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›› Economie

Le 14e plan quinquennal. « L’aménagement technologique du territoire » et le plan carbone. Au-delà des affichages

Alors que la Chine prépare son 14e plan quinquennal (2021 – 2025) qui devrait être approuvé en mars 2021, le cœur des réflexions au sein du Bureau Politique et de la Commission de Réforme et Développement (CRD) s’est déporté vers les moyens industriels de la relance après la secousse économique de la pandémie, dans un contexte international moins favorable à la Chine.

Dans une récente réunion du Bureau Politique, Xi Jinping a posé l’ampleur des difficultés auxquelles la Chine devra faire face après les restrictions d’exportation de hautes technologies imposées par les États-Unis, comparées à « une main ayant pris le pays à la gorge ».

Lire : Guerre totale contre Huawei. Les intérêts américains en Chine menacés. Sévère discorde entre Pékin et Washington.

Alors qu’après le bilan de l’ANP, tous les esprits sont tournés vers la nécessité de panser les plaies économiques et sociales de la pandémie pour éviter une secousse politique interne, l’expression prenait la mesure de la menace pesant désormais sur le Plan « Made in China 2025 » élaboré en 2015 par LI Keqiang et le Conseil des Affaires d’État [1] dont la montée en puissance dépendait beaucoup des transferts de technologies.

En même temps, une analyse de la chaîne américaine CNBC News nuançait le pessimisme de Xi Jinping en comparant la compétition technologique sino-américaine à un marathon.

S’il est vrai que les États-Unis tiennent aujourd’hui la corde, la Chine a le potentiel de les rattraper sur le long terme, d’autant que, selon nombre d’experts américains de la relation Chine – États-Unis, l’enchevêtrement des dépendances des marchés, de la production et de la recherche, est tel qu’un embargo étanche est une illusion.

Mais pour l’instant, l’ordre de bataille est clairement domestique. Selon l’Académie des Sciences Sociales, il vise d’abord à tirer profit des « 500 à 700 millions de Chinois de la classe moyenne » pour accélérer la consommation intérieure. Celle-ci « constituera un des moteurs essentiels de la croissance dans les 5 années qui viennent ».

Lors d’une réunion du Bureau Politique, Xi Jinping a confirmé que, sans abandonner l’exigence d’exportation, l’appareil productif chinois s’ajustera aux besoins du marché intérieur. Plus encore, les risques économiques liés à l’isolation politique de la Chine seront compensés par la grande spécialité et point fort du régime, l’aménagement du territoire.

La cible : les provinces de l’ouest où sera développé un vaste plan de mise en œuvre des énergies nouvelles accompagnant l’ambition de diffuser, y compris dans les régions les plus reculées, un réseau de télécommunications articulé aux technologies modernes de l’information, portées notamment par le géant Huawei, principale victime de l’embargo américain.

La volonté du pouvoir de diffuser partout les nouvelles technologies, symboles de la capacité industrielle du pays de rebondir hors des schémas industriels anciens, est attestée par les efforts consentis au Guizhou sous l’impulsion de Xi Jinping lui-même. Lire : 19e Congrès : Qui est Chen Miner 陈 敏 尔 ?

Effet du pragmatisme économique, la connexion internet de ce territoire reculé, devenu une région pilote, a redonné vie à une société rurale pauvre où se développe le commerce en ligne de légumes, de poivre en grains et d’une marque de sauce tomate en boîte fabriquée sur place.

Des inconnues subsistent pourtant. L’élan, déjà visible, projetant vers l’ouest les nouvelles technologies exprime une réalité tangible qui, sous réserve de la discipline des administrations locales pouvant être tentées de détourner les efforts financiers pour réduire le chômage, continuera à irriguer rapidement l’arrière-pays.

En revanche, l’autre priorité du 14e plan dont le discours public dit qu’elle est « l’un des projets les plus importants pour lutter contre le changement climatique » pourrait être mise à mal par la force des groupes de pression de « l’énergie charbon. »

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La force de « l’Internet des objets. »

Le projet « d’aménagement technologique du territoire » vient du sommet de l’appareil. Le 4 mars dernier, lors d’une réunion du Comité permanent – la province du Hubei était confinée depuis 40 jours -, l’ambition été évoquée par Xi Jinping lui-même.

Parlant de l’Intelligence Artificielle, « d’internet industriel des objets » - les Anglais qui disent Industrial Internet of Things, ont déjà un sigle IIoT faisant concurrence au notre IdO – le Président en avait fait la priorité de la sortie de la Chine de la crise épidémique.

Le concept diffère de celui de l’aménagement du territoire que chacun connaît – construction de routes, voies ferrées, canaux, ports -.

Au lieu d’être porté par des entreprises de travaux publiques classiques, il met l’accent sur les technologies de l’information de la 5e génération, l’évolution « intelligente » des infrastructures existantes et la création « d’incubateurs », structures imaginées d’après la Silicon Valley américaine berceau emblématique de l’innovation et de la recherche appliquée.

Le projet traduit aussi une évolution pragmatique du concept de modernisation porté par le slogan « Made in China 2025 » dont l’essence avait un arrière-plan nationaliste. Ce dernier avait en effet libéré les énergies des captations de technologies plus ou moins licites à l’origine des tensions sino-américaines ayant aujourd’hui dérapé vers une rivalité stratégique globale.

Sans compter qu’à la faveur toxique de la pandémie, marquée à son départ à Wuhan par les occultations de l’appareil chinois, sans cesse dénoncées par D. Trump, la relation entre Washington et Pékin s’est aujourd’hui teintée d’une défiance culturelle vénéneuse touchant aux territoires mal balisées des émotions xénophobes.

Évolution majeure par rapport à la pensée de « Made in China 2025 », à l’essence nationaliste, « l’aménagement technologique du territoire » ne précise pas d’où viendront les innovations. Plus encore, ayant saisi l’importance des transferts, les concepteurs ont laissé entendre qu’ils pourraient ouvrir certains secteurs contrôlés par l’État à des participations privées étrangères.

La concession n’est pas anodine. Elle surgit en effet alors que l’économie chinoise a été touchée de plein fouet par la crise, le FMI ayant indiqué qu’en 2020 la croissance sera à peine de 1,2%. Dans ce contexte, le branle-bas autour des nouvelles technologies y compris importées, répond à la priorité politique cardinale du régime de stabiliser l’arrière-plan socio-politique durement touché par le chômage et les difficultés des PME.

Puissance des investissements publics.

Réactif et pragmatique le gouvernement ne lésine pas sur les moyens. Au moins 17 000 Mds de Yuan (2400 Mds de $) seront débloqués d’ici 2025 pour accompagner l’aménagement « high-tech » du pays, devenu le moyen prioritaire de la convalescence de l’économie.

Les acteurs de ce renouveau économique espéré par le régime sont chinois et étrangers. Tous espèrent bénéficier de la puissante manne financière libérée par l’exécutif. Mesurant l’espoir suscité, l’index CSI (中证 指教 有限公司) calculé à partir des cotations boursières de 100 acteurs chinois du secteur et spécialement dédié à l’évaluation des avantages/risques des projets d’urbanisation et d’infrastructure, a bondi de 32% depuis sa création en mars.

SenseTime, créé en avril 2018 (lire : Intelligence artificielle. Mythes et réalités.) et quelques autres participeront au projet. Huawei qui a déjà fourni la base du réseau chinois d’infrastructures 5G tient naturellement le haut du pavé.

Toujours en avance sur l’événement, le groupe de Ren Zhengfei a déjà créé « Huawei Cloud Global Market – HCGM - » avec des centres de stockage de données consultables par internet à Singapour, en Chili, au Brésil, au Mexique et au Pérou, le tout irriguant 45 territoires locaux et 23 grandes régions du monde.

Ouverture aux étrangers.

Huawei sera sans surprise le principal cheval de bataille de l’aménagement technologique du territoire. D’autres acteurs sont en lice comme China Mobile, Tencent, Alibaba, mais aussi le Suédois Ericsson équipementier concurrent de Huawei et le Taïwanais Lite-On Technology fabricant de composants électroniques.

Tout n’est cependant pas réglé. Au milieu des annonces d’investissements très impressionnantes (en plus de la somme astronomique de 2400 Mds de $ d’argent public en 5 ans, Tencent et Alibaba ont eux-mêmes évoqué des sommes voisines de 60 Mds de $ chacun), la question qu’on ne peut pas manquer de poser est celle du financement.

Au niveau central, même si les promesses publiques feront passer le déficit budgétaire légèrement au-dessus des 3,6% du PIB annoncés, l’investissement qui se projette dans l’avenir, peut être considéré comme vertueux.

Inquiétudes locales.

Dans les provinces en revanche où les finances ne sont toujours pas en ordre, le défi est réel. LI Keqiang a promis une allocation de 279 Mds de $ aux administrations locales – dont 89 Mds dédiés aux investissements -.

Or le risque existe que, confrontés au problème du chômage, les pouvoirs locaux, inquiets de tenir à distance les troubles sociaux, soient tentés de détourner les sommes destinées aux hautes technologies très peu pourvoyeuses d’emplois pour aider les entreprises à plus forte intensité de main d’œuvre.

A ce propos lire : Plongée dans les arcanes contradictoires de la finance chinoise.

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Promesses écologiques et réalités.

Le 2e pilier du 14e plan affiché par le régime est la lutte contre le changement climatique, honorant les promesses de la COP 21 à Paris en 2015 (lire : COP 21 : entre illusions et scepticismes. Réalités et limites des contributions chinoises.)

Lors du sommet des NU sur le climat à New-York en septembre dernier, Wang Yi, le MAE qui représentait Xi Jinping, a renouvelé les engagements de la Chine, sans toutefois promettre une « neutralité carbone » pour 2050 comme l’ont fait 77 pays.

La cible de Pékin reste un pic d’émission de gaz à effet de serre en 2030. Mais pour répondre aux attentes et désarmer les critiques Wang Yi a, sans donner de détails, affirmé que les « Nouvelles routes de la soie », seraient à l’avenir prioritairement axées sur une plus grande coopération de la Chine sur le climat.

Pour autant s’il est vrai que l’affichage des objectifs du 14e plan quinquennal en préparation confirme cette promesse, la carte sauvage de l’exigence de redressement de l’économie après la pandémie pourrait la faire dérailler.

Le poids rémanent du charbon.

Déjà tout en affichant leurs priorités pour une énergie propre, en sous mains, les lobbies du charbon et la mouvance de l’énergie comme State Grid et China Electricity Council s’activent pour faire inclure dans la planification des centaines de nouvelles centrales au charbon.

Ces projets, en contradiction avec les promesses de pic d’émissions de CO2 en 2030, sont avancés en dépit de surcapacités, certaines centrales au charbon opérant à moins de 50% de leur potentiel.

Pour autant, face à l’urgence d’une reprise économique premier remède contre le risque politique du chômage, la rationalité économique des surcapacités et la lutte contre le réchauffement pourraient n’avoir que peu de poids.

Le risque est réel, attesté par les statistiques chinoises récentes. En 2019, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 2%, tandis que 65% de la croissance de la production d’électricité a été générée par des centrales à combustibles fossiles. S’il est vrai que la part du charbon dans la production d’électricité a fortement diminué depuis 2007, passant de 87 à 66% en 2019, la capacité énergétique produite par les centrales au charbon a augmenté de 40 gigawatts en 2019, en hausse de 4%.

La logique derrière ces marche-arrières est simple. Elle est d’autant plus séduisante en cas d’urgence. La construction des centrales thermiques se convertit bien plus rapidement en croissance économique que celle des infrastructures produisant une énergie renouvelable.

Non pas que la Chine n’ait fait aucun effort. Le poids des « renouvelables » dans le mix énergétique a fortement augmenté et les objectifs fixés pour les parts annuelles de l’éolien (200 GW) du solaire (100 GW), de l’hydroélectrique (350 GW) du nucléaire (58 GW) et de la biomasse (15 GW) ont tous été atteints, parfois dépassés.

En cours également, le remplacement des vieilles centrales au charbon par des centrales au gaz ou par des unités modernes à très faibles émissions de carbone.

Mais les résultats restent mitigés. En 2019, la hausse de la demande d’énergie a relancé les centrales polluantes. Plus disponible et moins cher que les renouvelables, le charbon reste le premier choix des industriels.

Plus encore, pour l’instant, 5 ans après la COP 21, sur les « Nouvelles routes de la soie » les groupes chinois qui ont pourtant le savoir-faire, l’expérience et les capitaux pour promouvoir les énergies renouvelables continuent à exporter l’énergie au charbon.

Note(s) :

[1Pour mémoire, le plan concerne une quinzaine de secteurs au cœur des efforts de développement du pays : technologies de l’information, robotique, énergie durable et propulsion alternative (véhicules électriques), aviation, constructions navales, nouveaux matériaux, médecine et équipements hospitaliers, transport ferroviaire, mécanisation de l’agriculture, Intelligence artificielle et apprentissage automatique, internet des objets et 5G

 

 

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