques ouverts.

*

Le 2 mars 2020, Alex Gladstein, analyste de la Human Rights Foundation, créée en 2005 présidée par le joueur d’échecs russe Gary Kasparov et dont le siège est à New-York, citait la militante chinois des droits Wang Yaqiu 王亚秋.

Diplômée de Relations Internationales de l’Université Georges Washington et chercheur à Human Rights Watch, elle écrivait le 27 février, 4 jours après le discours de Xi Jinping : « Quelles que soient les tensions, faire taire les critiques sera toujours la priorité numéro un du Parti communiste. »

Faisant référence à l’arrestation de Li Zehua, journaliste et ancien de CCTV, accusé d’avoir diffusé des informations sur le coronavirus, elle élargissait son commentaire au fonctionnement des systèmes autoritaires et à leur tendance systématique à l’opacité. La suite de l’article de Gladstein est une plongée préoccupante dans les arcanes de la dissimulation.

Après quelques considérations sur les avantages apparents des dictatures centralisées plus capables que les démocraties de rassembler les énergies et les moyens, symbolisés par la construction rapide d’hôpitaux de fortune, le lecteur est soudain confronté à la brutale réalité qui, au XXIe siècle semble d’un autre âge. Celle de la dissimulation politique à grande échelle.

Suite au décès à Wuhan dans la nuit du 6 au 7 février du Dr Li Wanliang, lanceur d’alerte convoqué et sermonné par la police, l’occultation de la réalité avait enflammé les réseaux sociaux qui sur WeChat firent référence à Soljenitsyne et à sa litanie du mensonge :« Nous savons qu’ils mentent, ils savent aussi qu’ils mentent, ils savent que nous savons qu’ils mentent, nous savons aussi qu’ils savent que nous savons qu’ils mentent et pourtant ils persistent à mentir. »

La prétention universelle des « caractéristiques chinoises »

Mais Li ne fut pas le seul à tenter d’alerter sur le nouveau virus. D’autres, médecins et professionnels de la santé, ont eux aussi tenté de dire la vérité. Selon un article désormais censuré de Caixin, dès le 24 décembre, un hôpital de Wuhan aurait envoyé un échantillon du virus aux autorités sanitaires du Hubei.

L’échantillon a été séquencé trois jours plus tard, mais le 1er janvier, un fonctionnaire aurait ordonné sa destruction, engageant tout l’appareil dans une opération de camouflage.

En réalité, les révélations du magazine Caixin effacées par la censure précisent non pas un « risque Chine », mais celui porté par les autocrates du Parti qui, depuis le 19e Congrès, confèrent à leur stratégie extérieure articulée aux « Nouvelles Routes de la soie », une prétention universelle.

En faisant la promotion des « caractéristiques chinoises », elles réfutent non seulement la démocratie, mais aussi l’indépendance de la justice et l’information libre. Le numéro de février du magazine allemand Der Spiegel, qui souleva la colère de Pékin, résumait sans trop de nuances ces craintes en titrant en couverture : « Corona-Virus MADE IN CHINA. Quand la globalisation devient un danger mortel »

70 ans après l’avènement le Parti communiste chinois, à la faveur d’une crise médicale majeure ayant, à la date du 6 mars, tué plus de 3000 Chinois et 400 personnes dans le monde, apparaît la vulnérabilité du rapport du régime à la société.

Entretenue par le discours sur la relativité des cultures justifiant, par-delà les maquillages, l’addiction aux délocalisations aujourd’hui sources de dysfonctionnements majeurs des chaînes de production dans le monde – la faille de la relation entre le pouvoir et la partie la plus critique de la société porte en elle les ferments d’une crise politique.

 

 

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