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›› Editorial

L’emballement de la mise aux normes et l’insistante défiance contre l’Occident

Le 12 avril, poursuivant le harcèlement de Jack Ma, les régulateurs ont infligé une amende de 2,8 Mds de $ à Alibaba. Le montant est le plus élevé depuis l’amende d’un milliard de $ infligée à l’Américain Qualcomm en 2015.

Mais elle ne représente que 4% des gains annuels du groupe dont les activités tentaculaires vont du commerce en ligne à la petite distribution de quartier, en passant par les services financiers, les loisirs, les voyages et les réservations en ligne, les réseaux sociaux et les vidéos en direct dites « live streaming ».

Le problème est que, presque partout, le groupe occupe une position de pouvoir que le système politique n’aime pas.

Surtout, le 2 novembre dernier, dans son discours à Shanghai, Jack Ma avait accusé les banques chinoises de se comporter comme des « prêteurs sur gages » et dessiné un paysage où il suggérait qu’Alibaba resterait à la pointe du développement de la finance chinoise, « irrigant » - disait-il - par ses initiatives pionnières la planète digitale. « Aujourd’hui, nous avons besoin de plus de lacs, de plus de voies d’eau, de plus d’affluents et de plus de bassins de toutes sortes ».

Lire nos articles :
- Le micro-crédit en ligne percuté par le principe de précaution et la normalisation politique.
- Jack Ma s’est évanoui. LA FOURMILIÈRE A PERDU SA REINE.

Alibaba toujours dans la collimateur.

Les régulateurs accusent Alibaba d’abus de position dominante, mais ils prennent cependant soin de ne pas heurter son vaste réseau de clients. Un commentaire du Quotidien du Peuple assimilait la sanction à une « preuve d’amour sur le mode “qui aime bien châtie bien“. » Personne n’est dupe. Il s’agit bien de couper les ailes d’une ambition que le pouvoir juge démesurée et dont la frénésie invasive menace l’équilibre du système financier.

La bourse réagit par soubresauts. Mais la tendance générale est à la baisse. Depuis la première charge de novembre au moment où Jack Ma avait disparu, le prix de l’action a baissé de 24,5%. La perte n’est pas encore catastrophique, d’autant qu’à la bourse de Hong Kong l’action avait gagné 300% depuis 2015.

Il reste que le coût de semonce est observé avec attention par le public ayant retrouvé ses réflexes condamnant ceux qui sortent de l’épure. Sur les médias sociaux, le hashtag #阿里巴巴集团被罚182.28亿元# - Alibaba a reçu une amende de 18,228 Mds de Yuan - a été vu près d’un milliard de fois.

Les internautes enthousiastes incitèrent les régulateurs à s’intéresser aussi aux autres géants du net que sont Tencent et Baidu, dont les actions qui s’étaient envolées depuis décembre 2020, sont également à la baisse depuis février (moins 18% pour Tencent et moins 35% pour Baidu).

Le 10 avril Alibaba se livrait publiquement à un exercice de repentance dans le plus pur style maoïste : « Chers clients, actionnaires et partenaires, aujourd’hui le groupe Alibaba a été sanctionnée par le régulateur des marchés. Nous acceptons la sanction avec sincérité et veillerons à l’avenir à respecter les règles sans faiblir ».

Après cette charge contre les géants chinois du net faisant écho aux inquiétudes soulevées en Occident par l’omnipotence des « GAFA » [1], le 19 avril, le Président Xi Jinping s’est rendu à Qinghua où, poursuivant son projet de mise aux normes du monde académique, il a, après avoir exhorté les universités chinoises à renforcer l’esprit de curiosité 极强好奇的心 prononcé un discours où prévalait le souci du contrôle sans partage de la pensée et des intellectuels.

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La gloire de la Chine tourne le dos à l’Occident.

A Qinghua, où il a obtenu un diplôme d’ingénieur chimiste étudiant en même temps le Marxisme Léniniste et la pensée de Mao, Xi a devant les étudiants rassemblés, célébré la « glorieuse tradition de patriotisme de l’université « 光荣的爱国主义传统 » et, adaptant la vieille formule maoïste « mieux vaut être rouge qu’expert » il en a proposé une formulation nouvelle, synthèse entre les deux « soyez à la fois « rouge 红 » et expert « 专业 ».

Mais au total, c’est l’injonction de lutte et de fidélité politique qui prévalait. Mâtinée du « lyrisme de l’éclosion florale », il renvoyait, au moins dans la formulation, aux « cent fleurs maoïstes – 百花运动 » de la fin des années 50.

Avec cependant la différence notable que le « printemps fleuri maoïste » était un détour machiavélique visant à identifier les critiques pour les anéantir, quand les cent fleurs de Xi Jinping sont vues par lui comme la moisson vertueuse des efforts de fidélité de tous à sa ligne démarquée de celle de l’Occident.

« Soyez fermes dans vos convictions - 要坚定自己的信念, - restez toujours aux côtés du Parti et du peuple 始终与党和人民站在一起, et soyez sans faiblir un adepte loyal du socialisme aux caractéristiques chinoises 要坚定地信奉和忠实于中国特色社会主义的实践者 ». (…) « Que, dans une lutte incessante 不懈奋斗中, la jeunesse s’épanouisse en de magnifiques fleurs 让青春在绽放绚丽之花 ».

Le lendemain, s’adressant en visioconférence au 20e forum de Boao à Hainan, réplique depuis 2001 du forum de Davos, Xi Jinping a, non seulement, répété les thèmes à la mode de l’ouverture commerciale 贸易开放et de l’économie verte 绿色经济, mais il a aussi et surtout affirmé l’intention de la Chine de ne plus se laisser dicter sa trajectoire stratégique par « un seul pays ou une poignée de pays 不是一个国家或少数几个国家说了算 ». (…)

Reprenant le thème développé le 19 mars à Anchorage par Yang Jiechi face à A. Blinken, il a prôné une gouvernance mondiale d’égal à égal 对等全球治理, sans hégémonie 霸权, baignant dans l’utopie de justice universelle.

Conférences sur le climat sur fond de défiance.

En filigrane et en dépit des convergences de façade affichées avec Washington sur la question climatique marquées par la participation de Xi Jinping au sommet virtuel organisé par Biden les 22 et 23 avril, c’est la défiance qui domine.

Dans son discours de Boao le n°1 chinois ulcéré par les pressions subies par la Chine de la part des pays occidentaux, sur les questions qu’il juge souveraines de Hong Kong, du traitement des Ouïghour au Xinjiang, de la mer de Chine et de Taïwan, n’a pas dit un mot de son homologue américain, son principal rival stratégique vu à Pékin comme le chef de file des critiques anti-chinoises.

Xi a aussi attendu le 20 avril pour confirmer sa participation au sommet climat en ligne organisé par Washington [2] alors que, adoptant la stratégie du contrepoids européen, il avait, dès le 15 avril, annoncé qu’il participerait à la visioconférence sur le réchauffement climatique organisée par l’Elysée le 16 avril.

Parallèlement à la défiance stratégique aujourd’hui perceptible à chaque événement international, le Parti poursuit l’éradication des références de la pensée occidentale de ses ressources éducatives. Pour lutter contre ce qu’il appelle le révisionnisme historique, il a créé une ligne rouge permettant au public de dénoncer les interprétations de l’histoire défavorables à la Chine.

Réécriture nationaliste de l’histoire.

Récemment un éditorial de la revue officielle 历史研究 Lishi Yanjiu – Études historiques -, republié par les versions imprimée et en ligne du Quotidien du Peuple déclarait que « trop d’historiens chinois étaient tombés sous l’emprise des nihilistes étrangers. »

En cause essentiellement l’histoire de la dernière dynastie Qing que les études étrangères présentent comme « conquérante », une version qui, disait l’article, « était loin de satisfaire les attentes du Parti et du Peuple ». Par contraste, le journal préconisait une histoire fantasmée « aux caractéristiques chinoises » où l’Empire Qing aurait étendu son influence non par les armes et la conquête, mais par l’effet d’une irrésistible capillarité culturelle.

Un autre domaine où le parti s’applique avec véhémence à la rectification de l’histoire est celui des critiques des héros de l’ère maoïste. Ainsi, dans un livre du secondaire, la révolution culturelle est présentée comme une campagne anti-corruption ayant mal tourné. Toujours dans l’optique anti-occidentale, on purge les bibliothèques des livres qui, au lieu de célébrer le patriotisme chinois, pourraient « obséquieusement » conduire à vénérer l’Occident.

La mesure a pris effet le 1 avril dernier. Touchant les 240 millions d’élèves du primaire et du secondaire, elle vise à tenir sous le boisseau les faits et analyses concernant Tian An Men, la révolution culturelle et, entre autres, les descriptions précises de la société chinoise comme celles contenues dans le livre de Thomas Piketty « Capital et idéologie ».

Sans surprise, les analyses de fond sur la rivalité entre la Chine et les États-Unis sont tenues à l’écart et remplacées par la célébration de la règle du parti et la critique de la pensée et des systèmes politiques occidentaux. On multiplie les sessions d’étude hebdomadaires destinées aux membres du parti et à ceux des entreprises publiques.

Des apparatchiks de l’appareil dispensent des cours à partir d’une « Brève histoires du parti » en 500 pages dont le tiers est consacré à la période Xi Jinping, alors que la révolution culturelle n’y tient qu’une place. La version nouvelle sert de référence à l’éducation des jeunes chinois. Il est préoccupant qu’elle délaisse la critique et cultive à la fois l’amnésie historique et le nationalisme anti occidental sans mesure.

« Les amours dangereuses. »

Enfin, ce tour d’horizon des crispations de l’appareil contre les puissances du net et sa propre histoire, tournant le dos à la quête d’objectivité académique, ne serait pas complet sans la mention de la dernière campagne menée par le parti pour mettre en garde contre le risque posé par les « espions étrangers ».

Lancée le 16 avril à l’occasion de la journée d’éducation sur la sécurité nationale, et intitulée « les amours dangereuses », elle consiste en 16 panneaux d’une bande dessinée affichée dans les lieux publics racontant l’histoire d’une jeune fille qui piégée dans une relation amoureuse avec un étranger, a trahi des secrets d’État.

Note(s) :

[1La crainte que le pouvoir nourrit à l’égard des plateformes dont la puissance sans partage subjugue le net, n’est pas seulement chinoise. En Occident on s’inquiète aussi de la fascination hégémonique exercée par la nébuleuse des géants du net dont la valorisation en bourse a atteint 5000 Mds $ en janvier 2021, soit l’équivalent du PNB du Japon, 3e puissance économique mondiale.

Ce n’est pas tout. Avec leurs moteurs de recherche algorithmique, cœur du fonctionnement de Google, Facebook, Microsoft et Twitter, leur capacité d’influence est considérable. Selon Guillaume Sire (Les moteurs de recherche, éd. La Découverte 2016), ils sont « une machine à faire, une machine à faire voir, une machine à faire dire et une machine à faire faire ».

Évoquant Google, Guillaume Sire écrit notamment : « Comment imaginer qu’un moteur de recherche concentrant plus de 90% des parts de marché et, par conséquent, susceptible d’apporter un trafic considérable aux éditeurs, n’influencerait pas la manière dont ces derniers prennent la parole sur le Web et donc la parole elle-même ? »

[2Au cours du sommet qui s’est fixé comme objectif de revitaliser l’élan de la COP 21 et de préparer la COP 26 de Glasgow en novembre prochain, 40 dirigeants de la planète ont rivalisé de promesses.

Joe Biden a promis de réduire de 52% ses émissions d’ici 2030. Les promesses font suite à celles de la Chine, annoncées le 22 septembre 2020 à l’assemblée générale des NU par Xi Jinping d’atteindre la neutralité carbone en 2060, après un pic d’émission en 2030. La faisabilité de l’objectif reste sujet à caution.

Selon une étude de TransitionZero basée à Londres, pour être au rendez-vous, la Chine devrait réduire de 50% ses centrales à charbon d’ici 2030, un objectif qui paraît hors de portée compte tenu de la lourde rémanence du charbon.

D’autres en revanche estiment que l’objectif de neutralité carbone pour 2060 est réaliste si on tient compte que d’ici 2035, la Chine qui vient d’approuver la construction de 5 nouveaux réacteurs nucléaires aura une capacité nucléaire totale de 200 GW.

Plus encore, la prévalence du charbon pourrait atteindre un pic dès 2025 et celle du pétrole en 2030, remplacés par un usage massif de gaz naturel. Alors qu’en 2019, 65% de l’électricité provenait encore des centrales au charbon, Zhang Xiliang, directeur de l’institut de l’énergie à Qinghua explique que la part des énergies renouvelables atteindra 25% en 2030, pour atteindre 80% en 2050.

Objectivement, les promesses deviendront crédibles dès lors que cesseront les financements publics au secteur des énergies fossiles. L’idée est sur la table en Europe depuis l’automne 2019. Les États-Unis ont commencé à la considérer. Elle n’est pas à l’ordre du jour en Chine.

 

 

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