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La puissante menace régionale des missiles chinois

Le 26 août, la 2e artillerie a effectué une série de quatre tests de ses missiles balistiques DF-21D (portée 1400 km) et DF-26. D’une portée de 4000 km, pouvant atteindre Guam, ces derniers peuvent emporter une charge nucléaire et être équipés d’une « tête multiple ».

Depuis plusieurs années, les discours du régime appellent ces missiles des « tueurs de porte-avions ». Guidées par satellite, ces armes qui ne sont pas nouvelles, équipent la 2e artillerie depuis 2010 et 2016. Montées sur châssis mobile, elles sont régulièrement présentées aux défilés du 1er octobre sur Chang’an.

Régulièrement, le « Global Times » qui cite des experts militaires chinois, rappelle que les missiles sont « les premiers au monde capables, après une trajectoire balistique, de frapper avec précision des navires de moyen et gros tonnage en mouvement ».

Les tests dont la presse internationale fait état, n’ont cependant pas été officiellement confirmés par le ministère de la défense, alors que le 27 août Wu Qian, son porte-parole, a fait une communication sur des exercices de l’APL, entre Qingdao et les Spratlys, vaste zone de près de 1600 nautiques de long, allant de la mer de l’Est au cœur de la mer de Chine du sud (correspondant à la distance entre Lille et Tamanrasset), vaste espace s’étendant au nord de Taïwan jusqu’au golfe de Bohai et au sud jusqu’aux confins méridionaux de la mer de Chine, que Pékin considère comme ses eaux territoriales.

En l’absence de précisions chinoises, les informations plus détaillées viennent du premier acteur concerné, le Pentagone dont les navires de combat, notamment les porte-avions que Pékin considère comme des intrus illégitimes, sont les cibles potentielles des « missiles tueurs. »

Le 26 août, peu après les tirs, un responsable militaire américain a donné les points d’impact approximatifs : entre les côtes sud de Hainan et l’archipel des Paracel, soit un quadrilatère orienté nord-sud de 160 nautiques de long sur 100 de large.

En même temps, il estimait que les tirs du 26 août étaient « la dernière manifestation de Pékin en date pour affirmer ses revendications maritimes illégales ». La formulation qui souligne le caractère illicite des réclamations chinoises est importante.

Elle s’inscrit en effet dans la nouvelle fermeté de Washington qui, depuis la déclaration du Secrétaire d’État du 13 juillet dernier, abandonne sa neutralité sur les revendications maritimes de Pékin et réfute désormais leur validité. Ce qui aligne formellement les États-Unis sur la position des riverains.

Modifiant clairement l’arrière-plan stratégique de la situation dans la zone, la nouvelle position américaine renforce en retour la détermination de Pékin à exclure l’US Navy de cette région du Pacifique Ouest.

C’est par le prisme de ce contexte où Pékin conteste la légitimité de la présence militaire américaine à ses portes et en mer de Chine du sud, tandis que Washington réfute désormais légalement les réclamations de Pékin, qu’il convient d’examiner la série de tests missiles du 26 août.

La mer de Chine du sud, nouvel enjeu des sanctions.

Washington ne s’est pas contenté d’une déclaration.

Aussitôt après les tests, agitant un chiffon rouge sous le nez de Pékin, le ministère du commerce a imposé des sanctions à 24 groupes publics chinois – notamment plusieurs filiales de la société géante de Communication et de construction 中国交通建设 (120 000 employés), maître d’œuvre de l’aménagement du territoire - pour « avoir participé à l’élargissement artificiel des îlots et à leur militarisation », dont l’arbitrage de la Cour de La Haye du 12 juillet 2016 avait formellement jugé qu’ils violaient la Convention sur le droit de la mer.

Le groupe et ses filiales où, à côté de la SASAC qui détient 64% du capital, on compte la participation des gestionnaires de fonds Merril Lynch, BlackRock et JP Morgan, est ajouté par le Département du commerce à la liste des sociétés auxquelles la vente d’équipements de haute technologie américaines est, quel que soit le vendeur, soumise à une autorisation fédérale.

En même temps, le Département d’État prévoyait de restreindre les visas d’abord aux officiels chinois et à leurs familles « responsables ou complices » de l’élargissement ou/et de la militarisation des îlots contestés, ensuite aux officiels responsables de pressions contre les riverains visant à réduire leur accès aux ressources de leur propre ZEE.

Le 27 août le porte-parole du Waijiaobu Zhao Lijian, réfutait les sanctions qu’il a qualifiées de « violation flagrante du droit international », rappelant que les travaux d’élargissement effectués « sur le territoire national chinois en toute souveraineté » étaient, de son point de vue, « conformes à la loi et raisonnables ».

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Crispations nationalistes et gesticulation militaires.

Suggérant, au moins en apparence, une prochaine escalade des tensions, le 27 août, s’adressant d’abord à une audience interne, un éditorial du Global Times, appelait Pékin à « augmenter ses actions en mer de Chine du sud pour, dit l’auteur, mettre fin à l’arrogance de Washington et lui faire comprendre que, si nécessaire, la Chine ne craindrait pas d’entrer en guerre ».

Depuis quelques mois, le Pentagone accentue lui aussi sa présence et ses activités dans la zone, transitant au moins une fois par mois dans le détroit de Taïwan et répétant régulièrement ses missions dites de « liberté de navigation » dans les eaux adjacentes aux ilots élargis de la mer de Chine du sud. Lire : Dialogue de sourds à Singapour.

Le 27 août, le lendemain des tests balistiques, l’Amiral Scott commandant la 3e flotte basée à San Diego, expliquait que les 38 navires de combat et leurs soutiens sous ses ordres continueraient à transiter dans les eaux internationales de la « Zone indo-pacifique » y compris en mer de Chine du sud pour « affirmer la détermination des États-Unis à défendre la liberté de navigation partout où la loi le permet et rassurer leurs alliés ».

Le mois dernier, les porte-avions Nimitz et Ronald Reagan ont conduit des manœuvres en mer de Chine du sud, les premières de ce niveau depuis six ans. Enfin les 25 et 26 août, deux avions de reconnaissance américains ont pénétré dans des zones d’exclusion aérienne au-dessus d’exercices à tir réel de l’APL.

Le premier au nord était un avion espion U2 ayant survolé le golfe de Bohai et la mer jaune où la marine chinoise conduisait des exercices avec ouverture du feu ; le deuxième au sud, était un avion de reconnaissance Boeing RC-135S de la marine.

Entré dans l’espace aérien interdit à partir du détroit de Bashi entre le sud de Taïwan et l’archipel philippin (large de 200 nautiques) il a volé vers les Paracel, puis est ressorti par la même route.

Aux protestations de Pékin qui mettait en garde contre les risques que la défense aérienne chinoise abatte les intrus, le commandement américain de la zone Pacifique a répondu que les vols de reconnaissance obéissaient aux règles internationales de circulation aérienne en vigueur.

Missiles chinois. Permanence du concept, élargissement de la menace.

La dernière fois que la Chine avait tiré de manière si ostentatoire ses missiles balistiques dont il faut rappeler qu’ils sont l’instrument essentiel de la menace exercée par Pékin sur l’Île de Taïwan pour la dissuader de déclarer l’indépendance, date d’il y a un quart de siècle, lors de la crise avec Taïwan en 1995 et 1996. Il s’agissait de missiles DF-15 ou M9 de 700 km, envoyés depuis des pas de tirs situés au nord de la province de Canton.

A cette époque, limitée au Détroit, la démonstration de force était, du 21 au 26 juillet 1995, une réaction de Pékin au voyage aux États-Unis du Président Lee Teng-hui qui prononça un discours sur la démocratie à l’Université Cornell où il avait étudié dans les années 60.

Du 8 au 15 mars 1996, Pékin, qui tira ses missiles au nord et au sud de l’Île, exprimant une nervosité systémique, réagissait à l’élection du Président Lee Teng-hui au suffrage universel. Peu avant, le bureau Politique avait mis en garde que l’élection à la présidence de Lee Teng-hui signifierait la guerre.

Mais la précision des missiles inertes était aléatoire. L’un d’entre eux avait même été perdu, probablement après l’occultation momentanée par le Pentagone du système de guidage GPS.

En riposte, la Maison Blanche de Clinton avait ordonné le déploiement de deux groupes aéronavals autour des porte-avions Independance et Nimitz. En mars 1996, ce dernier transita dans le Détroit de Taïwan accompagné du bâtiment d’assaut de débarquement Belleau Wood.

*

Cette fois, les missiles DF-21 et DF-26, guidés par le système Beidou et les satellites Yaogan 遥感- télédétection - [1] protégés d’une interférence américaine, sont plus fiables [2], leur portée bien plus longue leur confère une meilleure souplesse d’emploi et, même si leur précision est, en dépit des affirmations chinoises, mal connue, il n’en reste pas moins que la portée des DF-26 couvre la totalité de la mer de Chine.

Cette réalité confère à la dernière série de tests une valeur stratégique régionale. Dans le doute concernant la capacité exacte du système d’armes, elle oblige le Pentagone à reconsidérer l’ensemble de sa posture aéronavale.

Le concept du porte-avions en question.

Le débat n’est pas nouveau. En 2015, la RAND Corporation avait publié une recherche intitulée « Chinese Threats to U.S. Surface Ships – Menaces chinoises contre les bâtiments de surface américains ».

En substance, la réflexion prenait acte de la menace des missiles pouvant aller jusqu’à 2000 km des côtes chinoises (à l’époque, le rapport ne tenait pas compte des DF-26 pouvant atteindre Guam.) et reconnaissait la nécessité d’accepter des risques opérationnels nouveaux.

La solution d’atténuer les risques en augmentant la distance par rapport aux côtes chinoises créerait cependant une lourdeur logistique et opérationnelle liée à l’augmentation des besoins en carburant pour les aéronefs des porte-avions. Les autres réactions suggérées tenaient à l’amélioration des capacités de détection et de riposte anti-missiles et anti-sous-marine.

Enfin, le rapport évoquait clairement la nécessité d’imaginer d’autres systèmes de forces, moins vulnérables que les porte-avions et plus souples d’emploi.

Au milieu de rivalités entre les partisans des porte-avions et les tenants d’une rupture avec le vieux concept aéronaval datant de la guerre du Pacifique, nombre d’idées surgissent dont l’adoption d’un arsenal de missiles hypersoniques à longue portée, la création d’une flotte de drones armés à long rayon d’action autour d’une marine dotée de navires de combat au tonnage réduit, plus nombreux, plus rapides et moins vulnérables.

Au-dessus de ce débat sur les armes les plus efficaces et l’adoption d’un nouveau concept d’emploi plane cependant toujours l’exigence vitale du contrôle des risques d’escalade face à un adversaire dont la profondeur stratégique et les capacités de riposte sont considérables.

Note(s) :

[1Voir notre article sur les progrès chinois dans le domaine du positionnement spatial : « Beidou » le GPS chinois devient « global ». Dans la panoplie des réseaux satellites chinois les « Yaogan », officiellement satellites d’observation destinés notamment à l’évaluation agricole, à la planification urbaine et à la prévention des désastres météo, sont en réalité aussi des éléments essentiels de la reconnaissance et du renseignement militaire chinois.

Certains sont équipés d’instruments optiques et de système de détection de signaux électromagnétiques. Depuis 2006, plus d’une trentaine de « Yaogan » ont été lancés. Opérant en constellation de plusieurs satellites capables de croiser les données de détection, leur mission de positionnement précise de bâtiments militaires en mouvement est probable.

[2L’estimation de la meilleure précision des missiles est confirmée par un expert du Pentagone ayant constaté que la marine chinoise n’avait pas fait évacuer ses bâtiments de la zone de réceptacle entre Hainan et les Paracels. En revanche, compte tenu des progrès des systèmes de brouillage et de la défense aérienne de l’US Navy, leur capacité à détruire un porte-avions en mouvement reste à démontrer. Il n’en reste pas moins que le doute qui devient un risque, oblige le Pentagone à reconsidérer sa stratégie aéronavale.

 

 

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