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›› Taiwan

Bascule de pouvoir aux Etats-Unis. Quelles conséquences pour Taïwan ?

A Taïwan et aux États-Unis, la bascule du pouvoir à Washington et la très probable persistance des tensions sino-américaines donnent lieu à une longue suite de spéculations stratégiques.

Elles vont des perspectives de conflit militaire dont l’Île, cible d’un dérapage nationaliste de Pékin, serait le principal enjeu, à l’espoir du retour d’un modus-vivendi articulé à la prévalence des affaires et de coopérations sectorielles ciblées, y compris entre les appareils de défense, tandis qu’à Taïwan on s’efforcerait, à la suite de Tsai Ing-wen, de privilégier le statuquo, sous garantie directe des États-Unis.

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Robert Kagan, porteur de la version pure et dure de la pensée néo-conservatrice américaine explicite sans ambages le défi posé à Washington, Pékin et Taipei.

Dans une analyse publiée en août dernier dans le Washington Post et reprise par la Brookings, il anticipait une frappe des missiles de la 2e Artillerie contre l’Île, après quoi Taipei n’aurait plus que le choix « entre capituler ou espérer que les Américains arrivent à temps pour empêcher une annihilation totale ».

Il ajoutait que, compte tenu de la proximité des liens entre Washington et Taipei encore resserrés par l’administration Trump, le succès d’une réunification par le biais d’une action de force, « provoquerait un bouleversement stratégique d’ampleur globale ». (…)

« Le Japon, la Corée et d’autres acteurs régionaux repenseraient probablement leurs relations avec les États-Unis. (…) ; tandis que, rebattant les cartes de l’équation mondiale, une Chine ayant récupéré Taiwan serait en passe de dominer l’Asie de l’Est et le Pacifique occidental comme jamais auparavant. »

Kagan tempérait cependant la brutalité de la perspective en se mettant à la place du Parti communiste chinois hésitant devant les risques : « L’échec d’une tentative de réunification par une action armée menacerait la survie même du régime ».

L’hypothèse militaire contre laquelle les plus éminents stratèges chinois mettent en garde, est en effet improbable tant que l’Île se tiendra à distance de l’aventure d’une rupture. En Chine, où le Parti est placé dans l’inconfortable situation d’avoir à freiner ses tentations militaires face à un pouvoir indépendantiste, l’hypothèse catastrophique de Kagan a le mérite de préciser les périls posés par un emballement nationaliste.

A Taipei, son analyse incite à mesurer la portée de la protection stratégique offerte par Washington et la signification réelle du rapprochement opéré par l’administration Trump, qui, violant les promesses des « Trois communiqués - 三个联合公报 » [1], envoyait dans l’Île des responsables de haut niveau.

Ces questionnements ayant un rapport direct avec la sécurité de l’Île et les risques de conflit avec la Chine, faisaient l’objet d’un long article d’Eric Yu-Chua Huang 黃裕鈞 [2] publié le 14 décembre sur le site de la Brookings qui analysait les implications des ébranlements politiques en cours pour chacune des forces politiques taïwanaises.

A Taïwan, sous pression chinoise, on regrette D. Trump.

L’étude de Huang est d’autant plus pertinente que, si l’on en croit les sondages, Taïwan était, avec Israël, l’allié proche de Washington dont les citoyens avaient le plus clairement exprimé un vaste soutien à D. Trump.

La raison la plus communément admise par les commentateurs évoquait les ambitions chinoises, perçues dans l’Île comme une menace directe. Alors que les critiques de Trump l’accusaient d’avoir déséquilibré les relations internationales de l’après-guerre, la majorité des Taïwanais considérèrent que sa politique, entravant les prétentions de Pékin, protégeait Taïwan.

Constatant la montée des crispations chinoises attisées par le durcissement du conflit entre Washington et Pékin, l’analyse laisse flotter l’ancien soupçon à l’égard du DPP, accusé d’avoir, depuis 2016, par sa politique de refus du consensus de 1992, augmenté les tensions dans le Détroit.

Objectivement, la relation de cause à effet est exacte. Depuis la présidence de Tsai Ing-wen en 2016, les nuages s’accumulent entre l’Île et le Continent. L’analyse passe cependant sous silence qu’ils sont avant tout le fait des représailles de Pékin. Elle ignore aussi que, dans le paysage démocratique de l’Île, le « consensus » d’appartenance à la Chine est beaucoup plus la plateforme politique du KMT que le souhait démocratiquement exprimé des citoyens taïwanais.

Selon un sondage réalisé entre janvier et mai derniers par l’Université Nationale Chengchi, moins d’un tiers des Taïwanais seraient favorables à une réunification. Encore faut-il préciser que la proportion faiblit à mesure que Pékin durcit son contrôle politique à Hong Kong.

Depuis les « Trois communiqués », il y a trente ans, s’il est vrai que, sur le Continent, la rigidité normative du Parti est restée l’œil fixé sur le dogme de la réunification, dans l’Île les rapports entre le peuple et le pouvoir ont radicalement évolué.

Eric Huang le reconnaît lui-même, la question taïwanaise ne peut plus être réduite à une revendication territoriale historique purement chinoise. Elle est devenue un symbole global.

Alors qu’à Taïwan, la défiance envers la Chine est sérieusement attisée par les événements de Hong Kong condamnant au silence les partisans de la réunification, l’agressivité de Pékin est désormais perçue non seulement comme une menace pour la sécurité nationale, mais aussi et surtout comme une pression globale contre les principes mêmes de démocratie et de liberté.

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Le symbole de la démocratie au cœur de la résistance à Pékin.

Tsai Ing-wen qui doit sa réélection en 2020 au durcissement chinois à Hong Kong, a compris la portée globale de cette querelle. Tout en cherchant à rassurer Pékin en rappelant que son objectif est le statu-quo stratégique dans le Détroit, elle rappelle que « Tout est négociable sauf la liberté des Taïwanais ».

Tandis que le DPP, en phase avec les États-Unis sur ce thème des libertés, a durci sa position pro-démocratique dont il a fait un marqueur nationaliste anti-chinois ayant valeur de symbole global, au sein même du KMT est apparue une césure entre les générations.

Les anciens voient le parti, opposant historique des communistes, comme le seul mouvement politique légitime de l’Île et un allié stratégique de Washington. Leur objectif est la réunification sous la bannière de la République de Chine.

Les plus jeunes dont certaines positions commencent à se rapprocher de celles du DPP, insistent sur l’aspect politique du contraste démocratique dans le Détroit. Pour eux la réunification est certes une « option potentielle », mais, comme le DPP, ils considèrent d’abord que le statu-quo devrait, faute de mieux, être le principal pilier de la relation avec Pékin.

Ils s’en écartent cependant en rappelant la valeur apaisante du « Consensus de 1992 » stipulant sur l’existence « d’une seule Chine avec différentes interprétations », restée depuis près de 20 ans l’épine dorsale immuable de la plateforme politique du KMT.

Au passage, Eric Huang touche à la plus flagrante contradiction politique du KMT. A des fins de rivalité politique interne, il accuse le DPP d’avoir accordé la priorité au rapprochement avec Washington, ce qui, dit-il, « laisse peu de marge à l’apaisement et au contrôle des risques, avec pour conséquence l’augmentation des pressions exercées sur l’Île par le Parti Communiste chinois ».

Il doit cependant reconnaître que le durcissement anti-chinois du DPP « à la limite d’une déclaration formelle d’indépendance » lui a permis de séduire la majorité des jeunes Taïwanais, précisément favorables à l’indépendance de l’Île.

Surtout, alors que le nationalisme chinois paraît perdre patience, y compris avec la vision du KMT spéculant sur « Une seule Chine et deux interprétations », tandis que s’éloigne la perspective d’une réunification sous l’égide du KMT que les plus jeunes considèrent moins prioritaire, l’analyse révèle à quel point le KMT comme le DPP sont directement tributaires de la protection militaire américaine.

L’assurance américaine reste l’ultime recours.

A Taïwan, face à l’agressivité de Pékin, tous partis politiques confondus, les commentaires politiques en vogue s’éloignent de l’espoir d’apaisement et de la patiente perspective d’une aide à la démocratisation de la Chine.

Ils spéculent au contraire sur les perspectives d’un « OTAN asiatique » hypothétiquement articulé au durcissement face à Pékin de « l’Alliance quadrilatérale de sécurité », évoqué dans l’Annexe de l’analyse de François Danjou du 25 novembre dernier : Pékin à Canberra : « Ne touchez pas aux intérêts vitaux chinois. » Brutalité et fragilités chinoises. Limites des discours d’ouverture.

La prudence commanderait pourtant de considérer son efficacité pour ce qu’elle est en réalité. Celle d’un « rassemblement sans colonne vertébrale stratégique de pays aux intérêts divergents face à la Chine ».

Dans cette incertitude c’est encore la garantie américaine qui fournit la meilleure assurance. La plupart des observateurs aux États-Unis, à Taïwan et en Occident, acceptent l’hypothèse que l’administration Biden ne modifiera pas au fond, sinon en adoptant une forme moins provocatrice, la stratégie de méfiance et de pressions à l’égard des manifestations agressives de la Chine.

Interrogé en juillet dernier par Walter Russell Mead (Hudson Institute), ancien professeur de relations internationales à Yale, Antony Blinken, nouveau secrétaire d’État américain nommé par Joe Biden le 22 novembre, considérait à la fois que Trump avait été un facteur d’affaiblissement de la démocratie dans le monde, et qu’il était nécessaire de dissuader les agressions chinoises.

En même temps, il prônait une approche moins conflictuelle et la recherche de terrains d’entente avec Pékin, sur, dit-il, des secteurs où les intérêts chinois et américains se recouvrent, notamment dans le domaine du climat, de la lutte contre les pandémies et de la prolifération des armes de destruction massive.

Sur les questions de Taïwan et de la Mer de Chine du sud où Pékin considère que la seule voie d’apaisement possible consiste à accepter les positions chinoises, il pourrait être déçu.

Note(s) :

[11972, 1979, 1982. Par le communiqué de 1979, Washington promettait de mettre fin aux relations politiques formelles avec Taipei tout en préservant les relations économiques et culturelles.

[2Eric Huang, 黃裕鈞 professeur de relations internationales et spécialiste des relations avec les Etats-Unis à Tamkang, ancien responsable du KMT en charge des médias et des relations avec Washington du temps de Ma Ying-jeou.

 

 

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