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›› Politique intérieure

De Deng Xiaoping à Hua Guofeng, l’itinéraire d’un despote

Au cours de la deuxième quinzaine de février, la chaîne nationale CCTV-1 a, sous l’égide du département « publicitaire » lui-même aux ordres de la propagande du Parti (中共中央宣传部), lancé la « 2e saison » de 12 émissions politiques et culturelles de la série intitulée « 平语近人, ping yu jinren – Parler vrai au peuple ».

Son but est de commenter les citations classiques fréquemment utilisées par le Président Xi Jinping pour relier l’histoire ancienne du pays à son actualité, sur le mode taoïste « 以 理 服人 ; 以情 动人 – convaincre les gens par la raison, les toucher par l’émotion ».

Le modèle rappelle vaguement « les causeries au coin du feu » du Président Giscard d’Estaing, avec cependant la différence notable que, dans la version chinoise, le principal intéressé n’apparaît pas.

Avec comme fil conducteur la pensée du « socialisme aux caractéristiques chinoises » fondement de « la nouvelle ère - 新时代 - » articulée au « rêve chinois -中国梦 - » de « retour de puissance 复兴 », la série a, pour l’occasion, recruté Xie Chuntao, vice-président de l’École Centrale du Parti et Huang Yibing, chercheur au Centre de recherche historique du Parti, représentant la tête politique du régime, tous deux membres du Comité Central.

Assistés par des universitaires chercheurs spécialisés dans la culture et la pensée chinoises, ils mettent en perspective les citations classiques du Président chinois pour en expliquer la pertinence dans la Chine moderne.

Xi Jinping en prise avec la longue histoire et la renaissance de la Chine.

Éminemment politiques, les thèmes des émissions renvoient certes au « cœur de valeurs socialistes » mais surtout et presque exclusivement aux préoccupations de loyauté au n°1 et à sa pensée puissamment centralisatrice.

Elle est exprimée par le slogan « 442 四 四 二 » (Les quatre consciences 四个意识 – intégrité, hauteur de vue, protection du n°1 et fidélité à l’appareil - ; les quatre confiances 四个自信 – dans la civilisation chinoise et la méthode du Parti, dans sa théorie politique des « caractéristiques chinoises » et son système centralisé ; les deux protections 两个保护 – celle de la position du n°1 et celle de la prévalence politique du Comité Central).

Avec une première saison diffusée en 2018 traduite en anglais, japonais, coréen, espagnol, italien et russe, les épisodes racontent tous cinq à six histoires vraies illustrant la glorieuse épopée du Parti communiste, assortis des commentaires de la pensée de Xi Jinping.

Par exemple, l’histoire de soldats de l’APL, comme Chen Shuxiang, héros de la Longue Marche, qui, en 1934, préféra se suicider plutôt que de tomber aux mains de l’ennemi ; ou Du Fuguo qui, en 2018, perdit la vue et ses deux mains en tentant de protéger ses camarades de l’explosion d’une mine.

Le prétexte historique et culturel par le truchement des citations classiques de Xi Jinping ouvrait déjà la porte à un retour du culte de la personnalité. Cette tendance que Deng Xiaoping avait fustigée, se confirme.

Dans un article paru dans Nikkei, Katsuji Nakazawa, expert de la Chine au journal, montre comment l’évocation nouvelle par l’appareil de Hua Guofeng, le successeur désigné de Mao, marque l’aboutissement d’une trajectoire de pensée ayant tourné le dos à Deng Xiaoping.

A l’intérieur, elle balaye ses conseils de gouvernance collégiale et, à l’extérieur, elle s’affranchit de ses mises en garde contre l’affirmation tonitruante de puissance qu’il avait résumée par la formule « 韬光 养晦 - taoguang yanghui - Dissimuler les brillances et cultiver l’ombre. »

Hua ou l’exigence de loyauté. Le culte de la personnalité réhabilité.

Le 20 février, réhabilitant Hua Guofeng démis de ses fonctions par Deng Xiaoping au début des années 80 et tombé dans l’oubli, un séminaire tenu à l’occasion du centenaire de sa naissance, statuait que : « Hua était un membre exceptionnel du Parti un combattant communiste loyal et éprouvé de longue date et un révolutionnaire prolétarien qui, dit Xinhua, occupait autrefois des postes importants dans le Parti et le gouvernement ».

L’éloge d’un membre insignifiant de l’appareil décédé sans bruit au moment des JO de Pékin en 2008, n’est pas anodin. L’arrière-pensée plusieurs fois rappelée dans les évocations officielles était d’insister sur sa loyauté. L’exigence est omniprésente dans les déclarations officielles qui répètent sans cesse le dogme de la fidélité à Xi Jinping comme s’il était nécessaire de toujours confirmer la légitimité de sa présence à la tête du Parti.

Comme si, à l’approche du 20e Congrès de l’automne 2022, la perspective que Xi brigue un troisième mandat, violant la jurisprudence politique instaurée par Deng, n’allait pas tout à fait de soi.

Il est vrai que la première caractéristique de Hua lui ayant ouvert les portes de la succession de Mao, fut qu’il lui était toujours resté fidèle y compris pendant la révolution culturelle.

Cette transe révolutionnaire exacerbée et féroce au cours de laquelle des fonctionnaires, des enseignants et des intellectuels furent publiquement humiliés et battus par une jeunesse fanatisée par Mao. Lire : « Renverser ciel et terre » Une plongée saisissante dans la tragédie de la révolution culturelle.

Hua Guofeng préféré à Deng Xiaoping.

Après la mort de Mao, en 1976, une des premières décisions politiques de Deng Xiaoping, lui aussi victime des humiliations de la révolution culturelle, fut de progressivement destituer Hua de ses pouvoirs. Il a ainsi successivement été dépouillé de ses titres et fonctions de Premier Ministre (1980) de Président du parti et de la Commission Militaire Centrale (1981). Un an plus tard, il était exclu du Comité Permanent.

Après quoi, Deng s’appliqua à défaire tous les outils autorisant le pouvoir sans partage de Mao et supprima le poste de Président du Parti qu’il s’était attribué, avant de faire modifier la constitution pour interdire à la fois les mandats illimités et le culte de la personnalité.

L’arrière-pensée de Deng était de prévenir la concentration des pouvoirs en des mains uniques qui fut à la racine du désastre de la révolution culturelle rendue possible par l’idolâtrie maoïste. Au passage, rappelons que cette analyse des causes de la révolution culturelle, liées à l’absence totale de contre pouvoir et aux excès du culte de la personnalité était aussi celle de Qiao Shi, l’ancien et très subtil chef des services secrets,décédé en 2015.Lire : https://www.questionchine.net/qiao-shi-l-un-des-plus-brillants-et-des-plus-enigmatiques-cacique-du-parti-s-est<.

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Dès son arrivée au pouvoir, Xi Jinping a tourné le dos aux prudences imposées par Deng au Parti. En 2013, faisant indirectement allégeance à la mouvance maoïste, et semblant justifier la révolution culturelle, il déclarait que les réformes ne pouvaient passer sous silence les trente années de l’histoire du Parti jusqu’en 1980. La déclaration pavait la route à une révision constitutionnelle entérinée cinq ans plus tard lors de l’ANP de 2018.

Oubliant l’esprit de Deng, elle autorisa une concentration sans limites du pouvoir de Xi Jinping et supprima la limitation à deux mandats de la fonction présidentielle par un amendement voté à 2964 voix pour et seulement deux voix contre et trois abstentions.

En même temps, le pouvoir de Xi Jinping était symboliquement renforcé par l’inscription dans la Constitution de son idéologie « des caractéristiques chinoises » explicitement désignée par son nom, ce qui plaçait l’actuel n°1 au même rang de notoriété historique que Mao.

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Ainsi, alors qu’en cette année du 100e anniversaire du Parti, à 18 mois du 20e Congrès qui renouvellera l’équipe dirigeante, a lieu la 8e session formelle de l’ANP depuis l’accession à la présidence de la République de Xi Jinping, le parti communiste, affirmant « ses particularités » a résolument tourné le dos à l’idée d’un contrepouvoir législatif.

Plus encore ayant renforcé comme jamais depuis 1976 la main autocrate du n°1 tout entier focalisé sur le projet de « renaissance nationale », il a affaibli l’espoir de respiration politique des élites du régime et de la société.

 

 

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