Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Technologies - Energie

L’énergie de fusion et la préservation de la biodiversité. En attendant Kunming 2021

Le 25 septembre, le magazine Caixin a fait le point de la participation de la Chine au projet ITER, acronyme anglais de “International Thermonuclear Experimental Reactor“ après le lancement de l’opération d’assemblage du réacteur, le 28 juillet dernier en présence du Président de la République. Le message du chef de l’État français avait un parfum de rêve.

Malgré leurs dissensions, les grands pays de la planète travaillent ensemble pour donner à l’humanité une énergie non carbonée, inépuisable et sans déchets.

« Il vise », a dit Emmanuel Macron, « à étendre à toutes les zones du globe la possibilité de répondre à leurs besoins d’énergie, de relever le défi climatique et de préserver les ressources naturelles (…) » Redonnant à la filière nucléaire des lettres de noblesse qu’elle est en train de perdre, il a ajouté, « qu’avec la fusion, le nucléaire pouvait être, plus qu’il ne l’est déjà, une filière d’avenir » (…)

Le rêve propre d’énergie illimitée.

C’est peu dire que la conclusion du Président Macron a éveillé dans l’appareil chinois une résonance en prise directe avec le « rêve chinois » de Xi Jinping.

« ITER, qui en Latin, signifie “le chemin“, renoue avec l’esprit de découverte et d’ambition a dit le Chef de l’État ».

Portant l’idée que, « grâce à la science, demain peut être meilleur qu’hier (…), le projet est précisément un acte de confiance dans l’avenir. » (Voir le rappel du projet en Annexe). Lire : Une énergie inépuisable, non polluante, décarbonée et sûre ? C’est le projet ITER.

D’emblée, l’article de Caixin précise que si le projet international a pris du retard, la China a, quant à elle, toujours honoré ses engagements fournissant en temps et en heure les équipements dont elle avait la charge à hauteur de 9% des 18 Mds d’€ du coût total de la construction, dont 45% sont assurés par l’UE.

Mais, abandonnant le terrain de la technique, l’article glisse rapidement vers les rapports de force politiques, affirmant que les plus gros obstacles ne sont pas techniques - 技术上的困境其实不是最大障碍, - mais « l’anti-mondialisation » 逆全球化- prônée par l’actuelle administration américaine.

Du coup, Caixin affirme que la poursuite même du projet est en question 如何把ITER项目继续执行下去, 是项目面临的一大问题.

*

Vient ensuite un long développement technique rappelant la différence entre la fission et la fusion dans la production de l’énergie nucléaire. Si les deux sont des réactions libérant de l’énergie essentiellement sous forme chaleur, la fusion fonctionne non par la fracture de noyaux lourds d’Uranium 235 ou de Plutonium 239 « cassés » par la projection de neutrons, mais par la réunion de 2 noyaux légers isotopes de l’hydrogène [1] tels que le deutérium et le tritium, n’ayant, comme l’hydrogène qu’un seul proton, mais avec des nombres de neutrons différents.

La fusion provoquée des noyaux les stabilise en libérant une très grande quantité d’énergie, base du rayonnement des étoiles et du soleil que le projet ITER tente de reproduire après la phase de recherche des réacteurs Tokamaks [2]. Depuis plusieurs décennies, ces derniers explorent la possibilité de produire de l’électricité industrielle par la fusion opérée sous l’effet de températures de 150 millions de degrés Celsius.

La suite de l’article décrit les péripéties compliquées ayant conduit à l’accord de 2006. La description est assortie d’un plaidoyer expliquant les avantages et les qualités de la participation chinoise au projet, comme s’il le défendait contre des oppositions internes.

++++

La fusion « aux caractéristiques chinoises. »

La dernière partie de l’article annonce clairement l’ambition de Pékin de préparer la construction de son propre réacteur de fusion nucléaire en Chine. 中国参与ITER计划的最终目的, 是为建成自己的核聚变反应堆做准备. L’annonce fait suite à l’historique des recherches chinoises sur la question, commencées, disent les auteurs, dans les années 50 – 60.

Au point que selon Caixin, la Chine se classerait - claire allusion au discours international de Pékin que Xi Jinping a encore répété à l’ONU -, au « premier rang des pays en développement » 居发展中国家之首 pour la mise en œuvre de cette technologie. »

Reprenant le slogan politique de la « spécificité » chinoise, le journal ajoute que, concernant la fusion 核聚变, la conception des équipements, leur construction 工程技术 et l’expérience 实验方面 de la physique des plasmas 等离子体, la recherche chinoise et ses applications avaient leurs « propres caractéristiques 有自己的特色. » (...)

« Dans les années 1990, la Chine a commencé à développer des tokamaks de tailles diverses. A cet effet, elle a successivement construit les tokamaks supraconducteurs HT-7 et HL-2A. Dès 2006, elle a construit le “tokamak-EAST“ (pour Experimental Advanced Superconducting tokamak, en Chinois 先进实验超导托卡马克实验装置) non circulaire qui fut le premier tokamak entièrement supraconducteur au monde. »

« Avec le tokamak HL-2M », dit Laurent Sacco dans un article de Futura Sciences du 21 décembre 2019, « la Chine entend bien apporter sa nouvelle pierre au projet ITER en atteignant une température 200 millions de degrés. »

Laurent Sacco rappelle cependant « le tomakak Fusion Test Reactor (TFTR) de l’Université de Princeton dans le New Jersey, avait déjà atteint une température de 510 millions de degrés en 1995, un record du monde qu’il détient toujours ».

Par ailleurs, en 2003, autre record, le tokamak français du CEA avait obtenu un plasma [3] stable pendant six minutes et-demie.

Mis au point et construit par l’Institut de Physique du Sud-ouest de Chengdu, partie de la China National Nuclear Corporation, le réacteur à fusion HL-2M, faisant suite au HL-2A, pour lequel la Chine a investi près d’un milliard de $, est l’un des trois tomakaks nationaux en activité en Chine.

Les deux autres sont le « tokamak-EAST » de l’Institut de sciences physiques de Hefei cité plus haut et le « J-TEXT » - Joint Texas Experimental tokamak – issu d’une coopération de recherche sino-américaine implantée dans l’Université des sciences et technologies de Huazhong (HUST à Wuhan.

En 2017 la Chine avait débuté la conception technique du CFETR (China Fusion Engineering Testing Reactor) dont la puissance devrait atteindre 1 GW avec l’objectif, disent les Chinois, d’assurer la transition entre la phase ITER et le projet DEMO (Demonstration Power Plant).

Ce dernier vise à démontrer qu’il est possible de produire de l’électricité à la manière d’une centrale électrique traditionnelle, en utilisant l’énergie générée par des réactions de fusion nucléaire se produisant au cœur d’un plasma porté à haute température (plusieurs millions de degrés Celsius).

En attendant Kunming 2021. Progrès des « renouvelables », mais enthousiasme financier de la Chine en berne.

En attendant le « rêve » de l’énergie de fusion décarbonnée inépuisable dont la réalisation ne sera pas possible avant 2050, la Chine développe son parc de 48 centrales nucléaires en fonctionnement (lire : Nuclear Power in China) et se débat du mieux qu’elle peut dans ses contradictions, tiraillée entre ses promesses écologiques et ses très voraces besoins en énergie.

Pour Li Shuo (Greenpeace pour l’Asie de l’Est), les récentes performances chinoises n’ont pas été bonnes, avec toujours d’importants investissements dans le secteur des énergies fossiles.

En dépit des signes très encourageants de l’augmentation de la part des énergies propres dans le mix énergétique (chiffres de mars 2020 : Charbon 64%, renouvelables 28%, Nucléaire 5%, Gaz 3%), la politique énergétique chinoise, se présente, dit Li Shuo comme une « bête à deux têtes, chacune essayant de courir dans une direction opposée »

Le constat global du sommet de l’ONU sur la biodiversité réuni par le Secrétaire Général Antonio Guterres en marge de l’Assemblée Générale était pessimiste. Une des raisons est que le président Xi Jinping s’est montré moins affirmatif et moins allant que lors de son discours de l’assemblée générale.

Alors que la prochaine conférence sur la biodiversité est, après son report, désormais prévue à Kunming du 17 au 30 Mai 2021, le Président chinois n’a pas présenté la vaste perspective que certains attendaient pour corriger les destructions d’environnement et le recul de la biodiversité.

Le discours du n°1 préenregistré diffusé en vidéo-conférence s’est contenté de vagues paroles pour « promouvoir l’harmonie entre l’homme et la nature et « entre le développement économique et la protection de l’environnement. ».

Alors que 20 promesses de biodiversité sur 44 arrêtées en 2010 à Aichi au Japon n’ont pas été tenus, tandis que 19 objectifs n’ont été atteints qu’en partie, il manque 600 à 700 Mds de $ de financements. Seule l’Allemagne et quelques rares pays européens se sont engagés avec des promesses fermes de financement.

Les États-Unis n’avaient même pas envoyé un représentant et le 29 septembre, Bolsonaro au Brésil a révoqué la loi nationale sur la préservation de la mangrove.

« Si l’enthousiasme n’est plus au rendez-vous, et si on se contente de rhétorique, le sommet Kunming sera un échec », dit Li Shuo.

++++

ANNEXE
Projet ITER.

La fusion est la réaction nucléaire qui alimente le Soleil et les étoiles. Potentiellement, c’est une source d’énergie quasiment inépuisable, sûre, et d’un faible impact sur l’environnement. ITER a pour objectif de maîtriser cette énergie. Le programme est une étape essentielle entre les installations de recherche qui l’ont précédé et les centrales de fusion productrices d’électricité qui lui succéderont.

Les membres d’ITER dont le projet a été arrêté en 2006 sont la Chine, l’Union européenne (27 pays), l’Inde, le Japon, la Corée, la Russie et les États-Unis.

Ayant mis en commun leurs ressources pour réaliser l’ambition de reproduire sur Terre l’énergie illimitée qui alimente le Soleil et les étoiles, ils ont décidé de partager les coûts (construction, installation, démantèlement), les résultats expérimentaux et la propriété intellectuelle générée par la phase d’exploitation.

L’Europe assume la plus grande partie du coût de construction de l’installation (45,6 %) ; la part restante est assumée de manière égale par la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée, la Russie et les États-Unis (9,1 % chacun).

La contribution des membres se fait essentiellement « en nature », sous forme de fourniture à « ITER Organization » des bâtiments, pièces et systèmes de l’installation, les transferts financiers ne représentant que 10% des contributions.

Cette participation « en nature » permet au tissu scientifique et industriel de chacun des membres de se préparer à aborder l’étape suivante, (la conception et la réalisation), d’ici le milieu de ce siècle, de prototypes de réacteur conçus pour produire de l’électricité à échelle industrielle.

Pour tous les pays ou groupes de pays membres d’ITER, les bénéfices potentiels de leur participation sont importants : contribuant à seulement une partie des coûts de construction, ils accèdent en revanche à la totalité des résultats scientifiques.

Chacun des membres du programme international ITER se sont dotés d’agences nationales qui assurent l’interface entre les gouvernements et « ITER Organization ». Ces agences emploient leur propre personnel, gèrent leur propre budget, et contractent directement avec l’industrie qui fabrique les composants.

La communication entre l’équipe centrale « d’ITER Organization » (Central Team) et les agences domestiques est facilitée par des systèmes très performants avec l’anglais comme langue de travail.

Les pays membres d’ITER représentent plus de la moitié de la population de la planète et 85% de la production de la richesse mondiale.

Au total plus de 2 000 personnes sont engagées dans le programme ITER, dans les bureaux « d’ITER Organization » à Saint-Paul-lez-Durance ; dans les agences domestiques créées par les membres d’ITER ; dans les laboratoires de recherche et dans l’industrie ;

« ITER Organization » a également conclu deux accords de coopération technique avec les pays non-Membres qui sont l’Australie en 2016 (au travers l’agence australienne pour la science et la technologie ANSTO), et le Kazakhstan en 2017 (au travers le centre nucléaire national du Kazakhstan). »

Le 7 octobre 2019, Bernard Bigot, ancien haut-commissaire français à l’énergie atomique et nommé à la tête de « ITER Organization » le 5 mars 2015, était accueilli à Pékin (lire : China honours ITER Director-General).

A cette occasion, il a reçu des mains de Li Keqiang, premier ministre, la médaille de l’amitié, en présence des vice-premiers ministre Han Zheng n°7 du Comité Permanent, Liu He, membre du BP et Wang Yi Ministre des AE. Il n’était pas le seul à être honoré, puisque ce jour, 100 autres personnalités venues de 31 pays, reçurent la même distinction pour d’autres contributions.

Note(s) :

[1On appelle isotope d’un éléments chimique particulier les types d’atomes partageant le même nombre de protons (caractéristique de cet élément), mais ayant un nombre de neutrons différent. Autrement dit, si l’on considère deux nucléides (ensemble de neutrons et de protons) dont les nombres de protons sont Z et Z’, et les nombres de neutrons N et N’, ces nucléides sont dits isotopes si Z est égal à Z’ quand N est différent de N’.

[2Machine en forme d’anneau métallique inventée dans les années 50 – 60 par les physiciens russes Tamm et Sakharov, le Tokamak (du Russe « toroidal’naja kamera magnetnymi katushkami » - en Français « chambre toroïdale avec bobines magnétiques ») est aujourd’hui l’équipement d’expérience de fusion nucléaire jugé le plus prometteur. Le projet ITER est la tentative de reproduire à grande échelle la fusion réalisée au sein des Tokamaks (pour plus de détails : Tokamak)

[3L’état plasma est un état de la matière différent de l’état solide, liquide ou gazeux, - exemples la foudre, les flammes - dont les propriétés chimiques diffèrent de celles des autres états. Il apparaît à températures élevées favorisant l’arrachement des électrons aux atomes qui forment une nébuleuse d’électrons très actif appelée « soupe » dans laquelle baignent aussi des ions chargés électriquement et des molécules neutres.

 

 

Spectaculaires succès des véhicules BYD

[31 mars 2024] • Jean-Paul Yacine

La nouvelle course à la lune, au cœur de la rivalité sino-américaine

[10 mars 2024] • Jean-Paul Yacine • 2     

A Dubaï, la Chine championne des renouvelables et du charbon

[21 décembre 2023] • Jean-Paul Yacine

Les guerres de l’espace et des microprocesseurs, deux secteurs clé de la rivalité sino-américaine

[9 octobre 2023] • François Danjou

Projets spatiaux chinois et rupture de la coopération avec l’Occident

[22 juillet 2023] • Jean-Paul Yacine