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›› Economie

Pékin accélère ses expériences de monnaie digitale

Depuis le mois d’avril, la Banque Centrale a lancé des essais pilotes pour une monnaie digitale dans quatre villes, Shenzhen, Suzhou, Chengdu et Xiong’an.

Concrètement, à Suzhou par exemple, les fonctionnaires ont déjà reçu la moitié de leur allocation de transport en monnaie cryptée, transférée par une application de la Banque d’Agriculture chargée sur les téléphones portables.
Elle offre la possibilité aux usagers de consulter leurs comptes dans la nouvelle monnaie et d’effectuer des transferts sur leur compte classique.

L’intérêt de Pékin pour une monnaie digitale n’est pas nouveau.

Depuis 2014, la Banque Centrale travaille sur le sujet qui embrasse les technologies de pointe de l’Intelligence Artificielle, des « Blockchain » [1]) et des systèmes de paiement digitaux.

Les arrière-pensées de la direction politique sont doubles. Il est vrai qu’en ces temps de fortes tensions avec Washington, Pékin cherche, autant que faire se peut, à libérer le système financier chinois et ses transactions internationales de l’emprise du dollar américain. Mais surtout, le régime veille à ne pas se laisser déborder par l’emballement public pour les cryptomonnaies sur lesquelles il n’aurait aucun contrôle.

L’hégémonie du dollar et son contournement.

La puissance de la monnaie américaine est presque sans limites. Sa portée ne se mesure pas seulement au nombre de transactions mais aussi à l’usage qu’en fait Washington pour exercer des pressions politiques et commerciales par le truchement de l’extraterritorialité du droit américain.

Elles peuvent s’appliquer à tous les utilisateurs du billet vert en vertu du « Foreign Corrupt Practices Act – FCPA - » (voir sur le site de la Commission Boursière américaine la liste des entreprises ciblée par cette procédure depuis 1978), faisant apparaître une nette augmentation des procédures depuis 2001.

La force de frappe américaine est augmentée par la proximité des États-Unis avec le système SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) créé en 1973 par les grandes banques qui règle les échanges financiers internationaux. Chaque jour, 33 millions de messages sont enregistrés en moyenne sur la plateforme, traitant 5 milliards de $ de transactions.

Pour échapper à l’influence du système SWIFT dominé par les États-Unis Moscou et Pékin ont en 2014 et 2015 créé leur propre système de paiement interbancaire. En Russie il s’appelle le « System for Transfer of Financial Messages » (SPFS) ; et en Chine le « Cross-Border Inter-Banks Payment System » (CIPS).

En 2019, sous le coup des pressions de Washington sorti de l’accord sur le nucléaire iranien, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont créé « l’Instrument de soutien aux échanges commerciaux » (INSTEX), dont l’usage est spécialement destiné aux transactions hors SWIFT et hors Dollar $ avec l’Iran.

Plus tard, la Finlande, la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas, la Norvège et la Suède ont également choisi d’utiliser INSTEX pour commercer avec Téhéran. Sans surprise, fin de 2019, leur décision a été bien accueillie par la Chine. Début 2020, la Russie a appelé à l’extension d’INSTEX au-delà des frontières européennes.

En même temps, les sanctions américaines contre la Russie ont poussé New Delhi et Moscou, anciens alliés de la guerre froide, à négocier leurs transactions pour les ventes d’armes russes à l’Inde par le truchement d’un mécanisme roupie-rouble.

Pour autant, en dépit de la multiplication des dispositifs de contournement du billet vert, de nombreuses études confirment que la part globale des transactions en $ reste prépondérante. Selon les statistiques SWIFT en 2019, près de 45% des transactions globales étaient libellées en $ et 35% en €.

Nombre d’analystes ont aussi insisté sur l’intention de Pékin d’utiliser la cryptomonnaie pour détrôner le $ et affaiblir l’influence financière et stratégique des États-Unis.

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Inquiétudes américaines.

En mai 2020, un article de Foreign Policy tirait une sonnette d’alarme : « Le yuan numérique pourrait jouer un rôle particulièrement important dans le contournement du $ porté par l’intérêt manifeste de la Chine à saper l’influence américaine » (…)

« Pékin pourrait partager son expertise de cryptomonnaie pour accélérer le développement des monnaies numériques par d’autres gouvernements ayant le même intérêt à échapper à la surveillance américaine. ».

« Par exemple, l’Iran utiliserait la technologie chinoise pour émettre un rial numérique entièrement interopérable avec le système chinois. Dans les pays d’Afrique, du Golfe et d’Asie du Sud-Est déjà dans l’orbite économique chinoise, Pékin pourrait pousser l’utilisation du yuan numérique lui-même.(…)

« Tout comme elle finance aujourd’hui des projets d’infrastructure le long des nouvelles routes de la soie, la Chine pourrait investir dans des terminaux de point de vente, des distributeurs automatiques de billets, des applications mobiles et d’autres infrastructures financières qui créerait « une nouvelle route de la soie numérique ».

L’hypothèse d’une rivalité globale à l’origine de l’accélération du projet chinois de monnaie digitale n’est pas dénuée de fondement. Le contournement stratégique de l’Amérique et le défi de la Chine lancé à Washington sont en effet des réalités incontestables.

Il reste que la monnaie digitale chinoise est encore très loin d’avoir atteint un niveau d’utilisation nationale et à fortiori globale. En réalité, il existe une première raison à la soudaine décision de Pékin.

Le Yuan numérique répond à un souci politique interne.

La création d’une devise digitale dont il faut préciser qu’elle ne répond pas aux critères d’indépendance par les algorithme d’une crypto-monnaie classique, puisqu’elle est pilotée par la banque centrale, exprime une urgence politique liée aux relations entre le pouvoir et la société.

Celle d’offrir aux consommateurs chinois déjà largement rompus aux paiements numériques (16% du PNB en Chine contre seulement 1% en moyenne dans les pays occidentaux) une alternative au surgissement des cryptomonnaies non chinoises pouvant détourner l’épargne vers des plateformes financières dites décentralisées échappant au pouvoir central.

En dépit de sa volatilité, le Bitcoin est resté attractif. Après une chute spectaculaire de 50% (de 10 000 à 5000 $) en mars dernier, il a repris sa valeur début août après une hausse constante qui dure depuis trois mois. La même envolée pousse vers le haut « l’Etherum », l’autre cryptomonnaie en vogue dont la valeur, tout aussi volatile, est cependant passée de 173 $ au 15 mars à 406 $ au 20 août (+135 %).

En proposant une monnaie cryptée garantie par la Banque de Chine, Pékin freine l’engouement pour les monnaies digitales alternatives non contrôlables. Du même coup, mettant à profit l’emballement public pour les paiements digitaux, plus rapides et plus pratiques, le pouvoir se donne les moyens d’un contrôle social que le paiement en monnaie papier n’autorisait pas.

Le schéma de digitalisation financière à l’étude depuis 2014, soudain accéléré en 2020 témoigne de la souplesse réactive du pouvoir politique chinois quand est en jeu sa capacité de contrôle sur la société.

Alors qu’en décembre 2013, après avoir d’abord laissé faire, le système financier chinois avait interdit les transactions en Bitcoin [2], voilà qu’alerté par l’engouement public et inquiet d’un mouvement pouvant lui échapper, il en est arrivé à créer sa propre monnaie numériques.

La différence avec le Bitcoin, c’est qu’elle sera contrôlée par le Parti.

Note(s) :

[1Une « Blockchain » est une base de données informatique en ligne, publique ou privée, permettant de stocker et d’échanger des informations – notamment des transactions financières - de manière sécurisée, fiable et non modifiable. Son fonctionnement est piloté par des algorithmes sans intervention extérieure autre que celle des « mineurs », utilisateurs spéciaux dont le rôle est de garantir par de puissants contrôles algorithmiques la validité des transactions financières, regroupées par « blocs » d’où le nom du système.

[2Le 5 décembre 2013, la Banque de Chine et les 4 grandes banques publiques avaient calmé le marché des Bitcoins en Chine en les prohibant pour les transactions commerciales en ligne, sans toutefois interdire la monnaie elle-même. Le communiqué officiel expliquait que la mesure visait à protéger les intérêts et les droits du public, le statut de la monnaie chinoise, la stabilité financière et le marché financier contre le blanchiment d’argent.

Le 16 décembre 2013 les grandes institutions financières du pays ordonnèrent à la dizaine d’opérateurs de paiements en ligne de cesser toute transaction avec le BTC.

Deux jours plus tard BTC China, la plateforme en ligne d’échange de BTC fermait ses activités Bitcoins, précipitant la chute de la devise numérique. Le 17 décembre 2013 au soir la valeur du BTC s’était effondré de 40% et s’échangeait en ligne à 380 $ pièce, soit moins de 50% de sa valeur du début décembre. Lire : La frénésie des Bitcoins en Chine.

 

 

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