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›› Chronique

A propos de Taïwan, 30 ans après la vente des Mirage et des frégates La Fayette, retour des tensions franco-chinoises

Récemment, les tensions entre la France et la Chine sont montées d’un cran.

A la mi-avril, elles avaient déjà été mises à l’épreuve par la convocation au Quai d’Orsay de l’ambassadeur Lu Shaye.

Ce dernier avait laissé publier sur le site de son ambassade des calomnies sur le traitement réservé aux séniors dans les EHPAD, au milieu de commentaires critiques sur les aléas de la réaction occidentale et des démocraties à la crise épidémique, comparés à la méthode chinoise.

Cette contrariété en a télescopé une autre.

Début avril, la marine taïwanaise rendait publique une commande adressée à Paris pour moderniser les lance-leurres Dagaie MK2 des 6 frégates La Fayette vendues à l’Île en 1991 par la Direction des Constructions Navales (DCN) devenu Naval Group en 2017. Aussitôt Pékin mettait en garde le gouvernement français, lui intimant de renoncer au contrat sous peine de représailles frappant les affaires françaises en Chine.

L’épisode crispé de ce printemps 2020 fait écho à l’une des plus sérieuses brouilles jamais observées entre Pékin et Paris depuis la reconnaissance de la Chine par le général De Gaulle en 1964.

Marquée par des réactions punitives infligées par le régime chinois à la suite de la vente en 1991 à Taïwan par Paris de 6 frégates La Fayette et de 60 Mirage 2000-5, la crise avait surgi au milieu des contrecoups politiques de la répression meurtrière de Tian An Men, ayant créé une fracture dans les relations entre la Chine et les démocraties occidentales.

Fait aggravant pour Paris, la France de François Mitterrand avait initié une action diplomatique de l’UE pour imposer un embargo européen sur les ventes d’armes à la Chine qui dure encore.

Paris face à une Chine puissante et irascible.

S’il est vrai que, cette fois encor,e la crise franco-chinoise surgit au milieu d’une discorde entre la Chine et la plupart des pays occidentaux née dans le sillage des tensions internationales provoquées par la pandémie, il y a cependant trois différences essentielles.

Le contrat de la remise à jour des leurres évalué à 24,6 millions d’€ qui doit être exécuté jusqu’en 2023, est d’une valeur infime par rapport à l’ampleur des contrats de1991. Une incidence qui à première vue aurait pu inciter Pékin à fermer les yeux. Ce ne fut pas le cas.

Aujourd’hui la France est aux prises avec une Chine d’une toute autre dimension que celle d’il y a 30 ans. 2e puissance économique mondiale dont le PIB a été multiplié par près de 40 depuis 1990 [1], dotée de la 2e armée de la planète, elle pèse aujourd’hui sur les affaires du monde avec des arrière-pensées rétives anti-occidentales.

Tranchant clairement avec le discours des années 90, quand Deng Xiaoping prônait la modestie stratégique, la souplesse et le pragmatisme socio-économique, la Chine de Xi Jinping diffuse une image hybride où se mêlent l’assurance de sa puissance montante et les inquiétudes matinées d’agressivité surgies à la faveur des péripéties troubles de la naissance de la pandémie mondiale à Wuhan ayant mis le parti sur la sellette.

Ces dernières sont le terreau inépuisable d’une insistante offensive verbale menée par la Maison Blanche contre le régime chinois accusé par D. Trump d’avoir, par ses occultations initiales de janvier 2020, favorisé la propagation rapide des contagions frappant aujourd’hui la planète et plus spécialement les États-Unis et l’Europe occidentale – région la plus sévèrement touchée -.

Avec 92 000 décès, au 20 mai dernier, contre 4634 déclarés par la Chine au milieu du soupçon de falsification des chiffres, les États-Unis figuraient au 7e rang mondial du nombre de décès par million d’habitants – 278 / million d’habitants - (pour mémoire, à cette date, avec 433 décès / million d’habitants, la France se situait au 5e rang mondial des pays les plus touchés, derrière la Belgique, l’Espagne, l’Italie et le Royaume Uni).

La carte sauvage indépendantiste.

Autre différence de taille qui modifie radicalement la sensibilité du contexte par rapport à 1991, à Taipei le pouvoir est occupé depuis 2016 par Tsai Ing-wen démocratiquement élue, dont le parti indépendantiste prône la rupture politique avec le Continent.

S’il est vrai que, dans l’Île l’opinion publique est partagée sur l’appartenance au Continent 大 陆, il n’en reste pas moins que, toutes sensibilités confondues, les Taïwanais rejettent l’option d’une réunification avec une Chine gouvernée par le parti communiste autocrate.

Que Paris fasse publiquement des affaires sensibles avec l’Île est déjà un grave motif de tensions. Mais qu’en plus, les transactions aient lieu alors qu’à la tête de l’Île se trouve une sensibilité séparatiste que Pékin tient en respect à coups de menaces militaires, ajoute un facteur explosif aux tensions bilatérales franco-chinoises soudain resurgies.

D’autant que celles-ci sont déjà sérieusement malmenées depuis qu’au printemps 2019, l’UE de Jean-Claude Junker cautionné à Paris par E. Macron et A. Merkel, avait classé la Chine dans la catégorie de « rival systémique », alors que Xi Jinping, imperturbable venait proposer ses largesses financières à une Europe divisée où l’Italie et la Grèce sont devenues les points d’entrée des Nouvelles routes de la soie chinoises vers le cœur de l’Europe centrale et orientale. Lire : Face à Pékin, la solidarité hésitante de l’Europe.

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1991 – 1994. La cuisante mémoire d’une crise.

Il y a trois décennies, Paris et Pékin entraient dans une sérieuse crise diplomatique à la suite de la vente française à Taïwan de 6 frégates La Fayette et de 60 chasseurs de combat Mirage-5.

Si les Mirage étaient déjà des appareils trop anciens, plusieurs fois modernisés pour leur conférer une capacité multi-rôles, à l’époque, les frégates étaient en revanche des navires de combat d’une modernité révolutionnaire.

A peine sortis des chantiers naval de Cherbourg et de Lorient, ces bâtiments à l’étude depuis le milieu des années 80, à la forme avant-gardiste supprimant toutes les protubérances extérieures, utilisant des matériaux composites pour gagner du poids et absorber les ondes radar, furent parmi les premiers au monde à posséder une capacité de « furtivité » opérationnelle, augmentant sérieusement leur aptitude à survivre dans un combat naval moderne [2].

Après de sévères controverses dans le sérail français, les frégates furent vendues désarmées pour atténuer la colère de Pékin. En revanche, assortie d’un contrat de maintenance de 12 Mds de Francs - 3,5 Mds d’€ actuels-, la vente conclue le 18 novembre 1992 des 60 Mirage-5, systèmes de combat agressifs, provoqua une violente réaction punitive chinoise.

Ajoutée aux amendes infligées par plusieurs jugements sanctionnant l’usage de commissions et de rétro-commissions versées en infraction aux contrats qui les interdisaient, la riposte punitive de Pékin atténua le bénéfice des transactions dont la valeur totale se montait à 40 Mds de Francs – équivalent à 10,1 Mds de $ actuels (2,5 Mds de $ pour les Frégates et 7,6 Mds pour les 60 Mirage-5).

A côté de la sanction symbolique de l’injonction de fermer le consulat de Canton ouvert seulement 2 années plus tôt, Pékin annula plus de 5 milliards de $ de contrats avec la France.

Le chantier du métro de Canton fut confié au Canadien Bombardier et les projets franco-chinois de 3 centrales nucléaires au Henan, au Hunan et au Hubei annulés. De même, la construction de plusieurs centrales hydroélectriques au Guangxi fut confiée à des groupes chinois.

La férocité de la riposte eut un effet direct sur l’Allemagne qui, en 1993, refusa de vendre des sous-marins à Taipei. L’année suivante La Haye opposa le même refus aux Taïwanais. Marquant l’efficacité de la stratégie punitive, aucun autre pays européen ne s’est, par la suite, risqué à des ventes d’équipements militaires à Taïwan.

Excuses et promesses françaises

Vint le temps de la repentance sur un mode maintes fois commenté qui rappelait l’ancestrale culture de la relation de l’Empire avec ses pays tributaires. C’est à Jacques Friedman, inspecteur des finances, énarque, ancien PDG d’Air France, proche d’Edouard Balladur que revint fin 1993 la délicate mission de présenter à la Chine, les excuses de Paris.

Entre temps, nombre d’hommes politiques français avaient recueilli les confidences des responsables chinois. Elles exprimaient à quel point le régime s’était senti « humilié » par la France. Pas uniquement par les ventes d’armement.

Qian Qichen, le ministre des Affaires étrangères de l’époque rappela à Alain Peyrefitte la mise à l’écart de Pékin lors du G7 de la Grande Arche et surtout le défilé du 14 juillet 1989 présidé par F. Mitterrand ouvert par les grands tambours que faisaient résonner les jeunes étudiants chinois, dissidents échappés de Tian An Men et recueillis par la France, dont les images, bandeau blanc autour du crâne, furent diffusées partout dans le monde.

Quant à la décision française de vendre des armes offensives à Taïwan, en rupture complète avec l’esprit de la reconnaissance de 1964, pour Wang Qichen, elle parachevait l’attitude hostile adoptée depuis 1989 par la France.

Le ton du communiqué commun publié le 12 janvier 1994 marquant « la réconciliation amicale sur les principes ayant présidé à l’établissement des relations diplomatiques » cachait les conditions drastiques acceptées par Paris, qualifiées à l’époque par le Sinologue François Joyaux « d’erreur monumentale ».

S’étant engagée par écrit – seul pays occidental à l’avoir fait aussi formellement – à ne plus jamais autoriser de ventes d’armes à Taïwan, Paris alla plus loin qu’en 1964 lorsque Charles de Gaulle noua des relations diplomatiques avec Pékin, sans cependant s’engager sur l’unité de la Chine.

Dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964, expliquant la reconnaissance de la Chine par la France avec le célèbre « Un grand peuple, le plus nombreux de la terre (…) plus ancien que l’histoire, replié d’instinct sur lui-même et dédaigneux des étrangers, mais conscient et orgueilleux d’une immuable pérennité », De Gaulle ne céda pas à l’obligatoire de réciter comme un mantra qu’il reconnaissait « la politique d’une seule Chine ».

Au contraire il fit un éloge appuyé de Tchang Kai-chek que Pékin considèrerait aujourd’hui comme offensant : « Le Maréchal à la valeur, au patriotisme, à la hauteur d’âme de qui j’ai le devoir de rendre hommage, certain qu’un jour l’Histoire et le peuple chinois ne manqueront pas d’en faire autant (...) ».

En contrepartie des concessions françaises, la partie chinoise n’en fit aucune, se contentant de déclarer que « les entreprises françaises seront les bienvenues sur le marché chinois pour participer à la concurrence sur un pied d’égalité ».

Une susceptibilité nationaliste à fleur de peau.

Tel est l’arrière-plan historique de la mise en garde adressée le 12 mai, par le Waijiaobu à la France qui s’apprête, à la demande de Taipei, à faire moderniser les leurres Dagaie MK2 des 6 frégates La Fayette par le groupe français Lacroix-Défense spécialiste français des contre-mesures [3].

Le contrat financé par l’État français est de petite envergure, mais on l’a vu, la Chine est rendue irascible par les attaques qu’elle subit à propos de l’occultation des contagions à Wuhan en janvier dernier. Elle est d’autant plus sourcilleuse que la présidence indépendantiste place les enjeux au niveau sensible des risques posés par la mouvance de rupture sur sa souveraineté.

Paris a rejeté la menace chinoise qui, sans surprise, visait les intérêts d’affaires français en Chine. « Dans le cadre de la déclaration franco-chinoise de 1994, la France met en œuvre la politique d’une seule Chine et continue d’appeler au dialogue entre les deux rives du détroit » (…) « Dans ce contexte, la France respecte strictement les engagements contractuels qu’elle a formés avec Taïwan et n’a en rien changé sa position depuis 1994. » [4].

Il serait étonnant que la controverse en reste là. En France, la mouvance pro-chinoise tentera de faire stopper le contrat. Si ce dernier était mené à bien, il faut s’attendre à des représailles sur les affaires françaises en Chine.

Note(s) :

[1En 1990, le PIB français (1269 Mds de $) était 3,5 fois supérieur à celui de la Chine (361 Mds de $). En 2018, le rapport était radicalement inversé avec un PIB chinois (14 000 Mds de $), 5 fois supérieur à celui de la France (2778 Mds de $).

[2La marine américaine a expérimenté un navire furtif ayant la forme d’un catamaran, baptisé le Sea Shadow (IX-529) qui n’a jamais été opérationnel. Construit en 1984, révélé au public en 1993, il a été retiré du service actif en 2006, vendu aux enchères et démantelé par l’acquéreur.

[3La modernisation est rendue nécessaire par les progrès des nouveaux missiles qui, utilisant des radars millimétriques et des systèmes d’imagerie infrarouge, sont capables de discriminer les anciens leurres de la cible véritable.

[4L’extrême susceptibilité de la Chine attachée à son image et à sa souveraineté génère de plus en plus souvent une diplomatie de la menace et de la punition visant les intérêts d’affaires des pays qui la critiquent ou se rapprochent de Taïwan.

Récemment, elle a fait pression sur l’UE pour faire supprimer d’un rapport de la Commission une analyse sur les manquements de l’appareil au démarrage de l’épidémie à Wuhan. Lire : L’insupportable pesanteur de la normalisation politique et du mensonge d’État.

Au printemps dernier, agacé par la prétention française à s’immiscer dans la question taïwanaise, le régime avait accusé la frégate Vendémiaire qui, le 6 avril 2019, naviguait dans les eaux internationales du Détroit, d’avoir pénétré dans les eaux chinoises.

En représailles, Pékin a annulé l’invitation de la marine française à la revue navale de Qingdao organisée le 23 avril pour le 70e anniversaire de la marine chinoise. Lire : « L’incident du Vendémiaire », une fébrilité chinoise.

 

 

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