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›› Politique intérieure

A la faveur de la pandémie, le Parti accélère la normalisation de Hong Kong

Pékin a récemment poursuivi la mise aux normes de la Région Administrative Spéciale de Hong Kong.

Ayant disqualifié une douzaine de candidats de l’opposition démocrate de la compétition électorale des prochaines législatives prévues le 6 septembre, - pas uniquement des jeunes radicaux prêts à en découdre dans la rue, mais également des vétérans, certains d’entre eux ayant la réputation d’être des modérés -, Pékin a décidé, suivie par Carrie Lam, d’annuler purement et simplement le scrutin, reporté d’une année.

Après ce qui s’apparente à une « purge » infligée aux démocrates, l’annulation du scrutin supprime l’incertitude, principal aléa des systèmes démocratiques et bête noire des dictatures.

L’opposition s’insurge. La sérieuse défaite des conseillers de district pro-Pékin aux élections locales de novembre dernier faisait en effet miroiter l’espoir d’une majorité absolue (35 sièges +1) au mini-parlement de Hong Kong. Il reste que si certains voient dans la décision de report une manœuvre politique, l’argument de santé publique est bel et bien recevable.

Entre la mi-juillet et le 2 août le nombre de décès a été multiplié par 5, passant de 7 à 35. Ce qui fait dire à Carrie Lam que l’épidémie est entrée dans la phase la plus sévère depuis janvier. Pour elle, « le scrutin qui entraînerait des rassemblements de foules poserait une menace pour la santé des Hongkongais. »

Sur le fond l’épisode où on voit que la pandémie qui, à son déclenchement, avait relevé les dysfonctionnements de l’appareil politique chinois (lire : Covid-19 : La démocratie, l’efficacité politique et l’attente des peuples.), est, par sa soudaine aggravation dans la R.A.S, devenue le principal adjuvant de sa normalisation.

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Après un essai prospectif évaluant l’avenir, pour l’instant bien sombre des démocrates à Hong Kong, l’analyse qui suit revient sur les armatures de la pensée politique chinoise plaçant la souveraineté nationale au-dessus de toute autre considération, y compris celle de la volonté des peuples et du droit international.

L’opposition en plein désarroi.

Dans un article publié le 4 août dernier dans Foreign Affairs, Brian Wong, progressiste, observateur des systèmes autocrates et spécialiste de l’Asie, actuellement étudiant en sciences politiques à Oxford, relevait qu’après une période d’euphorie, la mouvance démocrate était en plein désarroi.

Fracturée entre les plus anciens jugés indécis et trop prudents et les radicaux prêts à en découdre véhiculant une pensée séparatiste, elle a semblé, au moins en apparence, ressoudée après le succès des élections locales en novembre 2019.

La réalité est tout autre. Avec 12 candidats démocrates disqualifiés le 30 juillet pour s’être opposés à la Loi sur la sécurité nationale (d’autres pourraient encore être ajoutés à la liste des proscrits), l’opposition est en lambeaux.

A en croire les résultats des primaires organisées les 11 et 12 juillet derniers, même les candidats « radicaux » - y compris ceux ayant exprimé leur soutien au sécessionnisme – avaient gagné en popularité, avec des candidats tels que Sunny Cheung et Joshua Wong devançant les plus modérées dans les circonscriptions de Kowloon Ouest et Est.

Ces derniers ont clairement dépassé l’ancienne mouvance dont les préoccupations sociales et redistributives furent sans équivoque débordées par une rhétorique plus manifestement anti-chinoise. Conséquence, dominé par l’intrusion brutale de Pékin poussant, par la répression, les radicaux hors du jeu politique, en fuite ou disqualifiés, le paysage de la R.A.S a perdu sa fluidité.

Voilà en effet les démocrates traditionnels, désormais coincés entre l’enclume des lignes rouges tracées par la Loi sur la sécurité nationale et le marteau d’un soutien populaire qui leur échappe au profit des jeunes loups, eux-mêmes confrontés au choix binaire de rentrer dans le rang ou de passer dans la clandestinité.

C’est peu dire qu’après la charge sans nuance lancée par le Parti alarmé par le surgissement d’une mouvance politique de rupture, l’opposition traditionnelle doit puiser dans ses ressources de pragmatisme pour rester la tête hors de l’eau.

Désormais privée d’élections jusqu’en 2021, les démocrates doivent en effet naviguer entre l’exigence de s’opposer sans le secours d’un scrutin, le risque d’être accusés par leurs électeurs d’abandonner en rase campagne leurs idéaux de liberté et la difficile tâche de les promouvoir malgré tout, dans un environnement soudain devenu hostile, essentiellement nourri d’une philosophie politique radicalement opposée au libéralisme démocratique.

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Rigidité souverainiste inflexible

Le 2 août dernier, Chris Buckley, ancien élève de l’Université du peuple à Pékin, en charge pour le New-York Times d’observer la politique intérieure chinoise, ainsi que les questions sociales et religieuses, y compris au Xinjiang, passait en revue la pensée des jeunes nationalistes ayant influencé le durcissement de Pékin à Hong Kong.

Une des figures les plus en vue de cette intransigeance est Tian Feilong, 37 ans. Juriste et professeur de droit à l’Université Beihang à Pékin, il dit avoir été alerté par les blocages civiques du mouvement « Occupy Central » en 2014. Lire : Hong Kong : « Occupy Central » s’étiole, tandis que resurgit le contentieux sino-britannique.

En même temps, profondément choqué par la violence verbale et physique dont étaient victimes à Hong Kong, les Chinois du Continent, il constata que la tendance s’aggravait avant d’exploser en 2019.

Estimant qu’il s’agissait là d’une évolution dangereuse sur la route de la rétrocession, portant le risque que l’arrangement « Un pays deux systèmes » dérape hors de sa trajectoire normale du retour de la R.A.S à la Chine, Tian rejoignit un groupe de jeunes intellectuels opposés aux idées occidentales en vogue dans les universités chinoises pour embrasser sans équivoque la vision autocrate de Xi Jinping.

Six années après « Occupy Central », observant les violents tumultes dilatés en batailles rangées provoqués par le projet d’’extradition, il s’est affirmé comme un des plus inflexibles partisans de la loi sur la sécurité nationale.

Nationalisme anti-occidental et risque de contagion.

Sa profession de foi politique se nourrit à la fois d’un féroce nationalisme et du sentiment qu’à Hong Kong, la Chine a une revanche à prendre sur l’Occident qui l’avait humiliée.

« Quand j’étais faible je devais me plier totalement à vos règles. Pourquoi, alors que me voilà fort et sûr de moi, ne pourrais-je pas fixer mes propres règles ? ».

Disant cela, Tian a conscience d’exprimer l’opinion de la majorité des Chinois qui prennent les Hongkongais pour les enfants gâtés de l’Occident.

De quoi revisiter les relations entre les libertés individuelles et l’autorité de l’État. « Après tout Hong Kong est chinois. Et c’est au Parti d’y mettre bon ordre. » S’opposant aux idées d’État de droit et de contrôle de l’exécutif par un contre-pouvoir parlementaire, les Nationalistes amis de Tian sont revenus des concepts de liberté propagés par un occident qu’ils considèrent comme décadent.

Se considérant eux-mêmes comme des patriotes de la renaissance de la Chine, ils voient Xi Jinping comme le dirigeant qui redressera la puissance chinoise capable de faire pièce aux États-Unis devenus un chaos, ils sont des souverainistes inflexibles.

Leur intransigeance voit d’un mauvais œil que la R.A.S soit le seul territoire chinois où la mouvance démocrate défie le pouvoir central. Leurs références qui remontent à l’intransigeance politique et policière des Légistes et à Feizi (200 av JC), ne sont pas celles des révolutionnaires ou des marxistes rarement cités mais des tenants de l’ordre.

Selon Ryan Mitchell, professeur de droit à Hong Kong, beaucoup d’entre eux citent Carl Schmitt (1888 – 1985), le philosophe allemand précurseur des Nazis et théoricien dans les années 30 d’un pouvoir exécutif intouchable en temps de crise. Lire : Chinese Receptions of Carl Schmitt Since 1929.

Se considérant l’héritier philosophique du Français Jean Bodin (1530 – 1596), modèle politique de Wang Hunning, n°5 du régime et proche conseiller de Xi Jinping, Carl Schmitt, théoricien de la souveraineté absolue de l’État y compris en dehors ou contre la norme juridique, a développé une vision absolutiste du pouvoir dont la vertu, d’abord décisionnelle, s’affirme par son efficacité politique, par contraste avec « l’indécision organisée » des régimes libéraux.

Enfin, au-delà de l’angoisse ultime d’un dérapage catastrophique de la rétrocession pervertie par l’idée toxique de rupture avec le Continent, la crainte du Parti devenu bien plus rigide qu’il y a dix ans, est celle d’une contagion des idées libérales sur le Continent.

 

 

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