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›› Politique intérieure

Hong Kong mis aux normes. Réflexion sur la portée et la fragilité des systèmes démocratiques

S’il fallait une preuve que, faisant fi des condamnations de la communauté internationale occidentale, le régime se crispe au-delà de toute mesure pour parer à tous les risques, il vient d’en donner une sans équivoque, le 6 janvier dernier.

Moins d’une semaine après la nouvelle année, il a procédé à l’arrestation en une seule fois à Hong Kong de 53 hommes politiques, élus, candidats et activistes, accusés de subversion.

Une manœuvre dissuasive.

La gravité de la charge contraste avec la réalité anodine des faits. Les 53 personnalités emprisonnées dont certaines ont été relâchés sous caution, avaient seulement organisé une primaire, en amont des élections législatives, prévues en novembre. Il est vrai qu’ayant rallié 600 000 votants, la popularité du vote préliminaire avait de quoi inquiéter Pékin.

D’autant que certains membres de l’opposition avaient déclaré que, s’ils obtenaient la majorité au Legco, ils bloqueraient le vote du budget, puis réclameraient la démission de Carrie Lam comme l’autorise la constitution en cas de deux rejets successifs du budget du Territoire.

Sûr d’y essuyer une sévère rebuffade, le Parti, arguant des risques, il est vrai bien réels de contagion épidémique, avait sauvé sa réputation en ajournant les législatives, pour l’instant planifiées au 5 septembre 2021. Tournant le dos à toute subtilité démocratique, voilà que l’appareil accuse l’opposition qui s’organisait en amont du scrutin, d’avoir voulu renverser le gouvernement.

Comme au Xinjiang, la méthode qui « ratisse large » et envoie les Ouïghour en rééducation sans se donner la peine d’examiner le cas de chacun, tous les prévenus sont accusés d’un des crimes politiques les plus graves pouvant conduire à la prison à vie.

A l’aube du 6 janvier, prenant prétexte de la loi sur la sécurité nationale, 1000 policiers ont investi 76 objectifs de la R.A.S, arrêtant sans ménagement les opposants, perquisitionnant les domiciles et les bureaux des avocats et de parlementaires. Plusieurs d’entre eux furent embarqués dans des cars de police, souvent sans que leur famille soit informée de leur destination.

A la vérité, aucune des accusations de subversion ne tiendra devant un tribunal indépendant. « Mais, ça n’a aucune importance », commente Antony Dapiran, écrivain et avocat à Hong Kong cité par Supchina, « d’ici que la Cour tienne ses audiences, l’effet dissuasif aura joué et porté un coup sévère à la démocratie et aux droits civiques. »

Le gouvernement de Hong Kong, le reconnaît lui-même la manœuvre a un but préventif destiné à tuer dans l’œuf la contestation. Le 6 janvier, jour des rafles, il déclarait qu’il prendrait « les mesures dissuasives les plus efficaces possibles ». On ne saurait mieux dire. Le simple fait d’appartenir à l’opposition démocratique désigne comme des criminels potentiels des parlementaires dès qu’ils font mine de s’organiser.

C’est bien ce que permet la nouvelle loi sur la sécurité nationale : « Nous n’attendrons pas que le pire arrive » explique Ronny Tong, proche conseiller de Carrie Lam. Mais le même va plus loin dans la pensée de mise aux normes. Il laisse en effet entendre qu’en période de crise, la loi sur la sécurité nationale pourrait interdire le vote d’opposition des parlementaires.

Suite à l’effervescence populaires de l’été 2019 réactions au projet de loi de Carrie Lam sur l’extradition, dilatées en émeutes qui enflammèrent les rues et l’université polytechnique (lire : Hong Kong : bataille rangée, controverse juridique, souveraineté et droit des individus.), le parti dont la riposte avait, un temps, été hésitante, a fait le choix très clair de museler l’opposition démocratique dont il juge qu’elle porte un risque de chaos et, plus encore, de rupture avec le Continent.

Mort de l’illusion « Un pays deux systèmes ».

Le schéma « Un pays deux systèmes » est à l’agonie. Formellement mis à mal par l’adoption de la Loi sur la sécurité nationale votée à la fin mai par l’ANP à Pékin à l’unanimité des 2878 voix moins une et seulement 6 abstentions, un nouveau coup lui avait été porté six mois plus tard. En novembre 2020, Pékin contournait les tribunaux de Hong Kong pour ordonner la révocation de quatre parlementaires de l’opposition.

La décision qui provoqua la démission des 15 députés de la mouvance démocratique a « effacé » l’opposition législative du Legco, laissant le mini-parlement de la R.A.S sous le contrôle direct de la mouvance pro-Pékin. Dans la foulée, celle-ci proposait une réforme du système judiciaire faisant craindre la disparition de l’indépendance des juges, dernier bastion de l’autonomie de la R.A.S.

Depuis 1997, le gouvernement central a toujours observé la R.A.S et ses évolutions politiques avec attention. Depuis l’avènement de Xi Jinping, le regard inquisiteur s’est fait moins discret. En arrière-plan, le Parti mesurait le risque de rupture politique.

A l’occasion d’une de ses visites au Territoire, le 1er juillet 2017, anniversaire de la rétrocession, Xi Jinping avait, sans ambiguïté clarifié les intentions de Pékin : « Toute atteinte à la souveraineté et à la sécurité nationales, défiant le gouvernement central et l’autorité de la loi fondamentale, ou ayant pour but de mener, par le truchement de Hong Kong, des opérations d’infiltration ou de sabotage à l’intérieur du Continent, franchirait (« toucherait 触碰– chu peng - dans le texte chinois ») la limite extrême de ce qui est permis et ne sera pas accepté ».

La fermeté renvoie à celle de Deng Xiaoping. Au moment des négociations avec Margaret Thatcher il y a presque 40 ans, imaginant « Un pays deux systèmes », déclarait que la souveraineté de Pékin sur le Territoire prendrait le pas sur toute autre considération.

Les tentatives de rupture seraient réprimées même au risque de compromettre l’attractivité de l’ancienne colonie et quelles que soient les condamnations de la communauté internationale.

Enfin, au moment où Pékin réprime la démocratie à Hong Kong, pour se protéger du chaos, il est impossible de ne pas évoquer les réactions du régime aux récents tumultes survenus aux États-Unis, où le Congrès a été envahi par des manifestants pro-Trump, refusant le verdict des urnes qu’ils soupçonnent d’avoir été frelaté.

Misère de la démocratie et vitalité du système chinois.

Le 7 janvier, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Hua Chunying faisait remarquer que l’invasion du Congrès américain par les manifestants était considérée par Nancy Pelosi comme une insupportable violence et une honte, alors que quand l’émeute avait pris le contrôle du Legco à Hong Kong, elle avait considéré que l’événement était un « beau spectacle faisant plaisir à voir ».

Le même jour, le Global Times publiait un éditorial dont l’idée maîtresse était non seulement l’échec du système américain, incapable de réduire la fracture politique du pays, mais aussi et surtout un appel aux systèmes démocratiques occidentaux à se réformer eux-mêmes, au lieu de tenter d’imposer leur pensée politique aux autres.

Passant sous silence, les tensions entre la force des libertés individuelles portant le droit à la critique et l’exigence de discipline dont le Parti fait la condition de l’efficacité collective, l’analyse exhortait la société américaine à l’introspection. « Autrefois solide, le système américain est aujourd’hui dépassé » (…).

En substance, elle pointait du doigt que la réforme politique n’était pas seulement une obligation réservée aux pays en développement.

Puis, par une référence directe aux « caractéristiques chinoises » auxquelles la Chine se réfère depuis le Congrès de 2017, prenant en même temps le contrepied de Fukuyama, il arguait que « les systèmes occidentaux n’étaient pas la fin de l’histoire ».

Comme les pays en développement, dit l’éditorial, ils devaient se remettre en question avec humilité et cesser de considérer que les relations internationales et les échanges entre cultures différentes étaient un jeu à somme nulle.

*

La question qui dépasse le cadre de cette note, mérite d’être posée en dehors de toute certitude idéologique. Elle renvoie en effet à la thèse de Francis Fukuyama écrite après la chute de l’URSS « La fin de l’histoire et le Dernier Homme » (Flammarion 1992). Aujourd’hui force est de constater que l’euphorie des pays démocratiques, sûrs de leur succès, qui avait accompagné la sortie du livre, a disparu. S’il est vrai que depuis 1990, le monde et les rapports internationaux ont changé, voilà que sa complexité tragique refait surface.

Même aux États-Unis, creuset emblématique des démocraties de la planète, surgissent des fractures contredisant à la fois l’apaisement et la supériorité du modèle supposé indépassable de Fukuyama.

Pour le régime chinois, férocement opposé aux libertés démocratiques, les troubles en Amérique sont, c’est le moins qu’on puisse dire, une aubaine. Elle permet de tenir distance l’idée d’une marche inéluctable du monde vers un système politique unifié dévalorisant le système chinois. Pour un régime qui déjà se projette en 2049, la perspective est salutaire.

Enfin, on ne peut pas exclure qu’à l’avenir, les régimes autoritaires à la chinoise pourraient devenir des nécessités pour réagir aux grands défis essentiels - par exemple ceux écologiques de préservation de la planète - que les régimes libéraux trop désordonnés seraient incapables de prendre en compte efficacement.

La réflexion conduit à la prise de conscience d’une exigence. Pour éviter de sombrer dans la caricature d’elles-mêmes, inefficace et porteuse de chaos, les démocraties doivent se réformer. Sur ce point au moins, les penseurs chinois qui portent une idée de performance pratique,ont raison.

 

 

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