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›› Politique intérieure

Sévère campagne de rectification de l’appareil de sécurité

Au lancement de la campagne anti-corruption par Xi Jinping, en 2013, nombre d’observateurs avaient salué le courage du nouveau n°1 chinois engagé dans une lutte sans merci contre la corruption au sein du Parti. Il y avait urgence.

Dans son ouvrage intitulé « Modifier notre approche culturelle de l’histoire 改造 我们的文化历史观 - gaizao women de wenhua lishi guan - », le sociologue Zhang Musheng avait sonné l’alerte : « Aujourd’hui il n’y a pas seulement une collusion entre des bureaucrates corrompus, le capital et des intermédiaires parasites, il y a aussi les dirigeants qui se vendent et la manipulation du pouvoir politique corrompu par des réseaux criminels ».

Derrière cette façade d’une intention vertueuse plane cependant depuis l’origine des mises en examen, l’accusation que la campagne est aussi le moyen de débarrasser le Parti des opposant à Xi Jinping. QC a souvent analysé ces évolutions. Le coup de balai qui s’accompagne de la mise au pas des universitaires, d’une surveillance tous azimuts de la société et d’une féroce censure, est en effet d’une ampleur inédite.

Au cours des presque huit années de la mandature de Xi Jinping à la tête du Parti, plus de trois millions de cadres ont fait l’objet d’enquêtes pour corruption. Le 16 janvier dernier le site web de CGTN, la télévision officielle du régime, avait mis en ligne un graphe montrant le nombre de cadres corrompus punis chaque année. Les chiffres vont de 173 000 en 2012 à 621 000 en 2018 en passant par 485 000 pour les 10 premiers mois de 2019.

Persistance d’une corruption endémique.

Est-ce à dire que le fléau de la corruption est éradiqué ? Il est permis d’en douter.

Récemment courait dans la presse chinoise et les réseaux sociaux l’histoire compliquée mais édifiante, racontée par le WSJ, d’une officine de prêts d’argent, banque parallèle, tenue à Baotou, par un officier de police.

Conduites en marge de son travail de fonctionnaire de sécurité, ses affaires étaient concurrentes de celles d’un prêteur dénommé Wang Yongming. Quand ce dernier fut arrêté par la police qui l’accusait d’être à la tête d’un réseau d’usuriers, sa fille accusa le prêteur-policier d’avoir monté l’affaire de toutes pièces.

Selon elle, assignant en justice son père, le policier véreux voulait lui extorquer l’argent qu’un débiteur indélicat, ayant emprunté aux deux officines, refusait de rembourser au policier. Les avocats de Wang accusèrent la police de Baotou d’avoir fabriqué des preuves et refusé sa mise en liberté alors, que souffrant de diabète, Wang avait subi une greffe de rein et l’amputation d’une jambe.

L’affaire est entrée en ébullition sur WeChat quand les avocats de Wang dévoilèrent à la fois la prévarication de la police et la corruption d’un des procureurs qui demanda un pot de vin de 300 000 Yuan (43 000 $) aux enfants de Wang pour statuer en faveur de leur père. Mais la mise à jour de la corruption du juge et la pression des réseaux sociaux n’eurent pas d’effet. Le magistrat indélicat ne fut pas récusé, le policier véreux ne fut pas inquiété et l’avocat de Wang écœuré, finit par jeter l’éponge.

La persistance du cancer de la corruption qui ronge les strates administratives du pays et, dans ce cas, la police et le système judiciaire, dernières cibles en date de Xi Jinping, pose la question d’un dysfonctionnement endémique du système politique chinois.

Causes endogènes de la corruption.

En septembre 2014, Qiao Cuixia, membre de l’Académie des Sciences Sociales du Shandong et ancienne de l’École du parti de la province, avait rendu publique une étude soulignant que la corruption endémique pouvait avoir des causes à la fois culturelles, sociologiques et politiques.

En substance le travail doutait de l’efficacité des campagnes de répression, quelle que soit leur violence, estimant qu’elles ne traitaient que les symptômes du mal et s’abstenait d’en considérer les causes profondes. Lire : Guerre contre la corruption : le Parti s’interroge sur lui-même.

On y lisait que le fonctionnement même de l’appareil qui isole souvent les cadres mutés loin de leur famille et les place sous la contrainte permanente des surenchères de l’efficacité et de la compétition entre collègues, poussant au mensonge, au camouflage, à l’autopromotion et à la recherche d’appuis dans la hiérarchie, étaient les vraies racines de la corruption.

Pour autant, l’article de QC soulignait que le rapport de l’Université du Shandong ne mentionnait pas la faille essentielle des campagnes anti-corruption, conduites non pas au nom du Droit, mais de la morale et de l’efficacité politique du Parti, pour préserver son magistère.

Développée entièrement à l’écart du système judiciaire chinois et pilotée de manière semi-opaque par une Commission étroitement contrôlée par le Comité Permanent, la campagne, disait Jean-Paul Yacine, pourrait être accusée d’être en réalité l’instrument d’une lutte de clans ou d’une épuration politique.

Nous y sommes.

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Lutte contre la corruption et épuration politique.

Grand ordonnateur de la mise aux normes de la police et de l’appareil judiciaire qu’il attaque d’autant plus facilement que les phénomènes de corruption n’ont, on le voit pas été éradiqués, Chen Yixin 陈 一 新, membre de la garde rapprochée de Xi Jinping et secrétaire général de la Commission des Affaires légales du parti avait, le 8 juillet dernier, lors d’une réunion du parti, dévoilé qu’à côté de la lutte contre la corruption, l’objectif essentiel était d’éliminer les moutons noirs, 清除害群之马 et de surveiller les membres du parti à double face 两面人 déloyaux et malhonnêtes envers le parti, 清查对党不忠诚不老实的 人.

Voir la liste des fidèles lieutenants du président : 19e Congrès. Les hommes du président en route pour 2022. 2e Partie : La garde rapprochée et les fidèles des provinces.

Le schéma se rapproche clairement de celui des purges politiques de l’époque maoïste. Dans toute la Chine, policiers, juges, procureurs et personnels de l’administration pénitentiaire sont invités à étudier les pensées de Xi Jinping et le modèle de la campagne « d’éducation et de rectification » qui, depuis Yan’an, avait permis à Mao de contrôler l’appareil.

Alors qu’à l’extérieur, ce dernier est confronté aux défis des pressions américaines et des attaques groupées de l’Occident après la normalisation de Hong Kong, la campagne est pilotée par le Ministère de la sécurité d’État, bastion, avec l’armée, du pouvoir du Parti.

Une justice impitoyable à la main de Xi Jinping.

Supervisée par Chen Yixin, le but de la campagne, défini par Xi Jinping lui-même, selon une formule que le n°1 emprunte à Mao, est de renforcer « le manche du couteau du Parti » contre les abus, la corruption et les manquements à la loyauté.

En ligne de mire, le prochain congrès du Parti en 2022, où, pour la première fois depuis la disparition de Deng Xiaoping en 1997, le Parti sera invité à introniser Xi Jinping pour un troisième mandat de cinq ans.

La purge commencée en juillet a frappé sans perdre de temps après la première réunion en avril d’un nouveau « petit groupe dirigeant » voué à la « coordination sécurité/ développement » présidée par Guo Shengkun 郭声琨, membre du Comité Central et du bureau politique.

Dès la première semaine, 21 policiers et magistrats de haut rang ont été arrêtés. La plus grande cible touchée à ce jour a été le chef de la police et vice-maire de Shanghai Gong Daoan 龚道安.

La campagne devrait durer jusqu’en 2022, avec l’intention affichée d’assainir le système judiciaire et répressif du pays que Xi Jinping veut mettre complètement à sa main. Le but : tenir à distance toute contestation interne avant son troisième mandat et mettre l’appareil en mesure de réagir sans faiblir à des troubles sociaux.

L’épisode signale aussi la montée au premier plan de Chen Yixin qui récemment a été en charge de plusieurs sujets sensibles.

Chen Yixin, fidèle et brutal.

En février, en pleine secousse épidémique, Xi avait envoyé Chen Yixin à Wuhan au moment où la ville et son système de santé paraissaient sur le point de perdre pied.

Depuis juillet dernier, on ne peut qu’être frappé par la brutalité du langage de l’homme qui est aussi à la tête du « Bureau National de pilotage de l’éducation et de la rectification 全国政法队伍教育整顿试点办公室 ».

Dans son discours du 8 juillet, il a mentionné deux fois les campagnes maoïstes de Yan’an (1942 – 1944), modèles pour la « rectification » en cours. Après quoi il s’est livré à une violente diatribe contre les membre de la police et le système judiciaire.

« Les équipes en charge de l’appareil judiciaire et de la police sont impures, déloyales et faibles. Violant les lois et les règlements, elles ont sérieusement endommagé l’image du Parti et du gouvernement. En dépit des campagnes d’élimination des moutons noirs, la situation est encore préoccupante. (…) Il est donc temps de gratter jusqu’à l’os pour extirper complètement le poison et la tumeur, afin de purifier absolument le système politique et judiciaire pour le rendre absolument fiable. »

La radicalité du discours, les référence à la pureté absolue inquiètent d’autant plus que de telles invectives cette fois adressées aux cadres du Parti par un membre influent de l’appareil, sont habituellement réservées aux ennemis politiques. En lisant entre les lignes surgit l’impression que la direction du régime regrette le laxisme des magistrats.

Sur la lutte non seulement contre la corruption, mais aussi contre la facilité et l’affaiblissement, le discours enflammé de Chen avait en effet un puissant relent maoïste.

Pour le Grand Timonier dont la pensée est exposée dans les « Citations du Président Mao Tse-Toung (毛主席语录 - Mao Zhuxi Yulu), connu en français sous le nom de « Petit Livre rouge », « Tout citoyen chinois doit obéir scrupuleusement aux directives des autorités de sa commune, de son arrondissement, de son entreprise, de sa province et du Parti, afin de ne pas constituer un élément perturbateur et de ne pas être ainsi compté parmi les « nuisibles » ». (...)

Et encore : « Tout citoyen chinois doit se surveiller constamment lui-même, dépister ses mauvaises pensées risquant de le conduire à de mauvaises actions, et si nécessaire se dénoncer lui-même à la police politique ou au commissaire politique de sa brigade, de son lieu de résidence ou de son unité militaire, afin d’être rééduqué. Ne pas le faire serait une trahison envers le peuple, exposant aux plus sévères punitions. »

Venant après la crise épidémique, la campagne confirme que tout ne va pas pour le mieux au sein de l’appareil et que la tête du régime veut maintenir l’ordre par une répression inflexible et, a ajouté Chen, « en cultivant la peur ».

 

 

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