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›› Chine - monde

A Hong Kong, la chape de la défiance s’alourdit. Les dissensions s’aggravent entre Pékin et l’Occident

40 jours après la rafle policière du 18 avril ayant arrêté 15 membres de l’opposition (lire : A Hong Kong, profitant de la pandémie, Pékin fait arrêter 15 membres de l’opposition.), remis en liberté sous caution mais toujours accusés d’avoir participé à des manifestations interdites contre la loi sur l’extradition, Pékin a, en adoptant la loi sur la sécurité nationale, clairement fait comprendre à la R.A.S de Hong Kong et à la communauté internationale où étaient ses priorités.

Si au déclenchement des manifestations dilatées en émeutes urbaines de l’été 2019, le régime chinois avait d’abord semblé hésiter sur sa stratégie de riposte, un an plus tard, il a fait son choix. L’affirmation sans partage de la souveraineté de Pékin sur Hong Kong est désormais l’objectif premier de Pékin.

Alors que le Parti a engagé la Chine sur une trajectoire tonitruante de retour de puissance articulée à des valeurs autres que celles de l’Occident, la perspective que la R.AS restée jusqu’en 1997 le symbole physique résiduel des humiliations infligées à la Chine (lire : Hong Kong, rappels historiques et essai de perspective.) pourrait continuer, sous couvert de l’arrangement « Un pays deux systèmes  » à exprimer des effervescences rebelles pouvant dériver vers le séparatisme, est un risque inacceptable pour le régime chinois.

Même si au sein du sérail à Pékin existent des réticences critiquant l’affirmation de puissance de Xi Jinping ayant allumé de nombreux contrefeux anti chinois sur la planète, le choix du régime qui, à Hong Kong, place la souveraineté de la Chine avant tout autre considération de prospérité et de stabilité, reçoit sur le Continent un soutien massif de la classe politique et de l’opinion.

Tel est l’arrière-plan politique du vote du 28 mai de l’ANP ayant, depuis Pékin, imposé à la R.A.S, sans tenir compte du pouvoir législatif local du Legco, une « Loi sur la sécurité nationale ».

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Passant outre toutes les « représailles » décidées par D. Trump privant Hong Kong de son statut de partenaire commercial particulier, la loi surgit dans le paysage politique du Continent pour rappeler la détermination de Pékin, 17 ans après les manifestations de 500 000 personnes ayant fait échouer la mise en œuvre par la R.A.S de l’Article 23 de la Loi fondamentale.

Celui-ci prévoit que la « Région Administrative Spéciale doit - “shall“ - de son propre chef voter des lois, notamment pour interdire les actes de trahison, de sécession et de subversion contre le gouvernement central  » (…)

Ciblant directement l’influence des ONG américaines comme NDI, ou NED créée par R. Reagan, financée par le gouvernement américain [1], le texte de l’Art 23 précise aussi que le gouvernement de la R.A.S « doit prohiber tout lien entre les organisations locales et des organisations étrangères ayant des buts politiques  ».

Percevant que les émeutes de 2019 portaient le risque d’une dérive sécessionniste et jugeant que la R.A.S n’était pas à la hauteur de l’enjeu, Pékin a donc pris la main pour empêcher que le mouvement prenne de l’ampleur.

Au milieu de grands malentendus, l’arrangement « Un pays deux systèmes  » étant en réalité une tentative pour concilier les contraires dans la perspective d’une ouverture politique de la Chine, la messe est dite. Pékin a fermé la porte en se réclamant des « caractéristiques chinoises  » qui, précisément, tournent le dos à la démocratie.

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Le choix implacable de la souveraineté.

Alors que l’économie du territoire secouée par la pandémie a, au premier trimestre accusé une chute de 8,9% - la plus forte jamais enregistrée –, faisant suite à des résultats 2019 déjà en baisse de 2%, déprimés par les révoltes, LI Keqiang a, lors de la session de l’ANP, rappelé que la loi sur la sécurité nationale était la garantie d’une meilleure mise en œuvre des « deux systèmes  » pour « la prospérité et la stabilité du long terme  ».

Mais le propos sonne faux.

Quelque chose s’est brisé dans l’étrange alchimie de ce territoire de libertés politiques suspendu à la perspective d’une réunification avec un pouvoir autocrate. Carrie Lam, la gouverneure a encore accentué la défiance en promettant de coopérer activement avec le Comité permanent de l’ANP pour mettre en œuvre la loi qui, dit-elle, « n’affectera pas les droits et les libertés, mais seulement une très faible proportion de criminels  ».

C’est peu dire que, dans la mouvance démocrate en plein désarroi, le discours ne suscite que de la méfiance, alors que les demandes d’information adressées aux sociétés de conseil spécialisées dans l’immigration ont récemment été multipliées par 20, avec Taïwan et l’Europe en haut des préférences des candidats à l’exil.

Pour autant il serait erroné de croire que la fermeté actuelle du régime chinois dont l’expression a peut-être été favorisée par la maladresse de Carrie Lam s’étant elle-même placée en position de bouc émissaire, correspond à un durcissement conjoncturel de l’appareil politique.

Déjà au milieu des années 80, alors qu’il négociait la rétrocession avec Londres, Deng Xiaoping avait prévenu que la souveraineté de Pékin sur Hong Kong aurait, dans l’esprit des Chinois, une prévalence surpassant toute autre considération de prospérité ou de stabilité de la place financière. Autrement dit, il prévenait que Pékin interviendrait quoi qu’il en coûte s’il advenait que la rétrocession était remise en cause.

Nous y sommes.

Les désillusions de ceux qui n’avaient pas voulu tenir compte de cette réalité, sont à l’échelle de leur très naïf aveuglement.

Le 26 mai, sur le site Hong Kong Free Press, Tom Yam militant de la « Citizen Task Force on Land & Ressources », cité par Asialyst, s’interroge sur « ce qui se passe dans la tête de Carrie Lam  » qu’il accuse de trahir les Hongkongais et de renier l’environnement de liberté et de qualité d’études dont elle a bénéficié « y compris à Cambridge, aux frais du contribuable britannique ».

Quelle que soit la douloureuse nostalgie éprouvée par Tom Yam, la réalité est que la détermination nationaliste chinoise, percutant celle de la mouvance radicale démocrate et des étudiants sur-politisés exprimant une revendication de liberté, crée une situation inflammable. Pékin a choisi de la mettre sous le boisseau par la loi sur la sécurité nationale.

S’il est vrai que, par les accusations de « trahison  », de « sédition  » ou même de « terrorisme », la Loi donne à l’exécutif chinois le loisir discrétionnaire d’arrêter la plupart des manifestants ou de les intimider, il est légitime de se demander quels seront les effets à moyen et long terme d’une politique à ce point répressive sur le potentiel de sincère adhésion à la Chine de la population de la R.A.S.

Pour l’instant un sondage conduit du 17 au 20 mars, avant la décision de l’ANP, par l’Institut d’opinion publique de Hong Kong montre que la tendance « localiste », euphémisme pour désigner les pro-indépendance dont l’idée a surgi en 2014, prenait de l’ampleur à 20%, (+3% par rapport à décembre 2020).

67% des sondés réclamaient la démission de Carrie Lam (+14 % par rapport à décembre 2019), tandis que 58% disaient soutenir les manifestants (en baisse de 8%), alors que 15% s’y opposaient. Signalant un flottement, le pourcentage des indécis avait doublé à 18%.

Émotions à l’étranger et quadrillage de la R.A.S en vue des élections

L’adoption de la Loi qui sera inscrite dans la constitution du territoire produit des contrecoups internationaux, alors que, dans la R.A.S la mouvance pro-Pékin a commencé à exercer des pressions sur les milieux d’affaires pour les rallier à la ligne du Parti. Des consignes circulent pour boycotter la banque britannique HSBC jugée peu favorable à Pékin, tandis que des employés d’une banque chinoise se sont plaints qu’on les forçait à signer une pétition en faveur de la loi.

En amont des prochaines élections locales les milieux d’affaires chinois harcèlent leurs employés pour les inciter à voter pour des candidats pro-pékin. Des banquiers, des avocats et des professeurs d’université interviewés par le New-York Times parlent d’un climat de peur et d’un net recul de la liberté d’expression.

Alors que la Chine dit agir pour ramener le calme après les émeutes, les sanctions de la Maison Blanche, elle-même aux prises avec des éruptions anarchiques aux États-Unis, que Trump menace de réprimer à l’identique, laissent le parti de marbre.

Voyant les violences chaotiques dans la 1re démocratie de la planète, il a beau jeu d’expliquer à quel point son système politique est supérieur à la démocratie porteuse de divisions.

Alors que des troubles éclataient à travers les États-Unis après la mort d’un homme Noir non armé tué par la police lors de son arrestation, le porte-parole du gouvernement chinois et les médias officiels lancèrent des attaques contre Washington.

Tandis que les journaux télévisés diffusaient des vidéos montrant que la police de Hong Kong avait été moins brutale comparée à celle des États-Unis – ce qui est objectivement exact  -, le 31 mai, répondant aux menaces de représailles de Washington, le China Daily écrivait : « La Maison Blanche rêve de « victimiser » la Chine. » (...)

(...) « Mieux vaut y renoncer et revenir à la réalité. La violence se propage à travers les États-Unis… Les politiciens américains devraient faire leur travail et aider à résoudre les problèmes aux États-Unis, au lieu d’essayer d’en créer dans d’autres pays ».

Après l’évacuation soudaine de D. Trump le 31 mai vers son abri souterrain à la Maison Blanche, Hu Xijin, l’éditeur du Global Times ironisa sur son compte Twitter : « Ne vous cachez pas Mr le Président, allez parler aux manifestants. Négociez avec eux, tout comme vous aviez conseillé à Pékin de parler aux émeutiers de Hong Kong.  »

Pékin est également resté sourd aux injonctions du Canada, de l’Australie et de l’UE, tandis que, le 29 mai, un communiqué de Bruxelles exprimait des doutes sur la volonté de Pékin de respecter ses engagements internationaux.

Avec Londres les tensions de sont enflammées après la promesse du ministre des AE Dominic Raab d’accueillir 2,9 millions de résidents de Hong Kong détenteurs du passeport spécial « BNO » pour travailler au Royaume-Uni en vue d’une naturalisation. Zhao Lijian, le très agressif porte-parole a réagi en accusant Londres de violer les accords stipulant que les détenteurs du passeport BNO étaient avant tout des citoyens chinois.

A Hong Kong, Lee, le vieux vétéran démocrate est pessimiste. Pékin enverra des émissaires pour surveiller le gouvernement et lui imposer ses choix. La nouvelle loi permet en effet d’installer à Hong Kong les antennes des appareils chinois de sécurité et du renseignement. « Ce n’est qu’un début », dit-il.

Il reste qu’après la déroute des pro-Pékin aux élections locales du 22 novembre dernier où 344 sièges sur 452 (76,1%) étaient allés à la mouvance démocrate, la montée des harcèlements traduit l’inquiétude de Pékin en amont des élections législatives dont la date a été arrêtée au 6 septembre [2].

Alors que les démocrates nourrissent l’espoir d’une victoire au Legco, Pékin utilisera autant que possible la loi sur la sécurité nationale pour barrer la route de la candidature aux tenants de la mouvance démocrate.

Contrecoup à Taïwan et risques d’accident

L’alourdissement de la chape sécuritaire a également été observée depuis Taipei où Tsai Ing-wen a été investie pour son 2e mandat, le 20 mai.

Alors qu’au cours des 4 premiers mois de 2020, le nombre de Hongkongais immigrés à Taïwan approchait 2400 (+150% par rapport à la même période de 2019), la Présidente qui constate que les relations dans le Détroit se sont dégradées à l’image de l’effondrement des relations sino-américaines, a fustigé l’érosion de la démocratie et des libertés dans la R.A.S.

Au moment où le 24 mai, lors de sa conférence de presse de clôture de l’ANP, Wang Yi, le MAE mettait en garde Washington contre la ligne rouge de l’appui à la mouvance indépendantiste au pouvoir à Taïwan où le gouvernement et l’opinion se flattent de l’excellente performance de l’Île dans le contrôle de la pandémie (7 décès pour 24 millions d’habitants), les récents développements à Hong Kong ont contribué à éloigner encore plus l’opinion et tous les partis politiques de l’Île de la perspective d’une réunification.

La tendance confirmant que Taïwan prend ses distances avec l’irréductible postulat normatif « d’une seule Chine  » porte en elle un sérieux potentiel de tensions.

Tout comme il vient de décider de bloquer à Hong Kong la progression des idées « localistes  », le Parti pourrait être tenté par une démonstration de force dans le Détroit, ayant au moins à ses yeux la valeur symbolique d’une mise en garde.

Alors que les relations sino-américaines ont atteint un niveau proche d’une déflagration, une telle manœuvre de Pékin dans le Détroit ferait entrer la situation dans des eaux mal balisées où le moindre faux pas pourrait déclencher un incident grave.

Note(s) :

[1La Chine accuse les États-Unis, l’Occident et leurs médias d’être à l’origine des troubles de Hong Kong. La réalité est plus complexe.

S’il est vrai que, véhiculées par les activistes des droits – désormais interdits -, les idées « localistes » ont pris de l’ampleur au point d’avoir influencé un habitant de Hong Kong sur 5 et bien plus dans la jeunesse, la vérité oblige à dire que le rejet s’est aussi alimenté des lourdes maladresses de Pékin.

Sans parler de l’épisode calamiteux de l’enlèvement de 5 libraires (lire : A Hong-Kong, théâtre des luttes de clans, Pékin réduit la liberté d’expression.), en 2016, la nervosité et l’empressement du parti unique encore attisés par l’extrême sensibilité du symbole l’a tout de même conduit à déclarer à la veille du 20e anniversaire de la rétrocession le 31 juin 2017 que les accords conclus avec Londres en septembre 1984 avaient perdu leur « signification et leur force de loi ».

C’est aussi Pékin qui a réinterprété la Loi Fondamentale en négligeant l’Art 158 de la Loi fondamentale conférant aux tribunaux de la R.A.S un pouvoir d’interprétation pour lui préférer l’Art 160 qui donne le dernier mot à l’ANP en cas de conflit législatif :

«  Art 160 : Lors de la création de la R.A.S de Hong Kong, les lois précédemment en vigueur seront adoptées comme lois de la Région, à l’exception de celles que le Comité permanent de l’ANP à Pékin déclarerait contraires à la présente loi. Si des lois s’avèrent par la suite contraires à la présente loi, elles seront modifiées ou cesseront d’avoir effet conformément à la procédure prescrite par la présente loi. »

[270 membres seront renouvelés dont 35 représentent les circonscriptions géographiques et 35 autres les secteurs professionnels.

 

 

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