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Chine - Inde, l’improbable réconciliation

Après une première tentative de désescalade dans la première semaine de juin, alors qu’aucun différend frontalier n’était réglé, le face-à-face qui dure depuis début mai entre l’Inde et la Chine à l’ouest de la zone contestée de l’Aksai Chin, bordant la rivière Galwan a, dans la nuit du 15 au 16 juin, soudain viré au bain de sang.

Les premières informations disponibles parlaient d’une vingtaine de soldats indiens tués, tandis que le nombre d’éventuelles victimes chinoises est resté flou, le département de la propagande ayant interdit aux médias de citer des chiffres.

Mais des indications non vérifiées laissent entendre que 43 militaires chinois de l’APL auraient été tués ou gravement blessés. Le 16 juin, les médias des deux pays précisaient encore que les chiffres des victimes n’étaient pas confirmés.

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Sur ces hauteurs glacées à 5000 m d’altitude, contreforts nord-ouest de l’Himalaya, où la température est presque toujours négative, les soldats indiens et chinois se sont affrontés au corps à corps et à l’arme blanche. Durant la nuit du 15 juin, Indiens et Chinois auraient commencé à se lancer des pierres, avant que, selon l’Hindustan Times, les soldats de l’APL passent à l’attaque armés de bâtons cloutés. La mêlée sanglante aurait duré six heures.

Alors que l’ONU appelait au calme, la Maison Blanche pour qui New-Delhi est un allié potentiel dans sa querelle avec Pékin, proposait sa médiation. Le Ministre des Affaires étrangères indien Nirupama Menon Rao, ancien ambassadeur en Chine qui sait de quoi il parle, faisait part de son inquiétude et mettait en garde contre les risques d’escalade.

Selon l’AFP, sans surprise, Pékin et New-Delhi se rejettent la responsabilité. Les Chinois accusent les Indiens d’avoir été à l’origine de la mêlée sanglante en franchissant deux fois la ligne de démarcation (« Line of Actual Control - LAC – [1] » établie après le conflit de 1962).

Pour New-Delhi c’est l’inverse. Pékin veut changer unilatéralement le statuquo. Les Chinois s’incrustent dans la vallée de Galwan et dans la région du lac Pangong, 100 km au sud, où l’APL aurait installé un campement dans un « no man’s land » entre les zones indienne et chinoise.

Selon une source indienne, la querelle aurait commencé à propos d’une tente dressée par les Chinois que les Indiens auraient violemment arrachée. Ce qui déclencha la réaction de l’APL du 15 juin. Pour le ministère des Affaires étrangères Indien, « l’action des militaires chinois était planifiée et préméditées (…) Elle aura un sérieux impact sur les relations bilatérales ».

A l’étage au-dessus, New Delhi et Pékin, tous deux engagés dans un retour nationaliste en partie destiné à leur légitimation politique interne, ont échangé des déclarations fermes et martiales tout en prenant soin de laisser une porte ouverte à une désescalade.

Après les empoignades meurtrières du 15 juin, Narendra Modi déclarait que l’Inde ne ferait « aucun compromis sur la question de sa souveraineté et de l’intégrité de son territoire », mais prit soin de ménager une ouverture vers un apaisement.

En revanche, Wang Yi, le très nationaliste ministre chinois des Affaires étrangères, connu pour sa fermeté de ton et sa faible disposition au compromis quand il s’agit de l’affichage souverain de la Chine, mettait en garde l’Inde « de ne pas sous estimer la détermination de Pékin à protéger sa souveraineté ».

Une fureur populaire difficile à maîtriser.

Pour autant, après un échange téléphonique entre les deux ministères des AE, le 17 juin, qui faisait suite à une rencontre des généraux commandants du théâtre le même jour, les deux se seraient accordés sur la nécessité de calmer le jeu.

Le fond de l’ambiance bilatérale, restait cependant marqué par des manifestations de passion populaire nationaliste, surtout en Inde où non seulement à Lucknow (500 km à l’est de new-Delhi, dans l’Uttar Pradesh, « Province du Nord »), mais également à Mumbai à 1800 km au sud, des manifestants piétinèrent des portables chinois et brûlèrent l’effigie de Xi Jinping.

Plus au sud, du côté du lac Pangong où les tensions ne sont pas moindres, nous sommes dans la zone où, il y a 58 ans, en 1962, les troupes chinoises et indiennes s’étaient affrontées. Le prétexte, déjà territorial, était la revendication chinoise de la frontière de l’Aksai Chine [2] qu’en 1960 Pékin avait unilatéralement déplacée à l’ouest de la rivière Galwan.

Le 20 octobre 1962, l’APL bombarda les positions indiennes à l’artillerie lourde après quoi, elle envoya un bataillon à l’assaut. Mal préparés, 80% des soldats indiens submergés périrent ou furent faits prisonniers. La bataille qui tua 33 Indiens, permit à l’APL d’atteindre son objectif de l’autre côté de la rivière. D’autres escarmouches continuèrent jusqu’en 1967 et le dernier coup de feu fut tiré en 1975.

Carte de la situation.

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Profonde rivalité culturelle et géopolitique.

L’ampleur et la persistance des controverses induisent l’idée d’une sourde et profonde rivalité stratégique et culturelle dépassant largement les questions territoriales. Voilà en effet deux cultures séparées par le toit du monde dont les relations remontent à l’antiquité mais dont le rapport au monde et au cosmos est fondamentalement différent.

Profondément mystique, l’Inde a exporté en Chine confucéenne et pragmatique la religion Bouddhiste dont l’impact provoqua une secousse de grande ampleur dans la pensée politique agnostique de l’Empire.

Au milieu des échanges et des enrichissements réciproques datant de l’antiquité, cet arrière-plan de contraste entre la force de la pensée religieuse indienne et la prévalence de la morale sociale et politique en Chine, durcie dès le premier empire par une exigence centralisatrice de contrôle de l’espace, constitue un fil conducteur de la relation entre la Chine et l’Inde.

Peut-être la plus flagrante expression de ce contraste se trouve t-elle dans l’histoire du Tibet et de ses relations avec Pékin. C’est au moyen âge, lors de la dynastie Tang, que l’influence bouddhiste se renforça, favorisant notamment la création du Tibet unifié par Songtsen Gampo, au VIIe siècle.

Le Tibet, symptôme d’une irréductible discordance.

Les chroniques tibétaines disent qu’à cette époque, la religion bouddhiste y prit racine par le truchement des deux épouses du Songsten Gampo, la princesse népalaise Bhrikuti, fille du roi du Népal et la princesse chinoise Wencheng 文成 parente de l’empereur Taizong, toutes deux considérées par les Tibétains comme les incarnations du Bodhisattva Tara, le Bouddha féminin aux vertus protectrices.

Après bien des péripéties, la dernière dynastie Mandchoue des Qing prit le contrôle du Tibet qu’elle transforma en protectorat de fait en 1722.

Au milieu de la constante menace des Ghurka népalais (1788-1789), puis une seconde fois en 1791-1793), la suite est marquée par le recul de l’influence chinoise et l’intrusion britannique au XIXe siècle. A la chute du système dynastique en 1911, les Tibétains se soulevèrent et chassèrent les Mandchous. De fait jusqu’en 1950, le Tibet devint formellement indépendant.

En 1951, le télescopage latent entre le mysticisme bouddhiste et la vieille exigence de contrôle territorial que le régime chinois exprime depuis les Han, exacerbé par le parti communiste chinois au pouvoir depuis 1949, obligea, après une intervention militaire de l’APL, les représentants du Dalai Lama à Pékin à signer l’accord en « 17 points ».

Paraphé le 23 mai 1951, l’accord marqua l’intégration de fait du Tibet dans la République Populaire de Chine.

En 1959, l’écrasement par l’armée chinoise du soulèvement caractérisé par Pékin comme « une révolte du clergé et de la noblesse », mais vu par les exilés tibétains comme « un soulèvement anti-chinois et anti-communiste », tandis que l’Américain Tom Grunfeld, professeur d’histoire à l’Université d’État de New-York, auteur de « The making of moderne Tibet » (1987) y voit, avec raison, la main de la CIA, obligea le Dalai Lama à se réfugier en Inde.

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Dès lors, la présence à Dharamsala au nord du Pendjab du 14e Dalai Lama en exil, cristallise les contrastes culturels insistants entre Pékin et New-Delhi encore aggravés par la proximité entre La Chine et le Pakistan, source de tensions supplémentaires [3].

L’arrière-plan de la dernière empoignade meurtrière est donc marqué par la défiance enracinée dans les tensions culturelles et géopolitiques irréductibles, dont les querelles de frontières ne sont que le symptôme.

Résumons : Présence sur le sol indien du Dalai Lama que Pékin considère comme un activiste politique animé par le projet de l’indépendance du Tibet ; Alliance Pékin-Islamabad vue par New-Delhi comme une menace sur ses arrières ; Dissymétrie d’une relation entre la Chine membre permanent du Conseil de Sécurité et l’Inde puissance nucléaire proliférante, contrainte de demander l’autorisation de la Chine au Groupe des Fournisseurs nucléaires (GFN) pour le développement de son nucléaire civil.

Sans parler du déficit commercial de l’inde évalué à 47 Mds de $ en 2019, dans une somme d’échanges limitée à 87 Mds de $ (comparée aux 731 Mds de $ du commerce sino-américain), dont la faiblesse indique à elle seule les difficultés de la relation.

Histoire récente des apaisements manqués.

Dans ce contexte on ne compte plus les tentatives avortées d’apaisement. Examinons les jalons récents de ces échecs où s’expriment à la fois le contraste culturel et la rivalité géopolitique.

En octobre 2011, près d’un quart de siècle après la visite en Chine de Rajiv Ghandi (1988), faisant allusion aux opérations de forage pétrolier par la compagnie nationale indienne ONGC (Oil and Natural Gas Corporation) dans une zone contestée par le Vietnam et la Chine à l’Ouest des Philippines et des Spratlys, le Quotidien du Peuple accusait Hanoï et New-Delhi de conduire « une politique dangereuse d’affrontement de la Chine. »

Les tensions faisaient suite à la longue période d’apaisement des années 80 marquées par un ajustement des positions chinoises. Faisant alors preuve de bonne volonté, Pékin prit ses distances avec le Pakistan, expliquant que, désormais, les différends entre New-Delhi et Islamabad devaient être résolus de manière bilatérale par des négociations pacifiques sous l’égide des Nations Unies.

Dans les années 90, Pékin continua à s’éloigner de la position pakistanaise. En novembre 1996, Jiang Zemin en visite en Inde, exprima même clairement son appui à New Delhi.

Trois ans plus tard, lors des incidents militaires de Kargil, en mai - juillet 1999 qui opposèrent New-Delhi à Islamabad, Pékin prit même fait et cause pour l’Inde, demandant officiellement le retrait des troupes pakistanaises de la ligne de partage entre les deux Cachemire. Lire : Tensions avec l’Inde. La version dure de la puissance douce.

Sur la rivalité Inde - Pakistan lire le § « Attaque terroriste et riposte » de notre article : Mohammed Ben Salman, la Chine, l’ONU, Masood Azhar, l’Asie du sud et l’Iran.

Mais en 2013, la visite à New-Delhi de Li Keqiang ne parvint pas à désamorcer une sévère crise sur la frontière survenue à peine plus d’un an après la visite de Hu Jintao en mars 2012 pour le 4e sommet des BRICS. Lire : Diplomatie chinoise et méfiances indiennes.

A l’automne 2014, Xi Jinping dont la visite officielle en Inde fut marquée par une grave accès de mauvaise humeur indienne causée par l’intrusion de l’APL dans la zone indienne du Ladakh, fut un semi-échec.

Le 18 septembre en effet, un jour après l’arrivée du n°1 chinois à New-Delhi, un gros bataillon de l’APL à l’effectif de 1000 hommes venant de l’Aksai Chin était toujours présent dans le sud Ladakh, avec l’intention déclarée de construire une route reliant l’Aksai Chin au Cachemire pakistanais. Lire : Les crispations territoriales ternissent la visite de Xi Jinping en Inde.

Même échec des voyages de Narendra Modi en Chine en avril et juin 2018. Le premier à Wuhan en visite informelle durant lequel Xi Jinping avait, après les désinvoltures de D. Trump envers ses alliés, tenté sans succès de convaincre le 1er ministre indien de s’engager avec lui pour le « renouveau de la civilisation orientale 共同 努力 于 东方文明复兴 Gongtong Nuli Yu Dongfang Wenming Fuxing ». Lire : L’improbable réconciliation sino-indienne à Wuhan.

Deux mois plus tard, à Qingdao, le sommet des BRICS qui fut un exercice spectaculaire de contrepoids à l’Amérique et à l’Occident se déroulant en même temps que le G7 au Québec d’où étaient absents la Chine, l’Inde et la Russie (21% du PIB et 36% de la population de la planète) ne parvint pas non plus à mettre sous le boisseau les braises mal éteintes de la profonde rivalité entre l’Inde et la Chine.

Très clairement les étapes mentionnées ci-dessus jalonnent la marche de New-Delhi et de Pékin vers des positions devenues aujourd’hui fortement nationalistes avec l’arrivée au pouvoir à Pékin de Xi Jinping en 2012 (présent au comité permanent depuis 2007) et, en Inde, de Narendra Modi en 2014.

Les étapes dessinent un durcissement des positions tranchant avec les apaisements des années 90. Elles portent un risque aggravé de conflit.

Note(s) :

[1La « Line of actual control – LAC », est un terme déjà utilisé en 1959 par Zhou En Lai dans une lettre adressée à Nehru après la totale prise de contrôle du Tibet par l’APL en 1959 et la fuite du Dalaï Lama. Reprise après le conflit de 1962, la formule définit une ligne qui dans le secteur ouest de la frontière fixe la limite entre le Ladakh indien et le Tibet chinois.

Ajoutée à la Ligne Mac Mahon établie en 1914 entre les Britanniques et les représentants du Tibet, elle forme la frontière théorique entre l’Inde et la Chine. Selon le Général Indien Deependra Singh Hooda, qui commandait le Théâtre Nord, à la retraite depuis 2016, la Chine qui communique peu sur les actuelles tensions, riposte aux efforts indiens pour améliorer l’infrastructure frontalière au Ladakh. Dans la région de Galwan, notamment, Pékin pourrait s’efforcer de préempter les efforts de New-Delhi pour améliorer les infrastructures à proximité de la LAC.

[2Le territoire de l’Aksai Chin, d’une surface de 37 244 km2 (90% de la Suisse) est comme celui de l’Arunachal Pradesh (83 743 km2), 1500 km à l’est de l’autre côté du Tibet, revendiqué et occupé par Pékin, mais réclamé par New-Delhi. Espace désolé de haute altitude, au climat rigoureux, il est situé au nord-ouest du plateau tibétain et constitue une voie de passage du Tibet vers le Xinjiang où Pékin a construit la route Nationale 219, longue de plus de 2000 km reliant la région de Kargilik au Xinjiang à celle de Lhatsé au Tibet.

[3Le 14 février 2019, un attentat suicide à la voiture piégée perpétré par un militant du groupe islamiste Jaish-e-Mohammed basé au Pakistan tuait 40 Indiens membres des forces de police de réserve de Pulwama dans le Jammu et Kashmir (J&K), la partie du Cachemire jouissant d’une autonomie garantie par l’Inde.

Le 27 février suivant, en riposte, 4 Sukhoi 30, 12 Mirage 2000-H appuyés par 2 MIG 21 de l’armée de l’air indienne engagés pour la première fois depuis 1971, effectuèrent un raid contre le camp d’entraînement terroriste de Balakot au Pakistan, dans la vallée Kunhar.

Il n’est pas anodin de signaler que, détruit en 2005 par un tremblement de terre, Balakot avait été en partie reconstruit grâce à l’aide de l’Arabie Saoudite qui accentue son influence au Pakistan.

Le 29 février, après s’être insurgé contre l’attaque indienne qu’il considérait comme une violation hostile de sa souveraineté, Islamabad restituait à l’Inde le pilote du MIG 21 écrasé dans la partie du Cachemire qu’il contrôle. Aussitôt New-Delhi démentait que l’appareil aurait été abattu par l’aviation pakistanaise qui avait engagé 24 chasseurs dont 8 F-16 américains, 4 Mirage III français et 4 JF-17 chinois.

 

 

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