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›› Editorial

De l’humiliation au « dialogue des puissances ». La force de l’orgueil souverain et le poids de la rancœur

La fureur des derniers échanges sino-américains en Alaska, les 18 et 19 mars a tout de même fait apparaître la double évidence que la Chine se considérait désormais à hauteur de la puissance américaine et qu’il était important pour elle que le dialogue à ce niveau ne soit pas rompu. En arrière-plan pourtant flotte toujours le tourment de la rancune.

L’imaginaire ancestral de la Chine des Han est toujours là. Puissance centrale, il y a vingt siècles, elle se voyait déjà en référence globale et parlait de l’Empire romain, à cette époque pourtant bien plus vaste, comme du « Grand Han de l’Ouest ».

Et, depuis la réunion d’Anchorage, filmée par les caméras de la planète et scruté par les Chinois comme l’épisode d’un feuilleton à grand spectacle, il était capital de faire résonner cet imaginaire enraciné dans la vieille histoire à la conscience de l’opinion publique chinoise. Les deux grands du monde se parlent d’égal à égal et, tout en n’acceptant plus les remontrances occidentales d’un Occident qui n’a plus de leçons à donner, le Vieil Empire chinois parangon de l’harmonie confucéenne, ne refuse pas le dialogue.

Au milieu des aigreurs exprimées par son intervention fleuve, face à A. Blinken dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas retenu ses coups, Yang Jiechi, 70 ans, n°16 du Bureau Politique [1] – dont l’interprète Zhang Jin fait aujourd’hui la une des réseaux sociaux – [2], a plusieurs fois rappelé qu’il situait le dialogue avec Washington à un niveau de puissance égale.

Alors que, pour l’heure, l’Amérique, toujours embarquée à la suite de D. Trump dans une stratégie de riposte à l’élargissement de l’empreinte chinoise, ne voyait le dialogue dans ce lieu excentré que comme une passe d’armes exploratoire, Pékin insistait pour le ranger dans la catégorie des dialogues stratégiques de haut niveau. 高级战略对话.

En même temps, à l’abri des caméras, derrière le rideau, s’est dessinée une marge de manœuvre.

En dépit des acrimonies de la rencontre où Blinken et Yang se sont jetés à la face de très désagréables allégations d’où était évacuée la plus élémentaire réserve diplomatique, les Américains, qualifièrent le dialogue de « substantiel », mentionnant des « secteurs d’intérêts communs » dont, tout le monde en parle, les questions climatiques. Mais au fond, le sujet est accessoire.

A la recherche d’un dialogue par le climat.

L’important est que les deux considèrent sérieusement l’exigence de se parler. L’appréciation américaine trouva aussitôt un écho chez Yang Jiechi dont l’appréciation, tout en confinant à une litote « Bien sûr il reste des différends », décrivit la rencontre, pourtant l’une des plus brutales et des plus directes dans la forme de toute l’histoire de la relation sino-américaine depuis 1979, comme « constructive, sincère et positive ».

A Pékin,vingt-quatre heures après la rencontre, l’appareil ralluma une flamme en annonçant que les deux allaient mettre sur pied un groupe de travail conjoint.

Son objet serait non seulement d’explorer l’éventualité de reprendre la coopération sur le changement climatique où l’avait laissée Trump, mais aussi – avec l’arrière-pensée « de l’intérêt commun » disait la déclaration - d’examiner les différends ayant entraîné en Chine et aux États-Unis la fermeture de consulats et l’expulsion de journalistes. Lire : Chine – États-Unis. Une collision annoncée. Vraiment ?

Une semaine plus tard, John Kerry, 77 ans, ancien candidat à la Maison Blanche battu par Georges Bush en 2004, qui fut le Secrétaire d’État d’Obama (2013 – 2017), aujourd’hui envoyé spécial pour le climat de Joe Biden, entrait en contact par vidéo-conférence avec son homologue chinois, Xie Zhenhua 解振华.

Le 26 mars enfin, Joe Biden invitait Xi Jinping avec 40 autres participants à sommet mondial sur le climat organisé en visioconférence, les 22 et 23 avril. A la rédaction de cette note, soit près de quinze jours après l’invitation lancée par le président américain, le n°1 chinois n’avait pas toujours par répondu. A Pékin les proches de l’appareil affirment qu’il ne peut pas refuser. Mais le fait est qu’il donne le sentiment d’hésiter.

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L’orgueil souverain et le poids des rancoeurs

Xi Jinping ne peut pas refuser disent les Chinois. Mais, il tarde à accepter. Dès lors la plupart des analyses focalisent sur les raisons de ce délai, alors même qu’à Anchorage, répondant aux féroces accusations de Blinken, Yang Jiechi avait, au milieu d’une très inhabituelle acrimonie dans une rencontre diplomatique, quand même montré l’intérêt de la Chine pour la restauration d’un dialogue de haut niveau.

*

Les premières raisons sont évidentes. La colère chinoise est réelle et l’agacement de Pékin difficile à nuancer. On n’imagine pas assez à quel point les réminiscences historiques des humiliations imposées à la Chine au XIXe siècle résonnent aujourd’hui dans la pensée de Xi Jinping.

Les Anglais d’abord, puis les « huit puissances » piétinèrent la souveraineté de l’Empire dont l’accès avait été jusque là étroitement contrôlé et limité à quelques petits comptoirs de la région de Canton et à la route de la soie vers Xian au nord.

Et voilà qu’aujourd’hui, alors même que l’appareil souffle à pleins poumons dans les cornes tonitruantes du nationalisme souverain, « les étrangers occidentaux – 西方老外 - » reviennent.

Derrière leur puissant chef de file, ils scrutent la Chine chez elle. Plus encore ils sanctionnent avec impudence les mesures qu’elle prend pour protéger l’intégrité de son territoire, au Xinjiang, au Tibet et à Hong Kong ; ils s’offusquent aussi qu’elle veuille reconquérir ce qui lui appartient, qu’il s’agisse de Taïwan la dissidente ou de la mer de Chine, son arrière cour stratégique où, comme dit l’appareil, les archipels sont « un territoire chinois depuis la nuit des temps 南海诸岛自古以来就是中国领土 ».

Fait aggravant, tous ces points chauds de la discorde avec l’Occident, sont des symboles politiques et nationalistes incandescents.

La manière dont l’appareil les protège renvoie à l’idée qu’il se fait de la légitimité de son pouvoir. Ce n’est pas nouveau. Mais, aujourd’hui sur ces sujets, le bouillonnement nationaliste allumé par Xi Jinping depuis 2013 est tel que l’opinion publique sévèrement contrôlée n’exprime aucune distance.

Dès lors, le geste d’une invitation à participer au milieu d’une quarantaine d’autres pays à une visioconférence sur le climat est très loin d’être à la hauteur de la colère de Xi Jinping et des attentes de l’opinion. A la rigueur, un tête à tête que l’appareil aurait pu instrumentaliser en interne comme gage de la puissance chinoise, aurait peut-être entraîné une réponse plus rapide.

Le climat ? Mais encore. ?

Les autres causes sous-jacentes des hésitations de l’appareil sont techniques et renvoient au défi écologique lui-même.

Alors que récemment, le 14e plan annonçait le très lointain objectif de la neutralité carbone pour 2060, en passant par un pic carbone en 2030, les récentes promesses de Biden de supprimer des financements publics pour l’exploration de ressources fossiles hors États-Unis, pose un problème à la Chine qui construit des centrales thermique le long des « nouvelles routes de la soie » et pour qui les hydrocarbures restent au cœur de sa relation avec plusieurs pays d’Afrique et d’Amérique latine.

Bien que Pékin soit déjà impliqué dans la promotion d’énergies renouvelables avec la promesse du plan quinquennal d’augmenter leur part dans le mix énergétique à 20% d’ici 2025, la rémanence du charbon restera lourde, comme le souligne Li Shuo, membre à Pékin de Greenpeace Chine.

Au-delà du climat y a t-il une perspective de réparer la relation ? A Pékin en tous cas, on est pessimiste.

Pour Shi Yinyong, 时殷弘, 70 ans, ancien conseiller du gouvernement jusqu’en 2011, Docteur en géopolitique à l’Université de Nankin où il est le Doyen des études internationales, en même temps qu’il est aussi le Directeur des études sur l’Amérique à l’Université Renmin à Pékin, même si Pékin et Washington décidaient de coopérer de manière substantielle sur le climat, il n’est pas possible que ce seul sujet puisse mettre fin à la spirale négative de la relation bilatérale.

Ce qui dominera dans l’avenir prévisible sera une féroce rivalité internationale pour l’influence et le prestige. En ligne de mire, la crédibilité comme modèle de gouvernance mondiale. En arrière-plan, la hantise des Occidentaux dont le modèle démocratique vertement critiqué par Pékin est passablement abîmé, que la Chine parvienne, par la force de ses finances, à élargir son empreinte.

Quelles angoisses ? Le pire n’est jamais sûr, mais mieux vaut s’y préparer sans pour autant céder aux catastrophisme. Serait-il possible que le modèle chinois remette en cause la marche des sociétés qui jusque là dominèrent le monde ? bouscule le droit international en contrôlant la mer de Chine du sud ? Et balaye à Taïwan, le symbole de la seule démocratie de l’espace asiatique ?

Note(s) :

[1杨洁篪, Yang Jiechi. 70 ans. Membre du Comité Central depuis 2012, entré au Bureau Politique lors du 19e Congrès en octobre 2017, Yang est un diplomate dont l’essentiel de la carrière s’est déroulée en relation avec les États-Unis.

Au total, entre ses divers postes dont le dernier fut celui d’ambassadeur, il aura passé 15 années à Washington. Diplômé de la London School of Economics et titulaire d’un Doctorat d’histoire de l’université de Nanjing, Yang qui fut ministre des Affaires étrangères de 2007 à 2013, est un nationaliste imbu de la puissance de la Chine et un ardent défenseur des intérêts chinois.

Alors qu’il est rare qu’un diplomate accède au Bureau Politique, sa promotion est un signal de l’importance que Pékin accorde à la relation avec les États-Unis, dans un contexte où les causes de tensions bilatérales, commerciales et stratégiques en Corée du nord, en mer de Chine du Sud et à Taïwan ne faiblissent pas.

En 2010, lors d’une réunion de l’Asean Regional Forum (ARF) à Hanoi – dont la dernière session a précisément eu lieu au Vietnam - sa subtilité diplomatique avait été prise en défaut. Évoquant les tensions entre Pékin et les riverains de la mer de Chine du sud, il avait fait remarquer à Hillary Clinton « Que voulez-vous, la Chine est un grand pays, ils sont de petits pays ».

[2Zhang Jing (张京) est devenue une des vedettes des réseaux sociaux chinois après sa traduction de la réponse de Yang Jiechi à Antony Blinken qui dura dix-sept minutes, lors de la réunion du 19 mars. Auparavant, elle avait interrompu Yang qui venait de passer la parole à Wang Yi, le MAE sans se soucier de la traduction « Ne devrais-je pas d’abord traduire ? -我应该先翻译吗 ».

Il n’en a pas fallu plus pour que le hashtag « Dialogue Chine – US, l’interprète Zhang Jing (#中美对话女翻译官张京#) soit vu 200 millions de fois. Pour la petite histoire, ce n’est pas la première fois que Zhang prend la lumière. En mars 2013, lors de la session annuelle de l’Assemblée Nationale, les internautes l’avaient déjà désignée comme « la plus jolie des interprètes 最美丽的翻译 »

 

 

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