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›› Chine - monde

Wang Yi et Yang Jiechi en quête de rédemption diplomatique en Europe

Du 25 août au 1er septembre, Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères – dont il faut rappeler qu’il ne fait pas partie de la haute direction du régime (voir l’annexe 1) - a effectué une tournée en Europe qui l’a conduit à Rome, à La Haye, à Oslo, à Paris et à Berlin. La mission du ministre en Europe a été complétée par une visite éclair de Yang Jiechi en Espagne et en Grèce.

Évitant Bruxelles, il a aussi fait l’impasse sur le Royaume Uni, l’Autriche, la République Tchèque, la Pologne et le Danemark qui tous ont rejeté les pressions chinoises cherchant à favoriser l’adoption des infrastructures 5G de Huawei.

Avec Londres et Prague les contentieux sont encore plus enflammés, puisque le premier abrite l’activiste de Hong Kong Nathan Law (lire : Hong Kong, symbole incandescent de la souveraineté chinoise.) tandis la visite à Taipei de parlementaires tchèques a embrasé la scène politique chinoise.

Paris qui pourtant a tenté de concilier ses intérêts en Chine en réservant à Wang Yi un entretien avec le Président Macron au milieu des bonnes paroles sur « la longue amitié » franco-chinoise et des appels du pied du porte-parole Zhao Lijian soudain plus conciliant, n’a pas été épargné par la mauvaise humeur de Pékin. Le 25 août, moins d’une semaine avant l’arrivée du ministre chinois, le Waijiaobu a en effet mis en garde la France après l’ouverture d’un nouveau bureau de représentation de Taipei.

Première sortie diplomatique officielle du ministre depuis la pandémie, la tournée avait pour but de réparer les dégâts infligés à la relation sino-européenne par la crise épidémique (lire : L’horizon de la Chine se brouille.), les menaces répétées de Pékin pour imposer l’adoption des infrastructures 5G du groupe Huawei, les critiques unanimes en Occident de la politique chinoise au Xinjiang et les crispations nées du brutal durcissement de Pékin à Hong Kong où Pékin, inquiet de la montée d’un sentiment de rupture avec le Continent, a mis fin à l’arrangement « Un pays deux systèmes ».

C’est peu dire que le vent a tourné. Le temps où Pékin pouvait imaginer l’Europe en contrepoids des États-Unis par le biais d’un « partenariat stratégique » à la substance hésitante est terminé. « Un fiasco » dit Richard Arzt correspondant à Pékin du site Slate soulignant que, partout, l’accueil a été « neutre ». Dans le JDD du 30 août, François Clemenceau évoquait une « visite ratée ».

Si Pékin pourra éviter le découplage économique et commercial avec l’Europe, tant les relations sont imbriquées, il faudra en effet plus d’efforts chinois que « la séduction diplomatique » tentée dans seulement cinq pays, pour laquelle Wang Yi diplomate nationaliste à la raideur sèche est d’ailleurs assez peu doué, pour réparer les dommages que l’agressivité de Pékin a infligés à la relation Chine - Europe et encore plus pour convaincre les Européens de se rapprocher de Pékin contre Washington.

Si Paris a ménagé Wang Yi, les autres étapes furent difficiles. En France, quatrième et avant-dernière étape de la tournée avant Berlin, Emmanuel Macron, a choisi « la manière douce ».

A l’exception d’un communiqué de l’Élysée donné en marge de la rencontre à Reuters évoquant la situation au Xinjiang et à Hong Kong, Wang Yi a été protégé de l’épreuve d’une conférence de presse conjointe face à des médias semi-hostiles ; Paris et Pékin se sont aussi épargnés la difficile synthèse d’un communiqué de presse commun, tandis que la partie française évitait les références à Huawei et à la 5G (annexe 2)

Ailleurs, en revanche, Wang Yi a assez souvent été à la peine.

A Rome, première étape de la tournée pourtant partenaire privilégié et premier pays du G7 à participer aux « nouvelles routes de la soie », l’accueil fut moins aimable que prévu.

Pas de rencontre avec le Premier Ministre Giuseppe Conte – seulement un échange téléphonique – et un dialogue avec le MAE Luigi di Maio où les sujets sensibles ont été abordés publiquement.

Ayant rappelé la participation de Rome aux Nouvelles Routes de la soie - l’Italie dont les infrastructures de transport sont délabrées, compte sur les financements chinois – le Premier Ministre a signé deux accords commerciaux pour la coopération avec SNAM (transporteur de gaz et unique opérateur italien de liquéfaction) et l’exportation de produits italiens vers le marché chinois.

Le partenariat stratégique en question.

Mais, si les relations économiques et commerciales sont logiquement préservées, la tentative de rééquilibrage stratégique n’a pas fonctionné. Le ministre italien a en effet fermement rappelé l’attachement de Rome à l’Alliance atlantique et à la relation avec Washington.

En juin dernier, Di Maio avait déjà indiqué que si la Chine était un partenaire commercial, les États-Unis étaient un allié de longue date dont les Italiens partageaient les valeurs. Au moment même de l’entretien, sur la place della Farnesina, face au Ministère, la réalité de l’actualité de Hong Kong s’est imposée à Wang Yi.

Alors que le régime chinois tient l’opinion publique de la R.A.S et les scrutins pour quantités négligeables et qu’au cours de sa tournée Wang Yi n’a jamais évoqué les contradictions historiques, politiques et humaines de la R.A.S autrement que par l’angle de la sécurité nationale d’une affaire strictement intérieure, hors des limites d’un échange diplomatique, un groupe de manifestants guidé par l’activiste Nathan Law spécialement venu de Londres brandissait des pancartes de soutien aux Hongkongais.

Peu avant la rencontre entre Wang Yi et Di Maio, s’adressant à la presse et à des représentants du ministère italien des Affaires étrangères, il a, reprenant la rhétorique de Mike Pompeo, tiré à boulets rouge sur le régime chinois.

Exhortant les Européens à faire cause commune contre Pékin, il a suggéré d’imiter Washington et de sanctionner les officiels chinois responsables des violations des droits au Xinjiang et à Hong Kong.

Lors de la conférence de presse commune, Di Maio a répété la nécessité de protéger la complète autonomie politique de la R.A.S, à quoi Wang Yi a, sans surprise, répondu qu’il s’agissait d’une affaire se sécurité intérieure dont les étrangers n’avaient pas à se mêler.

Comme pour toutes les fois où les échanges ont exprimé des tensions et tourné à l’aigre, les médias officiels chinois ont soigneusement occulté l’épisode.

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Aux Pays-Bas, changement de sujet. Les droits de l’homme n’avaient pas disparu, mais l’attention s’est portée sur le dogme du libre commerce dont La Haye est pourtant le champion, mais à qui la Chine reproche d’avoir récemment plusieurs fois enfreint les règles.

Au cœur d’une première controverse, le blocage en 2019 sous la pression de Washington d’une vente à la Chine par le néerlandais ASML, d’une machine de photolithographie utilisée dans la fabrication de microprocesseurs, enjeux de la rivalité technologique sino-américaine.

Lire nos article : Huawei sévèrement touché, mais pas coulé. La guerre sera longue et difficile et La guerre mondiale des semi-conducteurs.
Une deuxième tension est surgie en juin dernier quand le gouvernement néerlandais a, in-extremis, injecté 35 millions d’€ dans le capital de la jeune société Smart Photonics fabricant des circuits intégrés de nouvelle génération pour l’empêcher de tomber aux mains d’investisseurs singapouriens, japonais et chinois. A l’époque, l’épisode avait provoqué une réaction courroucée de l’Ambassadeur de Chine Xu Hong, menaçant des conséquences sur les relations bilatérales, qui n’avait cependant pas eu d’effet.

Lors de sa rencontre avec le premier ministre Mark Rutte, Wang Yi, baissant cependant la rhétorique d’un ton, se contenta d’appeler les Pays Bas à, conformément à sa propre tradition historique, donner l’exemple des règles du commerce multilatéral et de la libre concurrence.

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En Norvège Hong Kong, Nobel et menaces de représailles.

A Oslo, l’étape suivante, le ministre a repris un ton polémique, mettant en doute l’origine chinoise du virus arguant que si Pékin avait été le premier à signaler la maladie rien ne prouvait son origine chinoise. « Nombre de rapports ont signalé le virus ailleurs qu’en Chine, peut-être même avant ».

Surtout, le 28 août, il exprima avec véhémence la nervosité offusquée de l’appareil quand, répondant à une question provocante sur l’éventualité de l’attribution du prix Nobel à un activiste de Hong Kong, il a mis en garde contre « la politisation du prix Nobel et les interférences dans les affaires intérieures chinoises. »

L’incident est l’occasion d’un retour en arrière sur la stratégie chinoise de la force et ses limites.

En Norvège, chacun garde le souvenir des représailles exercées par Pékin après l’attribution en 2010 du prix Nobel à l’activiste dissident Liu Xiaobo. Alors en prison pour « incitation à la subversion de l’État » où il resta jusqu’à sa mort en 2017, Liu payait le prix des sévères critiques politiques adressées au régime dont l’essentiel avait été relayé par Voice of America. Lir : La force du symbole de Liu Xiaobo et la crainte des influences occidentales.

Mais Pékin ne se contenta pas de « punir » Liu Xiaobo. Très vite le régime, ignorant la liberté académique du Comité Nobel, dirigea sa vindicte contre Oslo.

Après les menaces officielles exprimées avant même le choix du Comité dont Pékin qui sanctionne le gouvernement, ne reconnaît pas l’indépendance académique, des restrictions drastiques aux relations commerciales, culturelles, touristiques et politiques furent brutalement appliquées. Celles-ci qui gelèrent la relation au point que tous les contacts politiques furent coupés, restèrent en place sans faiblir jusqu’à ce qu’Oslo « rectifie sa position ».

Ce n’est qu’en 2016, après six années de gel et, suite à des gestes accommodants du gouvernement d’Erna Solberg, que la relation commença à se normaliser. Soucieux de préserver l’indépendance de l’institution, le gouvernement ne s’excusa pas pour l’attribution du prix Nobel, comme l’exigeait Pékin. Mais il fit le geste de refuser de recevoir les Dalai Lama.

C’était une première dans l’histoire de la Norvège. Madame Solberg, très critiquée par l’opposition, expliqua que c’était le prix à payer pour que la relation avec la Chine sorte « du congélateur ». Un « sacrifice » selon elle « nécessaire pour signifier aux Chinois que, pour nous, le dialogue avec eux est important ».

L’exemple de cette relation heurtée entre Oslo et Pékin est un cas d’école qui mérite d’autant plus attention qu’il est un épisode chimiquement pur de la démocratie coercitive articulée aux rapports de forces que Pékin affectionne et met en œuvre à un rythme élevé depuis 2018.

Un récent rapport de l’Australian Strategic Policy Institute (ASPI), d’autant plus intéressé par le sujet que Canberra est engagé dans un intense rapport de forces avec Pékin (annexe 3), montre que depuis 2010, le régime a mis en œuvre cette stratégie de l’intimidation 152 fois contre 27 pays, avec une accélération notable depuis deux ans.

Nuance intéressante, les rédacteurs du document précisent aussi que les représailles sont à géométrie variable. Logiquement la Chine ne les exerce pas quand elles nuisent à ses intérêts commerciaux. Ainsi contre l’Australie, elle s’abstient de cibler le minerai de fer ou la laine.

Plus généralement, chacun constatera que la force des vendettas dépend de la dimension et de la puissance de la cible.

En dépit des très féroces offensives que Washington ne cesse de lancer contre Pékin et ses intérêts, la dernière en date ayant directement menacé la survie de Huawei (lire : Huawei sévèrement touché, mais pas coulé. La guerre sera longue et difficile.), les officiels chinois restent ouverts à des négociations commerciales avec les États-Unis, même s’il est évident qu’ils n’en maîtrisent pas le rythme imposé par la Maison Blanche.

A Berlin, colère et crispations.

La dernière étape de la tournée fut Berlin. Elle fut très riche d’enseignements sur l’évolution radicale de la relation avec Pékin depuis l’époque où, peu soucieuse de solidarité européenne, Angela Merkel faisait avec le concours de Wen Jiabao puis avec Li Keqiang la promotion en Chine des machines-outils et des voitures haut-de-gamme allemandes. Lire : Chine – Allemagne – Europe. Le grand malentendu.

Un premier signe que le temps allait très vite se gâter eut lieu en 2016, quand le 23 mai, à la veille d’un nouveau voyage d’Angela Merkel à Pékin, la Frankfurter Allgemeine Zeitung commentait en première page une photo d’archives de Xi Jinping marchant aux côtés de la Chancelière en soulignant que la « Chine imposait d’importantes restrictions commerciales quand les industriels chinois faisaient librement leur marché en Allemagne. »

Anticipant que, cette fois, le dialogue avec Pékin ne serait pas harmonieux l’article était publié alors qu’en juillet 2015, le Bundestag avait adopté de nouvelles règles augmentant les pouvoirs de l’exécutif pour fermer la porte aux investissements étrangers.

Ciblant en réalité Pékin, les freins visaient à faire cesser les prises de participation de capitaux chinois dans les entreprises allemandes fabriquant des machines-outils haut-de-gamme.

Lors du 11e voyage en Chine de la Chancelière en mai 2018 (lire : Sous la « tempête Trump », les illusions chinoises de la Chancelière.), apparut soudain par le truchement d’un article du Global Times du 25 mai, le piège que l’opportunisme de Pékin tendait à l’Allemagne, à l’unité de l’Europe et à la solidarité atlantique.

En contrepoint, de la brutalité du Président Américain, l’auteur naïf, n’ayant à l’évidence ni le recul de l’histoire ni la connaissance des complexités européennes, exhortait l’Allemagne à « transcender les barrières idéologiques et géopolitiques » et à se rapprocher de la Chine.

La conclusion, confondante d’aveuglement sinocentré, renvoyait à la conception du régime puissamment nationaliste des « caractéristiques chinoises » où le droit s’efface non seulement devant la prévalence culturelle, mais également sous la pression des rapports de forces.

Exhortant Berlin à oublier « les règles occidentales » de protection de la propriété intellectuelle ou celles de l’OMC articulées au respect par tous du libre marché, l’auteur suggérait tout bonnement qu’en échange de l’appui chinois contre la brutalité de Trump, l’Allemagne abandonnât ses méfiances à l’égard de ce que l’auteur appelle les « valeurs chinoises ».

Avec en tête cet arrière-plan qui dessine une classe politique chinoise à la fois imbue de la puissance du pays et fermée aux réalités complexes de l’Union et de sa relation avec les États-Unis, férocement arc-boutée aux dogmes de souveraineté en mer de Chine du sud et dans le détroit de Taïwan, persuadée de la pérennité de son système politique pourtant infirme du peu d’attention aux droits des individus et à l’indépendance de la justice, on ne s’étonnera pas que l’étape de Berlin fut l’occasion d’un des incidents les plus enflammés de la tournée de Wang Yi, sèchement « recadré » par le ministre des Affaires Heiko Maas.

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Taïwan sujet d’une réaction enflammée de Wang Yi.

Andreas Kluth, ayant la double nationalité allemande et américaine, qui fut correspondant à Berlin et à Pékin et ancien éditeur du Handelsblatt Global, écrit dans un article de Bloomberg que « les dissonnances du voyage n’étaient rien comparées à celles qui s’exprimèrent à l’étape de Berlin. »

En arrière-plan explosif des tensions, le voyage le 30 août dernier à Taïwan de la délégation de sénateurs tchèques conduite par le président du sénat Milos Vystrcil. (Voir le § « Riposte taïwanaise en République tchèque » de notre article A Taïwan, la pandémie éclaire la brutalité de Pékin du 16 avril dernier).

S’adressant à la presse allemande le 31 août dernier, Wang qui répondait à une question sur le sujet, sortit de ses gonds pour menacer vertement le président du Sénat tchèque dont « la trahison » dit-il « faisait de lui l’ennemi des 1,4 milliards de Chinois ».

La fulmination du ministre provoqua aussitôt une réponse aigre de son homologue allemand Heiko Maas qui, à propos des relations dans le détroit de Taïwan, avait récemment noté en substance qu’au XXIe siècle, quelles que soient l’histoire et les revendications, les menaces militaires n’avaient pas lieu d’être.

A la colère de Wang Yi, il répondit avec une froideur qui tranchait radicalement à la fois avec la fureur du ministre chinois et avec les anciennes émotions conviviales du couple A. Merkel – Li Keqiang.

En Europe dit-il où les États membres respectent leurs interlocuteurs étrangers et attendent la même considération en retour, les menaces n’avaient pas leur place. Il ajouta, accompagné par le soutien de ses collègues européens, que l’Union Européenne refusera de devenir un enjeu de la rivalité sino-américaine.

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Observant l’ensemble de la tournée, on constate qu’à l’évidence Wang Yi habitué à des discours européens plus accommodants, fut pris de court par la somme des résistances à la Chine exprimées, non seulement lors des dialogues officiels, mais également par des manifestations anti-chinoises sporadiques qui l’accompagnèrent à presque toutes ses étapes.

Enfin c’est peu dire que l’échauffement de Berlin exprima un contraste avec les habituels échanges sibyllins de la diplomatie traditionnelle. Depuis des lustres en effet nombre de pays européens ferment les yeux face aux manquements de la Chine aux droits des individus et au droit international ; Dans le même temps, la plupart ne protestent que mollement aux profits que les entreprises et investisseurs chinois tirent de l’ouverture du marché européen, alors que la Chine ferme toujours une partie de son marché (annexe 4).

Au fond, la mauvaise ambiance du voyage qui ne parvint ni à corriger les conséquences des agressivités chinoises depuis 2018, ni à désolidariser l’Europe des États-Unis, même si la plupart des Européens disent refuser de se laisser embarquer dans les tensions sino-américaines, est le résultat d’une accumulation.

Les points d’échauffement vont l’intransigeance nationaliste chinoise en mer de Chine du sud et dans le Détroit de Taïwan attisée par des démonstrations de force, à la férocité de son approche commerciale, en passant par la sévère mise au pas des Ouïghour au Xinjiang et des démocrates à Hong Kong.

La prochaine étape de la relation Chine – Europe était prévue le 14 septembre à Leipzig. Mais le sommet qui devait finaliser l’accord sur les investissements en discussion depuis 2014, a été annulé. Pire, au lieu de faciliter encore plus l’entrée des capitaux chinois, Bruxelles et les pays européens ont commencé à les freiner.

L’impossible rattrapage de Yang Jiechi.

Il est permis de douter que le voyage éclair de Yang Jiechi, envoyé en Espagne et en Grèce du 2 et au 4 septembre dans deux pays de l’Europe du sud plus ouverts à la Chine, puisse réparer une relation dont les tensions sont récemment apparues au grand jour.

Venant du Myanmar où il se trouvait le 1er septembre pour les mêmes raisons politiques visant à tenir à distance les contrefeux de l’ASEAN résistant aux pressions de Pékin, il a, à Madrid et Athènes développé un discours convenu sur les avantages du multilatéralisme.

Alors qu’en Europe les dialogues et les coopérations de Pékin avec les pays d’Europe Centrale et orientale (groupe de Visegrad, États balkaniques, Pays Baltes) dont onze sont membres de l’UE, parfois critiques de la rigidité budgétaire de la Commission, apparaissent clairement à Bruxelles comme une stratégie du cheval de Troie visant à diviser l’Europe, Yang a appelé au renforcement du partenariat stratégique Chine – Europe que les coups de boutoir de Pékin sur le flanc sud de l’Union ont cependant contribué à fragiliser.

Au demeurant, ceux qui suivent de près la carrière et de Yang Jiechi et ses déclarations, notamment les pays de l’Asie du Sud-est savent que sa vision des relations internationales est articulée aux rapports de puissance.

En juillet 2010, lors d’une réunion de l’ARF (ASEAN Regional Forum) à laquelle il assistait en sa qualité de ministre des Affaires étrangères, il manifesta sa colère contre les riverains qui s’opposaient aux réclamations de Pékin.

S’adressant à son homologue singapourien, il laissa échapper « La Chine est un grand pays ; les autres sont des petits pays, c’est un fait ». Lire : China’s Missteps in Southeast Asia : Less Charm, More Offensive.

Ian Storey, expert de l’Asie du sud-est, chercheur à l’institut Yusof Ishak de Singapour qui rapportait l’incident dans « China Brief » du 17 décembre 2010, notait que le message brutal envoyé par Yang avait ranimé l’inquiétude des riverains.

Tous s’interrogèrent sur la sincérité des discours chinois évoquant le « développement pacifique de la région ». Dix ans plus tard, l’inquiétude n’a pas disparu. Elle est au contraire devenue le ferment des raidissement anti-chinois dans la zone. Lire : En mer de Chine du sud, les limites de la flibuste impériale chinoise.

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ANNEXE.

1. Wang Yi 王毅, 67 ans est certes membre du Comité Central, mais il ne fait pas partie du Bureau Politique. Au-dessus de lui, la diplomatie chinoise est incarnée par Yang Jiechi 杨洁篪, 70 ans, membre du bureau politique, ancien ministre des affaires étrangères, diplômé de la London School of Economics, titulaire d’un Doctorat d’histoire de l’université de Nanjing, et ancien ambassadeur à Washington où - il passé 15 années de sa carrière de diplomate.

Après la tournée de Wang Yi, Yang Jiechi, a dans la foulée poursuivi l’offensive chinoise en Europe du sud en Grèce, en Espagne où l’image de la Chine est moins dégradée.

2. En marge des rencontres officielles avec le président français et J.Y. Le Drian, l’IFRI avait organisé une conférence au cours de laquelle le ministre a rappelé les contributions de la Chine au Monde et répété le discours chinois sur l’importance du multilatéralisme et la coopération internationale.

A une question de Thierry de Montbrial sur la manière d’éviter une nouvelle guerre froide, il a répondu en fustigeant l’unilatéralisme américain suggérant à mots à peine couverts que Washington cherchait à freiner le développement de la Chine. Pour lui, l’attitude auto-centrée de l’actuelle Maison Blanche adepte des sanctions – qui se place du mauvais côté de l’histoire - était « un jeu à somme nulle ».

Regrettant au passage que les dossiers français en Chine – notamment l’usine de retraitement des déchets nucléaires - avançaient lentement, J.P. Raffarin lui a demandé si, pour favoriser l’accord sino-européen sur les investissements, Pékin serait prêt à faire un geste pour affirmer que l’Europe faisait partie de la vision stratégique chinoise.

A cette question Wang Yi n’a pas répondu clairement, se contentant de rappeler que l’Europe et Pékin avait intérêt à œuvrer en commun pour défendre le multilatéralisme. Contrairement à ce que clame Wang Yi, dans l’état actuel de la relation Chine - Europe, il est peu probable que l’accord sur les investissements en négociation depuis 2014 soit signé d’ici la fin de l’année. Dans nombre de pays européens, la tendance est au contraire de freiner l’entrée des capitaux chinois.

A Nathalie Loiseau qui l’interrogeait sur les centrales à charbon des nouvelles routes de la soie contredisant les promesses chinoises de la COP 21, et sur la politique répressive de la Chine au Xinjiang et à Hong Kong, Il a répondu en citant notamment des chiffres sur la modification progressive du mix énergétique chinois pour moins de charbon, dans un contexte responsable de développement « durable et d’énergie verte ».

S’agissant de la répression des Ouïghour au Xinjiang et des activistes démocrates à Hong-Hong, il a accusé les détracteurs de la Chine de malveillance. Après avoir rappelé les enjeux de sécurité sous la responsabilité du gouvernement central et l’amélioration de la stabilité et de la sécurité dans le Grand Ouest et dans la R.A.S, il a cité une enquête de Harvard mesurant plus de 80% de soutien de la population chinoise au parti communiste chinois.

A la question de Louis Schweitzer, ancien président du groupe Renault, sur les relations de la Chine avec l’Inde et le Japon, Wang Yi n’a, sans surprise, répondu qu’en se référant aux bonnes intentions de la Chine, sans jamais aborder les contradictions à l’œuvre dans ses relations de voisinage toujours très tendues.

Thierry de Montbrial a, pour terminer la conférence, posé une question sur la Corée du Nord, à laquelle le ministre a répondu en répétant la position chinoise. La solution réside dans la capacité de Washington et de Pyongyang à trouver une feuille de route. Celle-ci résidait non pas dans les sanctions, mais dans la négociation pour une dénucléarisation menée en même temps que des pourparlers pour un traité de paix.

3. Fin août, arrestation arbitraire, de la journaliste sino-australienne Cheng Lei qui travaillait pour CGTN, accusations réciproques d’espionnage, mise au ban de Huawei qui, en riposte, a cessé son appui financier au club de rugby à XIII Canberra Raiders, menaces fiscales et légales sur les exportations en Chine de vin, d’orge et de bœuf australiens, à la mi-juin, condamnation à mort de l’Australien Karl Gilepsie arrêté en 2013 à l’aéroport de Canton pour trafic de 7,5 kg de méthamphétamine.

4. En dépit des régulières mises-jour des secteurs autorisant les investissements étrangers – la dernière date du 28 juillet, notamment dans les secteurs de l’automobile, de la finance, le transport ferroviaire et maritime, l’énergie – des pans entiers de l’économie restent fermées comme l’agriculture, les médias et l’internet, tandis que subsistent des freins administratifs, le favoritisme au profit ses sociétés chinoises et les tracasseries des bureaucraties.

 

 

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