Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Chronique

P4 de Wuhan et accord France-Chine sur les maladies infectieuses. La France a-t-elle manqué de clairvoyance pendant plus de 15 ans ?

L’article restitue la genèse bilatérale de l’accord franco-chinois sur les maladies infectieuses émergentes (MIE) d’octobre 2004 avant de rappeler que sa mise en œuvre chaotique jusqu’aujourd’hui s’explique autant par son contenu déséquilibré que par un désintérêt des acteurs français.

Parmi ces derniers, le Quai d’Orsay fait exception : pendant plus de 15 ans et jusqu’à aujourd’hui, des moyens substantiels sont engagés pour, d’une part faciliter les transferts de technologies vers le P4 de Wuhan et, d’autre part, mettre gracieusement au service de la Chine des chercheurs français spécialisés dans les MIE.

Cette générosité est entretenue par nos diplomates qui n’ont cessé de réclamer davantage d’engagement de la France, sans succès.

Pendant ce temps, les chinois passèrent à autre chose. Dès 2015, ils décidèrent de reprendre la main sur le P4, jusqu’au dernier développement en 2020 : le P4 est aujourd’hui officiellement une installation chinoise !

Cette décision chinoise relève-t-elle de l’opportunisme ou du fait que la Chine ne se considère plus comme redevable envers la France ? Selon l’auteur, la seconde hypothèse renvoie à l’accord de 2004 et aux possibles contreparties chinoises restées secrètes, en échange de technologies sensibles fournies par la France.

La rédaction

*Pseudonyme d’un responsable d’administration centrale qui travaille dans un ministère technique. L’auteur a suivi les développements de l’accord franco-chinois de 2004 ainsi que certains dossiers de la coopération bilatérale non économique. Il a une bonne connaissance de la Chine.

1re Partie : La genèse de l’accord de 2004.

C’était le 21 avril 2015 à Wuhan. Accompagné d’un représentant du Consulat de France, qui avait tout organisé sur place, le professeur Jean-Louis Romette se présente à l’Institut de virologie de l’Académie des sciences de Chine (IVW/CAS). L’IVW est une grande institution de recherche (plusieurs centaines de personnes), elle est le pilote du centre de confinement P4, récemment construit grâce à la France. Le professeur Romette (Université d’Aix-Marseille) n’est pas n’importe qui.

Il a d’abord dirigé le projet européen EVA - European Virus Archive - (2009-2014) d’archivage européen des virus, puis EVAg - EVA goes global - (2015-2019), prolongement mondial du même projet. Son but est de répertorier les virus présents et nouvellement identifiés afin d’en partager les caractéristiques avec la communauté scientifique, voire de procéder à des échanges de souches.

Le professeur Romette est reçu par le prof. YUAN Zhiming, secrétaire du parti de l’IVW (et membre de la Commission Consultative du Peuple Chinois) et une dizaine de chercheurs. Comme souvent dans ce type de réunions, la partie chinoise manifeste son intérêt pour participer au projet tout en prenant soin de préciser qu’elle doit solliciter le feu vert de ses autorités politiques.

Dans le cas présent, YUAN Zhiming indique qu’il s’agit de l’Académie des Sciences (CAS), du Ministère des Sciences et de la Technologie (MoST), du Centre de Contrôle des maladies infectieuses (CDC) et de la Commission Nationale de la Santé et de la Planification (CNSPF).

Une manière élégante de dire que cela prendra du temps et que ce n’était pas forcément sa priorité.

La prudence de YUAN Zhiming, chercheur formé en France (Pasteur, CIRAD), s’explique sans doute déjà par la ligne rouge fixée en haut lieu limitant les échanges scientifiques dans le cadre du P4 et, de façon annexe, par la législation chinoise qui interdit toute exportation de matériel biologique.

Il reste que dans un réseau scientifique du type d’EVAg, il faut savoir donner pour recevoir. L’attitude chinoise est donc, en elle-même, un facteur d’assèchement des échanges.

C’est pourquoi il est douteux que la collaboration ait pu s’amorcer. A fortiori se poursuivre puisque, depuis le 15 mars 2020, les chercheurs chinois ont visiblement eu instruction de ne plus communiquer avec l’extérieur.

Le P4 de Wuhan est en effet officiellement fermé depuis le 23 janvier 2020 date du début de confinement de Wuhan et de la province du Hubei. Le blocage s’est ajouté aux restrictions imposées en matière de visa et à l’interruption de la coopération scientifique internationale.

Dans tous les cas, une évidence. C’est sous le contrôle strict de sa hiérarchie et des autorités politiques que, le 20 avril 2020, le professeur YUAN Zhiming déclara, devant les caméras du monde entier qu’il était « (…) impossible que ce virus soit sorti de chez lui (IWV + P4) ».

Mais comme personne ne peut se rendre à l’IWV, des soupçons ont surgi. Ils sont alimentés par le contraste entre le blocage de l’information et la déclaration péremptoire de Yuan Zhiming. « Il y a manifestement des choses qui se sont passées qu’on ne sait pas »…(E. Macron, sur l’épidémie en Chine, avril 2020). Les mêmes doutes ont été exprimées par Angela Merkel.

Le déni est à la mesure de la situation intenable dans laquelle se trouve désormais l’IVW/CAS, et, au-delà, la Chine. Le pays est en effet soupçonné sans preuve directe par la plupart des pays occidentaux, dans une ambiance de défiance qu’il alimente lui-même par une opacité confinant à la dissimulation.

Le doute est encore attisé par la nomination, le 14 février 2020, de Madame CHEN Wei, Major Général de l’APL en charge de la guerre bactériologique à la tête de l’Institut de virologie de Wuhan (IVW/CAS).

Pour autant, et les militaires le savent bien, lutter contre les armes biologiques, c’est également contribuer à les connaître et d’abord en échangeant avec d’autres. Lire à ce sujet le § sur Madame Chen Wei 陈 微, § « La rumeur persiste ».

Mais, au risque d’écrire une banalité, il n’est pas certain qu’il soit possible d’en savoir beaucoup plus, malgré l‘insistance américaine pour diligenter une enquête de grande ampleur, voire même d’exiger « des réparations » comme l’a récemment suggéré le Président Trump (27/4).

Au passage rappelons que, dans la mémoire chinoise, le terme « réparations » renvoie à une des périodes de l’histoire où les tensions entre la Chine et l’Occident avaient atteint un point extrême. Le traité conclu avec la Chine impériale qui mettait fin à l’insurrection des « Boxers », le 7 septembre 1901, exigeait en effet que l’Empire très affaibli par des révoltes paysannes, verse aux Occidentaux des « réparations » exorbitantes représentant à l’époque 1600 millions de Francs-or, payables en 40 ans.

Tel est l’arrière-plan funeste d’une tension qui s’aggrave entre la Chine et les Occidentaux et où tout indique que la chape de plomb politique pesant sur la situation s’alourdira, attisant mécaniquement l’incrédulité et les sarcasmes.

A l’image de l’échec patent du PCC qui chercha à compenser ses errements de la gestion initiale de la crise à l’origine de graves questionnements internes (lire : Covid-19 : La démocratie, l’efficacité politique et l’attente des peuples.), par l’activisme diplomatique tous azimuts ponctué par des livraisons de masques, d’une diplomatie humanitaire appuyée par un intense effort de propagande destiné à mettre en scène l’efficacité du modèle sanitaire chinois.

Ainsi fonctionnent les appareils politiques monolithiques. Manquant d’agilité, ils ne savent communiquer qu’en direction de leurs propres troupes. Pour autant, à ce jour, malgré les indices et les coïncidences, et en l’absence de preuves directes, la diffusion du COVID 19 par un accident de confinement à l’IVW/P4 reste une rumeur.

++++

La coopération scientifique, vue de Chine.

En fait, la crise du COVID 19 est un bon révélateur des méthodes utilisées par la Chine pour sa montée en puissance scientifique.

Dans un premier temps on contribue activement sur la base d’échanges équilibrés, puis, une fois obtenus le savoir-faire, les connexions internationales et les technologies, le partenariat s’étiole essentiellement parce que la partie chinoise n’alimente plus la coopération.

C’est ce principe qui a très probablement a guidé le prof. YUAN Zhiming dans ses relations avec EVAg et le P4 construit avec la France. A cet égard, l’article de Xinhua expliquant à sa façon que le P4 est une réalisation de la Chine, grâce à sa montée en puissance scientifique, est significatif de la volonté du Parti de mettre sous le boisseau les apports étrangers.

*

Dans la pratique, ce P4 est une affaire très politique qui s’est réglée au plus haut niveau franco-chinois autour de 2003.

Les véritables mobiles de cet arrangement ne sont pas connus. Mais il est légitime d’imaginer que ces derniers pourraient expliquer le fait, qu’aujourd’hui, la Chine ne se considère plus redevable envers la France.

Le point de départ est l’insistance chinoise d’amplifier la coopération bilatérale France-Chine dans le domaine des Maladies Infectieuses Émergentes (MIE) après le SRAS (2002-2003).

Exprimée en réalité depuis l’accord franco-chinois de 1978 marquant la reprise des échanges après la Révolution culturelle, mais interrompus après 1989 et jusqu’au milieu des années 90, la volonté chinoise de coopérer visait concrètement la création d’un pôle bilatéral de coopération médicale à Shanghai.

En échange Pékin laissait entrevoir aux Français la double renaissance de l’université médicale franco-chinoise « Aurore » et d’un Institut Pasteur (IP), institutions fermées au début des années 50 par la Chine, alors agitée par les effervescences maoïstes du « grand bond en avant ».

La vérité est plus prosaïque et plus pressante. A l’époque du SRAS (2003), la Chine était à la traîne en matière d’épidémiologie et d’immunologie. L’épidémie a marqué les esprits et créé une urgence. Mais aucun pays occidental ne souhaitait collaborer avec Pékin pour un laboratoire de confinement P4, infrastructure essentielle pour le traitement des pathogènes appartenant à la catégorie du SRAS.

Le dossier prit un tour plus politique en 2003 lorsque YUAN Zhiming, sous l’autorité de CHEN Zhu (alors vice-président de l’Académie Chinoise des Sciences), se rendent tous deux en France pour poser les bases d’une coopération formelle.

La personnalité et l’entregent de CHEN Zhu [1], combinés aux médiations à haute valeur ajoutée de Jean-Pierre Raffarin, emportent l’adhésion des autorités françaises pour un partenariat ambitieux sur les MIE qui inclut le P4 et l’Institut Pasteur de Shanghai.

En haut lieu, on se laisse convaincre par les chinois que la France est à la pointe de la recherche et qu’elle bénéficie en Chine d’une sorte d’exclusivité historique. Bref, que notre pays a une belle carte à jouer.

Et alors que se prépare la visite en Chine du Président français, ce partenariat se transforme en accord intergouvernemental. il sera signé le 9 octobre 2004 en présence du Président J. Chirac à Pékin au milieu de 20 autres contrats commerciaux de plusieurs milliards.

Le lendemain, 10 octobre 2004, ce fut au tour de l’Institut Pasteur de Shanghai (IPS) d’être inauguré par le Président Chirac (accord relatif à la coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine).

Fin du premier acte, le piège est tendu. A partir de cette date, la France se trouve aspirée dans une spirale infernale dont elle n’est toujours pas sortie en 2020. Quinze ans d’errements qui réunissent les ingrédients d’un second scandale, après le premier ayant consisté à formaliser une coopération (apparemment) aussi déséquilibrée.

Le pire est en effet à venir : des millions engloutis, des technologies sensibles transférées, sans garde-fou ni pilote, ni aucune retombée pour la France. Dans les nombreuses valse-hésitations françaises qui émaillent l’acte 2 où domine la schizophrénie, le Quai d’Orsay qui déploie un zèle coupable, se retrouvera seul.

2e partie : Le Quai d’Orsay à la manœuvre d’un accord bancal.

L’accord de 2004 porte en lui les tares d’un texte qui ressemble plus à un contrat commercial sans annexe financière qu’à un partenariat. Il est en effet à sens unique, la France s’engageant à fournir des biens et services quasiment sans contreparties chinoises.

Aucun budget, aucune mention d’un quelconque payeur, aucune échéance ne figurent dans l’arrangement. En revanche, mais c’est la moindre des choses, le texte prend soin de préciser que les partenaires s’engagent à respecter les traités internationaux sur les armes bactériologiques.

L’accord assorti d’une autorisation d’exportation de matériel sensible par la France, obtenue en un temps record définit aussi l’organisation de la gouvernance de la coopération.

Très vite, en France des forces contraires s’opposent à la mise en œuvre de l’accord.

Le 30 avril 2020, un article du Point opposait « les chercheurs chevronnés » favorables à l’accord et les organes de sécurité du pays, réticents. Pas si simple. Bien documenté et présentant des faits exacts l’article qui suggère une rivalité entre les « sécuritaires » et les scientifiques ne décrit cependant qu’une partie de l’image.

Les témoignages « d’un ancien de l’Ambassade à Pékin » (cité par l’article et des promoteurs du projet, notamment le professeur C. Bréchot, ancien directeur de Pasteur dont le réseau international est financé par le Quai) sont évidemment orientés, tandis que « L’ancien de l’Ambassade à Pékin » s’exonère d’évoquer les analyses erronées sur les velléités chinoises de coopérer, et, surtout, les millions dépensés par le Quai.

Pour être précis, l’affrontement franco-français se situe en réalité entre, d’un côté les tenants de la sécurité et de la souveraineté économique et, de l’autre, le Quai d’Orsay attaché à maintenir de bonnes relations avec la Chine.

Pourtant très concernés par le dossier, nombre d’acteurs publics français, en particulier les ministères de la santé, de la recherche ou de l’industrie, sont volontairement restés à l’écart du projet pendant plus de 15 ans. Parfois ils ont renforcé le camp des détracteurs. C’est le cas des Universités, de l’Institut Pasteur, de l’INSERM et du CNRS. C’est-à-dire les forces vives de la recherche française qui auraient du exécuter le volet scientifique de l’accord de 2004.

Or, même l’Institut Pasteur (IP), Fondation privée et en première ligne dans l’accord de 2004, est resté pendant 15 ans à l’écart de l’IPS en n’y installant aucun chercheur, en n’y lançant aucun projet. L’IP comptait visiblement sur les ressources du Quai qui ne sont pas venues. Quant à l’INSERM dirigé par le Professeur Christian Bréchot de 2001 à 2007, il est lui aussi resté volontairement absent. Une réalité qui contredit les « regrets » qu’il exprime rapportés par Le Point du 30 avril (p.41).

Sans surprise, les agents de ces ministères ont agi de même, malgré les subventions qu’on leur offrait pour « former » des chercheurs chinois ou développer « des projets conjoints » en lien avec l’accord de 2004. Quant aux « scientifiques chevronnés » de la partie française évoqués par Le Point, certains ont certes donné de la voix, mais leurs réticences n’ont pas été entendues.

D’autres ont, en revanche alimenté la conviction de notre Ambassade d’aller de l’avant. Il n’est pas difficile d’imaginer les raisons pour lesquelles, dans ce contexte, de prudence des scientifiques français, le projet du P4 a pris du retard. En France, la proximité des présidentielles de 2007 accentuait encore l’attentisme et l’absence de décision.

++++

Un coût exorbitant pour la France.

Pendant ce temps, un autre volet de l’accord, avançait rapidement avec la montée en puissance de l’Institut Pasteur de Shanghai (IPS). Vu de Paris, c’était une manière de faire patienter les chinois. Et pour l’Ambassade de France, d’envoyer des signaux positifs. Depuis Paris, le Quai recrutait en effet des chercheurs et d’autres personnels de haut niveau pour les mettre au service de l’IPS en Chine.

C’est-à-dire à un prix exorbitant, puisque des expatriés à haute valeur ajoutée payés par les impôts des Français furent mis gratuitement à la disposition d’un institut chinois sous la coupe de l’Académie des sciences de Chine. Au bilan, les initiatives destinées à faire patienter les Chinois agacés par le retard pris par le projet P4, eurent un coût démesuré pour un très faible résultat de coopération scientifique à l’IPS.

Jamais réellement évalué, ce gaspillage sur lequel l’ancien président de l’Institut Pasteur (2013-2017) garde le silence, allait jusqu’à céder gratuitement à la Chine la propriété intellectuelle des travaux des chercheurs français. Dans ce processus resté opaque et sans contrôle, à la diligence du Quai, ces générosités françaises furent attribuées sans appel d’offres ni mise en concurrence, au grand dam des autres établissements universitaires ou scientifiques français, par ailleurs incités à d’avantage coopérer avec la Chine.

Le Quai ne s’est pas arrêté là. Avec zèle et régularité, il entreprit de recruter d’autres experts pour préparer les transferts de technologies entre la France et la Chine pour le P4 de Wuhan. Nous sommes là au cœur sensible du dossier. En réalité, le seul qui intéressait les Chinois, d’une valeur inestimable.

Et les 40 millions de $ que l’Institut de Virologie de Wuhan dit avoir dépensé pour acquérir les technologies ne les compense pas. Il s’agit des plans français de construction du P4, des spécifications techniques (« specs ») et des cahiers de procédures de confinement du laboratoire.

Ainsi de 2012 à 2017, un expert français de haut niveau affecté au service scientifique de l’ambassade de France à Pékin venu tout spécialement du CEA, fut à la fois chargé des transferts sensibles à la partie chinoise et de faciliter les relations sur ce sujet entre Pékin et Paris.

A 12 000 km de distance, on comprend bien que l’exercice, télécommandé depuis Pékin était une aubaine pour les Chinois qui pouvaient opérer en toute discrétion à Wuhan, l’envoyé du CEA n’ayant lui-même que des moyens de contrôle réduits. D’autant que la délicate phase de mise en conformité et de certification avait commencé en 2016.

Dans l’esprit de l’IVW, il ne s’agissait que d’une étape vers une certification du laboratoire comme un « Centre de référence P4 » par l’OMS (qu’il n’a toujours pas obtenu aujourd’hui). Pendant ce temps, la belle générosité du Quai d’Orsay continuait sur sa lancée.

En octobre 2017, arriva à l’IWV/CAS un autre scientifique français de haut niveau, le professeur René Courcol, épidémiologiste chargé d’accompagner les processus de conformité du P4 et de contribuer au montage des collaborations bilatérales. De façon annexe, sa présence à l’IVW/P4 était aussi pour la France une manière de savoir ce qui s’y passe.

Naturellement, l’intrusion contraria beaucoup YUAN Zhiming. Un expert français sur place, pour quoi faire ? Ne craignant plus de se dévoiler dès lors que le P4 étant quasiment sur les rails, la partie chinoise s’en ouvrit à l’Ambassade et dans les réunions bilatérales.

Le professeur Courcol sera quand même maintenu. Ironie du sort, il était sans doute à l’IVW/CAS de Wuhan lors du déclenchement de l’épidémie de COVID 19 et la prétendue fermeture du P4 (23 janvier 2020). Cela fait de lui un témoin de tout premier plan. On peut comprendre qu’il fasse valoir son devoir de réserve.

Mais l’expertise fournie par le MAE n’était en pratique qu’une partie de l’assistance française à la montée en puissance de la Chine dans le domaine des maladies infectieuses. Parmi les 8 cadres sur 30 personnes qui composaient le service scientifique (SST) de notre Ambassade en Chine, plusieurs furent mobilisés quasiment à temps plein par la mise en œuvre de l’accord de 2004.

Vu de Paris, on a même pu croire que le dossier était la priorité exclusive du SST. L’Ambassade, en lien avec les attachés des consulats, a supervisé pendant des années, non seulement le travail des experts dont nous venons de parler mais aussi les programmes d’échanges.

Le SST dépensait à cette époque près de 500 000 € de budget d’intervention annuellement et près d’un million si on y inclut les crédits d’intervention liés aux salaires des expatriés et des experts mis à disposition des institutions chinoises.

Cette ressource fut naturellement consacrée à l’étude des MIE. Mais comme, visiblement, ce n’était pas suffisant, l’Ambassade lança sans aucune concertation avec la recherche française un programme pompeusement intitulé « Émergences 2015 ».

Son objectif était d’attirer des ressources humaines et des projets. Comment ? En organisant au profit de chercheurs chinois des visites de sites scientifiques français travaillant sur les MIE. Une sorte de tourisme scientifique, tous frais payés destiné à susciter l’intérêt de la recherche française.

Alors aveuglement ? Souci d’efficacité ? Ou zèle excessif ?

Difficile de trancher mais une chose est sûre : à Paris, aux Affaires étrangères et, dans l’ensemble des sphères publiques destinataires des télégrammes diplomatiques de Pékin sur les prétendues « avancées » majeures de l’accord de 2004, personne ne réagissait. L’Ambassade y a vu un blanc-seing.

Et même une opportunité. A chaque visite ministérielle ou à l’occasion des « dialogues de haut niveau » rien n’était négligé pour mettre en valeur les contributions françaises et entretenir la conviction de l’excellence des relations bilatérales et de la bonne marche du projet.

A sa décharge, les signaux qui parvinrent à notre Ambassade à Pékin furent d’abord encourageants. En 2008, pour débloquer le projet de P4 toujours dans les limbes, Alain Mérieux accepta de prendre la tête du comité de pilotage prévu dans l’accord de 2004. Ce choix fit naturellement l’unanimité.

Outre qu’Alain Mérieux lui-même est connu pour être un ami de la Chine et que sa famille y entretient des liens historiques, le Groupe y développe des affaires depuis des décennies. Enfin et surtout, c’est la Fondation Mérieux qui a contribué à l’édification du P4 français de Lyon, devenu un laboratoire au service de la recherche française.

Du coup, le projet fut relancé et les travaux engagés. Dans la pratique, Alain Mérieux comprit cependant très vite qu’il évoluait en terrain miné au milieu de forces opposées en France. Notamment de la part des décideurs de la recherche française, tous réticents.

Afin de faciliter la tâche d’Alain Mérieux, Paris désigna Jean-Michel Hubert, haut fonctionnaire et homme d’affaires, proche de Jacques Chirac portant le titre de « Représentant du gouvernement français pour l’accord franco-chinois de lutte contre les maladies infectieuses émergentes de 2004. »

Sa mission : aplanir les aspérités franco-françaises tout en envoyant des messages de bonne volonté à la partie chinoise pour la faire patienter. A la manœuvre sur le dossier de 2010 à 2017, dont il avait en réalité pris la direction, il sera récompensé en octobre 2014 par les Chinois qui lui décernèrent le « Carillon d’Or du Hubei » et la « Grue jaune de Wuhan ».

Turbulences et jeux institutionnels

Plus sérieusement, et jusqu’au départ d’Alain Mérieux fin 2015, les choses semblaient mieux engagées, même si plusieurs irritants laissèrent augurer de nouveaux obstacles à venir.

Il y eut tout d’abord l’affaire des 4 P3 mobiles qui jeta un froid à l’Ambassade sans toutefois susciter un véritable émoi à Paris, sauf dans les institutions en charge de la sécurité. Ces dernières avaient en effet bien réalisé que des équipements français avaient été détournés de leur usage initial, en contradiction avec toutes les dispositions de la section 3 de l’accord de 2004.

Un voyant rouge s’était allumé.

Simultanément, et comme le P4 était sorti de terre le 31 janvier 2015, la pression augmentait du côté français pour que l’infrastructure de Wuhan serve aussi à mettre en œuvre des projets bilatéraux. Mais, une nouvelle fois, les industriels et les organismes scientifiques français approchés ne répondirent pas aux sollicitations.

Sur place, le comité de pilotage ne se réunissait plus, les parties chinoises étaient moins allantes, et, déception supplémentaire pour l’Ambassade, le programme « Émergence 2015 » ne donnera au final aucun résultat malgré les communiqués de victoire transmis aux administrations centrales.

L’Ambassade misa alors sur « un coup » susceptible d’inscrire la coopération sur les MIE dans le haut des priorités bilatérales afin d’attirer la recherche française ainsi que des moyens financiers et humains supplémentaires. Il y aura en fait plusieurs occasions.

La première eut lieu le 16 juin 2016, lors de la cérémonie de « réception du P4 » en présence de l’Ambassadeur.

On le sait aujourd’hui, la participation chinoise fut très faible. L’événement intéressait peu les Chinois et l’Ambassade a même été, contre tous les usages, obligée de défrayer la réception !

Pour autant, l’arrière-plan politiquement correct du fonctionnement de l’administration française perturba sérieusement l’information vers Paris, puisqu’en dépit de l’affront que représentait la faible représentation officielle de la partie chinoise à l’inauguration d’un projet majeur de la coopération bilatérale, l’exercice fut présenté comme un grand succès sur le site de l’ambassade de France. Y compris en trahissant la vérité des faits.

Il s’agissait alors d’entretenir la flamme en laissant croire que les MIE demeuraient la vitrine de la coopération franco-chinoise. Au passage, les nouvelles positives justifiaient les initiatives du service scientifique de l’ambassade, elles-mêmes motivées par la prétendue volonté des parties chinoises de poursuivre les échanges.

Fin octobre 2016, une autre opportunité se présenta. Encore plus porteuse. Il s’agissait de la visite en Chine du Ministre des Affaires étrangères, M. Jean-Marc Ayrault. Ce dernier fit un bref passage à l’Institut Pasteur de Shanghai et promit dans un de ses discours une contribution française de 5 millions d’euros pour la coopération sur les MIE. Cette promesse sera reprise en janvier 2017 à Wuhan par Bernard Cazeneuve, Premier Ministre, lors de l’inauguration officielle du P4.

Rien n’y fera. En France, ces déclarations tombèrent toutes à plat. L’Agence Nationale de la Recherche (ANR), organe public de financement de la recherche fonctionnant sous forme d’appels à propositions, pressentie pour gérer cette manne, ne bougea pas.

Certes, comme l’explique très bien « Le point » du 30 avril 2020, les organes de sécurité français faisaient barrage à la mise en œuvre d’une coopération bilatérale une fois le P4 opérationnel.

Mais en réalité, les freins ne venaient pas seulement des structures de sécurité françaises. Aujourd’hui il faut reconnaître que, depuis 2004, la coopération franco-chinoise sur les MIE n’a jamais véritablement mobilisé les chercheurs français et les entreprises privées, malgré les moyens déversés pendant 15 ans par le Quai d’Orsay.

Or ce constat ne s’applique pas à tous les domaines d’échanges avec la Chine. Plusieurs exemples montrent en effet que, sur d’autres sujets de R&D sensibles (matériaux, procédés chimiques, maths appliqués) ou sur des projets franco-chinois majeurs (satellites CFOSAT et SVOM [2], les scientifiques français se montrèrent beaucoup plus motivés à travailler avec leurs collègues chinois.

Il convient aussi de souligner qu’il n’y a guère eu d’entrave liée à la « sécurité » dans la mise en œuvre de leurs travaux, preuve que, lorsqu’il existe un intérêt partagé et un cadre bien défini, la coopération se met en place d’elle-même et que les responsables de la sécurité n’y font pas obstacle.

Le Quai isolé, mais toujours allant.

Si on prend la peine d’examiner les réponses aux sollicitations adressées par le Quai aux universités et aux organismes scientifiques français, pour leur demander de participer au projet sur les MIE, force est de constater qu’ils n’ont jamais considéré le sujet comme prioritaire. Ils n’y ont consacré ni budget, ni ressource humaine, ni équipement.

Pire encore, à certaines époques, les appels à coopération de l’ambassade à Pékin provoquèrent même de la défiance de la part ces institutions. Ces dernières avaient en effet le sentiment qu’on leur forçait la main et qu’on cherchait à les obliger à prendre des risques qu’ils étaient réticents à prendre.

En relisant a posteriori depuis Paris les messages concernant l’accord de 2004, on constate que les signaux envoyés depuis l’Ambassade manquaient à tout le moins de clairvoyance et de modestie. Elle ne fut pas la seule. Le zèle d’une partie de l’administration s’explique évidemment par le souci légitime de mettre en œuvre l’accord de 2004.

Quant aux chinois, la vérité oblige à dire qu’ils sont très rapidement passés à autre chose. Dès 2015, ils considérèrent le P4 comme une installation chinoise. Et, pour différentes raisons, ils entendaient sinon ne pas poursuivre la coopération une fois le P4 opérationnel, du moins voler de leurs propres ailes. L’épidémie de COVID 19 et les décisions prises à l’IVW/CAS début 2020 confortent ces hypothèses.

Évidemment, ce scénario interroge. De deux choses l’une. Ou bien les chinois ont agi par pur opportunisme nationaliste, jugeant que la poursuite des échanges avec les français était désormais sans intérêt, la Chine ayant désormais atteint un niveau scientifique suffisant, sinon supérieur à leur partenaire de 2004.

Ou bien, ils ont estimé que la Chine avait rempli ses obligations de l’accord de 2004 et qu’elle en était quitte vis-à-vis de la France. Obligations dit contreparties. Mais lesquelles ?

C’est une question. En échange du P4, et plus largement de l’accord de 2004, la France a-t-elle reçu une contrepartie ? Si cette seconde explication était confirmée, elle expliquerait l’élan jamais démenti de la diplomatie française, contrastant souvent avec les réticences des chercheurs français et l’indolence de la partie chinoise.

Note(s) :

[1CHEN Zhu a fait ses études au Jiangxi et à Shanghai avant de terminer sa formation de Professeur des universités-praticien hospitalier (PUPH) en France. On l’a dit proche de JIANG Zemin (maire de Shanghai puis n°1 du Parti et Président de la République).

Francophone, cette personnalité politique et scientifique est unanimement reconnue pour ses qualités humaines et ses travaux (il est membre de plusieurs académies étrangères). Il fut l’un des rares ministres n’ayant pas adhéré au Parti Communiste, resté au contraire membre du Parti démocratique paysan et ouvrier de Chine.

Ministre de la santé (2007-2013), il a aussi été Vice-président du Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale. CHEN Zhu a tout au long de la période un précieux canal de communication entre la France et la Chine.

Lire l’article sur le travail de Chen Zhu en Chine, comme ministre de la santé : Santé publique : Chen Zhu dénonce les blocages.

[2Satellites franco-chinois de plusieurs centaines de millions d’euros. CFOSAT, lancé en octobre 2018, vise le suivi des courants et vagues sur les océans. Le Président Macron a visité le site d’assemblage à Pékin en janvier 2018. Quant à SVOM, il s’agit d’un satellite d’astrophysique dont la mise en orbite est prévue en 2021.

 

 

Chine - France : Commission mixte scientifique 2024, vers une partie de poker menteur ?

[29 février 2024] • Henri Clairin

A Hong-Kong, « Un pays deux systèmes » aux « caractéristiques chinoises. »

[12 novembre 2023] • Jean-Paul Yacine

Chine-Allemagne : une coopération scientifique revue et encadrée

[9 octobre 2023] • Henri Clairin

Pasteur Shanghai. Comment notre gloire nationale a été poussée vers la sortie

[23 septembre 2023] • Henri Clairin

A Pékin et Shanghai, les très petits pas de l’apaisement des tensions commerciales

[3 septembre 2023] • Jean-Paul Yacine