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›› Société

Les petits fermiers chinois et la révolution de la vente en ligne

Alors que le Parti accentue son virage à gauche par une soudaine attaque contre les entrepreneurs fortunés, y compris ceux très liés à l’appareil, comme Yang Zongyi fondateur du Fuzhong Group et actionnaire majoritaire de Fuxin Group [1], le dynamisme des campagnes exprimant à la fois l’esprit d’entreprise, le pragmatisme et la persévérance des Chinois, jamais rebutés par l’échec, offre l’image étonnante d’une révolution liée à la valorisation commerciale du travail agricole par les nouvelles technologies.

Dans ce pays où le tissu rural reste encore dominé par une myriade de petites fermes de moins d’un hectare – en moyenne 6 à 8 000 m2 –, jusqu’à il y a peu encore restées à l’écart de la vague Internet et où plus de 25% des travaux pénibles sont encore réalisés à la main, l’imagination créatrice apporte soudain un souffle inattendu de modernité et de dynamisme commercial.

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L’éclatement du paysage rural en petites parcelles et leur petite taille sont la conséquence politique de deux facteurs. La propriété de la terre n’existe pas et le système du Hukou, passeport intérieur qui attache les ruraux à une parcelle de terre qu’ils exploitent ou non, empêche les remembrements. Le morcellement bloque aussi l’accumulation de capital permettant des emprunts et les achats de machines agricoles.

Dans ce système idéologiquement marqué par l’égalitarisme et la défiance à l’égard des grandes propriétés, les paysans qui, en théorie, ne peuvent hypothéquer la terre qu’ils ne possèdent pas, sont condamnés à la semi-pauvreté sur leur petits lopins.

Le gouvernement connaît ces contradictions. Récemment, le président XI Jinping a plaidé pour la mécanisation de l’agriculture. Mais les réminiscences idéologiques dont l’appareil a du mal à se défaire, sont un blocage. Impossible d’acheter des tracteurs si les revenus ne suivent pas. Seules les fermes d’État le peuvent.

Une autre frustration des paysans - celle-ci plus répandue -, est leur dépendance aux intermédiaires qui commercialisent leurs produits dans les centres urbains. Vendus 2 à 3 RMB par les producteurs (25 à 40 centimes d’€), ils atteignent facilement 5 à 8 € en ville. La différence est empochée par les courtiers.

Dans un récent article publié par Supchina, Lee Moore, doctorant à l’Université d’Oregon spécialiste de la culture chinoise et observateur assidu de la Chine, écrivait que, ces derniers temps, l’irruption d’Internet avait à ce point bousculé le paysage rural chinois qu’il était devenu difficile de suivre la révolution en cours.

L’engouement des Chinois pour Internet et le commerce en ligne est connu (lire : Internet révolutionne la Chine.). Mais les paysans n’avaient pas encore vraiment accroché aux incitations des plateformes qui, depuis quelque temps, tentaient de rallier les petits fermiers.

En 2019, Taobao 淘宝 « récupérer les trésors », la principale plateforme de vente par Internet, avait péniblement réussi à convaincre un millier d’entre eux à mettre en ligne leurs produits.

Mais le choc épidémique a violemment secoué le paysage. Le 6 février, deux semaines après le confinement du Hubei au sommet du pic épidémique, Taobao a pris la décision d’inscrire gratuitement tous les fermiers. En mai 2020, 50 000 s’étaient enregistrés.

A ce rythme, à la fin 2020, ils seront 150 à 200 000. En 10 mois 15 000 tonnes de produits ont été vendus par ce biais. Un producteur de mangues de Sanya dit même avoir écoulé 30 tonnes de fruits en deux minutes.

La grande empoignade des sites de vente en ligne.

La révolution ne peut pas être sous-estimée. Dans les campagnes chinoises, il se passe quelque chose de l’ordre de l’explosion des marchés libres initiés par Deng Xiaoping à la fin des années 70.

Des paysans locaux créent leur site de vente directe sur WeChat. Au nord de Pékin, dans des zones jusque-là sinistrées où s’alignent encore des colonnes de petits bâtiments en briques rouges, court-circuitant les courtiers, les petits fermiers se transforment en entrepreneurs et s’enrichissent. Toute la famille s’y met.

Le site 平人农场 píng rén nóngchǎng « La ferme du peuple  », vent des aubergines, du poivre, des tomates, des pommes de terre et des choux. Les concurrents de Taobao suivent. Au premier trimestre 2020, Pinduoduo 拼多多 dont le créneau est la vente à bas prix, a enregistré 1 milliard de commandes soit +184% par rapport à 2019.

Plus de 500 000 sites se pressent sur la plateforme. Alors que la vente directe du consommateur au producteur explose et que Pinduoduo s’efforce de répondre à la demande, le peloton des sites de ventes en ligne s’étoffe. Meituan Dianping 美团 点评 a rejoint dianping.com. C’est une ruée. Toutes les plateformes du e.commerce chinois s’activent pour créer des canaux de contacts directs entre fermiers et consommateurs.

Alors que les intermédiaires traditionnels sont pris à contrepied, les consommateurs qui, depuis toujours, s’inquiétaient de l’origine et de la qualité de ce qu’ils mangent, sont ravis.

Carmen Leong, Docteur en sciences sociales de l’Université de Singapour qui s’intéresse à l’impact des technologies digitales sur les sociétés, estime que les fermiers chinois sont en train de doubler le reste du monde à pas de géants en tirant profit du commerce en ligne pour dynamiser leurs affaires.

Rajoutons que la réactivité pragmatique et l’opportunisme commercial des Chinois créent un mouvement inédit qui réinvente le commerce de proximité. Court-circuitant les intermédiaires par la technologie, ils tirent la petite agriculture familiale chinoise vers la modernité numérique.

Note(s) :

[1Yang Zongyi a été arrêté par la police le 17 novembre et accusé de détournement de fonds publics. L’arrestation a eu lieu quelques jours seulement après la visite d’inspection de Xi Jinping à Nanjing, ville natale de Yang, dans le Jiangsu. La mise en examen de Yang suit l’arrestation, le 11 novembre d’une vingtaine de personnes de la compagnie « Dawu » y compris son PDG Sun Dawu détenu avec son épouse et son fils aîné Sun Meng.

Lourdement frappé avec une trentaine de ses filiales, Sun Dawu, selon les médias chinois accusé de «  chercher querelle et de provoquer des troubles » dans un conflit foncier avec une ferme d’État, est à la tête d’un complexe agricole d’élevage de porcs à Baodian.

Connu pour son franc parler l’homme âgé de 66 ans, s’était, en mai dernier, publiquement exprimé en faveur des avocats des droits, y compris Xu Zhiyong, Maître de conférences de l’Université des Postes et Télécommunications de Pékin, avocats des droits, arrêté en février dernier. (lire notre article de 2013 sur les relations difficiles du pouvoir avec la société civile : Lettre ouverte pour une ratification. Dialogue avec la société civile.).

Les prises de position politique de Sun ne sont pas nouvelles. En avril 2003, le site du groupe Dawu avait été fermé après la publication d’un article critique sur le concept de « société modérément prospère – 小康社会 - ». Un mois plus tard, Sun avait été condamné à trois ans de prison avec sursis pour avoir collecté illégalement 27 millions de $.

A l’époque, à Baoding, l’opinion publique comprenait que la relative indulgence de la sentence était due à la popularité de Sun. Les activités de Sun, membre de l’ANP de Baoding depuis 1995, ne se limitent en effet pas à l’élevage des porcs et des poulets. Il s’est aussi impliqué dans des activités éducatives et dans la santé.

 

 

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