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›› Editorial

Mise aux normes et malaise des élites

Comme toujours à deux années du Congrès, le paysage politique est entré en mouvement. Mais cette fois, l’enjeu n’est pas seulement le renouvèlement du gouvernement et les chaises musicales à la tête des provinces, par lesquelles la tête du régime cherche à conforter son pouvoir (voir l’Annexe).

Le défi est clairement celui de la stabilité politique du pays. Alors que le n°1 Xi Jinping durcit son emprise, les règles non dites de succession et de mises à la retraite sont bouleversées, appliquées en fonction des allégeances et parfois sans tenir compte de l’âge, une partie de l’appareil s’offusque que l’ancien système des prébendes politico-affairistes ait été violemment bousculé par la campagne anti-corruption qui ne faiblit pas.

Attisée par l’arbitraire, l’injustice et les passe-droits, la grogne politique menace. Telle est l’analyse de Wu Guoguang, Docteur en sciences politiques, professeur d’histoire, Président de l’association pour les relations Chine – Asie-Pacifique à l’Université de Victoria au Canada.

Dans un papier de China Leadership Monitor du 1er décembre dernier, il estime que le malaise des élites enfle plus rapidement que le mécontentement social. Ainsi s’expliquent les vagues successives de « rectification » de l’appareil légal et de sécurité 政法 – zheng fa – du pays déclenchées par Xi Jinping.

Depuis l’élimination de Zhou Yongkang et de ses affidés en 2012, il est vrai facilitée par les malversations et les graves fautes de comportement de l’ancien patron de l’industrie pétrolière (lire : Zhou Yongkang, la chute.), le Secrétaire Général s’est lui-même exonéré de la règle des limitations de mandats à la Présidence.

Aujourd’hui, la classe politique qui l’observe comprend qu’il voudrait en faire autant des traditions non dites de limite d’âge du Parti (« A 67 ans on reste. A 68 ans, on s’en va. » Résumé par « 七上八下 Qi (7) shang, Ba (8) xia ».

Une succession de purges.

Du coup, mêlant la chasse aux corrompus à la mise à l’écart des contestataires, Xi Jinping s’applique à réduire les risques d’un coup de torchon interne en accélérant la prise de contrôle de la police et des magistrats.

Après la première salve tirée contre la mouvance Zhou Yongkang en 2012 et 2013, une deuxième offensive a été lancée en 2018, à la suite du 19e Congrès, avec la destitution en avril 2018 de Meng Hongwei, ancien ministre de la sécurité publique, président d’Interpol, dont on se souvient qu’il avait disparu en France à l’automne 2018, avant d’être mis sous les barreaux en Chine en octobre, puis condamné à 13 ans de prison pour corruption le 21 janvier 2020.

Quatre mois après la condamnation de Meng, en avril 2020, Fu Zhenghua, le ministre de la justice était remplacé par Tang Yijun, gouverneur du Liaoning, proche de Xi Jinping dont la trajectoire de carrière s’est accélérée depuis son passage au Zhejiang en 2016, sous les ordres de Xi Jinping.

Ce dernier y a retrouvé un autre ancien du Zhejiang, Chen Yixin, à la tête de la Commission des Affaires légale du Parti et Président du « Bureau National de pilotage de l’éducation et de la rectification 全国政法队伍教育整顿试点办公室 ».

QC avait en août dernier fait le point sur cette deuxième offensive contre l’appareil et policier et légal : Sévère campagne de rectification de l’appareil de sécurité.

Alors même que l’appareil procédait à la relève du ministre de la justice, apparaissaient les prémisses d’une troisième phase plus problématique indiquant que Xi Jinping se tournait cette fois contre ceux-là même qui l’avaient soutenu.

En avril 2020, la Commission de discipline du Parti annonçait la mise en examen de Sun Lijun (51 ans), très jeune vice-ministre de la sécurité publique proche de Meng Jianzhu ministre de la sécurité publique jusqu’en 2012, puis président de la Commission des Affaires Légales jusqu’en 2017.

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Mise au pas des critiques.

Nommé en mars 2018, Sun, pourtant irréprochable artisan du démantèlement du clan Zhou Yongkang, est en réalité une des premières victimes d’une chasse à l’homme politique contre ceux qui osent s’exprimer librement.

Responsable du secteur très sensible et secret de la stabilité politique du régime, Sun est aussi au fait des questions de santé publique qu’il avait étudiées dans les années 80 en Australie, grâce à une bourse octroyée par l’OMS.

A ce titre, il a en mars 2020, fait partie d’une mission d’investigation à Wuhan dépêchée par Pékin pour éclaircir les circonstances du déclenchement de l’épidémie à l’automne 2019.

Peu après, le 19 avril, Zhao Kezhi, ministre de la sécurité publique depuis 2017 réunissait tous les personnels du ministère pour accuser Sun son subordonné, en des termes non équivoques indiquant qu’on lui reprochait non pas des malversations, mais son indiscipline et son franc parler.

L’accusation mise en ligne sur le site du ministère était explicite : « La mise en examen de Sun Lijun est la conséquence inévitable de son “insolence” (littéralement “qui ne connaît pas la crainte 不知 敬畏 bu zhe jingwei“), de son indiscipline et de son mépris de longue date pour les règles du parti. ».

On ne saurait mieux dire. Sun était accusé d’avoir manqué de respect à Xi Jinping, tandis que Zhao Kezhi appelait à « purifier la police ». Pour « habiller » la destitution du « mouton noir », on l’a même accusé, contre toute évidence, d’avoir fait partie du clan Zhou Yongkang.

La chute de Sun Lijun fut le point de départ d’une nouvelle série de purges qui frappèrent successivement Deng Huilin, 55 ans, chef de la sécurité publique de Chongqing, Gong Daoan, 56 ans, à la tête de la sécurité publique de Shanghai, Wang Like, 56 ans, président de la Commission des Affaires légale du Jiangsu et ancien chef de la sécurité de la province.

Après la charge contre ces responsables locaux de la sécurité publique, tous relativement jeunes promus par Meng Jianzhu, certains craignent que ce dernier, aujourd’hui à la retraite, pourrait être la prochaine cible avec son mentor Zeng Qinghong, 81 ans, ancien membre du Comité Permanent et figure emblématique de la mouvance Jiang Zemin.

Clairement, Xi Jinping éclaircit les rangs de l’appareil légal et politique à son profit en ciblant les rétifs comme Sun Lijun ; en éliminant ceux que la commission de discipline désigne comme « corrompus » ; et en appliquant des critères arbitraires de mise à la retraite, laissant en fonction ses affidés et poussant vers la sortie ceux qui pourraient créer une mouvance adverse.

Même les alliés sont pris en écharpe.

Ce n’est pas tout. L’appareil donne aussi le sentiment troublant qu’il cible aussi des proches du Vice-président Wang Qishan, jusqu’à présent considéré comme le meilleur allié de Xi Jinping. Le 1er octobre dernier, jour de la fête nationale, le parti annonçait la mise en examen de Dong Hong.

Âgé de 67 ans, Dong était non seulement jusqu’en 2017 sous les ordres de Wang à la Commission de discipline du Parti, mais il est aussi,depuis le milieu des années 90, son proche collaborateur qui l’a suivi à Canton, à Hainan et à Pékin. A la Commission de discipline il avait dirigé plusieurs missions d’investigation anti-corruption.

A ce stade, il n’est pas certain que la mise en examen serait le signe d’un conflit larvé entre Xi Jinping et Wang Qishan. Mais il est d’ores et déjà clair que l’influence de ce dernier est en recul et que, récemment, les proches de Wang Qishan ne se sont pas privés de critiquer Xi Jinping, notamment à l’occasion de la violente diatribe lancée contre le n°1 par Ren Zhiqiang, magnat de l’immobilier, disparu en mars 2020, puis condamné le 22 septembre 2020 à 18 ans de prison pour corruption.

Objectivement, le paysage politique chinois offre aujourd’hui l’image d’une succession de purges dont l’objet n’est plus seulement l’élimination des corrompus, mais aussi la mise au pas de toutes les critiques politiques du n°1. La tendance apparue après la mort de Mao d’un ordre politique articulé au mérité et à la compétence, recule pour laisser la place aux allégeances rivales, tandis que réapparaît le culte de la personnalité autour de Xi Jinping.

Différence essentielle avec l’époque Maoïste, les purges ne sont pas idéologiques. Elles ne visent ni les masses, ni les échelons subalternes de l’appareil. Ciblant plus directement les strates supérieures de la machine politique, elles n’en produisent pas moins un malaise parmi les cadres.

Doutes et inquiétudes de l’appareil.

La nervosité s’est récemment exprimée par le truchement d’un article publié dans Foreign Policy, par Cai Xia, ancienne professeur à l’Ecole Centrale du Parti, réfugiée au États-Unis.

Intitulé « The Party that failed », il est une charge impitoyable contre le n°1 et les incohérences de sa politique. L’auteur a été obligée de s’exiler aux États-Unis après qu’une conversation privée où elle critiquait vertement Xi Jinping, doutant même de ses capacités intellectuelles, a été rendue publique.

*

Le fait qu’une ancienne professeure de L’École Centrale du Parti – creuset idéologique du régime où se concoctent le discours officiel et la stratégie politique du rapport entre le pouvoir et le peuple –, écrive dans « Foreign Policy » une critique aussi directe du n°1 du Parti soupçonné d’avoir un problème de QI, est un événement jamais vu dans l’histoire récente de la Chine.

Il est impossible de nuancer l’attaque brutale formulée depuis l’étranger par une intellectuelle aussi impliquée dans la pensée politique de la Chine des vingt dernières années. Des attaques, y compris de grands intellectuels et même d’anciens membre de l’École Centrale du Parti, il n’en a pas manqué.

Elles étaient générales et remettaient en cause les choix politiques, l’équilibre des pouvoirs, la corruption, les ratés de la croissance etc.

Mais c’est la toute première fois qu’une critique est aussi précisément ajustée contre le n°1 du Régime et ses capacités. Il serait illusoire de croire que la dame est isolée.

Citant sans le nommer un intellectuel qui lui aussi doute des aptitudes du n°1, il est probable qu’elle n’est que la pointe émergée d’une mouvance critique en Chine que, précisément, l’appareil tente de tenir à distance par la répression, en contrôlant tous les leviers de l’appareil de sécurité.

On ne manquera pas aussi de faire le lien avec la dernière phrase de l’introduction du livre de Yang Jisheng sur la révolution culturelle, « Renverser le ciel et la terre » (lire : « Renverser ciel et terre » Une plongée saisissante dans la tragédie de la révolution culturelle.).

« Le problème majeur de ce système c’est son injustice. Et une société où règne l’injustice ne saurait être harmonieuse. Dans l’économie autoritaire de marché, la combinaison vicieuse des abus de pouvoir et de la cupidité capitaliste fait le lit de tous les maux. Pour fonder un régime avec des pouvoirs équilibrés, une condition requise est le contrôle du système capitaliste. Un tel régime s’appelle la démocratie constitutionnelle ».

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ANNEXE.
Nominations.

Depuis septembre, une série secrétaires provinciaux ont été nommés. Beaucoup sont proches de Xi Jinping ou de ses appuis directs.

Jing Junhai, 景俊海, 60 ans, ancien du Shaanxi, à la tête du Jilin où il était gouverneur. Physicien diplômé de l’Université de Sciences et technologies de Xian, ancien Directeur de la zone de développement « high-tech » de Xian, Jing a fait son chemin politique jusqu’à la tête de la propagande du régime en 2015, avant d’être nommé en 2017 n°2 à Pékin, second de Cai Qi, membre du BP et fidèle de Xi Jinping depuis le Fujian ;

Xu Dazhe 许达哲, 64 ans, Ingénieur de l’aérospatiale de Harbin, nommé n°1 au Hunan ; Mme Shen Yiqin, 谌贻琴, 61 ans, Gouverneure du Guizhou proche de Chen Min’er est restée à Guiyang où elle a été promue n°1 ; lire : 19e Congrès : Qui est Chen Miner 陈 敏 尔 ?

Shen Xiaoming, 沈晓明, 57 ans, Universitaire et médecin est nommé n°1 à Hainan. Proche de Yang Xiaodu membre du Bureau Politique et de la nébuleuse de Jiang Zemin à Shanghai, il fut l’ancien patron de la zone de libre-échange de Pudong sous les ordres de Han Zgeng, n°7 du Comité permanent ;

Yin Li, 尹力 58 ans, avec Shen Xiaoming, le plus jeune des nouveaux SG, est promu n°1 au Fujian. Il est docteur en médecine formé en Russie, ancien gouverneur du Sichuan, diplômé de santé publique de Harvard et ancien du Bureau de sécurité alimentaire et des médicaments.

Ruan Chengfa, 阮成发, 63 ans, gouverneur du Yunnan, où il a été promu n°1 du parti, mérite une mention spéciale. Ancien maire de Wuhan, il avait couvert la ville de chantiers et modernisé l’urbanisme (construction du métro et de périphériques) en finançant 10 Mds de $ de travaux par des obligations sans échéance émises par la municipalité et – ce qui lui fut reproché – à la fois garanties par des hypothèques sur le domaine foncier public et jamais inscrites aux comptes de la ville.

Début décembre, documentées par Alex Payette dans Asialyst, d’autres nominations ont eu lieu.

Huang Qiang, 黄强 57 ans, ancien Directeur adjoint du Bureau des sciences et de l’industrie de la défense nationale et ancien vice-gouverneur du Gansu, est nommé gouverneur du Sichuan ;

Feng Fei, 冯飞 58 ans, remplace Shen Xiaoming au poste de gouverneur de Hainan ; Ren Zhenhe, 任振鹤, 56 ans, est nommé gouverneur du Gansu ;

Wang Wentao, 王文涛, 56 ans, neveu de l’épouse de Jiang Zemin, est une des exceptions dans la liste des affectations qui renforcent l’influence de Xi Jinping. Plus proche de la mouvance du clan de Shanghai il a quitté le Heilongjiang pour devenir Secrétaire du parti au ministère du commerce, en attendant de prendre la place de Zhong Shan comme ministre, en mars prochain.

Que devient Wang Hunning 王沪宁 ?

Dans Asialyst Alex Payette a longuement analysé les perspectives et les hypothèses entourant le départ fin octobre 2020 de Wang Hunning 65 ans, de l’Institut central de recherche politique 中央政策研究室 et son remplacement par Jiang Jinquan.

N°5 du Comité Permanent, idéologue du régime, Wang entré en politique en 1994, qui fut successivement conseiller de Jiang Zemin et de Hu Jintao, reste un membre influent du pouvoir (lire : Wang Hunning, l’architecte « du rêve chinois. » Par Théophile Sourdille. (IRIS)).

Il est encore à la tête des groupes dirigeants pour l’idéologie (宣传思想工作领导小组) et pour la « construction du Parti » (党的建设工作领导小组) et dirige la Commission centrale d’orientation pour la construction de la civilisation spirituelle (精神文明建设指导委员会). Derrière Xi Jinping lui-même, il est aussi le n°2 de la Commission centrale d’approfondissement global des réformes (中央全面深化改革委员会).

Quatre hypothèses sont évoquées pour la suite de la carrière de Wang Hunning.

1) Victime d’une lutte de pouvoir, il serait entré dans le collimateur de Xi Jinping qui le trouverait trop encombrant ; 2) Wang aurait décidé de se retirer du chaudron politique pour se consacrer à la recherche académique d’où il vient ; 3) Il serait promu Vice-président à la place se Wang Qishan ; 4) Il remplacerait Li Zhanshu à la tête de la l’ANP.

Quant à son successeur, Jiang Jinquan, 江 金 权, 61 ans, affecté le 30 octobre à la tête du centre de recherche du Parti dont il est le n°2 depuis depuis 2016, il travaille sur les théories de développement politique du parti. Même pas membre suppléant du Comité Central, sa surface politique est faible. Il faut se demander si ce n’est pas précisément le but recherché par Xi Jinping.

 

 

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